Fonctionnement des cours d’eau
L’écosystème lotique se distingue des écosystèmes lentiques par l’existence d’un flux longitudinal. Ce flux porte sur la matière minérale et les sels minéraux mais aussi sur la matière organique et les organismes vivants (Fig. 1). Sous la dépendance du courant, il conditionne le fonctionnement de la rivière de sa source à son exutoire. La physico-chimie de l’eau varie en réponse aux apports de différentes sources ainsi que les milieux adjacents tels que la zone hyporhéique, la nappe et d’éventuelles zones latérales de stockage (zones humides, lacs…) (Bukaveckas 2010).
Ces échanges complexes dépendent du secteur morphologique, de la granulométrie du lit, de la saison, de l’hydraulique du cours d’eau et de la position relative du niveau de la nappe par rapport à celle du niveau de l’eau en surface (Mouhri et al. 2012).
La zone hyporhéique
Le terme hyporhéique provient des mots grecques « rheo » le flux ou le courant et «hypo » dessous (Dahm et al. 2006). Plusieurs auteurs la définissent comme la zone de sédiments saturés dans et autour de la rivière (Fig. 2), parfois même une zone de l’aquifère, à travers laquelle l’eau de rivière s’échange et se mélange à l’eau de la nappe dans une certaine proportion (Curie and Ducharne (2008) ; Hester and Gooseff (2010)). Certains auteurs incluent dans cette définition des échanges de matière et d’énergie entre l’eau de la nappe et celle de la rivière Boulton et al. (1998).
En effet, la biogéochimie de la zone hyporhéique est bien particulière : à cause de sa richesse en matière organique et de sa pauvreté en oxygène, elle peut être le lieu de dénitrification contribuant à l’épuration des cours d’eau en nitrate (Hill 1979; Swank & Caskey 1982; Grimm & Fisher 1984 ; Triska et al. 1989 ; Duff & Triska 1990 ; Claret et al. 1998 ; Lefebvre et al. 2003 ; Storey et al. 2004). La zone hyporhéique constitue un «point chaud» (McClain et al. 2003) en raison de son hétérogénéité écologique et structurelle considérable et de son impact sur la dynamique des nutriments (Lautz et Fanelli 2008; Boano et al. 2010; Zarnetske et al. 2011; Bardini et al. 2012).
Rôle de la zone hyporhéique dans les cycles biogéochimiques
La zone hyporhéique est une zone d’échange dynamique importante pour l’écohydrologie des eaux souterraines et constitue un site d’une forte activité biogéochimique (Boulton et al. 1998; Sophocleous 2002; Krause et al. 2011). Plusieurs recherches ont montré l’importance de la zone hyporhéique sur les cycles biogéochimiques des nutriments (Valett et al. 1996; Pinay et al. 1998; Lewandowski and Nützmann 2010; Marmonier et al. 2012).
L’eau interstitielle peut être riche en matière organique (Rutherford & Hynes 1987; Ford & Naiman 1989), en éléments nutritifs « azote et phosphate » (Grimm et al. 1981; Triska et al. 1989 ; Malard et al. 2002) ce qui peut enrichir l’eau superficielle du cours d’eau. En effet, les études ont montré que les solutés sont généralement retenus par les sédiments hyporhéiques (Bencala et al. 1984). Un tel processus de rétention, de production et de transformation peut générer un environnement chimique dans la zone hyporhéique différent de celui de l’eau de surface (Taleb 2004). Cette zone de transition entre le milieu superfitiel et le milieu souterrain (Fig. 3) est caractérisée par de faibles vitesses d’écoulement tri-dimensionnel et est caractérisée par une grande variabilité des processus physiques (liés au transport) et biogéochimiques (dégradation, biodégradation, précipitation, sorption-désorption etc) (Mouhri et al. 2012). Elle a une importante contribution aux cycles biogéochimiques, à la gamme de paramètres environnementaux et aux habitats biologiques dans un cours d’eau grâce aux nombreux processus de rétention, de métabolisme et de minéralisations (Dahm et al. 2006; Hester and Gooseff 2010). La température presque constante provenant de l’eau souterraine permet de tamponner les températures du milieu hyporhéique, ce qui a une importance sur les contraintes thermodynamiques des réactions biogéochimiques potentielles (Brunke and Gonser 1997). Il y a donc un gradient thermique dans ce milieu, mais aussi physico chimique. Les mouvements de l’eau fournissent un vecteur aux éléments dissous (O2, nutriments…) pour entrer en contact direct avec des sources de carbone et les communautés microbiennes qui recouvrent une large surface des grains des sédiments (Bellot 2014). Au niveau des sédiments des cours d’eau, la croissance de plusieurs communautés microbiennes est favorisée par les mouvements de l’eau dans la zone hyporhéique et la présence des gradients physicochimiques, ce qui ravive les cycles biogéochimiques et modifie le transport de nutriments (Fisher and Sponseller 2010). L’augmentation du temps de résidence de l’eau et des solutés dans le milieu poreux de la zone hyporhéique accroit les opportunités de réactions biogéochimiques grâce aux populations bactériennes diversifiées, plus importantes que dans l’eau de surface. Cette zone possède donc une gamme unique de conditions biogéochimiques, à la fois oxydantes et hautement réductrices (Bellot 2014). Ainsi, la zone hyporhéique est une zone où peuvent potentiellement se dérouler de nombreux processus de : dénitrification (Curie and Ducharne 2008), minéralisation de l’azote (Hill et al. 1998), nitrification, ammonification, précipitation ou dissolution de phosphore (Jarvie et al. 2005; Ballantine and Walling 2006 ; Lapworth et al. 2011). Elle a un rôle considérable dans les flux d’énergie à l’échelle du bassin versant (Bellot 2014) .
