L’infection et le sepsis constituent un défi de santé et une cause majeure de mortalité dans le monde (1). La mortalité hospitalière est de 30% chez les patients présentant une infection avérée ou suspectée (2). Plus des deux tiers des patients en réanimation reçoivent une antibiothérapie (3). Un traitement antibiotique inadapté est associé à un taux de mortalité plus élevé (4). Une identification microbiologique est retrouvée dans environ 65% des cas. Le retard à l’instauration d’un traitement antibiotique adapté à la dose appropriée apparaît comme un risque de mortalité hospitalière (4–6).
Les bêtalactamines sont la classe d’antibiotiques la plus couramment utilisée en réanimation (7). Toutefois, l’utilisation des bêtalactamines dans les unités de réanimation est complexe en raison de la grande variabilité des paramètres pharmacocinétiques (PK) et pharmacodynamiques (PD) observés dans cette population. En effet, les patients de réanimation diffèrent des autres patients de par la gravité de leur état clinique et la fréquence des résistances bactériennes aux antibiotiques observées.
Sur le versant PK, on observe principalement une augmentation du volume de distribution associée à une modification de la clairance rénale (augmentation ou diminution), responsables de variations des concentrations d’antibiotiques circulants et, potentiellement d’un échec thérapeutique et/ou d’une toxicité. En effet, la modification du volume plasmatique ainsi que l’augmentation de la perméabilité vasculaire dans un syndrome inflammatoire secondaire sont à l’origine d’une augmentation significative du volume de distribution. L’hypoalbuminémie est également impliquée. Elle conduit à une augmentation de la fraction libre du médicament (non lié aux protéines) augmentant ainsi la distribution de ces molécules à travers les tissus (8). De plus, les antibiotiques hydrophiles sont principalement éliminés par voie rénale sous forme inchangée et l’augmentation de la clairance entraîne une diminution de leurs concentrations plasmatiques. L’ensemble de ces facteurs entrainent une diminution des concentrations plasmatiques en bêtalactamine avec un risque accru de sous‐dosage (9). Afin de compenser cette variabilité, il est important d’optimiser individuellement le traitement par bêtalactamine chez les patients de réanimation (10,11).
Sur le versant PD, on observe un nombre important de résistance bactérienne aux bêtalactamines dans la population de réanimation, notamment pour la classe des entérobactéries (12). Ces résistances bactériennes sont responsables d’une augmentation de la mortalité dans cette population (3,13).
Dans ce contexte, une cible PK‐PD a été définie par le pourcentage du temps pendant lequel la concentration plasmatique d’une bêtalactamine était supérieure à un multiple « k » de la concentration minimale inhibitrice (CMI) de la bactérie responsable (%T > k × CMI) (14). De plus, l’imprévisibilité de la concentration en antibiotique à l’état d’équilibre doit être prise en considération en préconisant une surveillance thérapeutique des médicaments par la réalisation de dosages plasmatiques (15). En effet, il a été montré que l’atteinte d’une cible pharmacodynamique optimale pour les bêtalactamines améliore l’évolution clinique (9). Par ailleurs, les modalités d’administration des bêtalactamines ont un impact sur l’atteinte de l’objectif PK‐PD. De multiples études pharmacocinétiques cliniques retrouvent un intérêt de la perfusion continue en bêtalactamine en termes de concentration plasmatique et de diffusion au site d’infection (16,17).
Données et modalités du dosage
Les variables démographiques ont été recueillies de manière rétrospective sur un fichier informatique. Le temps 0 (T0) a été fixé dès que l’antibiothérapie a été instaurée pendant le séjour en réanimation. Plusieurs variables biologiques ont également été recueillies : l’hématocrite (%), l’albuminémie (g/L), la lactatémie (mmol/L), la créatininémie (mmol/L), la clairance de la créatinine (ml/min) et la clairance de la créatinine indexée à la surface corporelle (CCI, ml/min/1.73m2). Pour estimer le débit de filtration glomérulaire (DFG), les récentes recommandations Françaises recommandent de calculer la clairance de la créatinine de la façon suivante : Ucréat × V/Pcréat, « Ucréat » étant la concentration de la créatinine urinaire (mmol/L) mesurée sur un échantillon d’urine prélevé sur une période d’au moins une heure, « V » le volume urinaire exprimé en mL par unité de temps et « Pcréat » la concentration de la créatinine plasmatique (en mmol/L) (22). Le score de gravité simplifié 2 (IGS2) a été recueilli à l’admission en réanimation (23). Le score SOFA (Sequential Organ Failure Assessment) a été calculé à T0 (24). Le recours à une épuration extra‐rénale a également été reporté. La mortalité à 28 jours et la durée moyenne de séjour en réanimation ont été recueillis.
La concentration plasmatique en bêtalactamine a été déterminée à J1 et J5 après le début de la perfusion continue d’antibiotique et comparée à la cible PK‐PD. Cette cible était définie par l’atteinte de l’objectif d’un pourcentage de temps pendant lequel la concentration plasmatique totale en bêtalactamine était supérieure à 4 fois la concentration minimale inhibitrice (CMI) du germe incriminé, égal à 100% (%T > 4 × CMI = 100%).
