Pourquoi le supercondensateur ?
Les supercondensateurs, aussi appelés condensateurs électrochimiques, stockent l’énergie par interactions électrostatiques selon le même principe que les condensateurs diélectriques introduits précédemment. Ils se distinguent d’un dispositif comme le condensateur aluminium par une tension d’utilisation limitée à quelques volts par cellules et par des performances bien supérieures en termes d’énergie stockée. De même, face aux accumulateurs électrochimiques secondaires, les supercondensateurs fournissent des densités de puissance élevée sous forme de pics de courant sur un temps de décharge allant de 100 ms à 10 min. [7] Ce genre de considérations techniques sont communément résumés sous forme de diagramme visuel permettant en un coup d’œil de saisir les points forts de chaque technologie et les inter-combinaisons possibles. Cet outil de comparaison est permis par la mise en place d’un diagramme dit de Ragone, tiré du nom du scientifique D. V. Ragone. [8] Il s’agit de tracer l’évolution de l’énergie d’un système de stockage en fonction de sa puissance. La représentation logarithmique des échelles est privilégiée afin d’améliorer la clarté de la représentation graphique, Figure I.A.5. Un tel diagramme permet notamment de visualiser les domaines d’application de différentes technologies et de mettre en évidence des combinaisons inter-systèmes efficaces (par exemple une électrode de batterie et une de supercondensateur dans les systèmes hybrides). Les unités avec lesquelles le diagramme est tracé sont extensives et doivent être adaptées à l’application visée. D’autres paramètres doivent être pris en considération lors de la comparaison de systèmes de stockage d’énergie et se révèlent parfois plus importants que les seules densités d’énergie et de puissance.[9] Le diagramme de Ragone peut ainsi être complété par des lignes de courant transversales renseignant le temps nécessaire à la charge et décharge des dispositifs de stockage. La durée de vie et l’efficacité coulombique (rapport entre l’énergie électrique nécessaire à la charge et l’énergie réellement fournie par le système) sont également souvent significatives. La représentation sous forme de diagramme de Ragone est généralement limitée aux stockages réversibles de l’énergie avec les batteries et les condensateurs. Il est toutefois possible à titre de comparaison de reporter d’autres systèmes de stockage d’énergie non réversibles telles les différentes technologies de moteurs à combustion comme cela a été choisi en Figure I.A.5. Même si leur carburant est irrémédiablement consommé, les densités d’énergie et de puissance fournies par les technologies à combustion est bien supérieure à celles des accumulateurs d’énergie réversibles. Cette représentation illustre le défi que représente la mise au point d’une voiture électrique face à l’efficacité énergétique des moteurs à combustion.
Les nouveaux enjeux du stockage
Ces dernières années, le progrès technologique dans le domaine de la microélectronique a permis la réduction conséquente des dimensions des composants électroniques et ouvert des possibilités de mise en réseau et de contrôle alors impossible. Les systèmes embarqués et les réseaux de capteurs sans fils autonomes ont connu un essor important. L’émergence de la notion à la mode, bien qu’utilisée tous azimuts, de l’internet des objets (souvent abrégé IoT dérivé de l’anglais Internet of the Thing) incarne les attentes énormes autours de ces micro-technologies. L’internet des objets désigne la mise en contact et le contrôle d’objets à travers un réseau global et hétérogène (que ce soit par internet, réseau cellulaire voir réseau bas débits longue portée entièrement dédié aux communications entre objets connectés). Les micro-capteurs autonomes, mis en réseau sous forme de nœuds, trouveraient de nombreuses applications dans les domaines civils mais aussi militaires, aérospatiaux, environnementaux ou des travaux publics. Par exemple, pour le contrôle de l’état d’un logement à distance par domotique ou pour le suivi du vieillissement d’ouvrages d’art, le contrôle de paramètres environnementaux ou encore la maintenance préventive d’avions. Il est même envisagé que l’objet connecté devienne un acteur autonome du réseau donc capable de percevoir, d’analyser et d’agir de lui-même selon les contextes ou les processus dans lesquels il sera engagé. En plus de nécessiter la présence de nœuds de capteurs dans chacun des objets de l’IoT, une telle mise en réseau demande des points de contrôle névralgique avec des puissances de calcul et de stockage de données importantes. D’ici 2020, l’Institut Gartner prévoit plus de 50 milliards d’objets connectés sur le marché. Bien qu’extrêmement variables (avec des facteurs allant de 1 à 10), les estimations de la taille du marché des technologies de l’Internet des Objets se chiffrent déjà à la plus de cent milliard d’euros en 2019 [88] et pourrait même atteindre plus de mille milliard