Fonctionnement d’un réacteur nucléaire
Le principe d’une centrale nucléaire est commun à la plupart des centrales électriques : une source de chaleur permet de vaporiser de l’eau, et la vapeur est utilisée pour alimenter des turbines reliées à un alternateur producteur d’électricité. La particularité d’un réacteur nucléaire est que son fonctionnement est basé sur la notion de réaction en chaîne de fission atomique. Des neutrons libres entrent en collision avec des atomes du matériau combustible. Le choc entraîne la fission du noyau de certains de ces atomes, libérant de nouveaux électrons libres qui engendrent à leur tour des fissions (figure 1.1). La réaction de fission est exothermique, et la chaleur libérée est utilisée pour produire de l’électricité. Le comportement global de la réaction en chaîne est lié au facteur de multiplication effectif kef f . En effet il détermine son évolution : N fissions engendrent N kef f fissions, produisant elles-mêmes N k2 ef f fissions. Si kef f < 1, la réaction est dite sous-critique, elle tend à s’éteindre. Si kef f > 1, la réaction est dite sur-critique et elle tend à s’emballer. Une réaction stable dite critique est caractérisée par un kef f = 1 : dans ce cas elle s’auto-entretient à un niveau constant.
La maîtrise de la réactivité est essentielle, car elle permet de contrôler le réacteur, de modifier sa puissance, d’en assurer la stabilité et la sûreté. Le contrôle de la réaction s’effectue en modifiant momentanément la valeur du kef f autour de 1. Le démarrage l’augmentation de puissance du réacteur est obtenu en le rendant temporairement sur-critique, tandis qu’il doit être sous-critique pour son arrêt ou une diminution de puissance. Le contrôle de la réactivité se fait notamment par l’intermédiaire de grappes de commande dans le cœur . Ces grappes, aussi appelées barres de contrôle, sont constituées de matériaux dits absorbants qui capturent les neutrons. Leur introduction dans le cœur permet de faire chuter la réactivité, alors que leur retrait permet de l’augmenter. L’utilisation de poisons consommables tel que le bore permet aussi un ralentissement de la réaction en chaîne. Par ailleurs, une auto-régulation du système est induite par des contre réactions liées aux variations de température, car elles ont tendance à faire baisser le facteur de multiplication si la puissance augmente.
Une filière de réacteur est caractérisée par le choix de certains composants :
– le combustible, dont les atomes assurent la réaction de fission. A l’état naturel seul l’uranium fissionne par choc avec des neutrons libres. Des deux isotopes 238 et 235, seul l’uranium 235 est susceptible de fissionner facilement par choc avec des neutrons incidents. Mais le taux de l’isotope 235 est très faible dans l’uranium naturel, il est donc souvent nécessaire de l’enrichir pour augmenter ce taux.
– Le caloporteur circule dans le cœur du réacteur et absorbe la chaleur dégagée par la réaction en chaîne. Cette chaleur permet ensuite de générer de l’électricité.
– Le modérateur assure le ralentissement des neutrons, afin de les amener à une énergie cinétique faible augmentant la probabilité de fission de l’uranium 235. Deux concepts de réacteur se distinguent :
– les réacteurs à neutrons thermiques. Les neutrons issus de la fission sont dits « rapides », car leur énergie cinétique est grande. La présence d’un modérateur dans le cœur permet de les ralentir et de les « thermaliser », augmentant ainsi la probabilité qu’ils engendrent une fission de l’uranium 235. Ce type de réacteur peut donc se contenter d’un combustible peu enrichi, pauvre en isotopes fissiles. La quasi-totalité du parc nucléaire français est composé de réacteurs à neutrons thermiques : les réacteurs à eau sous pression (REP, PWR en anglais pour Pressurized Water Reactor ), décrits ci-dessous.
– Les réacteurs à neutrons rapides. Ces réacteurs ne sont pas modérés : ils utilisent pour la fission les neutrons à l’énergie à laquelle ils sont produits. Comme la probabilité que ces neutrons rapides engendrent des fissions est faible, le combustible doit être fortement enrichi en isotopes fissiles comme l’uranium 235 ou le plutonium 239. Seul un réacteur de ce type est actuellement en fonctionnement en France : le réacteur PHENIX, SUPER PHENIX étant démantelé. Mais les réacteurs à neutrons rapides sont toujours à l’étude, notamment dans le cadre des projets de réacteurs de Génération IV.
