Le béton est l’un des matériaux de construction les plus utilisés en France, tout comme dans le monde entier. Le béton présente l’avantage d’un faible coût de production comparé à d’autres matériaux de Génie Civil, et son élaboration est relativement simple.
L’une des principales demandes et l’un des principaux enjeux pour le domaine du génie civil est la capacité à maîtriser la durabilité et l’intégrité de l’existant et des constructions futures. La mise en oeuvre du matériau tend à être optimisée vis à vis des contraintes environnementales et économiques. Une grande partie des structures de grandes ampleurs, telles que les centrales nucléaires, les barrages et les ponts, vieillissent et nécessitent une attention particulière pour veiller à leur maintien et à leur sûreté. La fuite de produits toxiques à travers une paroi en béton fissuré de part en part ou la corrosion des armatures dans un bloc de béton armé demandent une expertise et une analyse locale des risques qui est bien plus onéreuse qu’une simple estimation de résistance globale d’une structure. Pour les études de perméabilité, des valeurs locales relatives à la fissuration doivent être déterminées par des études complémentaires généralement très coûteuses en temps.
La rupture des matériaux quasi-fragiles, tels que les céramiques ou les bétons, peut être représentée schématiquement par la succession des étapes de nucléation et de coalescence de micro-fissures. Le processus de nucléation-coalescence peut se produire dans une structure initialement saine, dans la zone la plus sollicitée de cette structure et conduira alors à la formation d’une macro-fissure. Modéliser ce processus de rupture est un enjeu particulièrement important lorsque l’on s’intéresse à la résistance des structures en béton, en particulier à la prédiction de la perméabilité des structures endommagées.
Différentes approches sont destinées à la description de la rupture des matériaux quasi fragiles :
— les approches phénoménologiques (échelle méso), où l’endommagement est représenté par une variable d’endommagement continue, scalaire ou tensorielle, locale ou non-locale. Ces approches sont utilisées pour leur capacité à représenter toute la richesse du comportement non-linéaire du matériau soumis à des chargements multiaxiaux et variables dans le temps. En revanche, ces approches ne fournissent pas d’informations explicites relatives à la fissuration, telle que l’ouverture d’une fissure et son aire, qui sont requises pour calculer un débit de fuite.
— les modèles discrets (échelle micro), où la microstructure du matériau est explicitement représentée. Ces modèles permettent de tenir compte de l’hétérogénéité du matériau et de représenter explicitement les micro-ruptures élémentaires qui par coalescence conduisent à la fissuration. Néanmoins, ces approches sont coûteuses en temps de calcul, et restent encore hors de portée pour traiter des problèmes tridimensionnels complexes. Par ailleurs, un post-traitement doit être effectué pour distinguer les ruptures élémentaires connectées (fissure) de celles qui ne le sont pas en vue de calculer un débit de fuite
— les modèles basés sur la mécanique de la rupture, décrivant la propagation d’une fissure dans un milieu sain. Ces modèles ont l’avantage de fournir explicitement les éléments permettant de définir la perméabilité d’une structure et de calculer des débits de fuite, mais restent limités à l’élasticité linéaire.
La démarche choisie ici est une vision multi-échelle où chaque approche est utilisée à l’échelle où elle est optimale. Le modèle représentera la fissuration par des grandeurs généralisées, qui seront définies dans le cadre de la mécanique de la rupture. Afin de prendre en compte l’aspect non linéaire de la fissuration dans les matériaux quasi-fragiles, la cinématique usuelle de la mécanique de la rupture est enrichie par l’ajout de degrés de liberté supplémentaires, chargés de représenter la part non linéaire du champ de vitesse. Ces degrés de liberté supplémentaires sont définis comme des facteurs d’intensité de champs cinématiques de référence, qui sont construits par changement d’échelle à partir de simulations à l’aide d’un modèle à éléments discrets ou bien à partir de résultats d’essais.
Les matériaux cimentaires
Le béton est un matériau présentant une forte hétérogénéité. La complexité de sa microstructure est d’ailleurs une des causes de son comportement mécanique particulier sous diverses sollicitations, qu’elles soient d’origine thermique, mécanique, hydrique ou chimique. Il est donc nécessaire de connaître au mieux cette microstructure.
Le béton est un mélange de sable, d’eau, de liant hydraulique et de granulats. Le liant hydraulique se forme et durcit par réaction chimique avec de l’eau. Il existe différents types de liants hydrauliques, parmi eux, les ciments, tel que le ciment de Portland et les aluminates, les laitiers de hauts fourneaux, les cendres volantes et les roches volcaniques.
