Fonctionnement général des deltas et de leur(s) embouchure(s)

L’origine du mot « delta » remonte au 5ème siècle avant J.C. Il a été utilisé pour la première fois par Hérodote pour désigner, par analogie à la forme triangulaire de la lettre grecque, la plaine alluviale du Nil. En français, « delta » est attesté dès le 13ème siècle comme un nom géographique, en parlant du Nil. C’est au 19ème siècle que le mot deviendra un nom commun signifiant « terre entre deux embouchures » (dictionnaire de Boiste, 6ème édition, 1823). Pourtant le delta, dans son acception scientifique actuelle, est un édifice sédimentaire qui se développe au delà de la seule plaine deltaïque émergée et constitue la partie superficielle de corps sédimentaires dont l’accumulation s’effectue à l’échelle des temps géologiques, au grès des variations du niveau marin relatif.

Organisation des dépôts deltaïques

L’ensemble des deltas encore actifs s’est édifié au cours de l’Holocène. Pour la plupart, leur constitution est héritée des processus de sédimentation liés à la montée de la mer depuis 18 000 BP. Ainsi, la mer, en remontant, submerge progressivement les prismes sédimentaires de bas niveau, mis en place sur le plateau continental lors des régressions des derniers maximums glaciaires (Fig. 1.1). Elle dépose des corps sédimentaires littoraux transgressifs discontinus, étagés sur la plate-forme interne (cordons sableux et formations lagunaires). Une accélération de la montée relative du niveau marin entre 15 000 et 7 000 BP (Fairbanks, 1989 ; Bard et al., 1993) crée un espace disponible pour l’accumulation des apports fluviaux (espace d’accommodation, Jervey, 1988 ; Muto et Steel, 2000). Cette période (Intervalle Transgressif, Fig. 1.1) permet l’édification vers le continent de corps rétrogradants (recul du trait de côte), qui vont se superposer (aggradation) tant que l’espace disponible n’est pas comblé (conditions si le ratio TS / V < 1 avec TS : taux de sédimentation et V : vitesse de montée du niveau marin relatif).

Sur les marges océaniques stables, l’ascension du niveau marin est ralentie vers 7000 – 6 000 BP (Jelgersma, 1961). L’affaiblissement du forçage eustatique (TS / V > 1) permet alors le comblement de l’espace d’accommodation, puis l’émersion des dépôts. Ceci conduit à l’expression morphologique de la partie aérienne du delta, celle là même qu’Hérodote appelait « delta ».

Le delta représenté en coupe se présente donc comme une plate-forme progradante, composée d’une plaine émergée qui se raccorde à la plate-forme continentale par un talus prononcé (fig. 1.2). Il est important cependant de replacer la taille de ces édifices sédimentaires vis à vis de la marge continentale sur laquelle ils se développent, afin de bien situer les échelles et d’éviter les confusions entre talus continental et talus deltaïque.

La variété des réponses morphologiques à la compétition entre les dynamiques marines et fluviales qui s’exercent sur la partie émergée du delta a conduit de nombreux auteurs à proposer des classifications de deltas plus ou moins élaborées, de la simple subdivision en 3 types de Galloway (1975) aux 12 types proposés par Postma (1995) (voir les synthèses de Reineck et Singh, 1980 ; Collela et Prior, 1990; Bhattacharya et Walker, 1992 ; Orton et Reading, 1993 ; Suter, 1994 ; Reading et Collison, 1996 ; Hori et al., 2002). Quoiqu’il en soit, les auteurs s’accordent tous autour des principaux facteurs de contrôle de la formation des deltas que sont :
– les caractéristiques du bassin versant,
– les débits liquide et solide,
– la morphologie du fleuve et les déplacements des embouchures,
– la granulométrie des apports,
– les contrastes de densité à l’embouchure des fleuves,
– les mécanismes tectono-subsidents,
– l’importance relative des processus liés à la marée et à la houle,
– la pente sous-marine
– et l’évolution historique du niveau marin.

