Le Sommet mondial pour le dรฉveloppement durable ร Johannesburg en 2002 a dรฉfini ses objectifs comme suit : ยซย La lutte contre la pauvretรฉ, la modification des modes de production et de consommation qui nโassure ni leur reproduction ni la protection et la gestion des ressources naturelles, indispensables au dรฉveloppement รฉconomique et social, sont les objectifs ultimes et les conditions essentiels du dรฉveloppement durableย ยป.
Dans ce cadre, il a รฉtรฉ notamment recommandรฉ dโaccroรฎtre sensiblement la productivitรฉ agricole et la sรฉcuritรฉ alimentaire, de faรงon ร atteindre les objectifs de dรฉveloppement figurant dans la Dรฉclaration du millรฉnaire. Un des objectifs est de rรฉduire de moitiรฉ dโici 2015 la proportion de la population souffrant de la faim. Cela comprend รฉgalement toutes les initiatives prises pour dรฉvelopper le secteur agricole, lโagriculture apportant la principale contribution ร la satisfaction des besoins nutritionnels dโune population mondiale croissante. En ce qui concerne Madagascar, il s’agit d’une part, d’augmenter la productivitรฉ des sols cultivรฉs et de l’autre, de gรฉrer la fertilitรฉ des terres encore en friche. Ceci impose ร la fois un respect des sols, ressource naturelle non renouvelable ร lโรฉchelle de lโhomme et une connaissance de leur fonctionnement afin d’en assurer une gestion raisonnรฉe.
On peut parfois regretter que les responsables des politiques de dรฉveloppement rural attachent peu dโimportance au sol ; ils donnent le plus souvent prioritรฉ ร leurs actions sur les filiรจres agricoles, la pรชche et lโรฉlevage. Pourtant, le sol constitue ร la fois le support et la source principale de nutriments pour vรฉgรฉtaux, base alimentaire des animaux. A Madagascar, le mot ยซ terre ยป est associรฉ ร la patrie ยซย tanindrazanaย ยป ou au relief ยซย tanetyย ยป, souvent identifiรฉ avec la couleur rouge ยซย l’รle rougeย ยป. Dรจs lors, n’est-il pas รฉtonnant de constater qu’ร Madagascar on ne compte qu’une poignรฉe de scientifiques du sol pour les 16 millions de malgaches, tandis qu’en France ils en sont actuellement 900 pour une population de 60 millions, ce qui reprรฉsente 15 chercheurs par million dโhabitants (Hartemink, 2003). Une des consรฉquences est que Madagascar se classe parmi les pays les plus pauvres du monde. Notre pays accuse aussi la perte en sol la plus รฉlevรฉe au monde puisque 4/5 des terres y sont vulnรฉrables ร lโรฉrosion .
Pourtant, il y a 100 ans, lorsque les connaissances sur les sols tropicaux รฉtaient encore limitรฉes, voire trรจs faibles, les voyageurs et mรชme d’imminents scientifiques du sol amรฉricains admiraient les paysages des rรฉgions de forรชts tropicales humides portant une vรฉgรฉtation luxuriante. Ils en dรฉduisaient que les sols tropicaux รฉtaient trรจs fertiles, riches en humus puisquโils supportaient toute cette immense vรฉgรฉtation diversifiรฉe (Hilgard, 1906, citรฉ par Hartemink, 2003). En 1926, la premiรจre Thรจse de doctorat en pรฉdologie soutenue en France par Erhart a รฉtรฉ consacrรฉe sur le sol de Madagascar. Le principal rรฉsultat de ce travail a montrรฉ que ยซย le sol est le produit de lโaltรฉration dโune roche, qui ne peut รชtre รฉtudiรฉe avec fruit quโen tenant compte de son origine et de tous les facteurs qui lโont amenรฉ ร lโรฉtat arableย ยป (Pรฉdro, 2003). Depuis ce temps, la connaissance des sols malgaches a mis en รฉvidence la difficultรฉ de les mettre dans la classification gรฉnรฉrale des sols tropicaux, ce qui rendait difficile, pour les chercheurs agronomes franรงais, la gestion de la fertilitรฉ des sols ferrallitiques des Hautes Terres de Madagascar. Sans minimiser les travaux de quelques pรฉdologues de cette pรฉriode, comme Tricart, Bourgeat, Aubert, Ratsimbazafy, Raharinosy et plus rรฉcemment, Raunet et Arthaud sur les bas-fonds et leur รฉvolution, force est de constater que trรจs peu de travaux ont รฉtรฉ orientรฉs sur lโรฉtude des constituants et des caractรฉristiques physiques, chimiques et biologiques du sol et sur son fonctionnement. La prรฉoccupation des agronomes รฉtait surtout dโaugmenter la production agricole par lโutilisation des engrais minรฉraux apportรฉs ร des doses dites de redressement. Par exemple, en ce qui concerne le phosphore, des doses รฉlevรฉes de 100 ร 300 kg P ha-1ont รฉtรฉ recommandรฉes sans se soucier de la durabilitรฉ de ces pratiques, d’ailleurs inaccessibles pour des paysans malgaches. De toute faรงon ces agriculteurs n’avaient pas, nโont toujours pas et nโauront probablement pas, les moyens ร long terme de pratiquer ces mรฉthodes de gestion des sols.
