Faire œuvre d’une œuvre : une démarche de création théâtrale 

Faire œuvre d’une œuvre : une démarche de création théâtrale

Ce statut mixte n’est pas sans rappeler celui du texte de théâtre, à la fois œuvre achevée par l’auteurice et matériau de création pour un spectacle. Cette comparaison est essentielle, car au-delà de cette simple ressemblance, les enregistrements sont bien appelés à devenir textes de théâtre. Il apparaît alors judicieux de s’interroger sur la nature du texte de théâtre et de questionner l’œuvre-matériau de l’Encyclopédie de la parole à l’aune des problématiques qu’un tel sujet soulève.

La nécessité de l’identité : introduction de la notion de système

La création humaine ne se fait jamais ex nihilo, on crée toujours à partir de quelque chose. On sculpte avec un bloc d’argile ou de marbre, on peint avec de la peinture, on écrit avec de l’encre (Victor Hugo avait d’ailleurs envisagé d’appeler Notre Dame de Paris, Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre). Il y a une matière initiale que la création transforme. Si l’art conceptuel, comme on l’a évoqué plus tôt, a cherché à s’affranchir toutefois de l’importance de la matière, un art purement immatériel est impossible. Ainsi que le montre le docteur en esthétique Frédéric Guzda, « la question de l’art ne peut se poser sans la question de l’œuvre, même et surtout quand elle affirme devoir s’affranchir de sa nécessité ». Il y a toujours une œuvre : même si c’est une liste de titres d’œuvres jamais écrites, comme pour Cendrars, même si c’est la copie d’un texte, même si c’est l’esquisse d’un geste, ce n’est pas rien. Il y a toujours une matière qui aura été changée, soit dans sa forme (on l’a sculptée, coupée, peinte, on a agencé d’une manière nouvelle des mots qui existaient, etc.), soit dans sa présentation (un urinoir dans un musée, un détournement du nom, une nouvelle conceptualisation de la matière). L’artiste agit toujours, et toujours il transforme. Or on ne constate une transformation que parce que quelque chose est resté identique avant et après cette transformation, comme l’explique Etienne Klein.
Dans la transformation opérée sur la matière lors de la création d’une œuvre, les artistes ne transforment pas tout : la création se fait donc par rapport à quelque chose qui, demeurant intact, permet de constater la nouveauté due à la création. L’Encyclopédie de la parole travaille à partir d’une matière, l’oralité qu’elle pense au moyen d’un système d’entrées qui demeure dans un temps court (d’un enregistrement à l’autre) et long (la première entrée, « Cadences » est toujours en vigueur aujourd’hui). Ce système sert d’appui de création aux Encyclopédistes de deux façons : de manière interne (la grille est son propre socle : certaines entrées naissent d’entrées préexistantes, comme c’est le cas pour « Combinaisons », issue de « Répétitions »), et de manière externe (la grille sert de socle aux spectacles). Effectivement, quand l’Encyclopédie crée un spectacle, elle utilise les documents présents dans sa Collection et se sert des entrées pour jouer sur les formes sonores. Or, comme nous l’avons vu précédemment, ce socle sur lequel s’appuient les Encyclopédistes est particulier : c’est une œuvre d’art.
Le fait de créer un spectacle à partir d’une œuvre d’art n’est pas quelque chose d’inédit. Dans une vision classique que l’on nuancera par la suite, le texte théâtral est une œuvre littéraire achevée qui reste identique à travers le temps, dont on peut citer des répliques, voire des passages entiers pour les plus célèbres d’entre elles.