Chaque delta est sous l’influence de ces dynamiques, et réagit spécifiquement en fonction de l’impact respectif de chacune. Mais quelle que soit sa forme, au fur et à mesure des apports fluviaux, un delta se développe, prograde et s’organise selon un schéma morphologique constant. Ce cadre général regroupe deux environnements (Fig. 1.3) : (1) la partie aérienne, caractérisée par une plaine que le fleuve édifie et façonne au gré de ses déplacements latéraux, et (2) la partie sous-marine, qui se dépose sous la forme d’un lobe sédimentaire, dont la granulométrie s’affine vers le large. L’embouchure, quant à elle, point de connexion entre ces deux domaines, constitue la plaque tournante de ce système.

Les composantes morphodynamiques des deltas

La plaine deltaïque

Partie visible du delta, et bien souvent confondue au moins sémantiquement avec lui, la plaine deltaïque est le prolongement de la plaine alluviale. C’est la partie sommitale de l’édifice deltaïque, étendue de terre émergée, d’une altitude voisine de celle de la mer. Elle est parcourue par un réseau de chenaux, actifs ou abandonnés, séparés par des surfaces émergées, des plans d’eau très peu profonds d’origine marécageuses ou liés à la formation de lagunes.

L’organisation de la plaine deltaïque est très sensible aux contraintes hydrosédimentaires (Schumm, 1993 ; Blum et Törnquist, 2000). En période de faibles apports sédimentaires ou de baisse du niveau marin, le chenal a tendance à inciser les dépôts deltaïques sousjacents (Schumm et al.,1984). En contexte de flux solides abondants (Fig. 1.4), les sédiments grossiers sont partiellement piégés dans le chenal, où ils provoquent l’apparition d’un « style fluvial tressé » et l’exhaussement du plancher alluvial (Fig. 1.42). Ces mutations réduisent les possibilités de transfert sédimentaire, diminuent l’afflux sédimentaire à l’embouchure et peuvent aboutir, lors d’une forte crue, à un débordement du fleuve au travers de ses berges (Fig. 1.43). Un nouveau chenal se développe alors à partir de la crevasse, en contrebas de l’ancien lit surélevé et colmaté (Farrell, 2001). Ce processus, qui entraîne le déplacement du chenal (avulsion) et, par voie de conséquence, la migration des embouchures et des zones de dépôt, est un facteur essentiel de la construction des deltas (Frasier et Osanik, 1969 ; Robert, 1997). L’ancien lobe, qui n’est plus alimenté, est abandonné aux dynamiques érosives du bassin (houles et courants), car l’avancée du delta s’opère désormais à partir de la nouvelle embouchure, au front de  laquelle un nouveau lobe se forme (Fig. 1.44). L’ancienne embouchure, quant à elle, est progressivement remaniée et « lissée » par les dynamiques côtières.

Sur la base d’une revue des grands deltas mondiaux, Hori et al. (2002) proposent un schéma fonctionnel différent pour les deltas « dominés » par le fleuve ou la houle et les deltas macro-tidaux. Les premiers seraient affectés par des avulsions à l’échelle de « superlobes », où le point de rupture se situe dans la plaine deltaïque, alors que les seconds ne se déplacent qu’au niveau des distributaires proches de l’embouchure. Cette typologie a le mérite de souligner qu’il existe vraisemblablement plusieurs types d’avulsion, pour lesquels le forçage fluvial ou marin intervient différemment. Mais l’analyse concrète de la plupart des deltas montre que le rythme du déplacement des embouchures est irrégulier, variable selon les régions et les périodes. On verra donc plus loin qu’en dernier lieu, ce sont les variations des flux liquides et solides, donc des forçages allocycliques, qui déterminent la mobilité littorale des deltas (Wright et Coleman, 1973 ; Boyd et al., 1989 ; Walling et Fang, 2002).

