Fondements et applications du concept d’efficacité

Fondements et applications du concept d’efficacité 

L’efficacité, selon le dictionnaire de l’Académie, se définit comme : « Force, vertu de quelque cause pour produire son effet » . Cette définition établit une relation entre une cause agissante et un effet recherché que l’on obtient ou pas. C’est cette relation que nous voulons examiner maintenant, préalablement aux développements qui suivent, car il nous paraît nécessaire, sinon indispensable, de préciser les contours et la portée, au plan de sa signification, d’une notion qui n’existait pas du temps de la Compagnie des Indes mais qui était pourtant pratiquée tous les jours, à cette époque, par les acteurs de la vie économique, à la manière de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir.

En effet, si le concept d’efficacité n’existait pas en tant que tel au XVIIIe siècle, le monde du commerce et de l’industrie de cette époque recherchait, sans cesse, les moyens de rationaliser ses process de fabrication et ses méthodes de travail, inscrivant ainsi son action dans le mouvement archi-séculaire des sociétés humaines gagnées aux bienfaits du progrès et du développement. Or cet effort de rationalisation conduira un certain nombre d’auteurs à s’interroger sur sa finalité et à associer dorénavant « fins et moyens » en un même concept susceptible d’expliquer et de valider les choix des acteurs sociaux. Enfin, un progrès décisif sera apporté avec la mise en perspective du résultat recherché avec les moyens utilisés. L’entrepreneur cherchait dorénavant à répondre à cette nouvelle question : les moyens que j’ai utilisés m’ont-ils permis d’atteindre efficacement l’objectif de résultat que je m’étais fixé ?

La rationalité économique, expression première de l’efficacité 

L’efficacité est fille de la rationalité. Cette dernière – prise dans son sens large – a été, dès l’antiquité grecque, un sujet de réflexion prioritaire de la part des philosophes et des savants, comme en témoigne l’Organon d’Aristote . Et si, bien sûr, le concept d’efficacité n’existait pas en tant que tel, au plan économique , la recherche de rendements satisfaisants, dans le cas des exploitations agricoles grecques, et plus tard des latifundia romains, montre que l’idée d’une certaine rationalité dans la façon d’exploiter les grands domaines était bien réelle. Des auteurs comme Varron, Columelle, Palladius et Caton l’ancien pour qui « le maître de la maison sera marchand plutôt qu’acheteur » , ont prodigué leurs conseils en vue d’une bonne gestion de leurs affaires.

Cependant, cette rationalité, chez les Grecs, était embryonnaire et comme l’a fait remarquer J.A Schumpeter : « Pour autant que nous puissions le dire, l’analyse économique rudimentaire est un élément mineur – vraiment mineur – de l’héritage que nous ont laissé nos ancêtres culturels, les anciens Grecs. Comme leurs mathématiques et leur géométrie, leur astronomie, leur mécanique, leur optique, de même leur économie est la source de tout le travail fait après eux. Contrairement à leur œuvre en ces différents domaines, pourtant, leur économie n’a pas réussi à atteindre une position indépendante ni même une marque distinctive : leur œconomicus visait uniquement la sagesse pratique dans l’administration domestique.» (Schumpeter. J.A (a)). Et l’époque romaine qui suivit, ne produisit pas de meilleurs résultats sur ce plan, et fut même encore plus pauvre comme le souligne J.A. Schumpeter : « Considérons maintenant l’apport encore plus mince des Romains…Avec la structure sociale de Rome, les intérêts purement intellectuels n’avaient pas de havre attitré… Élargissant ses horizons, devenant plus raffinée, elle cultiva un intérêt pour la philosophie et l’art grec et se créa une littérature propre – largement tributaire du monde grec…Il restait peu d’énergie pour mener un travail sérieux dans un domaine scientifique quelconque, comme les écrits de Cicéron (106-43 av. J.C) suffisent à le montrer » (Ibid. pp. 106-107).

En effet, s’il est vrai qu’au cours de la période qui couvre globalement toute l’Antiquité, la rationalité ne s’imposa, ni comme un objectif prioritaire ni comme un moyen privilégié, en économie et dans la gestion des affaires, elle allait, cependant, durant tous les siècles qui vont suivre, conquérir et investir, progressivement, tous les secteurs de l’activité humaine – intellectuelle ou pratique- et devenir le chemin le plus sûr pour accéder – sinon à la vérité – du moins à des vérités d’étape susceptibles de rendre efficace l’action de l’homme sur le monde. Cette lente évolution qui a été décrite par Max Weber comme indissociable de l’avènement du capitalisme, a constitué, selon cet auteur, l’une des marques les plus caractéristiques de la civilisation occidentale :

