FIBRILLATION ATRIALE EN HEMODIALYSE
Epidémiologie
La maladie rénale chronique (MRC) s’accompagne d’une fréquence accrue de fibrillation atriale (FA), avec une prévalence de 2 à 3 fois celle de la population générale chez les patients insuffisants rénaux chroniques qui ne requièrent pas la dialyse (1). La prévalence de la FA en population générale est d’environ 3% (2). La fréquence de la FA est d’autant plus importante chez le sujet âgé, allant de 8 à 18% des patients de moins de 70 ans avant le stade de la dialyse jusqu’à 25 à 35% chez les patients de plus de 70 ans (1). En France, cet effet de l’âge, comme dans la population générale, est retrouvée. Chez les patients avec une MRC stade 3 et 4 en France, la prévalence de la FA est d’environ 5% chez les patient de moins de 65 ans, 10% chez les patients de 65 à 75 ans, 20% chez les patients de 75 à 85 ans et 30% chez les patients de plus de 85 ans (3). Le risque de FA semble corrélé au déclin de la fonction rénale, l’incidence étant de 29,4/1000 patients-année si le DFG est entre 45 et 60 mL/min/m² et de 46,3/1000 patients années si < 30 mL/min/m² (4). Le risque le plus accru de FA se retrouve chez les patients en dialyse avec une prévalence estimée entre 5 et 27% (5) et une incidence entre 0,97 et 5,9 cas/100 patients-année et jusqu’à 14,8/100 patients années chez les patients âgés. Les prévalences faibles < 10% sont probablement sous-estimées car évaluées uniquement chez les sujets symptomatiques ou hospitalisés. En France, 23,1% et 23,7% des patients incidents et prévalents en dialyse en 2018 présentaient un antécédent de trouble du rythme (Registre REIN 2018). La MRC est un facteur de risque indépendant de fibrillation atriale (1). Les facteurs associés à cette augmentation du risque de FA sont nombreux et demeurent mal connus (6,7). On peut évoquer la dysfonction endothéliale, les calcifications valvulaires, l’hypertrophie du ventricule gauche, la fibrose myocardique, les perturbations du métabolismes du phosphore, l’inflammation chronique de bas grade et l’augmentation de l’activité du système rénine-angiotensine-aldostérone et du système adrénergique (1).
Problématique de la fibrillation atriale en hémodialyse
La présence d’une FA augmente la surmortalité chez les patients avec une MRC d’un facteur 1,7 tout stade confondu (8). Chez les patients nécessitant un traitement de suppléance, la mortalité est doublée en cas de FA (26.9/100 patients-année contre 13.4/100 patients-année) (5). La FA est un facteur de risque indépendant de mortalité chez les patients hémodialysés (9,10). La FA multiplie par 2 le risque d’accident vasculaire cérébral chez les patients en MRC tout stade confondu (4). En dialyse, l’incidence des AVC est presque triplée en cas de FA (5,2/100 patients année contre 1,9/100 patients-année) (5). La FA est un facteur de risque indépendant d’accident vasculaire cérébral (10,11). Le risque d’AVC chez les patients en dialyse avec une FA est de loin supérieur au risque retrouvé en population générale avec une FA, estimé à 1,5/100 patients-année (2). Ainsi les patients hémodialysés en FA ont un risque d’AVC 3 fois supérieur à la population générale en FA.
La prise en charge de la fibrillation atriale dans la population générale repose sur le traitement anticoagulant en tenant compte du risque embolique et sur le contrôle du rythme ou de la fréquence cardiaque(2). La prévention du risque embolique en cas de fibrillation atriale repose t sur les traitements anticoagulants. Il existe 2 grandes classes d’anticoagulants oraux qui peuvent être utilisés : les antivitamines K et les anticoagulants oraux directs.