Le delta sous-marin

Le delta sous-marin (subaqueous delta) est donc la partie de l’édifice deltaïque constituée de l’ensemble des lobes d’épandage actuels et anciens d’un fleuve. Il s’édifie au droit d’une embouchure active (Fig. 1.3), mais doit être considéré à l’échelle du delta. De plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur, il est composé d’une partie sommitale, le front deltaïque (delta-front), et d’une partie basale, le prodelta (Fig. 1.5). La différence entre ces deux unités tient essentiellement dans la granulométrie des dépôts, et les spécificités morphodynamiques qui en découlent. Le front deltaïque, ou front de delta, s’exprime dans la morphologie générale des dépôts de plate–forme comme la partie sommitale du talus qui borde la plaine deltaïque. De pente assez prononcée en raison de la granulométrie grossière des sédiments (Table 1.1), le front deltaïque constitue un terme-puits important pour l’alimentation du flux solide littoral. Au niveau des embouchures actives, il est alimenté en sédiment grossier par la charge de fond du fleuve. S’édifie alors, à son sommet, une barre d’embouchure sub-émergeante. Dans les zones de lobes abandonnés (Fig. 1.33), il est le siège d’une érosion intense. Généralement situé au dessus de la limite d’action des houles, il concentre l’énergie de ces dernières sur le secteur de l’ancienne embouchure par réfraction, contribuant ainsi au démantèlement et au recul de la côte.

A la même échelle que le front deltaïque, le prodelta est la zone la plus externe et la plus profonde du delta sous-marin (Fig. 1.5). Il s’y dépose les sédiments les plus fins issus de la décantation des particules les plus fines. L’existence de chenaux et de phénomènes de glissements sous-marins est bien documentée sur les prodeltas ( Mississipi : Prior and Coleman, 1978, Lindsay et al., 1984, Bouma et al., 1991 ; Coleman et al, 1998b – Fraser delta : Shepard et Milliman, 1978 ; Hart et al., 1992). Ces sédiments fins sont gorgés d’eau, ce qui limite l’inclinaison des dépôts et provoque ces glissements (Postma, 1984 ; Li et al., 2001 ; Canals et al., 2004…).

De plus, les taux d’accumulation importants (jusqu’à plusieurs dizaines de cm par an) (Li et al., 1998 ; Radakovitch et al, 1998 ; Beaudouin et al., 2005), provoquent une rétention de gaz (méthane notamment) issus de la décomposition de la matière organique piégée entre les couches argileuses. De ce fait, les prodeltas ont fait l’objet d’une attention particulière de la part des compagnies pétrolières en recherche constante de nouveaux réservoirs de gaz et d’hydrocarbures (Allen et Mercier, 1987). Le prodelta fait progressivement place aux dépôts marins du plateau continental, ou le recouvre totalement lorsque les apports sédimentaires sont exceptionnels et/ou le plateau étroit (cas de l’Amazone, par exemple : Nittrouer et Demaster, 1986).

