Notions de couplages hydromécaniques dans les roches
Les phénomènes mécaniques et hydrauliques interagissent entre eux et se traduisent par des processus de couplages hydromécaniques car les milieux géologiques contiennent des pores et des fractures qui peuvent être saturés en fluides et déformables. Ces processus couplés impliquent qu’un des processus affecte l’initiation et l’évolution d’un autre processus et que le comportement d’ensemble du système ne peut pas être décrit avec précision si chaque processus est considéré séparément ou comme une simple succession [Rutqvist et Stephansson, 2003]. Ces couplages sont très complexes puisqu’ils résultent à la fois de relations “directes” entre pression et déformation des interstices de la roche, et, de relations “indirectes” correspondant à des changements des propriétés hydrauliques et mécaniques du milieu [Rutqvist et Stephansson, 2003] (Fig. 1). En général, une roche contenant des fluides peut se déformer soit sous l’effet d’un chargement mécanique externe, soit sous l’effet d’une variation interne de la pression de fluide. Par exemple, une augmentation de contrainte peut générer une réduction du volume des pores et une augmentation de la pression de fluides. Si le chargement est rapide, l’augmentation de pression est instantanée et le fluide n’a pas le temps de s’écouler. Ce phénomène correspond à la réponse non-drainée du milieu. Si, à l’inverse, le chargement est lent, le fluide a le temps de s’écouler et l’augmentation de pression est très faible, voire nulle, c’est la réponse drainée du milieu. Une particularité importante des interactions entre déformation mécanique et écoulement de fluide dans les roches et les fractures est leur hétérogénéité et leur grande non-linéarité à la fois à l’échelle de la matrice, de la fracture unique et du réseau de fractures.
Réponse hydromécanique des roches fracturées
Le comportement hydromécanique des roches fracturées a été étudié à travers de nombreux essais en laboratoire [Tsang et Witherspoon, 1981, 1983; Raven et Gale, 1985; Makurat et al., 1990; Cook, 1992; Gentier et al., 2000; Hopkins, 2000; Myer, 2000; PyrakNolte et Morris, 2000], de tests in situ [Jung, 1989; Myer, 1991; Cornet et Morin, 1997; Cornet et al., 2003; Cappa et al., 2005, 2006, 2008 ; Guglielmi et al., 2008] et de modélisations numériques [Rutqvist, 1995; Rutqvist et Stephansson, 1996; Rutqvist et Tsang, 2002; Zangerl et al, 2003]. Les roches fracturées montrent un comportement hydromécanique fortement hétérogène [Myer, 1991; Cornet et Morin, 1997; Cornet et al., 2003; Cappa et al. 2005, 2006](Fig. 2). Dans les roches fracturées à faible perméabilité matricielle, la déformation mécanique et l’écoulement de fluide se produisent dans le réseau de fractures, dépendant à la fois des propriétés hydrauliques et mécaniques intrinsèques aux fractures, mais également de la connectivité avec les autres fractures, de l’orientation et de l’amplitude des contraintes effectives appliquées, ainsi que des caractéristiques topographiques et géologiques à différentes échelles.
Les effets d’échelles et les perturbations liés à l’échantillonnage impliquent que les propriétés hydrauliques et mécaniques d’une fracture naturelle déduites d’échantillons en laboratoire peuvent être très différentes de celles définies in-situ. Il est difficile de dériver les propriétés hydromécaniques in-situ d’un massif rocheux fracturé à partir de données de laboratoire. Pour mieux caractériser le comportement hydromécanique des roches fracturées, des expérimentations sur site couplées à une analyse numérique des données permettent d’appréhender les phénomènes à une échelle décamétrique intermédiaire entre celle du laboratoire et celle du massif ou du réservoir [Rutqvist et Stephansson, 2003]. Rutqvist et al. [1998] recommandent d’associer des essais hydrauliques en forages avec des mesures de déplacements mécaniques des épontes des fractures. Néanmoins, rares sont les expérimentations in-situ associant simultanément ces mesures [Myer, 1991; Cappa et al., 2005].
