Mise en contexte
La fatigue des métaux est un phénomène souvent méconnu qui est responsable d’environ 75% des bris de pièces en service [1]. Ce type de rupture est notamment le cas lorsqu’il est question de structures tubulaires soudées soumises à des chargements cycliques aléatoires, telles que les cadres de vélo d’aluminium. Les concentrations de contraintes, ainsi que les défauts de microstructure font de la base des soudures des sites d’amorçage de fissure préférentiels .
Cycles Devinci inc. est une PME Québécoise qui conçoit et fabrique des cadres de vélo en aluminium depuis une vingtaine d’années. Sa gamme de produits couvre l’ensemble des segments de l’industrie cycliste, de la route à la montagne. L’entreprise investi beaucoup en recherche et développement afin d’améliorer constamment ses produits. L’entreprise a notamment mené à terme des projets d’acquisition de données sur le terrain avec des vélos instrumentés et possède un laboratoire d’essais de fatigue.
Les critères de conception des cadres utilisés par ses ingénieurs étaient autrefois guidés par la limite d’écoulement élastique du matériau en régime statique, ce qui nécessitait un facteur de sécurité important. Dans une optique d’optimisation toujours plus poussée de ses cadres, Devinci désire maintenant se tourner vers des critères de dimensionnement tenant compte de l’endommagement par fatigue, ce qui permettrait de diminuer le facteur de sécurité et de diminuer le poids des cadres. À cette fin, l’entreprise a mis de l’avant un projet de maîtrise à incidence industrielle en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi et !e Centre des technologies de l’aluminium.
Ce mémoire présente les travaux effectués au cours de ce projet, ainsi que les résultats obtenus. Des recommandations y sont proposées afin de faciliter l’application de la méthode chez Cycles Devinci et un exemple concret d’optimisation d’un cadre de vélo est finalement traité.
Problématique
Un cadre de vélo d’aluminium est une structure tubuîaire soudée complexe. La géométrie des joints parfois défavorable, le diamètre et l’épaisseur variables des tubes, ainsi que la présence de certains défauts de soudure rendent les calculs de résistance structurale relativement complexes. De plus, ces structures sont soumises à des cas de chargement cycliques d’amplitude variable tels que les efforts de pedalage et les impacts aux moyeux, ce qui rend les calculs d’estimation de la durée de vie en fatigue également complexes.
Des outils modernes de conception assistée par ordinateur tels que la simulation dynamique et la méthode des éléments finis sont utilisés par Devinci afin de faciliter les calculs de résistance statique. De plus, l’entreprise possède des données acquises sur le terrain à l’aide de vélos instrumentés de montagne [https://www.chatpfe.com] et de route. Devinci connaît donc avec assez d’exactitude les cas de chargement réels appliqués sur les cadres. Malgré cela, l’entreprise ne possède pas de méthode éprouvée de prédiction de la durée de vie en fatigue applicable au cas typique des cadres qu’elle fabrique.
Plusieurs méthodes de calcul de la durée de vie en fatigue de structures soudées sont présentées dans la littérature scientifique. Ces méthodes ont majoritairement été développées dans les industries aéronautique, automobile et maritime. Par contre, peu d’entre elles portent sur le cas spécifique des tubes à parois minces (e«1,5 mm, D«40 mm) typiquement utilisés dans la fabrication des vélos. Il existe également certaines données relatives au comportement en fatigue des alliages d’aluminium couramment utilisés en industrie. Toutefois, celles-ci sont la plupart du temps obtenues par des essais sur des éprouvettes normalisées, peu représentatives des geometries de jonction des tubes, du type de soudure, du fini de surface, ainsi que du traitement thermique utilisés chez Devinci.
Fatigue des métaux : généralités
Définitions
La fatigue des métaux est définie comme l’endommagement provoqué par la répétition de sollicitations mécaniques à des valeurs de contraintes inférieures à celle nécessaire à la rupture statique d’une pièce. Cette notion de « fatigue » est apparue vers 1850, suite à la rupture répétée d’axes de trains. Le phénomène a intrigué i’Allemand August Wôhler, qui fut l’un des premiers à étudier la fatigue. La méthodologie qu’il a développée est toujours utilisée de nos jours [3].