Antivitamine K
Aucune étude randomisée n’a comparé l’efficacité et la sécurité des AVK chez les patients avec une maladie rénale chronique sévère. Pour les patients avec une MRC stade 3, une analyse de l’essai SPAF 3 a montré une réduction du risque embolique avec la warfarine adaptée à l’INR en comparaison à une dose faible fixe associée à de l’aspirine (12). Les différentes études observationnelles ont globalement montré des résultats discordants : 6 études prospectives ont analysés l’effet du traitement anticoagulant chez les patients avec une MRC dialysée ou non (13–18). 2 études mentionnaient un bénéfice des AVK (13,14) alors que les 4 autres ne retrouvaient pas de bénéfice voire un risque à l’utilisation des AVK (15–18). 16 études rétrospectives se sont intéressés à l’anticoagulation chez les patients en FA avec une dysfonction rénale nécessitant ou non la dialyse (19–30,9,31–33). Parmi celle-ci, 9 suggérait un potentiel bénéfice des AVK (19,20,22,23,25–28,30), 2 ne retrouvait pas de bénéfice au traitement par AVK (24,33) et 5 retrouvait un risque lié à l’utilisation des AVK (9,21,29,32,34), soit d’hémorragie soit d’AVC. Ainsi, les différentes études observationnelles retrouvent des résultats contradictoires sur l’effet des AVK dans la population de patient insuffisants rénaux chroniques et encore plus chez les patients dialysés.
Pour les patients avant le stade de la dialyse, une méta-analyse des études observationnelles (6 rétrospectives et 5 prospectives) retrouve une diminution du risque embolique de 30% et du risque de décès de 35% (35). Au stade de la dialyse, cette métaanalyse ne mettait pas en évidence d’effet sur les AVC ischémique ou sur la mortalité mais une augmentation du risque hémorragique de 30% (35). Au stade de la dialyse, les métaanalyses reprenant les différents études observationnelles rapportent globalement l’absence d’effet sur la prévention du risque embolique et sur le risque de décès, mais une augmentation du risque de saignement majeur (35–40).
Par ailleurs, dans les différentes études observationnelles, le pourcentage de patients sous warfarine était variable de 11 à 54%. Les données sur la qualité de l’anticoagulation sont rarement renseignées. Seules 5 des études observationnelles rapportent des données sur la qualité de l’anticoagulation des patients. L’INR moyen était de 2.3 dans l’étude de Chan et al (21), de 1.5 dans l’étude de Wakasugi et al (17) et de 1.62 dans celle de Yodogawa et al (33). Friberg et al rapporte que 49% des patients sous anticoagulant avec un temps dans la cible thérapeutique (time therapeutic range TTR) > 70% (25), Genovesi et al indique que le TTR médian était de 54% (15). Ainsi, les méta-analyses montrent l’absence d’effet favorable des AVK en prévention de la mortalité et du risque embolique et même un surrisque hémorragique. Mais ces métaanalyses sont basées sur des études de faible niveau de preuve avec de nombreux biais rendant difficile l’interprétation des résultats.
Anticoagulants oraux directs
Depuis quelques années, des anticoagulants oraux directs (AOD) sont de plus en plus utilisés. Seul l’apixaban et le rivaroxaban sont actuellement utilisés chez les patients avec une MRC sévère ou en dialyse. Le rivaroxaban est un inhibiteur direct oral du facteur X activé. 35% du médicament est éliminé sous forme inchangée dans les urines, le reste est métabolisé au niveau hépatique (41–43). L’étude pivot ROCKET-AF (44,45) randomisée en double aveugle multicentrique a montré chez plus de 14000 patients la non-infériorité du rivaroxaban contre la warfarine en prévention de l’AVC (hémorragique ou ischémique) et événement embolique, avec une réduction du risque hémorragique intracrânien. En revanche, les saignements gastro-intestinaux étaient plus fréquents dans le groupe rivaroxaban. L’apixaban est un inhibiteur compétitif direct oral du facteur X activé. L’élimination rénale est de l’ordre de 25%, le reste étant métabolisé au niveau hépatique L’étude pivot ARISTOTLE (46,47) randomisée en double aveugle multicentrique comprenant plus de 18000 patients suivi pendant 1,8 ans a montré la non-infériorité et même la supériorité de l’apixaban en prévention du risque d’AVC (ischémique ou hémorragique) par rapport à la warfarine. L’apixaban était associé à une baisse du risque hémorragique et de décès. Les patients avec une maladie rénale sévère stade 5 dialysée ou non étaient exclus de ces études. Depuis, ces traitements sont de plus en plus utilisés chez les patients en avec une MRC sévère (48) mais aussi en dialyse (49). L’efficacité et la sécurité des AOD en dialyse restent à évaluer. En dialyse, l’apixaban et le rivaroxaban ne sont pas inférieurs à la warfarine pour prévenir les AVC (RR 1,71, IC à 95% 0,97-2,99 et RR 1,8, IC à 95% 0,89-3,64, respectivement) (50). Cependant, le rivaroxaban pourrait être associé à une augmentation du risque hémorragique en comparaison à la warfarine. De plus, l’étude pilote montrait une augmentation du risque hémorragique digestif (45), complication redoutable lors de la MRC (51,52). L’utilisation de l’apixaban pourrait être associée à un risque moindre d’hémorragie majeure par rapport à la warfarine, la dose standard de 5 mg deux fois par jour étant également associée à une réduction du risque thromboembolique et de la mortalité (48).
