Rattraper un stylo qui roule sur une table avant qu’il ne tombe ou saisir une balle en mouvement sont des gestes quotidiens que nous exécutons sans nous focaliser sur leur contrôle. Cependant, pour accomplir de telles actions, notre cerveau doit résoudre un certain nombre de problèmes liés aux propriétés neurophysiologiques et biomécaniques de notre corps. De plus, un évènement imprévu peut survenir à tout moment et rendre le mouvement initial inapte à assurer la tâche désirée. Par exemple, la balle que nous souhaitons rattraper heurte un obstacle et change inopinément de trajectoire bien que le mouvement pour la saisir soit déjà initié. Avec le temps nécessaire, il est bien évident que nous pourrons ajuster notre mouvement et rattraper la balle.
Le système sensori-moteur humain est capable de s’adapter continuellement aux changements de l’environnement dans lequel il évolue. Pour cela, le cerveau utilise un signal d’erreur. Ce signal est obtenu par le Système Nerveux Central (SNC) en comparant les prédictions sensori-motrices qu’il a émises lors de la génération de la commande motrice (copie d’efference) avec les conséquences sensori-motrices réelles de l’action produite. Classiquement, pour réaliser une action, le SNC génère une commande motrice à partir de ses intentions et des informations dont il dispose a priori sur les conditions initiales du système et de son environnement. Lors de l’envoi de cette commande motrice aux effecteurs (c’est-à-dire les muscles), une copie interne de celle-ci contenant les prédictions des conséquences sensorielles du mouvement programmé est également établie . Cette prévision des conséquences sensorielles du mouvement à venir peut alors être comparée aux retours sensoriels réels de l’action réalisée . La différence entre les prévisions (prédictions sensori motrices) et les retours sensoriels (afférences sensori-motrices) est appelée l’erreur sensori-motrice. Cette erreur offre deux aptitudes majeures au cerveau dans le contrôle moteur : elle va permettre d’une part de générer des corrections motrices du mouvement en ligne lorsqu’un élément perturbateur imprévu intervient pendant l’action et rend le plan moteur initial inadéquat. D’autre part elle va permettre au SNC de réajuster la commande motrice à venir sur la base des erreurs de la commande motrice précédente. Ce processus est appelé l’adaptation motrice.
PRODUIRE UN MOUVEMENT DIRIGE : UNE TACHE COMPLEXE POUR LE CERVEAU
Dans ce premier paragraphe, l’objectif est de rappeler la succession des processus nécessaires pour établir une commande motrice qui engendrera de manière adéquate la réalisation d’un mouvement en direction d’une cible. Avant toute chose, le cerveau doit localiser spatialement la cible à atteindre. Pour réaliser le lien entre la position de la cible visée et la commande motrice adéquate à envoyer, le SNC doit procéder à des transformations sensorimotrices. Une première solution envisageable pour le SNC est de coder l’emplacement de la cible dans un référentiel spatial indépendant de la position du corps qu’il dirige. Il s’agit dans ce cas d’un référentiel dit allo- ou exocentrique. Une seconde solution consiste à référencer spatialement la position de la cible à atteindre en fonction d’une partie du corps. Il s’agit dans ce deuxième cas d’une représentation dite égocentrée. Au sein de cette représentation peut être soulevé encore un nouveau problème : Sur quelle entité du corps le SNC va-t-il se baser pour déterminer la position à atteindre ? Des entités plutôt fixes durant le mouvement comme la tête ou les yeux, ou l’effecteur principal c’est-à-dire la main dans notre cas ? Quoiqu’il en soit, toutes ces solutions sont potentiellement utilisables par le cerveau afin de réaliser le mouvement. Un premier niveau de complexité dans ce type de mouvements réside donc dans le fait que le SNC doive procéder à plusieurs changements de cadre de référence (Paillard 1971). Pour réaliser des mouvements dirigés avec succès, le cerveau doit transformer des coordonnées d’un objet extérieur au corps en coordonnées intrinsèques (Desmurget et al. 1998).
A ce stade, le SNC doit alors élaborer une trajectoire de la main parmi une infinité de solutions possibles. En effet, il existe de très nombreuses trajectoires potentielles qui permettent à la fois d’être réalisées par le système biomécanique du corps et d’atteindre la cible avec succès. Si la trajectoire rectiligne, c’est-à-dire la plus courte distance reliant la position initiale de la main à l’objet cible, peut paraître a priori la plus évidente, toutes les trajectoires reliant le point de départ au point d’arrivée permettent d’accomplir la tâche.