La nature cyclique du chargement causant l’endommagement par fatigue est définie par des paramètres précis .
Comportement d’un matériau en fatigue : courbe de Wôhler
La tenue en fatigue d’un matériau est généralement représentée à l’aide d’une courbe de Wôhler, également appelée courbe de fatigue ou courbe S-N (contrainte – nombre de cycles). Cette courbe contient la valeur de contrainte alternée ou d’amplitude totale constante nécessaire à la rupture ou à l’initiation de fissure pour un nombre de cycles donné.
Une courbe S-N est obtenue expérimentalement par des essais de fatigue où plusieurs éprouvettes sont soumises à des chargements cycliques jusqu’à un critère d’arrêt prédéfinit (amorçage de fissure, rupture, diminution de rigidité, etc). La courbe proprement dite représente l’ensemble des valeurs de durée de vie moyennes (50% de probabilité de survie) pour chaque niveau de contrainte. Dans les standards de calcul et les normes de dimensîonnement en fatigue, on retranche habituellement deux écartstypes à la valeur moyenne afin de tenir compte de la dispersion de données de façon sécuritaire. La courbe ainsi obtenue représente une probabilité de survie de 95% [4]. Différentes valeurs de contrainte sont nécessaires afin de couvrir une plage de nombre de cycles prédéfinie, typiquement entre 10⁴ et 10⁸ cycles.
Philosophies de conception en fatigue
La conception d’une pièce en fatigue repose sur deux notions primordiales : la philosophie de conception et la méthode de conception. La philosophie de conception conditionne l’objectif à atteindre. Ainsi, différentes philosophies entraîneront différentes durées de vie et différents degrés d’optimisation. Les cinq philosophies de conception généralement reconnues sont présentées ci-dessous :
1. Vie infinie (Infinite life) : les contraintes appliquées sont toujours inférieures à la limite d’endurance ou à la limite d’endurance conventionnelle (vie quasi-infinie) ;
2, Vie sécuritaire (Safe life) : conception pour une durée de vie finie. La contrainte maximale correspond à celle attendue pour la durée de vie escomptée. Cette durée de vie correspond généralement à l’amorçage de fissure. Cette philosophie est celle utilisée dans les codes de dimensionnement en fatigue [7, 8] et par l’industrie automobile [9] ;
3. Rupture sécuritaire (Fail safe) : approche développée par l’industrie aéronautique admettant qu’une fissuration limitée ou la rupture de certaines pièces n’est pas critique pour la structure complète. Elle nécessite des inspections régulières et des données sur les caractéristiques de propagation de fissure du matériau utilisé ;
4. Tolérance au dommage (Damage tolerant) : raffinement de l’approche de rupture sécuritaire. Cette philosophie admet la présence de fissures aux endroits critiques dès le départ. La taille initiale de ces fissures est la longueur maximale ne pouvant être détectée par les méthodes d’inspection. Des inspections périodiques sont à prévoir afin de vérifier l’état de propagation des fissures jusqu’à la taille critique prévue par la mécanique de la rupture ;
5. Pratique courante (Good practice) : conception basée sur des pratiques de conception en fatigue ayant fait leurs preuves au cours des années. Elle ne permet cependant pas d’effectuer une optimisation poussée des pièces.
