FACTEURS DE VULNERABILITE A L’ABUS/DEPENDANCE AU CANNABIS
En population générale
Facteurs environnementaux
En population générale, la consommation de cannabis débute à l‟adolescence, généralement sous l‟influence de facteurs environnementaux, en particulier la disponibilité du produit, la pression des pairs et les difficultés scolaires [Brook et al. 2002, Coffey et al. 2000, Gillespie et al. 2009; Hayatbakhsh et al. 2009; Kohn et al. 2004, Van den Bree et al. 2005, von Sydow et al. 2001]. Cependant, malgré une diffusion largement répandue et de plus en plus précoce [Beck et al. 2004; Choquet et al. 2004], tous les sujets exposés au cannabis ne posent pas de problèmes psychiatriques (en France, dans l‟enquête ESCAPAD 2008, 46% des garçons et 38% des filles âgés de 17 ans ont déclaré avoir consommé du cannabis au moins une fois contre respectivement 25% et 17% en 1993 [OFDT 2009]. En 2005, 15% des garçons et 6% des filles âgés de 17 ans consommaient régulièrement du cannabis (au moins 10 fois au cours des 30 derniers jours). Les facteurs de vulnérabilité aux addictions expliquent l‟inégalité des individus vis à vis de la dépendance aux substances psychoactives, certains pouvant tomber rapidement dans une dépendance forte, là où d‟autres parviennent à maintenir une utilisation épisodique et contrôlée. Ces facteurs sont multiples et ne s‟excluent pas mutuellement [Hayatbakhsh et al. 2009; Lynskey et al. 2002]. L‟abus et dépendance au cannabis sont plus fréquents dans le sexe masculin. La précocité de la consommation de cannabis est associée à un risque accru de dépendance ultérieure en population générale, comme l‟ont montré, par exemple, l‟étude National Household Survey on Drug Abuse [Chen et al. 2005], l‟étude University of California San Francisco (UCSF) Family Study of alcoholism [Ehlers et al. 2010] et l‟étude australienne de jumeaux discordants pour l‟âge de début (avant ou après 17 ans) de la consommation de cannabis [Lynskey et al. 2003]. Un autre facteur de risque de dépendance est l‟existence d‟expériences positives lors des premières prises de cannabis comme l‟ont montré les études Christchurch Health and Development Study [Fergusson et al. 2003], Susceptibility Addiction Gene Environment (SAGE) [Le Strat et al. 2009], et Vietnam Era Twin Registry [Scherrer et al. 2009]. D‟autres facteurs environnementaux peuvent avoir une influence, en particulier des facteurs sociaux et économiques [Hayatbakhsh et al. 2009; Laqueille 2003, 2005]. D‟autres facteurs de vulnérabilité ont été mis en évidence, comme par exemple les maltraitances ou les abus sexuels dans l‟enfance [Duncan et al. 2008].
Facteurs génétiques
L‟existence de facteurs de vulnérabilité génétique prédisposant à la consommation de substances, à l‟abus et à la dépendance a été établie par des études d‟agrégation familiale et des études de jumeaux. Ces facteurs sont en partie communs à l‟ensemble des addictions et en partie spécifiques à chaque substance [Merikangas et al 1998; Tsuang et al. 1996; Sartor et al. 2009; Xian et al. 2009 et pour revue, INSERM 2001; Kendler et al. 2003; Krebs, 2003]. L‟initiation à l‟usage de substances psychoactives lors de l‟adolescence serait liée de façon prédominante à des facteurs environnementaux alors que l‟abus et dépendance à l‟âge adulte dépendrait pour une large part de facteurs génétiques [Kendler et al. 2008, 2009]. Les facteurs génétiques, en particulier en termes moléculaires favorisant la transition entre usage simple de cannabis et dépendance au cannabis restent mal connus.