Le réacteur à eau sous pression (REP)
La filière des réacteurs à eau sous pression mérite quelques explications supplémentaires, car elle a été choisie pour constituer le parc nucléaire français actuel. La maintenance et l’exploitation de ces réacteurs est un enjeu crucial pour les acteurs de l’énergie nucléaire en France (notamment le CEA, EDF et AREVA). L’un des objectifs est d’augmenter la durée de vie de ces réacteurs dans des conditions de sécurité et de rendement optimisées. Les besoins en simulation numérique pour ces réacteurs sont grands, à la fois pour leur exploitation (calcul des nappes de puissance en temps réel, chargement du combustible…) et pour leur optimisation (études des combustibles, augmentation du rendement, études de sûreté et de situations accidentelles…). La principale caractéristique des REP est d’utiliser l’eau du circuit primaire à la fois comme modérateur et comme caloporteur. Le combustible utilisé dans les REP est de l’oxyde d’uranium faiblement enrichi. Le combustible MOX, composé d’oxyde d’uranium et de plutonium est également utilisé dans certaines centrales, et permet de recycler le plutonium issu du retraitement du combustible irradié. La figure 1.2 présente le fonctionnement du réacteur. Le cœur est enfermé dans une cuve, et la chaleur est évacuée par le circuit primaire d’eau maintenue liquide par une forte pression à l’aide d’un pressuriseur (150 bars, 320˚C en sortie de cœur ). L’eau quittant le cœur est répartie entre trois ou quatre boucles comportant chacune une pompe primaire de recirculation et un générateur de vapeur. Ce dernier permet de vaporiser l’eau du circuit secondaire, et la vapeur alimente des turbines reliées à un alternateur producteur d’électricité. La vapeur passe ensuite dans un condenseur, et l’eau en sortie est réinjectée par des pompes dans les générateurs de vapeur. Le condenseur est refroidi par un troisième circuit d’eau, prélevé dans un fleuve ou dans la mer, et passant éventuellement dans un aéroréfrigérant. Le rendement global d’un REP est assez faible, de l’ordre de 33% : 3 joules libérés par fission engendrent 1 joule électrique et 2 joules de chaleur dispersés dans l’environnement. La géométrie du cœur d’un REP est multi-échelles (figure 1.3). Elle est constituée d’une juxtaposition de 157 assemblages de combustible (figure 1.4), disposés verticalement de façon à former un ensemble approximativement cylindrique. Chaque assemblage combustible est organisé en un réseau orthogonal de 17 par 17 crayons. Les 264 crayons combustibles sont constitués d’un tube métallique contenant un empilement de pastilles d’oxyde d’uranium. L’emplacement central est réservé à un tube servant à l’instrumentation du cœur ; les 24 positions restantes sont occupées par des tubes guides dans lesquelles viennent s’insérer les grappes annexes : grappes de contrôle, grappes de poison consommable, grappes source de neutrons. L’ensemble carré formé d’un crayon et du modérateur qui l’entoure est appelé cellule, et est souvent utilisé dans les calculs de cœur comme maille géométrique, avec des sections efficaces constantes homogénéisées.
La neutronique
« La neutronique est l’étude du cheminement des neutrons dans la matière et des réactions qu’ils y induisent, en particulier la génération de puissance par la fission de noyaux d’atomes lourds. » ([Reuss, 1998]) La population des neutrons peut être représentée par le flux neutronique Φ = nv. n est la densité des neutrons, c’est à dire le nombre de neutrons par unité de volume, et v est leur vitesse. Ce flux caractérise les neutrons « qui voyagent », c’est à dire pris en vol depuis leur point de départ jusqu’à leur prochaine collision. Remarquons que le flux neutronique n’est pas un flux au sens usuel, qui décrit une quantité traversant une surface. Si l’on veut représenter complètement (de façon statistique) une population de neutrons dans un système, sept variables sont nécessaires :
– trois variables d’espace (x, y, z) pour repérer la position −→r d’un neutron ;
– trois variables de vitesse (v, θ, ϕ), notées (v,
−→Ω ), pour repérer leur état ;
– une variable de temps (t) pour préciser l’instant de l’observation.
Le flux neutronique est donc une fonction qui dépend de ces sept variables. Une autre donnée fondamentale des phénomènes de neutronique est l’ensemble des probabilités d’interaction des neutrons avec les différents noyaux cibles. Les sections efficaces sont les grandeurs caractéristiques de ces probabilités. Une section efficace peut-être microscopique, c’est à dire caractéristique d’une cible individuelle, ou macroscopique, c’est à dire caractéristique d’un matériau contenant un grand nombre de cibles. Pour un noyau donné, les sections microscopique σ et macroscopique Σ sont liées par la relation : Σ = Nσ, où N est égal au nombre de noyaux par unité de volume.
L’équation de Boltzmann
Le bilan neutronique est quant à lui décrit par l’équation de Boltzmann pour le flux neutronique. Deux opérateurs figurent dans cette équation : l’opérateur de transport, qui modélise les neutrons cheminant en ligne droite sans interaction avec la matière, et l’opérateur de collision, qui correspond aux interactions avec les particules. L’opérateur de transport peut-être écrit soit sous forme intégrale, soit sous forme intégrodifférentielle (intégrale pour v et −→Ω, différentielle pour −→r et t). Bien que les deux formulations soient mathématiquement équivalentes, elles conduisent à des méthodes de résolution numérique différentes.