Facteurs de contrôle des échanges au niveau hyporhéique
Les échanges au sein de la zone hyporhéique à l’échelle d’un cours d’eau sont contrôlés par deux principaux facteurs :
• la perméabilité des sédiments influencée par le transport sédimentaire (Datry et al. 2008).
• le gradient hydraulique liée à la morphologie du lit du cours d’eau et les obstacles à l’écoulement (Hester and Gooseff 2010 ; Sawyer et al. 2011).
En effet, l’importance de la topographie pour l’échange hyporhéique a été démontrée par les séquences seuil-mouille ou radier -mouille (Fig. 4)( Un radier est une zone peu profonde sur laquelle l’eau court. La mouille est une zone profonde dans laquelle l’écoulement est ralenti). Dans ce contexte, on peut avancer que la granulométrie joue un rôle primordial dans la conductivité hydraulique du milieu et donc sur l’alternance de zones de «downwelling » et de «upwelling » (Guerin 2006).
De plus, Les séquences seuil-mouille contribuent aux interactions entre les eaux de surface et les eaux souterraines (Hendricks 1993) et fonctionnent entant que site très important pour la rétention des nutriments et de la matière organique (Bencala 1984 ; Bencala et al. 1984).
Dynamique des nitrates à l’échelle du bassin versant
Cycle de l’azote
L’azote (N) est un élément chimique présent dans tous les organismes vivants. C’est un constituant de nombreuses biomolécules comme les protéines, l’ADN et la chlorophylle. En plus d’être présent dans l’atmosphère sous forme gazeuse (diazote N2 (78%) et protoxyde d’azote N2O), l’azote est présent dans l’environnement sous différentes formes à la fois inorganiques (principalement, ammonium NH4+, nitrate NO3- et nitrite NO2-) et organiques (dans les organismes vivant, l’humus et les différents produits de dégradation de la matière organique). Le passage entre les diverses formes de l’azote (minérales et organiques) correspond à un cycle biogéochimique faisant intervenir de nombreux organismes animaux et végétaux ainsi que des micro-organismes (Heathwaite 1993). Les principales interactions entre les différentes formes de l’azote au cours du cycle biogéochimique de l’azote sont représentées dans la figure (5) et détaillées dans la suite de cette partie. Nous nous intéresserons ensuite au cycle de l’azote dans les écosystèmes aquatiques et plus particulièrement à la rétention des nitrates en zones hyporhéiques.
Sources de nitrates à l’échelle du bassin versant
A l’échelle du bassin versant, on peut distinguer des apports (variables d’entrée) de matières azotées anthropiques et naturels.
Apports anthropiques
Les systèmes lotiques reçoivent l’azote par des sources diffuses provenant du bassin versant (ruissellement), et par des sources ponctuelles (qui affecte directement la rivière « classiquement rejet de station d’épuration »). La quantité d’azote exportée vers les rivières est donc variable et dépendra des activités développées sur le bassin versant et de la densité de population présente sur ce même bassin versant (Caraco et Cole 1999).
Trois types d’apport diffus prédominants affectent le bassin versant :
• les apports agricoles avec un objectif agronomique de fertilisation des cultures sous forme d’engrais minéraux ou organiques (Sebillotte et Meynard 1990).
• les apports urbains par temps de pluie, provoqués par le lessivage des surfaces imperméabilisées, en cas de réseaux séparatifs (OTV 1994 ; Floret Miguet 1995). Les effluents d’eaux usées sont considérés comme une source importante qui alimentent les hydrosystèmes en nitrates (Mitchel et al. 2000; Chen et al. 2010).
• les rejets domestiques des installations autonomes (villages isolés) (Chocat 1997; Wernick et al. 1998).
