FAIRE PLACE A LA LENTEUR OU L’ART COMME SURVIE
LA GENÈSE : ÉTAT D’ÊTRE ET POSITIONNEMENT
Ma démarche artistique en est une de survie en société. Le présent travail de recherche et de création s’est voulu à la fois un cheminement éthique et critique, autant qu’esthétique.
Depuis plusieurs années, de nombreuses questions se bousculent dans ma tête, elles rythment, non sans stress, mon rapport au monde et à l’imaginaire. Mon hypersensibilité au monde, cette caractéristique à laquelle sont reliées autant la beauté que la souffrance, a altéré mon parcours à la manière d’une série de collines que l’on monte et descend, parfois en courant et d’autres fois en marchant.Qu’est-ce qui m’a fait me rapprocher de la création, et quels moyens ai-je utilisés pour me permettre de continuer malgré les moments de détresses et de suffocation? Je crois que l’art a été la seule variable capable de s’adapter à ces variations.Cependant, si j’utilise l’art comme moyen de survie, comme manière d’embellir ma vie de tous les jours, de rendre le parcours plus agréable dans un contexte sociétal qui, à bien des égards, m’oppresse et m’indispose, je me pose par le fait même beaucoup de questions sur le bien-être des gens qui m’entourent. Je me demande souvent s’il existe une sorte de bonheur accessible à tous.Par exemple, si on traçait, chacun à notre tour, une ligne, un peu comme celle qui est dans notre main, cette ligne dont le tracé inclurait toutes les variations inhérentes à notre vie de tous les jours et qui révélerait les hauts et les bas de notre existence. Puis, si nous en placions plusieurs côte à côte, est-ce que ces « dessins/desseins/destins » auraient une allure semblable à celle des autres en raison de l’époque et de l’endroit à laquelle chacun est né? Ou bien, au contraire, révéleraient-ils des différences marquées? Quelle serait la tendance médiane de cette ligne en fonction des époques et des générations ?Derrière de telles interrogations existentielles imagées, s’arrime ma propre nécessité pour l’art.Globalement, c’est ce rythme effréné auquel je vois défiler les gens, dans un déplacement incessant d’un endroit à un autre qui me perturbe: comme si le fait de demeurer en place n’était plus à la mode. Voilà ce qui constitue la base de mon questionnement.
REGARDS CRITIQUES SUR LES DIFFÉRENTS TYPES DE TEMPS
Pour plusieurs, le temps nous pèse. Intrinsèquement vissé à nous, il « marque » et impose une «mesure » à nos plus petits gestes comme à nos rêves les plus fous. Il n’est pas aisé de comprendre son fonctionnement ni les rouages subtils qui en font un paradigme d’évaluation de l’existence. À cet égard, le philosophe Norbert Elias, auteur de l’ouvrage Du temps souligne :
Le temps « désigne symboliquement la relation qu’un groupe humain, ou tout groupe d’êtres vivants doué d’une capacité biologique de mémoire et de synthèse, établit entre deux ou plusieurs processus, dont l’un est normalisé pour servir aux autres de cadre de référence et d’étalon de mesure. »Le temps « mécanique » est relié à l’horloge (une minute, deux heures, dix ans, etc.). Le temps «historique et culturel » est lié à l’histoire et aux différentes époques (moyen-âge, époque moderne, époque contemporaine). Le troisième temps est celui qui nous intéresse le plus dans cette présente recherche. Il s’agit de celui qui exprime le temps « vécu », c’est-à-dire celui qui décrit les expériences de vie personnelle d’un être humain, son parcours existentiel, etc.