Calcul critique
Nous n’évoquerons pas dans notre travail les problèmes de cinétique : nous nous intéresserons uniquement à des régimes stationnaires, qui correspondent à une annulation de la dérivée en temps du flux dans l’équation de Boltzmann (1.1). De plus, nous nous placerons dans des cas où il n’y a pas de sources externes, mais seulement des sources de fission. On se retrouve alors avec un terme source qui dépend du flux, comme l’indique l’équation (1.4). Dans ce cas l’équation de Boltzmann n’a une solution que dans le cas particulier d’un réacteur stationnaire critique : son coefficient de multiplication kef f est égal à 1. Pour contourner cette difficulté et évaluer l’état de stabilité de la réaction en chaîne, on introduit un « paramètre critique » qui modifie fictivement les données du calcul de façon à le rendre critique.
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Table des matières
Introduction
I Présentation du contexte physique et des méthodes mathématiques
1 Fonctionnement d’un réacteur et neutronique
1.1 Fonctionnement d’un réacteur nucléaire
1.1.1 Le réacteur à eau sous pression (REP)
1.2 La neutronique
1.2.1 L’équation de Boltzmann
1.2.2 Calcul critique
1.2.3 Les méthodes de résolution numérique
1.2.4 L’approximation de la diffusion
1.2.5 Schéma de calcul
2 Le solveur de cœur MINOS
2.1 Formulations variationnelles
2.1.1 Les espaces de Sobolev
2.1.2 Les formulations variationnelles mixtes primale et duale
2.1.3 Existence et unicité de la solution du problème mixte duale
2.1.4 Approximation de la solution par une méthode de Galerkin
2.2 Les méthodes numériques dans MINOS
2.2.1 Le maillage cartésien et les espaces discrets
2.2.2 Le système linéaire
2.2.3 L’élément de Raviart-Thomas
2.2.4 Passage de l’élément de référence à l’élément courant
2.2.5 Les fonctions de base pour le flux et le courant
2.2.6 Calcul des matrices élémentaires
2.2.7 Assemblage des matrices globales
2.2.8 Résolution du système linéaire
2.2.9 Résolution d’un problème critique à valeur propre
2.3 Le projet APOLLO3/DESCARTES
2.3.1 Modèle de conception de MINOS
2.3.2 Description des géométries des cœurs du REP et du RJH
3 Parallélisme et décomposition de domaine
3.1 Notions sur le calcul parallèle
3.1.1 Les modèles de programmation
3.1.2 Les architectures des ordinateurs parallèles
3.1.3 Mesure des performances
3.1.4 La bibliothèque MPI
3.2 Deux méthodes de décomposition de domaine
3.2.1 La méthode de synthèse modale
3.2.2 L’algorithme de Schwarz
3.3 Parallélisation de MINOS
3.3.1 Une méthode de Jacobi par blocs
3.3.2 Parallélisation par distribution des données
3.3.3 Une méthode de synthèse modale sans recouvrement
II Développement de deux méthodes de décomposition de domaine pour le problème à valeur propre de la diffusion des neutrons sous forme mixte duale
4 Une méthode de synthèse modale (CMS)
4.1 Synthèse modale pour un problème mixte
4.2 Application au problème de la diffusion
4.2.1 Existence, unicité du problème et qualité de l’approximation
4.3 Estimation de l’erreur d’approximation
4.3.1 Définitions
4.3.2 Énoncés et démonstrations de quelques lemmes
4.3.3 L’estimation d’erreur
4.3.4 Commentaires sur la démonstration
4.4 Tests de la méthode CMS en 1D
4.4.1 La géométrie 1D
4.4.2 Analyse de l’erreur d’approximation en fonction des paramètres de la méthode CMS
5 Applications numériques de la méthode CMS
5.1 La méthode CMS dans APOLLO3/DESCARTES
5.1.1 Calcul des modes locaux
5.1.2 Calcul des matrices
5.1.3 Résolution du système linéaire
5.2 Applications numériques 2D/3D
5.2.1 Test sur la géométrie 2D du REP
5.2.2 REP en 3D
5.2.3 L’ordre des modes
5.3 Parallélisation de la méthode CMS
6 La méthode de synthèse modale factorisée (FCMS)
6.1 Définition de nouvelles fonctions de base
6.2 Applications numériques
6.2.1 Applications numériques en 1D
6.2.2 Applications numériques 2D/3D
6.3 Efficacité de la méthode FCMS en parallèle
6.4 Perspectives pour les méthodes CMS et FCMS
7 Une méthode itérative (IDD)
7.1 Adaptation au problème de la diffusion mixte duale
7.1.1 Discrétisation des conditions aux interfaces avec l’élément de RaviartThomas
7.1.2 Résolution du problème à valeur propre
7.2 Tests de la méthode IDD en 1D
8 Applications numériques de la méthode IDD
8.1 Programmation de la méthode IDD
8.1.1 La parallélisation de la méthode IDD
8.1.2 Changement de l’estimateur de convergence de MINOS
8.2 Applications numériques 2D/3D
8.2.1 Le REP 3D
8.2.2 Le RJH 2D
8.2.3 Premier calcul d’un RJH en 3D
8.2.4 Perspectives pour la méthode IDD
Conclusion
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