Les apports ponctuels qui affectent la rivière correspondent aux rejets des installations de traitement des eaux usées (domestiques et industrielles). Les eaux traitées peuvent présenter des concentrations d’azote non négligeables (Lesouef et al. 1990; Maranda et Sasseville 1999).
Apports naturels
Les apports météoriques sont liés à la présence d’azote dans l’eau de pluie (de 0.5 à 2 mg/l) (Tabatabai 1983). Pour une pluie annuelle de 800 mm, cet apport représente entre 4 et 16 kg/ha/an. Ces apports sont d’autant plus importants que les bassins d’étude sont situés près de grandes villes ou de sites industriels. Sur les bassins peu agricoles situés à proximité de pôles urbains, cette entrée peut être l’apport majoritaire qui participe au flux d’azote à l’exutoire d’un bassin (Belan 1979).
Le processus de fixation directe de l’azote atmosphérique par les organismes constitue également du point de vue du bassin versant un enrichissement du stock d’azote. Suivant le mode de fixation (symbiotique ou asymbiotique), ce processus peut représenter un apport de 5 à 200 kg/ha/an (Belan 1979).
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Etude bibliographique
1.1 Fonctionnement des cours d’eau
1.1.1 La zone hyporhéique
1.1.2 Rôle de la zone hyporhéique dans les cycles biogéochimiques
1.1.3 Facteurs de contrôle des échanges au niveau hyporhéique
1. 2 Dynamique des nitrates à l’échelle du bassin versant
1.2.1 Cycle de l’azote
1.2.2 Sources de nitrates à l’échelle du bassin versant
a) Apports anthropiques
b) Apports naturels
1.2.3 Processus de transformation de l’azote
Chapitre 2 : milieu physique
2.1 Le bassin versant de la Tafna
2.1.1 Réseau hydrographique
2.1.2 Contexte géologique
2.1.3 Contexte topographique
2.1.4 Contexte pédologique
2.1.5 Régime hydrologique
2.1.6 Climatologie régionale
2.1.7 Occupation du sol
2.2 Présentation générale du sous bassin de l’Isser et de l’oued Chouly
2.2.1 Sous bassin versant de l’Isser
2.2.2 Sous bassin versant de Chouly
2.3 Description des stations d’étude
2.4 Caractéristiques des points de prélèvement de l’eau souterraine (puits) des différentes stations étudiées
Chapitre 3 : Matériel et Méthodes
3. 1 Echantillonnage – Méthodes d’étude
3.1.1 Eau
Le sondage Bou-Rouch
3.1.2 Sédiments
3.2 Analyses physico-chimiques de l’eau
3.2.1 Mesures réalisées in situ
3.2.2 Analyses réalisées au laboratoire
Les chlorures (Cl)
Les nitrates (NO3-)
3.3 Analyse granulométrique
3.3.1 Préparation des échantillons
3.3.2 Dosage du carbone organique
3.3.3 Conductivité Hydraulique
3.4 Analyses statistiques
3.4.1 Analyses de variance et tests non paramétriques
3.4.2 Analyses Multivariées
a) analyse en composantes principales (ACP)
b) Principe de l’ACP
Chapitre 4 : résultats et interprétations
4.1 Chimie de l’eau de surface
4.1.1 Evolution spatio-temporelle des paramètres physico-chimiques de l’eau de surface
4.1.2 Analyse en composantes principales de l’eau de surface
4.1.3 Discussion
4.2. Milieu hyporhéique
4.2.1 Echanges hydrologiques
a) Gradient hydraulique vertical
B) Mélange des eaux dans le milieu hyporhéique
4.2.2 Evolution spatio-temporelle des paramètres physico-chimiques de l’eau hyporhéique
4.2.3 Evolution spatio-temporelle des nitrates de l’eau hyporhéique
a) Evolution amont/aval du bassin versant de la Tafna
b) Evolution longitudinale des nitrates (par station) dans le cours d’eau principal la Tafna et ses affluents Isser et Chouly
4.2.4 Rétention des nitrates
4.2.5 Influence de la géomorphologie sur la variabilité des nitrates
4.2.6 Relation entre les concentrations en NO3-N de l’eau hyporhéique, DO, K, la granulométrie des sédiments et l’ordre des cours d’eau à l’échelle du bassin versant
4.2.7 Les facteurs qui contrôlent les concentrations en nitrates
4.3 Milieu phréatique
4.3.1 Niveau de la nappe
4.3.2 Hydrochimie de la nappe
4.3.3 Conclusion
4.4 Comparaison entre la chimie des eaux superficielles, interstitielles et souterraines à l’échelle du bassin versant de la Tafna
Discussion générale
Conclusion générale
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