CONTEXTE DE LโAGRICULTURE A MADAGASCAR
Madagascar, une Ile Continent de 592 000 km2 situรฉ dans le Sud – Ouest de lโOcรฉan Indien, sโallonge du 12รจme au 26รจme degrรฉ de latitude, du Nord au Sud sur le chemin des alizรฉs des mers australes. Malgrรฉ sa richesse en ressources gรฉnรฉtiques, miniรจres et en paysages magnifiques (Figure A.I.2), la situation socio-รฉconomique et environnementale du pays est prรฉoccupante : 67,3% de la population vivent en dessous du seuil de la pauvretรฉ. La population malgache en 2002 รฉtait dโenviron 16.500.000 dโhabitants (Tableau A.I.2) avec un taux de croissance de 3,03%. Pour 2015, elle est estimรฉe ร 24,1 millions dโhabitants (Arrivets, 1998 ; Ramanankasina et Rabeharisoa, 2003).
Madagascar est un pays essentiellement agricole : 73,8% des malgaches ont des activitรฉs rurales, 3 500 000 ha des terres reprรฉsentent les surfaces arables en permanence (Tableau A.I.1), la production de cรฉrรฉale est de 107 000 000 tonnes, avec une croissance de 14%, la consommation dโengrais minรฉraux (N, P et K) nโest que de 2,6 kg par habitant, soit 9 kg/ha en 1998 , alors que les besoins alimentaires annuels humains sont d’au moins 10 fois plus. On se trouve donc dans des pratiques de ยซย soil miningย ยป, exploitation de type minier des sols (Rakotondravelo, 2003) qui sont en principe non durables.
On remarque un accroissement trรจs important entre 1994 et 2002 (Tableau A.I.2). Cependant, il y a une lente et constante diminution de la population active dans lโagriculture. Du fait de croissance dรฉmographique, les surfaces relatives mises ร disposition des paysans sโamenuisent, ils sont donc contraints ร intensifier. Le Tableau A.I.3 prรฉsente les principales caractรฉristiques des sols cultivรฉs de Madagascar ainsi que le type de climat, de vรฉgรฉtation associรฉe et dโagriculture. Schรฉmatiquement, Madagascar est divisรฉe en 3 bandes longitudinales bien diffรฉrenciรฉes, avec des zones de transition assez รฉtroites (Arrivets, 1998 ; PEIII-MG, 2003): La rรฉgion des Hautes Terres au centre, dโaltitude supรฉrieure ร 1000 m, constituant la dorsale, dont lโossature est constituรฉe par le vieux socle antรฉcambrien avec des intrusions locales de roches volcaniques trรจs anciennes (bassin dโAntsirabe) ou, dans la frange Ouest, plus rรฉcente ย et donnant alors naissance ร des sols assez fertiles. LโEst, sur la cรดte au vent est trรจs arrosรฉ, avec une plaine cรดtiรจre รฉtroite souvent marรฉcageuse, entrecoupรฉe de lagunes, et des collines escaladant en une succession de gradins et de faรงon assez abrupte le versant oriental des Hautes Terres. La forรชt รฉquatoriale y est la vรฉgรฉtation naturelle plus ou moins dรฉgradรฉe par lโaction de lโhomme depuis la plaine, jusquโร la falaise. LโOuest, sous le vent, est sรฉdimentaire (alternance de calcaires et de grรจs en couches subhorizontales). Cette zone est plus large que la prรฉcรฉdente, la pente des Hautes Terres vers la cรดte du canal de Mozambique est plus progressive.