LA VECTORISATION DU TEMPS
Au même titre qu’Elias, le sociologue québécois Nicolas Moreau, dans son ouvrage intitulé État dépressif et temporalité précise la tension entre deux cycles qui influencent nos conduites/situations dans la vie de tous les jours :
ce qu’on appelle communément le « temps » est, au fond, la relation que nous faisons entre un premier processus (travailler) et un second qui le mesure (lever et coucher du soleil ou encore mouvement des aiguilles d’une montre).L’interconnexion entre les différentes mécaniques de liaisons (entre travail et vérification de l’heure sur une horloge) semble nous rendre de plus en plus obsédés par les millions de choses à faire dans ce qui s’avère être une heure ou une journée. Par le fait même, il se crée un effet de détachement de la nature et de ses rythmes plus inclusifs (je peux accomplir cette tâche entre le lever et le coucher du soleil au lieu de devoir la faire entre 14 h et 15 h, par exemple). Depuis l’ère industrielle, nous sommes devenus des machines. Notre performance personnelle se calcule maintenant en fonction de notre rendement quantitatif et de notre vitesse à accomplir chacune de nos tâches.Pour nous rappeler que l’art n’a cessé d’être en réaction face au système, j’introduis ici l’artiste-performeur, Tehching Hsieh, qui a débuté en 1978, une série de cinq performances en lien avec le temps. Hsieh a affirmé que ces pièces « étaient des luttes, des combats, à la fois contre notre solitude intérieure, contre la machine et contre le monde extérieur ». Chacune de ses performances s’est échelonnée sur une période d’un an. En 1980, lors de sa deuxième performance Clock Piece, c’est le crâne rasé et doté d’une chemise de travailleur que Tehching Hsieh débute son processus. À chaque heure de la journée, il s’oblige à poinçonner un horodateur tout en prenant une photographie de son visage. Entre chaque cycle il sort à l’extérieur, comme un « sans domicile fixe ». Ière à travers la ville, mange ce qu’il peut trouver, pour ensuite revenir, comme un ouvrier et poinçonner sa carte une fois de plus. Cette routine contraignante qu’il s’est imposée pendant 365 jours, se veut une critique de la société industrielle, soit celle qui nous garde et nous enveloppe dans le temps mécanique. Comment ne pas devenir fou à travers toutes ces coupures et ces moments de détachements de la vie concrète?Cette fragmentation de la vie quotidienne, qui nous détache de nos rythmes et de nos comportements les plus innés n’est plus en harmonie avec ce que nous vivons intérieurement (la gestion de nos émotions). Cette coupure d’avec un rythme plus « naturel » amène conséquemment plusieurs dysfonctions et détraquements en société, dont plusieurs problèmes d’ordre physiques et mentaux.
Les problèmes reliés à la santé mentale semblent d’ailleurs avoir pris une ampleur alarmante dans la société. Même si le système de santé gouvernemental tente tant bien que mal de soigner « les blessures », des solutions résident ailleurs, probablement « hors des murs » de l’institution médicale. C’est entre autres le travail qu’accomplit l’organisme Folie/Culture, qui œuvre, depuis 1984, à informer et à sensibiliser la population à des questions en lien avec les problèmes reliés à la santé mentale. C’est en grande partie par le biais de l’art que ces interventions sont réalisées :
Cette position est motivée d’une part par une certaine analogie entre l’expression de la folie et le processus de création artistique qui, l’un comme l’autre, exprime ce qui dans l’être humain résiste à la domestication et dérange les habitudes de penser, de sentir et d’éprouver le réel. D’autre part,
elle traduit aussi la volonté de faire s’écrouler une certaine façon de voir, où ce qui concerne la folie ne serait que l’affaire des fous et de leur médecin traitant, et ce qui concerne l’art, que des artistes et leur public.