« Ce n’est qu’en Occident qu’existe une « science » ayant atteint un stade de développement que nous reconnaissons aujourd’hui comme « valable ». Des connaissances empiriques, des réflexions sur les problèmes du monde et de la vie, des sagesses d’une grande profondeur, tant philosophiques que théologiques des savoirs et des observations d’une sublimité extraordinaire : tout cela se retrouve aussi ailleurs, et principalement en Inde, en Chine, à Babylone ainsi qu’en Égypte. Pourtant, on ne trouve pas dans l’astronomie babylonienne, de même que dans toute autre astronomie, les fondements mathématiques que seuls les Grecs lui ont donnés. La géométrie indienne n’a pas connu la « démonstration » rationnelle, qui est, elle aussi, un produit de l’esprit grec, lequel a été le premier également à créer la mécanique et la physique. Si elles étaient très développées du côté de l’observation, les sciences naturelles indiennes n’ont pas connu l’expérimentation rationnelle, qui est essentiellement, après quelques amorces dans l’Antiquité, un produit de la Renaissance ; elles n’ont pas connu non plus le laboratoire moderne, d’où l’absence pour la médecine – qui en Inde, notamment, a connu un développement empirique et technique très poussé – d’une base biologique, et en particulier biochimique. En dehors de l’Occident, aucune civilisation ne connaît une chimie rationnelle. En Chine, l’historiographie est très développée, mais la démarche de Thucydide lui est étrangère. Machiavel a eu des précurseurs en Inde, mais aucune doctrine politique asiatique ne laisse apercevoir une systématique comparable à celle d’Aristote ; d’une manière générale, aucune ne connaît des concepts rationnels » (Weber Max. (d) pp. 489 et 490).

Dans son livre intitulé « Histoire économique » Max Weber, recense les événements qui rendent explicite l’existence d’une relation entre rationalité et capitalisme. Relation causale qui s’inscrit dans la réciprocité : la rationalisation de la vie économique (moyens, procédures, décisions…) est indubitablement à l’origine des progrès qu’elle a connus, mais l’inverse est également vrai (le capital a donné des moyens qui ont favorisé la recherche de solutions rationnelles), sachant qu’il n’y a jamais parfaite simultanéité ni exacte concordance entre les deux phénomènes. Cependant, à travers la mise en perspective des différents événements qui ponctuent son « Histoire économique », Max Weber dévoile, en fait, l’évolution par laquelle la raison a su investir le monde économique en identifiant les différents concepts clés qui ont été, en quelque sorte, les points d’appui de cet effort de rationalisation, mené sur plusieurs siècles.

L’ouverture au marché 

La structure économico-sociale qui a longtemps prévalu jusqu’au Moyen Âge, et même audelà, est celle du seigneur-entrepreneur qui faisait travailler exclusivement pour son propre compte paysans et artisans ; c’est-à-dire un système de relations économiques où la spécialisation qui est un important facteur de progrès technique n’existait pas en raison de l’absence de marché. Ainsi, dans ce système « C’est le contraire de la spécialisation pour le marché, puisque l’échange n’existe pas » (Ibid. p. 149). Ce faisant, l’enrichissement progressif du monde paysan favorisa le développement de son autonomie et de sa technique, et par voie de conséquence, le développement de véritables marchés « En revanche, on assista au Moyen Âge, à partir du Xe siècle, à une extension du marché, dans la mesure où le pouvoir d’achat des paysans s’accrut. Leur situation de dépendance se fit moins oppressante, le contrôle du seigneur perdit en efficacité, et parce que l’intensivité de l’agriculture faisait de grands progrès ; le seigneur, qui en tant que chevalier était tenu par des obligations militaires, ne put profiter de ce progrès et dut abandonner aux paysans la totalité de cet accroissement en rentes foncières » (Ibid. pp. 156-157). Du côté des artisans, leur organisation en « corporations » accéléra le progrès technique et l’irruption d’une rationalité de production dont ils entendirent conserver le monopole afin de trouver sur le marché des débouchés rémunérateurs : « Aussi les corporations : 1. Réglementèrent la technique du métier…2. Elles réglementèrent le type de matière première…3. Elles réglementèrent la technique d’exploitation…4. Elles contrôlèrent l’utilisation des outils…5. Elles contrôlèrent la qualité du produit avant qu’il ne puisse être vendu. Cela dit elles contrôlèrent, en outre, la gestion de l’exploitation » (Ibid. p. 164). Si ce système favorisa la production de biens qui répondait à une demande solvable, le marché restait fractionné et dominé par des intérêts particuliers. Il faudra la création des manufactures, du commerce de gros et des foires permanentes pour voir se former un véritable marché libre où l’offre était abondante et régulière pour répondre aux besoins des acheteurs. C’est ce que Weber appellera « La liberté du marché, c’est-à-dire l’existence d’un marché dans lequel le trafic n’est pas soumis à des limitations irrationnelles… » (Ibid. p. 297). Ainsi, le marché libre assure une rationalité des prix de vente à l’entreprise (prix auxquels les acheteurs et les vendeurs sont satisfaits) et, par voie de conséquence, une rationalité de ses prix de revient (qui doivent laisser un bénéfice). Mais cette évolution imposait que soit réglée concomitamment la question de la disposition d’un capital suffisant pour soutenir une activité indépendante et rentable.