La nécessité de l’évolution : introduction de la notion de faille

Cependant, si la création est possible parce que quelque chose reste identique, tout ne doit pas rester identique : pour qu’une chose change, il faut qu’elle puisse changer. De même, si un système permet l’évolution, un système trop rigide l’empêche. Le système scientifique intègre par exemple la possibilité d’un changement. C’est ce que propose Dominique Pestre dans son Introduction aux Science Studies . Il évoque Bachelard, Popper ou encore Kuhn, grands noms de l’épistémologie du XXe siècle, qui mettent en valeur l’importance des réfutations ou des corrections dans la construction du savoir scientifique, qui n’est donc pas quelque chose de figé. Régulièrement, il arrive que les scientifiques fassent une découverte qui bouscule ce que l’on pensait jusqu’alors (découverte d’une nouvelle espèce, d’une nouvelle planète, fouilles archéologiques, etc.). Le constat d’un phénomène ne faisant pas partie du système pousse donc à redéfinir le système, soit – pour reprendre Deleuze – à « créer [de nouvelles] fonctions ». Le savoir n’est donc pas pensé comme une masse de granit immuable, mais comme quelque chose qui peut évoluer. C’est le critère de la réfutabilité que développe Popper : une théorie scientifique n’est pas vraie mais non-fausse, c’est-à-dire valide jusqu’à ce qu’une autre théorie ou l’expérience ne vienne l’invalider. Dans cette place laissée au peut-être, à l’incertain, le changement a lieu.
La faille est donc créatrice. Cette mécanique n’est pas l’apanage de la seule science. Un texte théâtral est en effet un objet particulier. Comme le résume Viala, « le théâtre est nécessaire au texte».
Le texte porte donc en lui une forme d’inachèvement. C’est en somme un texte à trous que la scène est amenée à explorer (pourquoi tel personnage dit-il cela ? mais est-ce un personnage ? qu’est-ce que cela fait de dire ce texte écrit ? etc.). C’est justement grâce à ces trous que la mise en scène est possible, puisque « rien n’est jamais vraiment joué, tout reste toujours “à jouer”, et l’on peut raconter l’histoire tout autrement ».
Le parallèle avec le travail de l‘Encyclopédie est assez clair. Comme on l’a vu plus haut, la Collection est en effet une œuvre inaboutie, un système avec de nombreuses failles. La liste des enregistrements qu’elle contient varie sans cesse au même titre que la grille des entrées, dans un mouvement plus lent. Les paroles, sorties de leur contexte d’origine, qui flottent dans un nuage toujours changeant, sont en milieu instable. Ce sont ces instabilités, ces failles qui rendent possible la création théâtrale.

La création : une articulation entre faille et système

On voit ici que faille et système sont également nécessaires à la création. Ni l’un ni l’autre ne prévaut : la création naît donc de leur articulation. C’est en somme ce qu’affirme Mesguich en écrivant :
Mettre en scène, c’est, avant tout peut-être, chercher le rapport le plus fructueux, celui qui le plus donnera à rêver et à penser, entre une écriture, toujours déjà passée (qu’elle date des Grecs anciens ou bien qu’elle ne fût achevée qu’il y a cinq minutes), et le présent.
Alors, en articulant système (texte) et failles (qui permettent au présent d’advenir), le spectacle se crée et n’a de cesse de se créer. Il en va de même pour l’Encyclopédie de la parole : il y a toujours quelque chose qu’elle ne transforme pas dans la matière qu’elle travaille, et quelque chose qu’elle transforme. Il s’agit alors de s’interroger sur la nature de ce qui reste identique et sur celle de ce qui change. Le système de l’Encyclopédie de la parole, comme on l’a évoqué auparavant, se compose de la grille d’entrées et des enregistrements, c’est-à-dire, en un mot, de la Collection. Or cette Collection est l’essence même de l’Encyclopédie de la parole, c’est ce qui la définit, son identité : par un jeu d’éponymie d’une part, et parce qu’elle constitue son travail de fond d’autre part. L’identité de l’Encyclopédie de la parole est forgée par ses penchants scientifiques qui lui permettent par exemple de définir des entrées qui restent inchangées treize ans après leur création, comme c’est le cas de « Cadences ». Cette Collection n’est cependant pas une masse immuable : la grille d’entrées évolue, de nouveaux enregistrements apparaissent. En créant, les Encyclopédistes donnent vie à leur base de données. Or cette vie n’est possible que parce que le système de la Collection comporte des failles sans lesquelles elle resterait inchangée. Si la base de données prend vie grâce à la faille, on pourrait alors s’interroger sur la nécessité du système – qui n’est pas vivant – autour de la faille. Or la présence d’un système, inerte, rend, par comparaison, l’écoulement du vivant à travers la faille plus visible. Prenons l’exemple d’un bassin d’eau : le bassin, inerte, représente le système, tandis que l’eau, l’élément mobile, représente le vivant. Si le bassin est absolument étanche, l’eau ne s’écoule pas : l’eau ne s’écoule que s’il y a une faille dans une paroi du bassin. Par ailleurs, si l’eau n’est pas retenue dans le bassin, elle s’écoule tout d’un coup jusqu’à ne plus bouger et former une flaque. C’est donc la présence du bassin qui garantit un
mouvement de l’eau. La force avec laquelle l’eau s’écoule est comparable au Trieb, cette force vitale du désir que Jean-François Lyotard développe dans Discours Figure.
Le Trieb est comme une éruption volcanique qui vient perforer le système du langage et devient créatrice, par exemple, de lapsus. Ainsi la rigueur de la démarche de l’Encyclopédie de la parole canalise l’activité créatrice de cette dernière pour lui donner plus de force. Cette articulation est assez caractéristique du fonctionnement du collectif. Quand, pour créer un spectacle, les Encyclopédistes ne trouvent pas l’enregistrement qui leur convient au sein de la Collection, iels vont en collecter un nouveau spécialement pour l’occasion. Ainsi les manques de la base de données ne sont pas un frein pour le théâtre, mais, au contraire, incitent au travail de collecte qui est le fondement même du processus créatif de l’Encyclopédie . L’enregistrement collecté viendra en retour compléter la Collection.