LE BESOIN D’ACCÉLÉRER
En 1909, l’artiste activiste Filippo Tommaso Marinetti publiait le Manifeste du futurisme, faisant l’éloge de la vitesse et de la machine : « Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle la beauté de la vitesse »À l’époque, c’est l’émergence de l’avion, de l’automobile et des nouvelles armes de guerre(canons longue portée) et de la machinerie industrielle (chaînes de montage) qui représentent les nouveaux vecteurs de la vitesse et du déplacement. Ce processus d’industrialisation/urbanisation ne cessera d’ailleurs plus à partir de ce moment jusqu’à aujourd’hui. Toute la planète est concernée, ce qui en fait un problème intragénérationnel important. L’automobile, plus spécifiquement, fait miroiter la démocratisation massive de l’accélération du temps pour tous. Ce qui rend cette réalité encore plus excitante, c’est qu’on peut le faire à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
QUAND LE QUOTIDIEN DEVIENT EXTRÊME
À mon avis, c’est une pente solide que nous dévalons à toute vitesse et sans trop prendre le temps de réfléchir sur le pourquoi de cette descente. Pourtant, si l’on prenait un moment pour s’arrêter, nous serions effectivement en mesure d’observer notre surexposition à la technologie. Aujourd’hui, chez un très grand nombre d’individus, il y a rupture évidente avec le système de vie intrinsèque à l’être humain, c’est-à-dire avec les cycles naturels (écouter notre corps, utiliser les ressources brutes de la nature pour se nourrir, se guérir, etc.). C’est en faisant une place plus pondérantes aux entre limites que nous avons établies précédemment que nous entrons dans les extrêmes. Non plus seulement les extrêmes de la culture du spectacle et de l’art, mais aussi (et surtout) ceux
de la vie quotidienne.Autrement dit, dans la vie de tous les jours n’y a-t-il pas une perte généralisée de repères temporels, tant de l’identité collective (mémoire) que de l’identité personnelle (rythme)?
Ce qui est essentiel de se poser comme question ici, à l’intérieur de cette recherche portant sur l’art et sur la place que celle-ci joue dans un processus de de fragmentation est la suivante : comment la dimension artistique permet-elle de réfléchir et d’écouter son corps dans un contexte de quotidienneté? Si le temps est une relation entre deux processus (mécanique et vécu), il faut donc dénoncer l’accélération et la fragmentation du temps. En règle générale, il faut admettre que le processus « mécanique » a pris le devant sur le processus « vécu ». En ce sens, la solution réside dans le rétablissement d’un équilibre (homéostasie) entre les deux processus (mécanique et vécu). L’art nous permet donc de retrouver la complexité d’une existence partagée entre plusieurs temporalités. Elle nous donne un accès privilégié au temps « polychrone » : un temps qui n’est ni perdu ni gagné.
POUR QUELQUES SECONDES DE SENSATIONS FORTES
II est aisé maintenant d’examiner les phénomènes de culture de masse où exploits et sensationnalisme sont en premier plan. Pour quelques instants d’adrénaline, les gens sont prêts à accomplir des gestes qui sortent du registre de la quotidienneté. On n’a qu’à penser aux sports extrêmes, comme le cyclisme de descente, le saut à l’élastique (bungee) ou le « base jumping », activité où un individu utilise un parachute pour sauter dans le vide à partir d’une surface fixe comme un pont ou un gratte-ciel. Certes ces activités procurent des sensations fortes, mais elles sont toutes liées à une sphère détachée des actions habituelles. Ce sur quoi nous portons notre attention dans cette première portion de texte est inhérent à l’état de ce qui se fait chaque jour : la
quotidienneté. Critique du temps ou les sensations fortes se jouent en quelques secondes.
La vie quotidienne est devenue extrême. Ne sommes-nous pas maintenant arrivés au point où il se produit un conflit entre le quotidien (prendre son thé, passer l’aspirateur) et le quotidien extrême (horaires hyperchargés)? Nous serions passés d’un rythme à un autre sans y porter attention. C’est comme en voiture : lorsqu’on accélère, on ressent une sensation qui procure du plaisir. Mais après quelques secondes, la sensation disparaît et on a l’impression que l’on roule à la vitesse à laquelle on roulait précédemment. Ce qu’il ne faut pas oublier avec l’accélération, c’est que les risques d’accident sont beaucoup plus grands et que le retour à une vitesse inférieure est une manœuvre plus complexe à effectuer.