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Table des matières
1 INTRODUCTION
1.1 Mise en contexte
1.2 Problématique
1.3 Objectifs
2 REVUE DE LITTÉRATURE
2.1 Fatigue des métaux : généralités
2.1.1 Définitions
2.1.2 Comportement d’un matériau en fatigue : courbe de Wôhler
2.1.3 Domaines de fatigue
2.1.4 Phases d’endommagement par fatigue
2.2 Philosophies de conception en fatigue
2.3 Types de chargement
2.3.1 Amplitude constante
2.3.2 Amplitude variable
2.3.3 Notion de proportionnalité et de phase
2.4 Facteurs influençant la durée de vie en fatigue
2.4.1 Facteurs mécaniques
2.4.2 Facteurs géométriques
2.4.3 Contraintes résiduelles
2.4.4 Facteurs environnementaux
2.4.5 Facteurs métallurgiques
2.5 Fatigue des joints soudés
2.5.1 Procédés de soudage
2.5.2 Facteurs influençant la durée de vie en fatigue des joints soudés
2.5.3 Amélioration de la tenue en fatigue des joints soudés
2.6 Méthodes d’estimation de la durée de vie en fatigue
2.6.1 Approche de la contrainte nominale
2.6.2 Approche de la contrainte géométrique (hot-spot ou structural stress)
2.6.3 Approche de la contrainte locale (local stress/strain approach)
2.6.4 Approche de la mécanique de la rupture (LEFM)
2.6.5 Résumé des différentes méthodes
2.6.6 Dommage cumulatif (chargement d’amplitude variable)
2.7 Calcul des contraintes
2.7.1 Méthode analytique
2.7.2 Méthode des éléments finis
2.7.3 Méthode expérimentale
2.8 Méthodologie des essais de fatigue
2.8.1 Obtention d’une courbe S-N (essais à amplitude constante)
2.8.2 Essais à amplitude variable
2.8.3 Facteurs influençant la représentativité des essais
2.8.4 Aspects statistiques
3 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE PROPOSÉE
3.1 Étape 1 : Analyse métallurgique d’un cas typique
3.2 Étape 2 : Calcul des contraintes aux joints soudés
3.3 Étape 3 : Essais de fatigue à amplitude constante
3.4 Étape 4 : Essais de fatigue à amplitude variable
3.5 Étape 5 : Optimisation et validation de la méthode
4 ANALYSE MÉTALLURGIQUE D’UN ÉCHANTILLON FISSURÉ
4.1 Description de la pièce d’origine
4.1.1 Description générale
4.1.2 Procédé de fabrication
4.1.3 Matériaux utilisés
4.2 Description de l’échantillon à l’étude
4.2.1 Présentation de l’échantillon
4.2.2 Préparation de l’échantillon en vue de l’analyse
4.3 Analyse au microscope optique
4.3.1 Analyse qualitative de la soudure
4.3.2 Analyse de la microstructure
4.3.3 Analyse de la fissure
4.4 Analyse à la microsonde
4.5 Caractérisation de la dureté
4.6 Conclusions de l’étude
5 CALCUL DES CONTRAINTES AUX JOINTS SOUDÉS
5.1 Caractérisation géométrique des soudures
5.2 Technique de modélisation des soudures
5.3 Calcul des contraintes par la méthode des éléments finis
5.3.1 Modèle simple : structure en T
5.3.2 Application à un cadre de vélo
6 ESSAIS DE FATIGUE À AMPLITUDE CONSTANTE
6.1 Essais de fatigue sur des structures en T
6.1.1 Échantillon à l’étude
6.1.2 Montage expérimental et cas de chargement
6.1.3 Validation des contraintes
6.1.4 Essais de fatigue
6.1.5 Validation de !a méthode
6.2 Essais de fatigue sur des cadres de vélo
6.2.1 Échantillon à l’étude
6.2.2 Montage expérimental et cas de chargement
6.2.3 Validation des contraintes
6.2.4 Essais de fatigue
7 ESSAIS DE FATIGUE À AMPLITUDE VARIABLE
7.1 Spectres de chargement
7.2 Calcul de l’endommagement cumulatif théorique
7.3 Essais de fatigue sur des structures en T
7.4 Essai de fatigue sur des cadres de vélo
7.5 Identification d’une règle d’endommagement appropriée
7.5.1 Règle de Miner non-linéaire
7.5.2 Règle de Marco et Starkey
8 APPLICATION À UN CAS RÉEL
8.1 Calcul des contraintes
8.2 Calcul de la durée de vie
8.3 Discussion
8.3.1 Estimation de la durée de vie sous amplitude variable
8.3.2 Estimation de la durée de vie sous amplitude constante
9 RECOMMANDATIONS ET CONCLUSION
9.1 Recommandations
9.1.1 Augmentation du nombre d’échantillons testés
9.1.2 Modification du critère d’arrêt lors des essais sur les cadres de vélo
9.1.3 Représentativité des spectres de chargement
9.1.4 Utilisation d’une règle d’endommagement non-linéaire avec effet de séquence
9.1.5 Obtention de courbes S-N pour d’autres cas de chargement et types de soudure
9.1.6 Automatisation de la méthode
9.1.7 Obtention d’une courbe S-N pour R = -0,91
9.2 Rétrospective
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