Des outils…

Cet univers sonore ne se présente pas sans clefs. La Collection de l’Encyclopédie de la parole désigne à la fois les documents assemblés et la grille d’entrées qui l’ordonne. En effet, ces entrées sont de véritables outils pour appréhender la parole. Sur le site Internet, l’écoute est libre, mais elle est toujours, si ce n’est guidée, du moins accompagnée par les entrées : leur onglet est mis en valeur lorsqu’un document qu’elles contiennent est écouté.
La base de données propose chaque fois de prendre conscience, pour mieux les reconnaître, des phénomènes audibles. Il ne s’agit toutefois pas de lister de manière exhaustive tous ces phénomènes mais de nommer les plus « remarquables », pour reprendre le critère des Encyclopédistes. Chaque document n’est pas rattaché à toutes les entrées auxquelles il pourrait prétendre, mais uniquement à celle(s) qui semble(nt) la (les) plus évidente(s) : toute parole a un timbre particulier, mais certains timbres sont plus marquants . De ce fait, si un document est affilié à une entrée, cela ne veut pas dire qu’on n’y entend pas d’autres phénomènes sonores, mais qu’on y entend particulièrement un phénomène.
Outils pour l’écoute, les entrées sont également des outils pour l’écriture des partitions des spectacles. Elles jouent un rôle important lors de la collecte des enregistrements, comme celle qui a lieu en amont de chaque version de Jukebox en collaboration avec des habitant∙es de la ville où se jouera le spectacle. Tandis que les bénévoles fournissent des enregistrements qui leur semblent être représentatifs de leur ville, les Encyclopédistes qui animent les ateliers apportent leur expérience quant à l’intérêt formel des matériaux, en faisant référence notamment, et ce de manière régulière, aux différentes entrées de la Collection. En s’appuyant sur ces références qu’iels manient avec habitude, iels peuvent juger s’il est judicieux ou non de garder tel ou tel enregistrement dans la sélection finale. Il ne s’agit bien évidemment pas de critères de validité, mais plutôt de guides, de points de repère pour mieux appréhender la parole. Les entrées, puisqu’elles font partie intégrante de la collecte, qui, comme le rappelle Valérie Louys , caractérisent le processus de création de l’Encyclopédie, sont bien au cœur de sa démarche artistique. Regardons maintenant d’un peu plus prêt ce qui constitue le résultat de la collecte : la partition des spectacles. Prenons par exemple celle de Parlement et demandons-nous à quelles entrées sont affiliés les documents qui la composent. On remarque que dans le premier mouvement, intitulé « Legato », près d’un quart de la quarantaine de documents est classé dans « Répétitions », alors qu’il n’y en a aucun parmi les neuf enregistrements du second mouvement, « Staccato ». Les noms des mouvements reprennent des termes italiens utilisés en musique pour désigner une manière de jouer : legato (de façon liée, sans détacher les notes), et staccato (de façon saccadée, en détachant les notes). Si le phénomène de répétition peut marquer un arrêt dans la pensée de la phrase, elle peut être aussi formellement un moyen d’avancer dans la parole. Le principe de l’anaphore en est l’exemple même : répéter un même terme pour mieux le déployer. En cela, la répétition produit une continuité dans la parole, elle en relie les éléments autour d’un axe. En jouant sur ce principe, la partition incite Emmanuelle Lafon, l’interprète, à jouer legato. Dès le début du spectacle, deux répétitions se suivent, « Ja ja ja ja / succède au /ja/ comme pour mieux lier les documents entre eux. L’absence de répétitions pour le staccato est tout autant significatif.
Outils pour appréhender l’écoute de la parole, ces entrées sont donc aussi des outils pour composer avec elle. La Collection offre donc aux Encyclopédistes les moyens de se saisir elle-même. Que ce soit en reprenant ses enregistrements ou en reprenant ses entrées, les spectacles de l’Encyclopédie mobilisent et activent cet univers sonore.