ESPACES DU DEDANS /DEHORS
À l’intérieur de ma recherche, l’intériorité, que je rattache au temps, se veut intimement liée à l’espace (ou au territoire). L’espace qui devient lieu d’expérience à la fois personnelle et collective. Mais, contrairement au temps, qui semble avoir été désacralisé, l’espace, quant à lui, ne l’est pas encore entièrement. Comme nous le dit Michel Foucault dans son allocution Des espaces autres tenue en 1967 lors de la conférence au Cercle d’études architecturales : Certes, il y a bien une certaine désacralisation théorique de l’espace (celle à laquelle l’œuvre de Galilée a donné le signal), mais nous n’avons peut-être pas encore accédé à une désacralisation pratique de l’espace. Et peut-être notre vie est-elle encore commandée par un certain nombre d’oppositions auxquelles on ne peut pas toucher, auxquelles l’institution et la pratique n’ont pas encore osé porter atteinte : des oppositions que nous admettons comme toutes données par exemple, entre l’espace privé et l’espace public ,entre l’espace de la famille et l’espace social, entre l’espace culturel et l’espace utile, entre l’espace de loisirs et l’espace de travail; toutes sont animées encore par une sourde sacralisation
LES PAYSAGES DÉCAPÉS
J’ai élaboré la notion de « paysages décapés » dans mon projet à partir d’une réflexion de Paul Virilio17 , urbaniste et essayiste principalement connu pour ses écrits sur la technologie et la vitesse. Pour ma part, je définis ce « paysage décapé » comme un endroit que l’on a nettoyé en la débarrassant de la couche d’impureté qui y adhère. Par impur j’entends ce qui est déjà rempli de sens, le lieu commun qui ne permet plus la réinterprétation. Pour moi, le paysage décapé rappelle le « non-lieu » défini par Marc Auge dans son ouvrage intitulé Non-lieux, introduction à une anthropologie de la sur modernité : Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu.
DETERRITORIALISATION DE L’ ŒUVRE ET TEMPORALITE :QUELQUES CAS RÉCENTS
Comme nous l’avons vu précédemment, plusieurs artistes ont influencé la nature et le cheminement de mon travail. Toutefois, les créateurs qui m’ont particulièrement touchée sont ceux que j’ai l’occasion de côtoyer, de rencontrer ou simplement de vivre l’exposition. J’ai souvent ce besoin d’établir un contact réel avec l’œuvre ou l’artiste pour que mon énergie créatrice soit alimentée, pour que l’envie naisse. Le travail des artistes auxquels je fais référence dans ce texte est relié à au moins une des dimensions de mon projet : soit la reterritorialisation (l’idée du bâtir ailleurs et autrement) et l’idée du temps, de la lenteur et de l’intériorité comme processus de création vécu. J’incorpore ici deux démarches d’artistes qui travaillent tout particulièrement la question du temps et de l’espace et se trouvent ainsi à avoir des affinités de sens avec ma création.
MASSIMO GUERRERA: LA DURÉE DE L’OEUVRE
La volonté de décloisonnement et de restauration d’un autre rapport entre l’œuvre et le spectateur n’est pas nouvelle en soi. L’art a presque toujours été une question de rapport avec le jugement, avec l’affection d’autrui, et donc avec le regard des autres. Cet autre, qu’il soit critique, amateur ou
modèle à l’intérieur de l’atelier, a permis de développer des formes d’interaction et de réception très diverses à travers les époques et les contextes culturels. Ce rapport à l’intériorité est un espace auquel les artistes ont toujours été attentifs. Ce qu’il y a de spécifique dans les pratiques artistiques aujourd’hui, c’est une volonté d’emprise plus incisive sur le réel, qui veut l’embrasser, le mordre de plus près, aussi délocalisé et temporaire soit-il.