LA REGION DES HAUTES TERRES DE MADAGASCAR
Occupation des terres agricolesย
La rรฉgion des Hautes Terres de Madagascar est la rรฉgion la plus densรฉment peuplรฉe de ยซ La Grande Ile ยป, en particulier dans la partie centrale entre Antananarivo, la capitale, et Fianarantsoa : les densitรฉs de population sont comprises entre 40 et 200 hab.km-2, contre 27 hab.km-2 en moyenne pour le pays (Raunet, 1997). La rรฉgion dโAntsirabe, le Vakinankaratra, se situe entre ces deux villes. Dans cette zone les altitudes vont de 800 ร 1800 m. Du fait de la saturation des plaines et bas-fonds traditionnellement consacrรฉs ร la riziculture irriguรฉe, et de la poussรฉe dรฉmographique, on assiste depuis une trentaine dโannรฉes dans ces rรฉgions au dรฉveloppement des cultures pluviales (Rollin, 1994). La rรฉgion des Hautes Terres de Madagascar reprรฉsentent actuellement le principal potentiel dโaccroissement des superficies cultivรฉes et donc de la production agricole puisque les bas-fonds des vallรฉes sont aujourdโhui complรจtement utilisรฉs pour et par la riziculture.ย Dans la rรฉgion des Hautes Terres, les sols ferrallitiques dominent (Tableau A.I.3). Les sols des collines ยซ tanety ยป sont dรฉveloppรฉs soit sur socle cristallin, soit sur substrats fluviolacustres (Raunet, 1997 ; Rollin, 1994), soit sur basalte (Rabeharisoa, 1985). Ils reprรฉsentent 65% de la surface agricole utile de Madagascar. Ces sols sont l’aboutissement de l’altรฉration ferrallitique (Raunet, 2004 communication personnelle) : dans la partie supรฉrieure, le matรฉriau est composรฉ de quartz rรฉsiduel, de kaolinite (argile de nรฉoformation), de sesquioxydes de fer et d’aluminium. L’altรฉration de la roche-mรจre se fait par une hydrolyse totale (par des solutions neutres ou basiques) des minรฉraux : libรฉration des cations, de la silice, du fer et de l’aluminium. Il y a donc altรฉration complรจte des minรฉraux primaires et des formations possibles de minรฉraux de synthรจse, tels que les silicates dโalumine (famille de la kaolinite), les hydroxydes et oxydes de fer (goethite, hรฉmatite, boehmite, produits amorphesโฆ.). Une partie de la silice et de l’aluminium peuvent se recombiner pour former une argile kaolinique. Lโรฉlimination de la silice et des cations est donc plus ou moins complรจte. La silice restante et la totalitรฉ des cations sont รฉvacuรฉes par les eaux de drainage et les nappes phrรฉatiques. L’aluminium en excรจs peut s’individualiser sous la forme de gibbsite cristallisรฉe. Le fer s’individualise en oxydes qui se fixent sur les argiles pour colorer le profil en rouge, jaune ou ocre. Au fur et ร mesure de la pรฉdogenรจse ferrallitique, il y a disparition plus ou moins complรจte des รฉlรฉments chimiques dรฉrivรฉs de la roche-mรจre. Lโintensitรฉ de la pรฉdogenรจse ferrallitique va dans le sens de la diminution des cations totaux et รฉchangeables et de la dรฉsaturation du complexe adsorbant aboutissant finalement ร une uniformisation de la teneur des รฉlรฉments minรฉraux dans les sols. Cโest pourquoi, celle-ci peut รชtre parfois totalement indรฉpendante de la nature de la roche-mรจre (Boyer, 1982). La durรฉe nรฉcessaire ร lโaltรฉration ferrallitique dโun mรจtre de basalte peut varier entre 50 000 et 150 000 ans selon les conditions climatiques, ce qui finalement est bref par rapport ร lโexistenceย de lโhomme sur terre qui remonte ร 1.5 M dโannรฉes.
Les sols ferrallitiques typiques et les sols ferrallitiques lessivรฉs, appelรฉs respectivement Oxisols et Ultisols dans la classification amรฉricaine et ferralsol dans la cassification de la FAO, UNESCO (1995) (Figure A.I.3), reprรฉsentent plus de 15 % de la surface de la terre, 7,5% pour les premiers et 8,5% pour les seconds (Buol et Eswaran, 2000).
Les sols ferrallitiques occupent principalement toute la ceinture chaude et humide du globe entre les tropiques. Certains sols, localisรฉs aujourdโhui dans des zones arides et semi-arides ont รฉgalement des caractรจres ferrallitiques dus ร lโexistence de climats humides dans des temps antรฉrieurs (Boyer, 1982). Les sols ferrallitiques sont en gรฉnรฉral รฉpais et se caractรฉrisent par des accumulations de fer et/ou dโaluminium sous forme de cuirasses, gravillons etcโฆCependant, soumis ร des feux de brousse rรฉpรฉtรฉs et mis ร nu sans protection vรฉgรฉtale aprรจs labour et gรฉnรฉralement en lโabsence de tout apport de matiรจres organiques, ils peuvent subir une รฉrosion intense en raison des fortes pluviomรฉtries dans la zone intertropicale, ils prรฉsentent rapidement un horizon compactรฉ ร faible profondeur qui limite lโenracinement des plantes et restreindre de ce fait leur alimentation en eau et รฉlรฉments minรฉraux.