Lorsqu’une trajectoire de la main est sélectionnée par le cerveau, celui-ci va devoir gérer un nouveau problème : quelle configuration articulaire choisir afin de réaliser cette trajectoire. Une fois encore, du fait d’un excès de degré de liberté dans le système anatomique humain (Bernstein 1967), les solutions potentielles sont multiples. Par exemple, le membre supérieur de l’homme offre une potentialité cinématique de 7 degrés de liberté tandis que la position de la main n’est repérée dans l’espace que par 3 dimensions. Ce nombre de degré de liberté est décuplé lorsque nous considérons un mouvement du corps entier. Ce problème est également nommé le problème de cinématique inverse. Nous noterons ici que la posture initiale debout présentera une complexité a priori supérieure à un même mouvement réalisé en position assise de part l’ajout de degrés de liberté supplémentaires. Dans ce cas, le SNC doit gérer le maintien de son équilibre de manière plus complexe. Cet excès de degrés de liberté illustré au niveau articulaire se retrouve au niveau musculaire. Une fois le problème de cinématique inverse résolu par le SNC, celui-ci doit déterminer parmi une infinité de possibilités les activations et les couples musculaires permettant d’obtenir avec succès la configuration articulaire choisie. Il s’agit ici du problème de dynamique inverse. Cette étape est également complexe car le cerveau devra prendre en compte et anticiper de nombreux paramètres dynamiques mis en jeu lors du mouvement comme les couples gravitaires, inertielles, d’interactions inter-segmentaires, auxquels s’ajoutent les forces centrifuge, centripète, et de Coriolis.
UNE SIMPLIFICATION DU CONTROLE MOTEUR : LE PRINCIPE DE SYNERGIE
Compte tenu de la complexité de l’élaboration d’une commande motrice causé par la redondance des degrés de liberté du système musculo-squelettique humain, Bernstein (1967) est l’un des premiers auteurs à mettre en avant la capacité du cerveau à regrouper en un seul bloc plusieurs activités musculaires. Cette notion résume le concept de la « synergie ». Flash et Hochner (2005) émettent l’hypothèse que des synergies pourraient se retrouver au niveau cinématique, musculaire, et neuronal. En étudiant la cinématique du membre inférieur lors de la locomotion chez l’homme et chez le chat, Lacquaniti et al. (1999) démontrent que les trois angles formés par chaque segment de la jambe (pied, tibia, fémur) et la verticale gravitaire co-varient dans un seul et même plan en y décrivant un patron reproductible lors de chaque cycle de marche. Pour ces auteurs, le cerveau semble empêcher ces trois angles de varier indépendamment les uns des autres lors de la réalisation du mouvement. Par cette liaison, le SNC réduit le nombre de degrés de liberté qu’il doit contrôler. Vernazza-Martin et al. (1999) définissent ce phénomène de synergie cinématique comme une relation relativement stable au cours du mouvement entre différents angles segmentaires et reproductible d’un essai à un autre ou d’une tâche à une autre. Si de telles relations synergiques ont été observées pour des tâches cycliques comme la locomotion, des synergies interarticulaires ont également été mises en avant lors de mouvements complexes dirigés. Soechting et Lacquaniti (1981) ou plus récemment Berret et al. (2009) ont en effet clairement démontrés une robustesse des trajectoires tenues dans l’espace des angles inter-segmentaires en dépits de variations significatives de la trajectoire de l’effecteur dans l’espace cartésien. Le cerveau semble donc capable de lier des groupes de variables cinématiques en créant des synergies cinématiques lors de la planification du mouvement afin de réduire la complexité du contrôle moteur. La présence établie des synergies cinématiques peut être le reflet d’une organisation synergique au niveau musculaire. Selon Torres-Oviedo et al. (2006) et Mussa-Ivaldi et Bizzi (2000), une synergie musculaire peut se définir comme un ensemble d’activités musculaires basiques pouvant être combinées de manière linéaire et multiple afin de générer un très grand nombre de mouvements différents. De très nombreux travaux sont parvenus à extraire à partir d’un jeu important de données électromyographiques (EMG) une organisation synergique. Pour réduire la complexité du contrôle moteur, une telle organisation semble donc être utilisée par le SNC pour structurer les activations musculaires nécessaires à la réalisation d’une multitude de mouvements qui nécessitent la coordination de nombreux muscles des bras, du tronc et des jambes (Muceli et al. 2010, D’Avella et al. 2005, 2006, Ivanenko et al. 2003, 2004, 2005, 2006, Poppele et Bosco 2003, Mussa-Ivaldi et Bizzi 2000, voir Bizzi et al. 2008 pour une revue). Enfin, la présence établie