d’euros dès 2023 d’après les plus optimistes. [89] La Figure II.A.14 présente une prévision de croissance des appareils connectés réalisés en 2017 par le groupe américain d’informatique Cisco. La croissance annuelle des dispositifs de l’internet des objets communicant à courtes et longues portées avec leur serveur de contrôle est estimée à 20 et 30 % respectivement. Sur la même période le nombre de téléphones mobiles ne devrait augmenter que de 3 %. Quelles que soient les évolutions possibles d’une technologie attirant les convoitises des plus grandes entreprises (Google, Amazon et Apple dominent déjà leur sujet avec des réseaux déployés tel Google Cloud, Amazon web service par exemple), le stockage de l’énergie par des micro-unités intégrables est un facteur clé dans son développement. En effet, la production autonome d’énergie est souvent privilégiée pour que les microsystèmes de l’IoT soient capables de s’alimenter librement en énergie d’origine mécanique, thermique ou solaire. De telles sources de production restent intermittentes et c’est en miniaturisant les dispositifs de stockage que l’autonomie réelle leur sera possible. A l’heure actuelle, l’émergence de ces nouvelles technologies reste encore limitée par l’absence de solution de stockage d’énergie stable et efficace, pourtant cruciale à l’application. Pour répondre à ces besoins en sources d’énergie stables et miniaturisables, des micro-batteries et des batteries à couches minces ont été développées en parallèle des progrès conséquents du domaine des accumulateurs électrochimiques secondaires. Les micro-batteries souffrent néanmoins de limitations intrinsèques qui se voient exacerbées à échelle micrométrique. Leur architecture complexe nécessite le contrôle de nombreuses interfaces électrolyte / matériau actif et rend difficile la réduction de leur dimension. Des technologies comme les accumulateurs lithium-ion, en plus d’être inflammables, supportent mal les diminutions de taille en vue de l’intégration aux microsystèmes. De plus, la faible durée de vie des micro-batteries exige leur remplacement après une période de fonctionnement courte relativement à la durée de vie d’un système électronique embarqué. Pour des applications d’alimentation de micro-capteurs abandonnés dans des environnements à contraintes (réservoir d’hélicoptère) ou difficile d’accès (biocapteurs implantés dans le corps humain), le remplacement de l’unité d’alimentation en énergie n’est pas envisageable. Dans le cas d’un réseau de capteurs autonomes complets comme imaginé avec l’IoT, la durée de vie du composant stockant l’énergie influence directement tout le fonctionnement du nœud de capteurs donc du réseau entier. Par ailleurs, la stabilité en température réduite des accumulateurs secondaires ne permet pas leur utilisation dans des conditions extrêmes dans des domaines spécifiques comme l’aéronautique ou le spatial. Les micro-batteries commercialisées se voient donc peu à peu remplacées ou combinées ces dernières années avec des unités de stockage de type supercondensateur désigné sous le terme « microsupercondensateur » car utilisé à l’échelle microscopique. Ceux-ci sont appréciés pour leur fortes densités de puissance et leur grande stabilité au cyclage en tant que source d’énergie principale ou en complément d’une micro-batterie. De plus, la facilité de fabrication, d’assemblage et de mise en œuvre de la technologie des supercondensateurs permet leur intégration rapide dans des micro-dispositifs de taille extrêmement réduite (de quelques mm² à quelques centièmes de mm²). Par exemple, les MSCs à électrodes planaires sont particulièrement adaptés à l’intégration sur puce miniaturisée grâce à leur architecture même. Les densités d’énergie des unités micro-supercondensatrices restent pour l’instant leur principale faiblesse et des progrès importants doivent être fait en ce sens. La réalisation de microsupercondensateur sur puce ou textile n’est encore qu’au stade du laboratoire mais sa maîtrise industrielle sera déterminante pour le développement des systèmes électroniques intégrés autonomes en énergie. En parallèle, l’effort de recherche scientifique dans le domaine des systèmes de stockage électrochimique à l’échelle micrométrique connaît une augmentation considérable. Les microsupercondensateurs n’échappent pas à ce mouvement, en témoigne l’augmentation constante du nombre de publications scientifiques contenant le mots clé « micro-supercapacitor » (MSC en anglais) donnée en Figure II.A.15. En définitive, le développement des systèmes embarqués et de l’électronique intégrée remodèle le paysage du stockage de l’énergie et constitue l’un des grands enjeux de ces trente prochaines années pour le domaine. Les différentes solutions de stockage devront évoluer vers une intégration et une miniaturisation plus facile. Pour cela, la fabrication et l’assemblage de ces nouvelles unités se doivent d’être compatibles avec les procédés de la microélectronique sur silicium.