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Table des matiรจres
Introduction gรฉnรฉrale
PA- Chapitre I.Prรฉsentation des contextes agro-pรฉdo-climatiques de Madagascar et problรฉmatique de la production agricole
I.1 CONTEXTE DE L’AGRICULTURE A MADAGASCAR
I.2 LA REGION DES HAUTES TERRES DE MADAGASCAR : UN POTENTIEL DE PRODUCTION AGRICOLE
I.2.1 Occupation des terres agricoles
I.2.2 Nรฉcessitรฉ d’une culture de riz pluvial sur les ยซย tanetyย ยป
I.3 SITUATIONS AGRO-CLIMATIQUES DE LA REGION DES HAUTES TERRES DE MADAGASCAR
I.4 PROBLEMATIQUE DE LA GESTION DES SOLS SUR LES HAUTES TERRES DE MADAGASCAR
I.5 PROBLEMATIQUE GENERALE DES RECHERCHES
PA-Chapitre II Fonctionnement physico-chimique et biologique des sols ferrallitiques
Introduction
II.1 LES CONSTITUANTS DES SOLS FERRALLITIQUES
II.1.1 Les constituants minรฉraux
des minรฉraux argileux
des oxyhydroxydes d’aluminium
des oxyhydroxydes de fer
II.1.2 Les composรฉs organiques
II.2 INTERACTIONS A LโINTERFACE SOLIDE-LIQUIDE
II.2.1 Prรฉcipitation et dissolution
II.2.2 Echange dโions
II.2.3 Rรฉactions acido-basiques
II.2.4 Complรฉxation de surface
II.2.5 Rรฉactions dโoxydo-rรฉduction
II.3 CHARGE ELECTRIQUE DE SURFACE ET POINT DE CHARGE NULLE (PCN)
II.3.1 Charge de surface
Oxyhydroxydes de fer et dโaluminium
Minรฉraux argileux
Matiรจres organiques
II.3.2 Le point de charge nulle
II.4 POTENTIEL DE SURFACE
II.4.1 La force ionique de la solution du sol
II.4.2 La composition de la solution du sol
II.4.3 Le pH de la solution du sol
II.5 L’EFFET DE LA CHARGE DE SURFACE SUR LES PROPRIETES DU SOL
II.5.1 Les interactions solutรฉs
II.5.2 Adsorption provoquรฉe par des cations et anions
Dispersion et floculation
II.5.3 Capacitรฉ dโรฉchange et ions รฉchangeables
La Capacitรฉ dโรฉchange cationique
La Capacitรฉ dโรฉchange anionique
II.6 FONCTIONNEMENT BIOLOGIQUE DES SOLS FERRALLITIQUES
II.6.1 Cycle du carbone
II.6.2 Cycle de lโazote
La fixation dโazote
Lโammonification et les autres รฉlรฉments du cycle de lโazote
Conclusion partielle
PA-Chapitre III Fertilitรฉ des ecosystemes agricoles – sols ferrallitiques des Hautes terres de Madagascar
Introduction
III.1 L’ALUMINIUM DANS LES SOLS FERRALLITIQUES
III.1.1 Aluminium รฉchangeable et toxicitรฉ aluminique
III.1.2 Interactions Aluminium-Phosphore
III.1.3 L’aluminium et le pouvoir tampon du sol acide
III.2 FERTILITE PHOSPHATEE DES ECOSYSTEMES AGRICOLES-SOLS FERRALLITIQUES
III.2.1 Essai au champ sur maรฏs
Matรฉriel et mรฉthodes
Rรฉsultats et discussions
III.2.2 Essai au champ sur blรฉ
III.2.3 Essai en vases de vรฉgรฉtation
Matรฉriel et mรฉthodes
Rรจsultats et discussions
III.3 AUTRES FACTEURS DE FERTILITE DES SOLS FERRALLITIQUES
III.3.1 Effets de la dolomie sur la fixation de l’azote par le soja cultivรฉ sur sol
ferrallitique fortement dรฉsaturรฉ
Quantification de la fixation de l’azote par la mรฉthode de dilution isotopique 15N
Rรฉsultats de l’essai sur la fixation d’azote par le soja avec 15N
III.3.2 Effets des pratiques culturales sur les caractรฉristiques physicochimiques des sols ferrallitiques de Madagascar
Description du profil
Caractรฉristiques chimiques
Conclusion partielle
Conclusion gรฉnรฉrale
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