Le rôle du capital dans l’avènement de la rationalité économique

La constitution de fonds en capitaux ne se réalisa – l’Histoire économique le montre amplement – que très lentement et l’institution de systèmes d’exploitation économique « intermédiaires » se manifesta rapidement à travers différents types de contrats, tel le contrat de commandite. Dans ce type de relation exclusive, l’artisan livrait sa production uniquement au commanditaire qui, seul, entretenait une relation avec le client. Cette situation, si peu avantageuse pour l’artisan, trouvait son origine dans l’impossibilité qu’avait ce dernier à disposer d’un capital personnel « Ce monopole était, en règle générale, la conséquence d’un endettement… » (Ibid. p. 182). Et Weber de faire remarquer en ce qui concerne l’organisation même de cette économie : « Que le système de la sous-traitance commanditée ait pu se maintenir aussi longtemps trouve sa cause dans la modicité du capital fixe… » (Ibid. p. 183). Cependant, les efforts de rationalisation des processus de production, n’étaient pas pour autant abandonnés. Comme pour les corporations, le contrôle du processus de production par le donneur d’ordre était maintenu et sa gestion visait une logique de rentabilité. La création – en parallèle – des premières manufactures posa le problème de l’alimentation du marché en produits : il ne peut y avoir de marché sans entités d’une certaine taille susceptibles de le fournir en produits régulièrement, et inversement, il ne peut y avoir d’entreprises dont la rentabilité supporte des investissements importants (en tout cas plus importants que ceux d’un artisan), sans que des débouchés stables ne lui soient offerts : « La naissance de la fabrique présuppose, en outre, que la technique mise en œuvre dans le processus de production ne soit pas chère » car « … pour trouver un marché stable, il lui faut pouvoir produire à un coût moindre que par les techniques traditionnelles de l’industrie domestique ou de la sous-traitance commanditée » (Ibid. p. 187). Cette tendance fondamentale qui, selon M. Weber, lie capital et rationalité, a trouvé une expression encore plus forte avec la naissance de la société par actions. Le regroupement d’acteurs économiques au sein de confréries avait déjà vu le jour auparavant (Ibid. p. 189-192), il avait été expérimenté très tôt avec le commerce maritime : « Pendant tout le Moyen Âge, en raison de la taille des risques, un bateau n’est presque jamais construit pour le compte d’une seule personne, mais au contraire pour celui de plusieurs partenaires; C’est alors le partenariat qui domine dans le domaine de la propriété des bateaux » (Ibid. p. 227). Puis succédèrent aux XVIIe et XVIIIe siècles les grandes sociétés coloniales qui « constituèrent une autre forme de stade préalable à la société par actions » (Ibid. p. 301) . Si elles ne pouvaient être considérées, selon M. Weber, comme de véritables sociétés par actions, « En tout cas, c’est à ces grandes compagnies, qui faisaient de gros rapports, qu’il revient d’avoir fait connaître, la première fois, la forme de société par actions, et de l’avoir rendue populaire ». Mais c’est avec la création des sociétés par actions que le capitalisme réussit à promouvoir une rationalisation plus approfondie de l’activité économique : « Dans la vie économique moderne, l’émission de titres est le moyen de se doter rationnellement de capitaux. En participe au premier chef la société par actions » (Ibid. p. 299). En effet, en ayant recours à l’émission d’actions, les sociétés qui souhaitaient capter des moyens financiers importants, se donnaient les moyens d’un drainage efficace de l’épargne, en raison de l’existence de petites coupures diffusées auprès d’un large public, lequel pouvait se défaire, le cas échéant, de ses titres en les vendant sur un marché informel .