INTÉRIORITÉ D’UN ÉTAT D’URGENCE
C’est le besoin de faire bouger l’art, de l’arrimer aux problématiques sociales, environnementales et politiques de manière à transformer une société capitaliste et refermée sur elle-même en un espace plus ouvert à une réflexion consciente, qui a fait naître l’ATSA – Action Terroriste Socialement Acceptable. Leurs installations, souvent événementielles et hors des murs institutionnels de l’art, sont à la fois imposantes et percutantes. Même si tous les projets se déroulent à l’extérieur, la problématique demeure au niveau humain donc elle est intériorisée. Ce qui m’intéresse avant tout est le fait que même dans un état d’urgence, on peut apercevoir la lenteur et essayer de refragmenter le réel.
CHAPITRE III : LES PAYSAGES DECAPES
Ce troisième chapitre se décline en deux sous-sections. La première présente les étapes de l’évolution temporelle, formelle, théorique et existentielle entamée en 2008 jusqu’au projet final de création cet automne 2010. Tel un processus évolutif ‘work in progress’, on y retrace la genèse et la transformation des deux trames principales composante de mon intervention. La création extérieure – ce que l’on pourrait aussi nommer « la tente »- est décrite dans la seconde partie du chapitre.
POÏÉTIQUE DE CRÉATION ET EXPÉRIENCE EXISTENTIELLE : LES ÉTAPES
À l’intérieur de cette recherche-création, je suis passée par plusieurs chemins pour finalement me rendre compte qu’ils étaient tous reliés les uns aux autres. En rapatriant du matériel qui s’emblait ne plus être pertinent, j’ai pris conscience de l’importance de mon cheminement dans ce projet de fin de maîtrise.
LES PAYSAGES DÉCAPÉS – LE PROJET
Mon projet concerne simultanément un état d’être et une attitude d’éveil, d’écoute, d’accueil (la conscience) et une forme habitable nomade (la tente). La poïétique de l’œuvre prend donc une importance capitale puisque celle-ci (l’œuvre), en elle-même, n’est pas seulement matérielle et tangible; elle se veut aussi transcendante. Ce qui m’intéresse ce n’est pas seulement le résultat, c’est l’idée de vivre tous les processus qui mènent jusqu’à la création d’une forme artistique visible.
LE PROCESSUS DE CRÉATION DE L’OEUVRE
Comme ma recherche porte sur le temps et sur les manières de créer des zones de ralentissement ou des « moments vécus », le processus de création de l’œuvre prend donc une grande importance. Ainsi, chaque étape de développement devient en elle même un « moment vécu ».
Les cinq grandes étapes de production de l’œuvre ont été les suivantes :
1. Le lieu d’occupation
2. L’élaboration de la structure physique
3. L’érection de la tente
4. L’occupation
5. Le rituel-performance
LE LIEU D’OCCUPATION
Quand il a été question de trouver un lieu qui se répondrait adéquatement à l’idée du projet, j’ai d’abord effectué une liste de plusieurs endroits qui semblaient offrir un potentiel intéressant. J’ai examiné chaque lieu selon différents critères (proximité du centre-ville, espace assez vaste) et j’ai finalement opté pour le terrain du presbytère de Chicoutimi. J’ai ensuite entrepris les démarches afin d’obtenir la permission d’occupation des lieux. J’ai soumis mon projet au prêtre responsable de la Cathédrale et il m’a promptement permis d’occuper les lieux pour ma résidence de quatre jours.
Comme le terrain n’appartenait pas à la ville, cela rendait les choses encore plus faciles;
nul besoin d’obtenir des permissions de tous genres. Le terrain choisi était parfait, car il répondait à plusieurs de mes critères de bases; il était situé en plein cœur de la ville et à la vue de toute la population tout en offrant un vaste espace me permettant à la fois d’ériger une structure et de tisser une grande partie du sol.