pour sculpter

Cependant, les spectacles ne brassent pas l’ensemble de la Collection. On n’y entend jamais le millier de documents que comporte la base de données – ce serait impossible –, mais seulement une partie. De même, on l’a vu plus haut avec L’Encyclopédiste, ils n’explorent pas toujours les grandes régions de ce monde sonore.
Enfin, s’ils puisent certains des documents qui les composent dans la Collection, une bonne partie – et souvent la plupart – est collectée à l’occasion de la création de ces spectacles.
Ainsi, bien qu’ils s’inscrivent pleinement dans la démarche de la Collection, ils en sont également relativement indépendants. Ceci est permis par l’inachèvement ontologique de la base de données. Bien qu’il n’en soit pas un, cet univers sonore partage là encore des traits avec les univers fictionnels qui sont « fondamentalement incomplets ». Or, comme l’explique le spécialiste des séries qu’est Esquenazi dans la suite de son article.
On retrouve ici l’articulation entre faille et système : la création d’une nouvelle œuvre est permise par la présence d’un univers préexistant qui lui donne un cadre, mais dont l’incomplétude permet la réinvention. Chaque spectacle propose une nouvelle facette de la parole telle qu’elle est perçue par les Encyclopédistes. Cette facette n’est pas seulement montrée, mais créée par le spectacle puisque c’est par lui que la Collection est renouvelée. Là encore le procédé est voisin de celui des séries où « chaque événement narratif possède […] un pouvoir performatif : tout énoncé textuel ajoute un événement à l’univers fictionnel ». C’est donc bien ici le spectacle issu de la Collection qui se retourne et agit sur elle. S’il peut agir ainsi, c’est bien parce qu’il s’en est détaché pour être une œuvre à part entière. Le spectacle est donc indépendant de la Collection comme la sculpture, en devenant œuvre d’art, s’est détachée du bloc d’argile dont elle est pourtant composée.
Cet univers sonore est en somme à la fois le minerai et les outils dont les Encyclopédistes s’emparent pour sculpter d’autres œuvres sonores, leurs spectacles.

La question du rapport son/sens

Les Encyclopédistes, et Joris Lacoste en premier, martèlent que la forme prévaut tant en ce qui concerne le théâtre que la parole. Cependant, cette idée répétée comme un mantra, une prière qui porte l’espoir que ce but soit atteint, témoigne à la fois explicitement et implicitement de la difficulté de mettre à l’écart le signifié. Il est toujours là, et Joris Lacoste le concède : le sens n’est pas laissé de côté, il est présent au sein de chaque enregistrement. Il s’agit ici de voir comment et pourquoi, ainsi que de s’interroger sur la manière dont les enregistrements peuvent faire sens au-delà du simple énoncé.

Revaloriser la forme

Les Encyclopédistes s’intéressent à la forme de la parole, aux phénomènes sonores. Il leur faut pour ce faire isoler la forme du contenu. Ce dernier a en effet tendance à occulter la première à l’oreille d’un auditoire. Malgré cela, la base de données met l’oralité en évidence. Celle-ci, dans la Collection, se détache alors du contenu pour former une véritable matière sonore.