Le comportement hydromécanique d’une fracture seule a d’abord été décrit par l’ouverture et la fermeture des épontes sous un chargement uniaxial [Witherspoon et al., 1979; Sibaï et al, 1997]. Il a été montré que la réponse hydraulique et mécanique d’une fracture dépend fortement de la rugosité de ses épontes [Tsang et Witherspoon, 1981; Cook, 1992; Gentier et al., 2000; Hopkins, 2000; Myer, 2000; Pyrak-Nolte et Morris, 2000]. Cette rugosité règle la quantité et la distribution spatiale des aires de contact, ainsi que de la géométrie de l’espace des vides à l’intérieur de la fracture (Fig. 3). La conductivité hydraulique dépend du diamètre et de la distribution spatiale des ouvertures, et le déplacement mécanique dépend de la quantité et de la distribution spatiale des zones de contact. PyrakNolte et al. [1987] et Pyrak-Nolte et Morris [2000] ont notamment montré que l’augmentation de la contrainte normale appliquée aux épontes d’une fracture augmentait la surface de contact ce qui induit une diminution de la perméabilité et une augmentation de la raideur. Ce changement de géométrie des épontes s’accompagne d’une modification des chemins d’écoulement (Fig. 4) [Hakami, 1995]. Pyrak-Nolte et al. [1987] montrent également, pour différents types de fractures, que les écoulements de fluide dans une fracture diminuent avec l’augmentation de contrainte normale appliquée aux épontes.
Lorsque la fracture est soumise à du cisaillement, Makurat et al. [1990] et Olsson et Barton [2001] montrent que la perméabilité de la fracture varie en fonction de la géométrie des contacts dans la fracture, et en particulier l’endommagement des aspérités de la fracture et de la production de gouge. Gentier et al. [2000] montrent que lors du cisaillement, la fracture commence par se refermer et que la chenalisation des écoulements augmente. La fracture s’ouvre ensuite par dilatance, ce qui augmente le volume des vides (Fig. 5) et se traduit par une augmentation des propriétés hydrauliques. Les essais en laboratoire montrent que le cisaillement d’une fracture sous contrainte tend à diminuer sa perméabilité de plusieurs ordres de grandeur. Cependant, cette diminution de perméabilité est fortement non linéaire et peu de modèles réussissent actuellement à reproduire ces mécanismes [Faoro et al., 2009].
Différents types de sismicité induits par les fluides
Dans cette partie, j’expose les différentes familles d’évènements sismiques observés à l’heure actuelle sur différents objets géologiques, ainsi que les exemples connus de sismicité induite par les fluides.
Différents types de sismicité: forme, durée et contenu fréquentiel
Le déploiement des réseaux denses d’observation sismologique et géodésique autour des failles actives, des volcans, des réservoirs géologiques et des glissements de terrain a permis d’identifier une large gamme de signaux sismiques dont certains sont nouveaux et qualifiés d’événements lents et inhabituels en comparaison aux séismes classiques. Dans cette section, je présente les caractéristiques de ces signaux ainsi que le détail de la sismicité enregistrée sur les versants instables.
Les séismes dits « classiques » : les événements sismiques le plus communément étudiés et observés sont les tremblements de terre se produisant sur les failles tectoniques. La rupture émet des ondes de différentes natures et la très grande majorité des signaux enregistrés possèdent des caractéristiques communes, à savoir des formes d’ondes courtes dépendantes de la magnitude du séisme et de la diffusion des ondes au sein du milieu (traduit par la forme de la coda), très impulsives et énergétiques (Fig. 6), un spectre fréquentiel très large bande (du mHz à quelques Hz), et une occurrence générale dépendante de la magnitude du séisme à l’origine de ce signal [Scholz, 2002].