Le concept de boite à outils
Après six années de travails, les nanostructures de silicium pour application microsupercondensateur sont un sujet mature au sein de l’IRIG. L’expérience acquise dans le domaine nous a permis de cerner le potentiel et la place du matériau dans le vaste paysage des matériaux d’électrodes de MSCs. La réflexion menée depuis plusieurs années a abouti à la fin de la thèse du Dr. D. Gaboriau à la mise en place du concept des nanostuctures de silicium comme une véritable « boîte à outils » pour l’obtention de micro-supercondensateurs possédant des performances électrochimiques variées et contrôlées. Le silicium cru par CVD présente des propriétés intrinsèques avantageuses pour microdispositifs : une bonne conductivité électronique contrôlable par dopage intra-croissance, des stabilités électrochimiques et thermiques quasi-inégalées et une compatibilité totale avec les procédés de microfabrication. Il est alors logique d’envisager ce matériau comme une « plateforme » adaptable selon le cahier des charges exigé. Typiquement, la croissance de nanoarbres optimisés peut être décidée dans le but de maximiser les capacités observées, ou bien servir de support conducteur ad hoc pour une fonctionnalisation ultérieure. Les perspectives d’utilisations de ces nanostructures « boîte à outil » sont extrêmement diverses.
Maturité de la technologie des micro-supercondensateurs silicium
La technologie des nanostructures de silicium pour applications supercondensateurs est un sujet maîtrisé au laboratoire après deux thèses co-financées par la DGA sur le sujet. La contribution de F. Thissandier entre 2010 et 2013 peut se résumer au lancement et à la démonstration du potentiel d’une thématique : validation du comportement purement capacitif du matériau, démonstration de l’intérêt pour supercondensateur, première structuration en nanoarbres. Les travaux de D. Gaboriau de 2013 à 2016 ont été la confirmation : recentrage sur les micro-dispositifs, optimisation du matériau de silicium pur sous la forme nanoarbres, amélioration substantielle de la stabilité par fonctionnalisation et réalisation de démonstrateurs micro-supercondensateurs. A l’aune de ces étapes majeures, qu’en est-il de l’état de la technologie et quelles sont les avancées possibles pour renforcer son potentiel ? Pour évaluer l’avancement d’une technologie vers l’application industrielle, on peut résonner par niveau de maturité technologique (ou TRL de l’anglais Technology Readiness Level) et maturité commerciale (ou CRL de l’anglais Customer Readiness Level). Il s’agit d’une analyse en vogue qui se base sur une échelle répertoriant les différentes étapes et acquis clés pour qu’une technologie soit jugée mûre pour l’applicatif. À titre d’exemple, le niveau 1 (ou TRL 1) regroupe les premières observations fondamentales du phénomène, le TRL 4 la réalisation d’un composant opérationnel en laboratoire alors que le TRL 9 certifie le fonctionnement d’un système opérationnel en conditions réelles. En particulier, le niveau TRL est un critère important dans le programme Horizon 2020 de financement de la recherche par la Commission Européenne. Les niveaux CRL sont quant à eux centrés sur le niveau de pénétration d’un marché par un produit. La Figure IV.A.21 donne une représentation de ces critères sous la forme d’un diagramme orthonormé. Les grandes étapes d’évolution d’une idée vers un produit fonctionnel (démonstrateur, prototype et produit) sont généralement représentées sous la forme de surfaces tendant vers le rouge mesurant la « température », donc la maturité, d’une technologie. Pour revenir à la technologie des nanostructures de silicium pour MSCs, on peut assimiler les travaux préliminaires réalisés par F. Thissandier à la validation des TRL 1 puis 2 par la recherche technologique fondamentale et les premières démonstrations de faisabilité. Les avancés du second travail de thèse ont permis de valider le niveau TRL 3 et d’atteindre même le TRL 4 avec la réalisation d’un micro-supercondensateur à liquide ionique opérationnel en laboratoire (cf. thèse de D. Gaboriau [10]). La technologie a donc atteint un degré de maturité technique important à l’échelle du laboratoire. La réflexion du point de vue du niveau de maturité commercial, plus éloignée des problématiques classiques de recherche, montre que la technologie reste encore à un niveau limité pour cet aspect (autour du CRL 1 voire 2). Des faiblesses importantes, inhérentes au matériau ou à sa croissance, limitent encore la proposition de valeur offerte par les nanostructures de silicium pour applications MSCs. A titre d’exemple, les