Seul le rivaroxaban a fait l’objet d’un essai contrôlé randomisé chez les patients en dialyse. Dans cet essai, une dose réduite de rivaroxaban réduisait les événements cardiovasculaires et les complications hémorragiques majeures par rapport aux AVK (53). Ce résultat est à considérer avec précaution devant le très faible nombre d’événements observés lors de l’étude. Les résultats d’un essai randomisé concernant l’apixaban sont en attente (ClinicalTrials NCT02942407). Ainsi, le problématique de la FA chez les patients en dialyse est l’absence à ce jour de stratégie efficace de prévention du risque embolique et de minimisation du risque de complication hémorragique. A l’heure actuelle, l’anticoagulation de la FA lorsque la clairance de la créatinine est inférieure à 30 ml/min reste un sujet de débat (54). Il n’existe pas de données de bonne qualité comparant contrôle de la fréquence ou contrôle du rythme pour la prise en charge de la FA chez le patient avec une MRC. Il existe uniquement une analyse de GUSTO-III qui ne retrouve pas d’impact de la MRC sur l’une ou l’autre des stratégies et l’absence de différence en terme de mortalité selon la stratégie utilisée (55). Il est à mentionner que les patients dans le groupe MRC avaient une clairance de la créatinine moyenne à 45 mL/min. Il s’agit d’un sujet avec très peu de données dans la littérature qui mériterait d’être plus étudié.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
1. FIBRILLATION ATRIALE EN HEMODIALYSE
1.A. EPIDEMIOLOGIE
1.B. PROBLEMATIQUE DE LA FIBRILLATION ATRIALE EN HEMODIALYSE
2. GENERALITES SUR L’ADENOSINE PLASMATIQUE
2.A. PRODUCTION
2.B. DEGRADATION
2.C. EFFETS METABOLIQUES DE L’ADENOSINE
2.D. DEFICIT EN ADENOSINE DESAMINASE
3. ADENOSINE LORS DE LA MALADIE RENALE
3.A. PHYSIOLOGIE
3.B. PATHOLOGIE
3.C. EVOLUTION DES TAUX DE L’ADENOSINE LORS DE LA MRC
3.D. MECANISMES SUSPECTES DE L’ELEVATION DES TAUX D’ADENOSINE EN DIALYSE
3.E. EFFETS DEMONTRES DE L’ADENOSINE LORS DE LA MRC
4. ADENOSINE AU NIVEAU CARDIOVASCULAIRE
4.A. EFFETS CARDIOVASCULAIRES DE L’ADENOSINE
4.C. ADENOSINE ET RISQUE DE FA
II. FIBRILLATION ATRIALE ET TAUX D’ADENOSINE EN HEMODIALYSE (FATAH) RESUME
INTRODUCTION
MATERIELS ET METHODES
RESULTATS
III. DISCUSSION
IV. BIBLIOGRAPHIE
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