On peut distinguer 3 échelles. A l’échelle du centimètre, il est possible de distinguer les granulats, du sable et de la pâte de ciment durcie. Si l’on observe la pâte de ciment durcie à l’échelle du millimètre ou de la dizaine de microns, le milieu qui apparaissait continu à l’échelle précédente est hétérogène. On y observe de la porosité, du ciment anhydre et des hydrates de ciment. A l’observation au microscope électronique à balayage, les hydrates de ciment apparaissent fortement hétérogènes. De très nombreuses formes d’hydrates sont visibles.
Le béton est un matériau hétérogène, mais surtout multi-échelle et multi-phasique. De plus, il est évolutif, des réactions chimiques d’hydratation ont lieu durant toute la vie du matériau.
Pour caractériser le comportement du béton, il faut se donner une échelle d’étude. Les essais classiques de caractérisation sur des éprouvettes macroscopiques permettent d’identifier le comportement global d’une structure réduite en béton. Ces essais montrent une réponse dissymétrique entre la traction et la compression. La traction est difficile à piloter, du fait de l’apparition du phénomène de retour élastique (snap-back) dû au caractère fragile du matériau. Pour identifier les paramètres de traction, on effectue généralement des tests de traction indirecte, tels que des essais de fendage et de flexion 3 points.
Lors d’une sollicitation de traction, le pic d’effort est atteint pour une contrainte relativement faible après un régime d’élasticité linéaire. Les non-linéarités se développent dans une zone de fissuration de largeur non nulle avec une microfissuration diffuse autour de la macrofissure. Dans le cas de la compression, trois phases sont discernables. Une première phase linéaire élastique, suivie d’une seconde phase non-linéaire avec un écrouissage positif et une microfissuration diffuse. Dans la dernière phase non-linéaire, la résistance chute et une localisation des déformations est observée. La zone d’élaboration de l’endommagement (Process Zone) définit la zone de localisation diffuse des déformations, formée par une distribution de micro fissures autour de la fissure principale.
Représentation de la fissuration et de l’endommagement d’un milieu continu
Modélisation de l’endommagement et de la fissuration
L’endommagement peut être vu comme une détérioration progressive de la matière qui précède la rupture macroscopique. On considère qu’un matériau est sain s’il est dépourvu de fissures et de cavités à l’échelle microscopique. L’état initial du matériau ne peut être défini de manière objective. La théorie de l’endommagement décrit l’évolution des phénomènes entre l’état vierge et l’amorçage de la fissure mésoscopique. Cette évolution est souvent accompagnée de déformation permanente. La première modélisation continue de l’endommagement a été proposée par Kachanov ([Kachanov, 1958]) concernant le fluage des métaux sous sollicitation unidimensionnelle. Dans les bétons, les défauts apparaissent par décohésion entre les agrégats et le ciment et provoquent une micro-fissuration relativement répartie spatialement, au moins à l’initiation. La mécanique de la rupture ne considère généralement qu’une seule fissure macroscopique, clairement identifiée, en géométrie et en dimension. Généralement, on considère une fissure traversant la structure dont le matériau reste considéré comme continu (non endommagé, en général). La manière la plus simple de modéliser l’endommagement est d’introduire une ou plusieurs variables scalaires. Mais les défauts qui correspondent à l’endommagement sont le plus souvent orientés par le chargement qui les crée. Les microfissures de fatigue s’orientent perpendiculairement à la plus grande déformation principale positive. Les cavités de fluage peuvent elles aussi être orientées, ce sont alors les joints de grains plus ou moins orthogonaux à la contrainte principale maximale sur lesquelles les cavités se développent préférentiellement et qui vont rompre en premier. Il est donc nécessaire d’utiliser des variables tensorielles pour décrire le caractère directionnel des dommages.