Les événements basses fréquences (LFE pour Low Frequency Event). Suite au séisme destructeur de Kobe au Japon en 1995 (Mw = 6.9), le gouvernement japonais, par l’intermédiaire de la Japan Meteorological Agency (JMA) et du National Reasearch Institue for Earth Science and Disaster Prevention (NIED), lança une politique nationale d’harmonisation des données sismiques et installa un réseau dense et de grande ampleur de sismomètres en forages, le réseau Hi-net [Obara et al. 2005] afin d’améliorer la détectabilité de la sismicité au Japon. Grâce à ce réseau sans précédent à cette époque, l’amélioration de la précision et de la sensibilité des mesures ainsi que la grande quantité de données acquises a permis d’identifier et de localiser ces événements basses fréquences dans un contexte de tectonique active [Nishide et al., 2000]. Ces événements sont caractérisés par une faible amplitude (ils semblent légèrement bruités par rapport aux événements sismiques classiques), possèdent en général des ondes P- et S- identifiables, et un contenu spectral basses fréquences (0.01-10 Hz).
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Table des matières
Introduction
Introduction générale
Cadre collaboratif
I Fluides et sismicité dans les roches de la croûte supérieure
1.1 Notions de couplages hydromécaniques dans les roches
1.2 Réponse hydromécanique des roches fracturées
1.3 Différents types de sismicité induits par les fluides
1.3.1 Différents types de sismicité: forme, durée et contenu fréquentiel
1.3.2 La sismicité liée au déclenchement des glissements de terrain
1.3.3 La sismicité induite par les fluides
1.3.4 Mécanique des séismes
1.4 Enjeux de cette étude pour la compréhension des relations entre les fluides, la déformation, et la sismicité
II Approche expérimentale in-situ des couplages sismiques et hydromécaniques
2.1 Contexte expérimental et instrumentation
2.1.1 Contexte géologique du Bassin du Sud-Est
2.1.2 Contexte structural de la zone d’expériences
2.1.3 Le LSBB : un site instrumenté labellisé par l’INSU
2.2 Contexte et protocoles expérimentaux
2.3 Détails des expériences
2.3.1 Expérience I : Injection près du mur de la galerie
2.3.2 Expérience II : Monitoring sismique de l’écoulement d’eau à travers une fracture naturelle déformable non-saturée
2.3.3 Expérience III : Observation de la sismicité induite par l’activation du glissement sur une faille par des injections d’eau
III Article I : Mesures in-situ de la réponse hydromécanique et sismique d’une fracture stimulée hydrauliquement
3.1 Résumé en française de l’article
3.2 Abstract
3.3 Introduction
3.4 Geological and experimental settings
3.5 Experimental results
3.5.1 Hydromechanical results
3.5.2 Permeability variations
3.5.3 Induced seismicity
3.5.4 Synthesis of experimental results
3.6 Numerical analysis of the conditions for hydromechanical activation of the injected fracture
3.6.1 Modelling set-up
3.6.2 Modelling results: Parameters controlling the injected Fracture hydromechanical activation
3.6.3 Synthesis: Process based-model
3.7 Discussion
3.8 Conclusion
3.9 Acknowledgement
3.10 References
IV Article II : Monitoring sismique de l’infiltration d’eau à travers une fracture naturelle déformable et non-saturée
4.1 Résumé en français de l’article
4.2 Abstract
4.3 Introduction
4.4 Theory
4.5 Experimental set-up and procedure
4.6 Experimental results
4.6.1 Fracture permeability variations
4.6.2 Acoustic Emissions (AE)
Time distribution of events
Single acoustic event description
Testing some AEs attributes sensitivity to the permeability variations
4.7 Discussion
4.8 Conclusion
4.9 Acknowledgement
4.10 References
V Article III : Observation de la sismicité induite par le glissement sur une faille activée par des injections d’eau
5.1 Résumé en français de l’article
5.2 Abstract
5.3 Introduction
5.4 Experimental set-up
5.5 Seismic events type and sequence generated by the injection
5.6 Discussion: seismicity and slope rupture
5.7 Conclusion
5.8 Acknowledgement
5.9 Additional material: Methods
5.10 References
Conclusion
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