des synergies musculaires peut être le reflet d’une organisation synergique au niveau neural. A l’échelle spinale, Mussa Ivaldi et Bizzi (2000) ont démontré l’existence de mouvements codés sous forme de synergies motrices dans la moelle épinière chez des grenouilles. Ces auteurs parviennent à déclencher chez ces grenouilles préalablement spinalisées un mouvement dirigé de la patte en réponse à un stimulus nociceptif. Dans ces travaux, la précision du mouvement de la patte est maintenue quelque soit la position initiale de celle-ci. Ce résultat souligne l’existence de représentation du corps au niveau spinal. D’après ces auteurs, un réseau neural spinal coderait en général un champ de force convergeant vers un point d’équilibre et la combinaison linéaire des synergies motrices pourrait engendrer un grand nombre de mouvements. Une telle organisation permet au SNC de produire une infinité de mouvements adaptés aux modifications permanentes de variables comme la localisation de la cible ou la position initiale du corps sans pour autant augmenter la quantité d’informations stockées en mémoire (Mussa-Ivaldi et Bizzi 2000, Bizzi et al. 2008). Des résultats similaires ont été démontrés par Graziano et al. (2002) au niveau cortical chez le singe. Ces auteurs mettent en avant lors de stimulations invasives du cortex prémoteur et moteur primaire la réalisation de mouvements dirigés vers une même localisation spatiale quelque soit la position initiale du membre effecteur. Cela suggère que le SNC possède la capacité d’atteindre un locus spatial précis quelque soit la trajectoire spatiale et la configuration angulaire du membre effecteur.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. CADRE THEORIQUE
1. PRODUIRE UN MOUVEMENT DIRIGE : UNE TACHE COMPLEXE POUR LE CERVEAU
2. UNE SIMPLIFICATION DU CONTROLE MOTEUR : LE PRINCIPE DE SYNERGIE
3. DIFFERENTES APPROCHES POUR DIFFERENTES ESTIMATIONS DES LATENCES NERVEUSES
3.1 LES LATENCES DES CIRCUITS NEURONAUX TRADITIONNELS IMPLIQUES DANS LES TACHES VISUOMOTRICES ISSUES DE LA LITTERATURE NEUROPHYSIOLOGIQUE
3.2 LES LATENCES ISSUES DE LA LITTERATURE COMPORTEMENTALE CHEZ L’HOMME
3.2.a Les paradigmes de sauts de cible non conscients
3.2.b Les paradigmes de sauts de cible conscients
3.3 QUELLE ORGANISATION NERVEUSE POUR LA FLEXIBILITE MOTRICE ? PLUSIEURS HYPOTHESES
4. LE CERVEAU : UN « PREDICTEUR » SENSORI-MOTEUR
4.1 LE CONCEPT DU MODELE INTERNE
4.1.a Le modèle interne inverse
4.1.b Le modèle interne prédictif
4.2 UN MODELE HYBRIDE DE CONTROLE CONTINU
4.3 LES LIMITES EXPERIMENTALES DU MODELE HYBRIDE DE CONTROLE CONTINU
5. EXISTENCE DE BOUCLES RAPIDES DANS LE CONTROLE EN LIGNE DES MOUVEMENTS DIRIGES
5.1 MODELE DE CONTROLE A NIVEAUX MULTIPLES
5.2 LES LIMITES EXPERIMENTALES DU MODELE DE CONTROLE A NIVEAUX MULTIPLES
6. L’ADAPTATION ESSAI PAR ESSAI
6.1 DEFINITION DE L’ADAPTATION ESSAI PAR ESSAI
6.2 PROPRIETES DE L’ADAPTATION ESSAI PAR ESSAI
6.3 LE CERVELET, UNE BASE NEUROPHYSIOLOGIQUE POUR LE CALCUL DE L’ERREUR SENSORIMOTRICE
6.3.a Etudes cellulaires
6.3.b Etudes des populations cérébelleuses
7. SYNTHESE ET PROBLEMATIQUES
III. CONTRIBUTIONS EXPERIMENTALES
1. POINTING TO DOUBLE-STEP VISUAL STIMULI FROM A STANDING POSITION: VERY SHORT LATENCY (EXPRESS) CORRECTIONS ARE OBSERVED IN UPPER AND LOWER LIMBS AND MAY NOT REQUIRE CORTICAL INVOLVEMENT
1.1 INTRODUCTION
1.2 EXPERIMENTAL PROCEDURES
1.3 RESULTS
1.3.a Hand kinematics
1.3.b Correction times detected using hand acceleration
1.3.c Correction times detected using EMG activities: very rapid corrections were observed for the DAi and TAi muscles
1.4 DISCUSSION
1.5 ACKNOWLEDGEMENTS
2. MUSCULAR SYNERGIES DURING MOTOR CORRECTIONS: INVESTIGATION OF THE LATENCIES OF MUSCLE ACTIVITIES.
2.1 INTRODUCTION
2.2 EXPERIMENTAL PROCEDURES
2.2.a Subjects
2.2.b Experimental setup and pointing conditions
2.2.c Recording and analysis of kinematics
2.2.d Hand movement reaction time and movement time
2.2.e Center of pressure (CoP) recordings and analyses
2.2.f EMG recording and analyses
2.3. RESULTS
2.3.a Hand kinematics
2.3.b Correction times
2.3.c Correction times versus initiation times
2.3.d Correction times were correlated between pairs of muscles independently of their location or their occurrences
2.3.e Correlations of correction times and initiation times between pairs of muscles
2.3.f Correlation of normalized EMG amplitudes of the motor corrections
2.4. DISCUSSION
2.4.a Movement initiation and correction
2.4.b Somatotopic organization of synergies in the primary motor cortice and synchronization of correction times and initiation times between muscles
2.4.c Movement correction involves more synergies than movement initiation
2.5 ACKNOWLEDGEMENTS
CONCLUSION GENERALE
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