L’ELABORATION DE LA STRUCTURE PHYSIQUE
En ce qui concerne la fabrication de la structure de la tente, au lieu d’opter pour l’achat de matériaux préfabriqués, j’ai choisi de participer à la production de celle-ci. Une des premières étapes de réalisation du projet a été d’aller recueillir les pôles dans la forêt. Je me suis rendue sur la terre familiale et, avec l’aide de mon père, j’ai recueilli minutieusement les arbres qui allaient ultimement servir à la construction de la charpente. Chacun des arbres a été sélectionné en fonction de sa taille et de sa rectitude.Lors de la première journée de coupe en forêt, nous avons scié (à l’aide d’une scie mécanique) de petites épinettes qui, finalement, se sont avérées trop petites en diamètre.Nous sommes alors retournés en forêt pour sélectionner des arbres plus robustes afin d’avoir une structure permettant de soutenir la tente. C’est également lors de ces sorties en forêt avec mon père que j’ai appris à scier un arbre et à l’écorcher. J’ai essayé de vivre ces nouveaux processus (surtout celui de l’écorchage) comme une sorte de méditation, une prise de conscience de mon être en relation directe avec la matière. Le but était de vivre pleinement le geste.
L’ÉRECTION DE LA TENTE
II est impossible de passer à côté de cette étape de mon projet puisqu’il a nécessité presque une journée complète de travail. Au départ, je ne pensais pas que cette étape du projet prendrait une si grande importance. En effet, il a fallu beaucoup de patience et de coopération pour ériger la structure, qui, au départ, ne paraissait pas aussi imposante.
L’OCCUPATION
C’est au moment où je me suis retrouvée seule, en train d’aménager mon espace intérieur (installer le lit, rentrer le bois, disposer la noumture, etc.) que j’ai vraiment pris conscience de l’importance de cette période de quatre jours. Je m’apprêtais alors à vivre le temps de manière différente, de façon à mettre en perspective les rythmes si effrénés auxquels nous performons notre vie.
LE RITUEL PERFORMATIF
Suite à ces nombreuses heures de tissage, a suivi une soirée événementielle, un vernissage où j’ai invité officiellement à la fois, mes collègues-artistes et la population à venir me rencontrer afin de vivre dans ce « lieu décapé », un « temps-réinventé », c’est-à-dire, une expérience inventée par moi-même et par les autres. J’ai clôturé la soirée par une performance participative ou plutôt une manœuvre, où les spectateurs sont devenus, le temps de l’échange, acteurs de notre temps « vécu», ensemble.
ENTRE PROFANE ET SACRÉ
C’est au fil de ma résidence que j’ai pris conscience qu’il y avait un lien inextricable entre mon habitat profane (la tente) et la structure religieuse (la cathédrale). Au départ, je n’avais pas choisi ce lieu en fonction de sa symbolique religieuse, mais bien pour son emplacement au cœur de la ville. Ce n’est qu’au cours de la tenue de l’événement que les gens ont commencé à voir les deux entités en opposition. De par son imposante carrure et par la symbolique qu’elle représente, il était en effet impossible de faire abstraction de la cathédrale lorsque l’on s’attardait à observer la tente.
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Table des matières
CHAPITRE I : FAIRE PLACE À LA LENTEUR OU L’ART COMME SURVIE
1.1. La genèse : état d’être et positionnement
1.2. Regards critiques sur les différents types de temps
1.3. La vectorisation du temps
1.3.1. Le besoin d’accélérer
1.3.2. Quand le quotidien devient extrême
1.3.2.1. Pour quelques secondes de sensations fortes
1.4. Espaces du dedans /dehors
1.4.1. Les Paysages décapés
CHAPITRE II : DÉTERRITORIALISATION DE L’ ŒUVRE ET TEMPORALITÉ :
QUELQUES CAS RÉCENTS
2.1. Massimo Guerrera: La durée de l’œuvre
2.2. Intériorité d’un état d’urgence
CHAPITRE III : LES PAYSAGES DÉCAPÉS
3.1. Poïétique de création et expérience existentielle : les étapes
3.2. Les paysages décapés – le projet
3.2.1. Le processus de création de l’œuvre
3.2.1.1. Le lieu d’occupation
3.2.1.2. L’Élaboration de la structure physique
3.2.1.3. L’érection de la tente
3.2.1.4. L’occupation
3.2.1.5. Le rituel performatif
3.2.3. Entre profane et sacré
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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