Typologie des embouchures

Considérant le nombre important de variables, on peut estimer que la majeure partie des deltas actuels échappera manifestement toujours à toute tentative de classification (Liu et al., 1998 ; Ta et al., 2002.). Pour autant, à l’échelle de l’embouchure, il est possible de conserver la classification élaborée par Galloway (1975), sur la base de l’influence respective du fleuve, des houles et de la marée (Davis et Clifton, 1987). L’embouchure est donc une zone d’interface où le fleuve pénètre dans la mer en y déposant les sédiments qu’il transporte. Ces sédiments sont repris et dispersés en mer et sur le littoral, selon des modalités qui diffèrent en fonction des agents hydrodynamiques prépondérants du bassin de réception. L’embouchure se différencie de l’estuaire par l’importance de l’influence de la marée. Lorsque cette dernière est prépondérante, l’exutoire est un estuaire ; lorsque le fleuve ou les houles dominent, on parle d’embouchure (Elliot et McLusky, 2002). Notre étude se situant en contexte microtidal, nous ne présenterons pas les estuaires.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : FONCTIONNEMENT MORPHOSEDIMENTAIRE DES EMBOUCHURES DELTAÏQUES : ETAT DE LA QUESTION
Chapitre 1 : Fonctionnement général des deltas et de leur(s) embouchure(s)
1.1 Organisation des dépôts deltaïques
1.2Les composantes morphodynamiques des deltas
1.2.1 La plaine deltaïque
1.2.2 Le delta sous-marin
1.3 Typologie des embouchures
1.3.1 Embouchures dominées par le fleuve
1.3.2 Embouchures dominées par les houles
1.4 Ambiguïtés de sens
1.4.1 Front deltaïque / Front de delta
1.4.2 Delta subaquatique / Prodelta
1.4.3 Espace disponible : accommodation vs accumulation
1.5Conclusion partielle
Chapitre 2 : Présentation du site d’étude
2.1. Contexte géomorphologique de l’embouchure du Rhône
2.1.1. Organisation et morphologie du « Système » Rhône
2.1.2. Morphologie du delta aérien
2.2. L’embouchure : à l’interface entre le fleuve et la mer
2.2.1. Les conditions naturelles de forçage
2.2.1.1. Caractéristiques générales des débits du Bas-Rhône
2.2.1.2. Les données météo-marines
2.2.1.3. La mobilité littorale naturelle
2.2.2. Les conditions historiques de forçage
2.2.2.1. Les données fluviales
2.2.2.2. Les données météo-marines
2.2.3. Eléments de tendances évolutives
2.2.3.1. Le débit liquide
2.2.3.2. Le débit solide
2.2.3.3. Variations de débit solide à l’embouchure
DEUXIEME PARTIE : EVOLUTION ET CONTROLES MORPHOSEDIMENTAIRES DE LA MARGE LITTORALE DU DELTA DU RHONE
Chapitre 3 : Sabatier F., Maillet G., Fleury J., Antonelli C., Suanez S., Provansal M. et Vella C
Long term relationships between river sediment input and littoral bathymetric
change in a microtidal deltaic system (Rhone delta shoreline, Mediterranean
sea, SE France). Marine Geology. Soumis
Chapitre 4 : Maillet G., Sabatier F., Fleury J., Rousseau D., Vella C., et Provansal M
Connexions entre un fleuve et son delta Partie 1 : Evolution du trait de côte du
Delta du Rhône depuis le milieu du 19ème siècle. Géomorphologie, Relief, Processus, Environnement. Soumis
TROISIEME PARTIE : L’ARTIFICIALISATION DE L’EMBOUCHURE DU RHONE ET SES EFFETS MORPHOSEDIMENTAIRES
Chapitre 5 : Provansal M., Maillet G., et Antonelli C., 2005. La géomorphologie entre
nature et société: retour sur un vieux débat à propos de l’histoire récente du delta du Rhône (du bas Rhône). Dossiers d’Archéologie Méridionale. Sous presse
Chapitre 6 : Maillet G., Vella C., et Provansal M. Connexions entre un fleuve et son delta
Partie 2: Evolution de l’embouchure du Rhône depuis le début du 18ème siècle
Géomorphologie, Relief, Processus, Environnement. Soumis.
Chapitre 7 : Maillet G., Rizzo E., Revil A. et Vella C., 2005. High resolution ERT applied in
sand-bed channel mouth infilling. The test site of Pégoulier channel in the
Rhône Delta, France. Marine Geophysical Research. Sous presse.
QUATRIEME PARTIE : PROCESSUS MORPHOSEDIMENTAIRES ACTUELS A L’EMBOUCHURE DU GRAND RHONE
Chapitre 8 : Maillet G., Vella C., Berné S., Friend P.L., Amos C.L., Fleury J. et Normand A
Morphological changes induced by the December 2003 flood at the present
mouth of the Rhône river (southern France). Marine Geology. Soumis. 197
Chapitre 9 : Maillet G., Vella C., Sabatier F., Poizot E., et Méar Y. Dynamiques
sédimentaires en période de crue dans une embouchure microtidale
Application à l’embouchure du Rhône, France. ECSS. Soumis
CINQUIEME PARTIE : SYNTHESE ET CONCLUSION GENERALES
Chapitre 10 : Synthèse
CONCLUSION GENERALE

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