L’obnubilation par la signification

Le désir des Encyclopédistes de mettre l’accent sur la forme sonore de la parole se heurte à un problème que Joris Lacoste nomme « la tyrannie du sens » : « le sens passe toujours en premier. C’est possible, mais difficile, d’en faire abstraction. » Il développe ici l’idée que lorsque l’on écoute quelqu’un parler, on a tendance à ne se focaliser que sur le « contenu, c’est-à-dire [le] texte, ce que l’on peut transcrire, et ce qui reste une fois que l’on a transcrit une parole », aux détriments de sa forme et de ses aspects sensibles. Il convient d’interroger cette idée qui semble essentielle dans la démarche du collectif puisque Joris Lacoste l’évoque à plusieurs reprises de manière explicite, et qu’elle semble être un point de départ : l’Encyclopédie de la parole est « un dispositif [qui a été] créé pour écouter différemment la parole ». Il s’agit bien en effet d’écouter (qui renvoie traditionnellement.

Classification et multilinguisme : les outils de la dissolution du sens

Les principes même de collection et de classification proposent en effet de pallier cet écueil. Les enregistrements permettent tout d’abord de réécouter une parole qui a été prononcée, ce change la manière dont on l’écoute. Il devient alors possible de s’arrêter sur la façon dont une parole est dite. L’enregistrement préserve l’éphémère et, en cela, la base de données s’avère très précieuse. En effet, certains documents qu’elle contient ne sont pas issus d’une sphère que l’on pourrait qualifier de publique (contrairement à d’autres provenant de films , de disques, d’Internet, etc., qui existaient avant que les Encyclopédistes ne les collectionnent et sont accessibles sur leur support d’origine), et dont la forme sonore n’a pas été travaillée (contrairement à des poèmes sonores , par exemple – cette catégorie est indépendante de la première et peut renvoyer à des enregistrements similaires ou non). Ces documents ont été pris sur le vif par les Encyclopédistes sans qui ces paroles auraient disparu. Ainsi, Valérie Louys immortalise un jeu de virelangue lors d’un dîner . Sans cet enregistrement, la cacophonie causée par ces paroles qui s’entrecroisent aurait disparu. Il n’en reste plus que le son, qui, seul témoin de ce passé, s’impose à notre perception. De la même manière, les documents issus de vidéos sont réduits à leur son et, la personne qui les écoute, comme aveugle, n’a d’autre sens en éveil que l’ouïe, alors attentive à la moindre inflexion sonore.
Par ailleurs, le fait de multiplier les enregistrements permet de mettre d’autant plus en valeur la forme sonore. Effectivement, confrontés les uns aux autres, leurs points communs ressortent, selon un procédé semblable à celui du diagramme de Venn . Prenons par exemple des enregistrements que tout semble opposer : « Tu es mon autre », extrait d’une vidéo YouTube, de date inconnue et durant laquelle une femme prononce des paroles affectueuses, « Un croc de boucher » dans lequel Dominique de Villepin exprime face à la presse toute la violence de sa relation avec Nicolas Sarkozy, et enfin « La mort », dans lequel on entend toute la verve de Lacan en conférence à l’Université de Louvain. Ces documents sont donc tout à fait différents : les conditions d’enregistrement ne sont pas les mêmes, les énoncés divergent, les contextes d’énonciation aussi, etc. Ils ont toutefois le point commun de faire entendre des paroles avec des pauses, du silence : ce que les Encyclopédistes appellent espacement. Les documents se côtoyant dans l’index de l’entrée éponyme, ce point commun est alors mis en valeur. La confrontation des paroles permet donc de faire la lumière sur les phénomènes sonores.

Composer avec l’irréductibilité de l’énoncé

Malgré la volonté affichée par l’Encyclopédie et les moyens qu’elle met en œuvre, il semble difficile d’éradiquer l’énoncé d’une parole puisqu’il en constitue un des éléments essentiels. Nous observerons ici les endroits où la signification résiste et étudierons la façon dont l’Encyclopédie en tient compte.