Limitations des modèles d’endommagement locaux
La mécanique des milieux continus permet de décrire, à l’échelle macroscopique, les processus hétérogènes qui apparaissent au cours d’un chargement. Elle permet de représenter des instabilités et des phénomènes de localisation, comme les bandes de glissement pour les cristaux, les bandes de cisaillement pour les géo-matériaux ou encore la striction dans les tôles mise en forme. Pour les matériaux quasi-fragiles, l’apparition, la croissance et la coalescence de micro-fissures, qui permettent la formation et la propagation de macro-fissures, amenant potentiellement à la rupture du matériau sont les principaux mécanismes de localisation. Ces mécanismes peuvent être incorporés dans une théorie continue par l’introduction de variables internes, appelés variables d’endommagement, qui représentent le changement des propriétés du matériau. Les modèles d’endommagement continu présentent un comportement adoucissant : la capacité à maintenir une charge va décroître pour une déformation plus importante, et la raideur tangente devient négative. Si aucune précaution n’est prise, les simulations numériques montrent une forte dépendance à la taille et à l’orientation de la discrétisation spatiale.
Plusieurs approches ont été développées pour contourner ce manque de la théorie de l’endommagement continu :
— approche en énergie de fissuration : en manipulant les propriétés matériaux en fonction de la taille de l’élément ([Pietruszczak et Mróz, 1981], [de Vree et al., 1995])
— une régularisation visqueuse : prise en compte de l’effet de vitesse dans les relations de comportement ([Needleman, 1988] , [De Borst et Sluys, 1991])
— les modèles continus non-locaux : en introduisant un terme non-local dans les relations de comportement ([Bažant, 1984] , [Bazant et Pijaudier-Cabot, 1988], [De Borst et al., 1993])
— les modèles à gradient : en ajoutant des termes de déformations d’ordre supérieur
— la théorie des milieux micro-polaires : en utilisant l’ajout de degrés de liberté en rotations([Mühlhaus et Vardoulakis, 1987],[De Borst et Muhlhaus, 1991])
A part les méthodes en énergie de fissuration, qui, bien qu’elles puissent prédire une réponse globale correcte, laissent la largeur de la zone de localisation indéfinie, ces méthodes locales tendent à régulariser la localisation des déformations en ajoutant une échelle interne locale et à limiter ou à contrôler la localisation. La régularisation visqueuse est moins appropriée au comportement des matériaux quasi-fragiles qu’à celle des métaux. Des essais semblent suggérer que les modèles micro-polaires peuvent être employés pour des essais de cisaillement, mais ne semblent pas assez efficaces dans le cas de chargement de traction ([De Borst et Muhlhaus, 1991]).
|
Table des matières
Introduction
1 État de l’art
1 Les matériaux cimentaires
2 Représentation de la fissuration et de l’endommagement d’un milieu continu
2.1 Modélisation de l’endommagement et de la fissuration
3 Mécanique Elastique Linéaire de la Rupture
3.1 Solution de Westergaard
3.2 Appproche en énergie – Critère de Griffith
3.3 Dugdale – Barenblatt
3.4 Modèle à zone cohésive
3.5 XFEM
3.6 Embedded FEM
3.7 Approche mixte XFEM-endommagement : la TLS (Thick Level
Set)
4 Principe de l’approche choisie
2 Modélisation numérique de la fissuration d’un matériau quasi-fragile
1 Modèles discrets
1.1 Le modèle par éléments discrets utilisé – DEAP
2 Approche condensée
2.1 Cinématique du problème
2.2 Décomposition du champ de vitesse
2.3 Calcul de la base de champ de référence
2.4 Caractérisation du champ complémentaire
2.5 Evolution des facteurs d’intensité
2.6 Influence de la distribution des seuils de rupture
2.7 Influence du maillage sur le champ complémentaire
2.8 Influence de la densité de particules
2.9 Domaine élastique
3 Résumé du chapitre
3 Essai de fissuration en mode I dans un milieu quasi-fragile
1 Etat de l’art sur les essais de fissuration en mode I et mixte I+II dans le
béton et le mortier
2 Le pilotage d’essai de fissuration
3 Le matériau d’étude
4 Géométrie de l’éprouvette
5 Protocole expérimental
5.1 Estimer la position de la pointe de la fissure par corrélation
d’images numériques
5.2 Estimation du facteur d’intensité des contraintes
6 Mesure de la ténacité
7 Fissuration par fatigue
7.1 Influence du fluage sur la fissuration sous-critique
7.2 Discussion
8 Approche expérimentale condensée en pointe de fissure
9 Résumé du chapitre
4 Modélisation
1 Modélisation des évolutions des facteurs d’intensité
1.1 Choix de modélisation
1.2 Modélisation à direction d’écoulement fixe et sans contrainte interne
1.3 Modélisation à direction d’écoulement variable et sans contrainte
interne
1.4 Modélisation avec contraintes internes
2 Résumé du chapitre
Conclusions
Télécharger le rapport complet