milieux aqueux, remis au goût du jour par les contraintes de sécurité, de coût et d’impact environnemental, sont inutilisables comme électrolytes. Pour avancer sur le chemin de l’applicatif, il est donc impératif de remédier à cela. A partir de ce constat, on peut se demander quels sont les leviers à notre disposition pour renforcer le potentiel de la technologie étudiée dans cette thèse. Les nanostructures de silicium sont envisagées comme un matériau « boîte à outils » utilisables pour des applications en micro-dispositifs variées, il est donc nécessaire qu’elles soient adaptables à besoin. Or les travaux précédents au laboratoire se sont finalement centrés sur un pan spécifique des micro-supercondensateurs avec l’optimisation en milieu liquide ionique puis la microfabrication. Le silicium nanostructuré, bien que démontrant des propriétés intéressantes pour le stockage d’énergie supercapacitif, reste encore un matériau de niche et doit toujours démontrer sa place face aux alternatives majeures du domaine comme les dérivés carbonés. Aussi, dans le but de reprendre le concept de « boîtes à outils » et de le valider, il est essentiel d’identifier les faiblesses du matériau, ou de sa croissance, limitant son utilisation généralisée à l’ensemble du domaine des micro-supercondensateurs.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I-Etat de l’art des micro-supercondensateurs silicium
I. Stockage de l’énergie – contexte et évolution
I.A. Systèmes de stockage
I.B. La technologie des supercondensateurs
I.C. Les différentes classes de supercondensateurs
I.D. Le choix de l’électrolyte
I.E. Identification et caractéristiques des systèmes de stockage
II. Miniaturisation des unités de stockages
II.A. Les nouveaux enjeux du stockage
II.B. Le cas des micro-supercondensateurs
III. Le silicium pour supercondensateur
III.A. Etat de l’art du silicium pour micro-supercondensateur
III.B. Construction de la vision
III.B.1. Le concept de boite à outils
IV. Réflexions et objectifs de thèses
IV.A. Réflexion critique sur la technologie
IV.A.1. Maturité de la technologie des micro-supercondensateurs silicium
IV.A.2. Les limites de la vision
IV.B. Objectifs de la thèse
V. Références
Chapitre II -Etude des propriétés électriques de l’interface silicium/diélectrique high-k nanométrique sur nanofil unique
I. Motivation et enjeux de l’étude
I.A. Contexte scientifique
I.B. L’interface alumine/silicium dopé type-n – comportement électrique
II. Techniques de mesures électriques sur nanofil unique
II.A. Isolation et prise de contact
II.B. Comportement électrique de l’interface alumine/nanofil de silicium
II.C. Impact sur le stockage de l’énergie et applications envisageables
III. Références
Chapitre III- Protection par diélectrique nanométrique des microsupercondensateurs silicium pour les électrolytes aqueux
I. Micro-dispositifs silicium et fonctionnement en électrolyte aqueux
I.A. Les enjeux de l’étude en milieu aqueux
I.B. Les diélectriques en électrochimie
I.C. Electrolytes aqueux et nanostructures de silicium
II. Etude des MSCs Al@Si NTs en électrolyte aqueux
II.A. Vers l’ouverture au milieu aqueux
II.B. Modélisation des mesures de spectroscopie d’impédance
III. Etude électrochimique de l’interface Al2O3/silicium
III.A. Méthode d’impédance spectroscopique
IV. Fonctionnement des MSCs silicium fonctionnalisés par alumine
IV.A. Caractérisations en micro-dispositifs complets
IV.B. Résilience au cyclage électrochimique
IV.C. Impact des résultats en électrolyte aqueux
V. Références
Chapitre IV- Composite à base de nanostructures de silicium protégé
I.Composites à base de nanostructures de silicium – test préliminaire
I.A. Pourquoi le choix d’un matériau composite ?
I.B. Polymères conducteurs par méthode GRIM
I.C. Polymère conducteur électronique par méthode VPP
II. Composite Si NWs / PPSS par drop-casting
II.A. Dépôt de PEDOT-PSS par drop-casting
II.B. Etude de la morphologie et de l’adhésion entre PEDOT-PSS et alumine
II.C. Caractérisation électrochimique complète des électrodes de MSCs
III. Références
Chapitre V – Programme InnoEnergy – Collaboration avec la société Elkem Silicon Materials
I. Vers un micro-supercondensateur composite et flexible
I.A. Nouveaux enjeux du stockage
II. Mobilité InnoEnergy et collaboration avec Elkem
II.A. Le Groupe Elkem
II.B. Démarche de collaboration
II.C. Le défi de la production de masse
III. Réalisation des électrodes nanocomposites
III.A. Méthode – « battery like »
III.B. Retour d’expérience personnelle et pérennité du projet
IV. Références
Conclusion Générale
Perspectives
Annexes
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