La CMI est un paramètre essentiel pour déterminer si la cible PK‐PD est atteinte. L’EUCAST (European Committee on Antimicrobial Susceptibility Testing) référence la distribution des CMI pour les différents micro‐organismes (bactéries et champignons) et les agents antimicrobiens. Lorsque la CMI n’est pas déterminée spécifiquement pour la souche isolée, l’utilisation d’une CMI critique épidémiologique permet de couvrir l’ensemble des CMI des souches de phénotype sauvage. Il s’agit en Europe de l’ECOFF (EUCAST epidemiological Cut‐ OFF) correspondant à la CMI la plus élevée des souches sans mécanisme de résistance phénotypiquement exprimé. Dans le cas d’une prescription probabiliste (i.e. documentation bactériologique non encore disponible) ou en cas d’infections non documentées (i.e. absence de prélèvement microbiologique ou prélèvement non contributif), la valeur de l’ECOFF définie par l’EUCAST (25) la plus élevée pour les principales bactéries habituellement incriminées dans l’infection considérée est à utiliser (CMI non spécifique d’espèce). Dans le cas d’une infection documentée, mais avec une CMI de la bactérie identifiée en culture non disponible, l’ECOFF pour cette espèce bactérienne est à considérer (CMI spécifique d’espèce). Lorsque la culture était disponible, une CMI vraie de la souche bactérienne isolée (obtenue par microdilution ou E‐test) était utilisée.
Notre étude a analysé l’impact de différents facteurs de variabilité dans l’atteinte des cibles PK‐ PD au cours d’une perfusion continue en bêtalactamine chez les patients de réanimation. La perfusion continue en bêtalactamine permet dans notre étude une atteinte plus aisée des cibles PK‐PD. De plus, la connaissance du statut microbiologique apparait comme un atout dans l’atteinte de ces mêmes cibles. Nous avons mis en évidence que la CCI était un facteur indépendant associé au sur‐dosage en bêtalactamine. Enfin, nous avons observé un écart significatif entre le RI avec la CMI spécifique d’espèce (ECOFF) et la CMI vraie.
Nos résultats sont conformes à ceux rapportés dans la littérature. Plusieurs études retrouvent une amélioration de l’atteinte des cibles PK‐PD avec l’administration continue de bêtalactamine ainsi qu’une meilleure guérison clinique chez les patients de réanimation (9,17,26). Un essai randomisé sur la perfusion continue de céfotaxime chez des patients de réanimation a montré un taux de normo‐dosage de 90 % contre 50 % pour la perfusion intermittente (27). L’étude BLISS (Beta‐lactam Infusion in Severe Sepsis) a retrouvé une meilleure guérison clinique à 14 jours après l’arrêt de l’antibiothérapie et une augmentation significative du nombre de jours sans ventilation mécanique dans le groupe de patients ayant reçu une perfusion continue en bêtalactamine (17). La méta‐analyse réalisée par Roberts et al. en 2016, a montré une amélioration significative de la guérison clinique chez les patients traités par perfusion continue en bêtalactamine en réanimation (RR 1,40 [1,05‐1,87]) (28). La méta‐analyse la plus récente menée par Lee et al, qui comprenait 13 essais contrôlés randomisés portant sur des patients en soins intensifs souffrant d’infections respiratoires, a montré une amélioration en termes de guérison clinique chez les patients septiques et chez les patients à haut risque de mortalité bénéficiant d’une perfusion continue en bêtalactamine (29). De plus, l’administration d’une perfusion prolongée de pipéracilline/tazobactam a été associée à une réduction de la mortalité dans diverses cohortes de patients de réanimation (30).
La réalisation de dosage plasmatique pour la surveillance de la perfusion de bêtalactamine semble être un outil pertinent pour optimiser l’atteinte de la cible PK‐PD (14,31). Le dosage plasmatique en bêtalactamine est facilement réalisable au lit du patient avec une visualisation plus fine de l’index thérapeutique en termes de pharmacologie (32). Richter et al. ont montré que l’utilisation de dosage plasmatique pour la perfusion continue de bêtalactamine était un moyen efficace pour améliorer l’atteinte des cibles PK‐PD (33). L’identification microbiologique au cours de la perfusion continue en bêtalactamine améliore l’atteinte de la cible PK‐PD chez les patients de réanimation. Nous avons observé dans notre étude un RI moyen significativement plus élevé chez les patients ayant une identification microbiologique avec de surcroit une CMI sensiblement plus basse. Une méta‐analyse a mis en évidence une amélioration significative de la guérison clinique grâce à la perfusion continue chez des patients de réanimation atteints de pneumonie nosocomiale à bactéries à Gram négatif (BGN) (34). De plus, la perfusion continue de bêtalactamine pour traiter une infection à BGN non fermentant a amélioré la survie globale des patients (28). Les infections acquises en réanimation sont fréquemment dues à des bactéries résistantes et exposent à un risque élevé d’échec thérapeutique (2). Elles sont, de façon indépendante, associées à un risque de mortalité plus élevée que les infections communautaires. L’identification des microorganismes responsables est d’autant plus importante si celui‐ci a développé une résistance aux antibiotiques. Ainsi, la réalisation d’un dosage plasmatique peut aider le clinicien dans sa prise en charge initiale pour la prescription d’une perfusion continue en bêtalactamine (14).
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Table des matières
RESUME
INTRODUCTION
METHODES
DESIGN DE L’ETUDE
POPULATION ETUDIEE
DONNEES ET MODALITES DU DOSAGE
CRITERES DE JUGEMENT
ANALYSE STATISTIQUE
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
ANNEXES
REFERENCES
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