L’impossibilité d’isoler la forme

Si c’est la base de données dans sa totalité qui permet de mettre en valeur la forme sonore, il est assez clair, en voyant le nuage composé de points qui la figure, qu’elle ne réduit pas à néant les parties dont elle résulte. Celles-ci gardent en effet leur existence propre. La Collection s’entend d’ailleurs seulement un enregistrement à la fois. On peut bien sûr en écouter plusieurs à la suite, les comparer, ne pas écouter un enregistrement en entier, etc., mais on ne peut passer outre l’enregistrement dans son unité. On voit poindre ici le paradoxe sorite : combien faut-il d’enregistrements pour composer le nuage sonore ? Un enregistrement isolé ne constitue pas un nuage, l’ajout d’un autre enregistrement isolé ne transforme pas ce non-nuage en nuage, et ainsi de suite. Or, on l’a vu plus haut,l’isolement du signifiant est intimement lié à la considération de la Collection dans son ensemble, et cela semble impossible en pratique puisque l’on en revient toujours à l’unité de l’enregistrement. Ces documents sont de plus titrés, c’est-à-dire qu’on y fait référence par le biais d’un groupe de mots écrits. S’ils sont figurés comme des carrés au sein du nuage, ce sont bien leurs titres qui sont affichés dès lors qu’on les écoute ou que l’on parcourt l’index d’une entrée. Ainsi, c’est un extrait de l’énoncé qui nous est donné de lire avant qu’on en entende la forme sonore.
Par ailleurs, si le statut de document coupe la parole de son énonciation corporelle pour en faire un code informatique qui correspond à une bande sonore, le contexte dont elle est tirée ne disparaît pas. En effet, chaque document est référencé et le site indique toujours (sauf quelques rares exceptions) qui parle, où, à qui, et parfois même qui a enregistré. La présence de ces informations relie la parole à son énonciation première, la replace dans son contexte, et nous permet de mieux la comprendre. Pour le document « Un croc de boucher », il est spécifié que Dominique de Villepin s’exprime dans le cadre « d’une déclaration à la presse en marge du procès Clearsteam ». Cette information est bien loin d’une remarque sur la forme sonore de la parole. Elle ancre au contraire cette dernière dans une affaire politico-financière célèbre, marquée par une grande violence entre les parties impliquées. Or, si l’on entend dans la manière de parler de l’ancien premier ministre toute sa colère, la violence de ses propos s’exprime au moins autant dans l’énoncé dont le titre du document donne un aperçu avant même de l’écouter.

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Table des matières
INTRODUCTION 
CHAPITRE PREMIER – FAIRE ENTENDRE LA PAROLE 
I. UNE PAROLE SPECIFIQUE
A. Un phénomène sonore
B. Une définition de la parole née du phénomène sonore
C. Élever la parole au rang d’art
II. LA MATIERE PREMIERE DES SPECTACLES
A. Une œuvre-matériau
B. Faire œuvre d’une œuvre : une démarche de création théâtrale
C. Une œuvre-minerai dans laquelle l’Encyclopédie vient creuser
III. LA QUESTION DU RAPPORT SON/SENS
A. Revaloriser la forme
B. Composer avec l’irréductibilité de l’énoncé
C. Le signifiant significatif
CHAPITRE DEUX – RENOUVELER LES FORMES SPECTACULAIRES 
I. L’APPEL DE LA MUSIQUE
A. Une porte vers la forme sonore
B. Une composition musicale
C. Vers des spectacles musicaux ?
II. LE QUESTIONNEMENT DE LA NOTION DE PERFORMANCE
A. Un acte de mise en scène théâtrale
B. Une dramaturgie de la parole
C. Parole et performance
III. LA POSITION DES INTERPRETES
A. Un statut qui évolue
B. Quelle place pour l’interprétation ?
C. Une performance virtuose
CHAPITRE TROIS – ALLER VERS L’ABSOLU 
I. CE NE SONT PAS DES PRINCIPES ABSOLUS
A. La forme pour la forme
B. La forme contre la forme
C. Un formalisme non absolu
II. QUELLE PLACE POUR LE PUBLIC DANS LA RADICALITE ?
A. Des spectacles opaques ?
B. Un public central
C. Un processus progressif : vers le théâtre de parole absolu
III. VERS UN AUTRE MOMENT DE PAROLE
A. L’aboutissement de la tétralogie
B. Ce n’est pas du théâtre de parole absolu
C. Questionner absolument la parole par le théâtre
CONCLUSION 
ANNEXES – PAROLES DE L’ENCYCLOPEDIE 
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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