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Table des matières

INTRODUCTION
Chapitre liminaire : Fondements et applications du concept d’efficacité
I- La rationalité économique, expression première de l’efficacité
II- La reconnaissance de l’efficacité comme régulateur social
A- Max Weber ou l’efficacité comme fondement de l’agir social
B- Le rôle fédérateur de l’efficacité dans les rapports sociaux de l’entreprise
III- L’approche organisationnelle et managériale de l’efficacité
A- Le programme d’Harrington Emerson
B- L’efficacité organisationnelle du travail
IV- L’application du principe d’efficacité dans notre étude
A- La prise en compte du corpus théorique
B- Définition de l’efficacité économique, valorisation et représentation
Titre I- La rationalité du modèle de gouvernance de la compagnie des Indes
Chapitre 1- Le renouveau du cadre juridique
I- L’organisation juridique des sociétés de capitaux au XVIIIe siècle
A) Le capital des sociétés commerciales
B) L’administration des sociétés de capitaux au XVIIIe siècle
II- L’adaptation du cadre juridique aux nouveaux enjeux du grand commerce maritime
A) La collecte de capitaux importants
C) La séparation des pouvoirs entre dirigeants et actionnaires
Chapitre 2- Les logiques de gouvernance des grandes compagnies de commerce
A) La Vereenidge Oostindishe Compagnie (V.O.C) : le commerce en toute liberté
B) L’East India Company (E.I.C) : la liberté du commerce avec ou sans privilège
Chapitre 3- Le modèle colbertiste de gestion de la Compagnie des Indes
I- Les fondements de l’autorité royale
A) Le Roi père et protecteur de ses sujets
B) Le Roi soucieux du bonheur de son peuple
C) Le Roi initiateur du développement économique
II- La cogérance monarchique
A) Le système des privilèges
B) La participation au financement l’entreprise
C) Les hommes du Roi
D) La gestion de fait indirecte
Chapitre 4- Le conflit des rationalités dans la gouvernance de la Compagnie des Indes
I- La logique d’État mise en échec par la logique financière de la Compagnie des Indes (1718- 1720)
A) Les principes économiques et financiers de John Law
B) La concentration des moyens économiques et financiers
C) La reprise à son profit des privilèges d’État
D) Création d’un marché financier des titres de la Compagnie des Indes et décharge d’une
partie de la dette de l’État
E) La fin du paradigme organisationnel Colbertiste
II- Le renouveau de l’interventionnisme royal à partir de 1723
A) La refondation de la Compagnie des Indes
B) L’apparition d’un nouveau paradigme organisationnel
C) La redéfinition de l’interventionnisme royal
Titre II- L’organisation du suivi du contrôle des coûts et des charges
Chapitre 1- La Direction de la Compagnie
I- Petite typologie des structures de Direction
A) Structure fermée
B) Structure semi-ouverte
C) Structure réduite
II- Le choix d’hommes compétents
A) Les principaux paramètres de l’analyse
B) La représentation des compétences au sein de la compagnie des Indes
Chapitre 2- La répartition fonctionnelle des tâches
Chapitre 3- Les assemblées d’administration
I- Les assemblées d’administration restreintes
II- Les assemblées d’administration élargies aux représentants du Roi
III- La Régie de la Compagnie en 1754
Titre III- La supervision comptable
Chapitre 1- Le système de la partie double au XVIIIe siècle
I- L’essor de la partie double
A) Un système nouveau et fiable
B) Un système qui reste encore tributaire de la partie simple
C) Un système fondé sur la comptabilité d’engagement
II- Un compte d’exploitation aux dimensions réduites
A) L’indigence informationnelle du compte de « pertes et profits »
B) Un compte de « Pertes et Profits » inorganisé et confus
III- Le rôle central du bilan
A) Les immobilisations
B) Les comptes rattachés au cycle d’exploitation
C) Les comptes financiers
IV- Une image comptable au format réduit et aux contours flous
Chapitre 2- Le système comptable de la Compagnie des Indes
I- La comptabilité du siège à Paris
A) Tenue des livres
B) Mouvements des comptes les plus importants
C) L’arrêté des comptes
II- La comptabilité du Port de Lorient
A) La centralisation des écritures
B) La Trésorerie
C) Tenue de registres
III- Comptabilité en dehors de Paris et de Lorient
A) Colonies
B) Correspondants, commissionnaires et agents
IV- Comptabilité de la traite des Noirs
Chapitre 3- Le contrôle comptable des coûts et des charges
I- Les contrôles a priori
A- Le contrôle interne à Lorient
B- Le contrôle interne à Paris
II- Les contrôles a posteriori
A) La comparaison entre chiffres prévisionnels et chiffres réels
B) Les contrôles des commissaires royaux
C) Les assemblées d’actionnaires
CONCLUSION

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