Etudes d’épidémiologie génétique
Plusieurs études d‟épidémiologie génétique ont retrouvé que les apparentés des sujets dépendants au cannabis en population générale avaient un risque augmenté de présenter une dépendance au cannabis, en particulier l‟étude Collaborative Study on the Genetics of Alcoholism (RR: 1,78) [Bierut et al. 1998]. Dans une étude d‟agrégation familiale, comprenant 35 sujets dépendants au cannabis, la fréquence de l‟abus/dépendance au cannabis était de 13% (OR : 5,8 IC95%: 2,6-12,9) [Merikangas et al. 1998]. Dans une autre étude d‟agrégation familiale (n=2546), Hopfer et al. [2003] ont retrouvé une augmentation du risque d‟usage, d‟abus et de dépendance au cannabis chez les apparentés d‟adolescents présentant ces 3 niveaux de consommation par rapport aux sujets témoins (RR de 1,5 à 3,3). Une étude familiale de sujets ayant présenté une dépendance au cannabis au cours de leur vie a retrouvé une fréquence plus importante d‟abus/dépendance au cannabis chez leurs frères et soeurs (OR: 3,6) et chez leurs enfants adultes (OR: 6,9) [Merikangas et al. 2009]. D‟après les études d‟épidémiologie génétique, la transition entre usage de cannabis et abus/dépendance serait sous l‟influence de facteurs génétiques [Agrawal & Lynskey 2009, Kendler et al. 2003].
L‟étude University of California San Francisco (UCSF) Family Study of Alcoholism a retrouvé une transmission familiale de l‟usage et de la dépendance au cannabis, de la précocité de la consommation ainsi que des troubles induits par la consommation (troubles dépressifs, troubles de la concentration et idées de persécution [Ehlers et al. 2010].
Etudes de jumeaux
Les études de jumeaux ont retrouvé une concordance plus grande d‟abus/dépendance au cannabis chez les jumeaux homozygotes par rapport aux dizygotes, en particulier dans l‟étude Virginia Twin Registry chez des jumeaux de sexe masculin (concordance pour l‟abus de cannabis respectivement de 0.58 pour les monozygotes (OR : 15,0 IC 95% : 9,4 24,0) et 0.38 pour les dizygotes (OR : 3,2 IC 95% : 2,0-5,3, p<0,001) [Kendler et al. 2000] ainsi que chez les jumeaux de sexe féminin (concordance respectivement de 0.125 OR : 9,8 IC 95% : 1,1-91,0) et 0.118 (OR : 5,7 IC 95% : 0,6-51,9) [Kendler et al. 1998]. Dans l‟étude Virginia Twin Registry, l‟héritabilité de la dépendance au cannabis était estimée à 58% [Kendler et al. 2000]. Des résultats similaires ont été retrouvés dans l‟étude Vietnam Era Twin Registry [Tsuang et al. 1998], ou l‟héritabilité de la dépendance au cannabis était estimée à 50% [Fu et al. 2002]. Cependant, dans cette étude, 58% de la variance était liée à l‟existence d‟un trouble de la personnalité antisociale [Fu et al. 2002]. Pour le cannabis, comme pour la plupart des substances, le poids des facteurs génétiques augmente avec la sévérité de la consommation [Kendler et al. 2000].
Génétique moléculaire
L‟identification de gènes associés aux addictions a fait l‟objet de nombreuses recherches de génétique moléculaire, étudiant en particulier des gènes candidats codant les neurotransmetteurs cérébraux dont la transmission est modifiée par la consommation de substances. Peu d‟études ont porté spécifiquement sur la dépendance au cannabis, alors que, par exemple, les facteurs de vulnérabilité à la dépendance aux opiacés sont étudiés depuis les années 1970. Plusieurs gènes ont été impliqués dans la dépendance au cannabis, en particulier au niveau des chromosomes 1, 4 (GABRA2) et 6 (CNR1) [Agrawal et al. 2006, 2008, Agrawal & Lynskey 2009, Philibert et al. 2009].
Plusieurs études ont retrouvé une association entre certains polymorphismes du gène codant le récepteur cannabinoïde CB1 (CNR1) et la dépendance au cannabis. Une étude sur 1923 sujets dépendants au cannabis a retrouvé une association entre les SNP rs806368 (p=0.05) et rs806380 du CNR1 et la dépendance au cannabis [Agrawal et al. 2009]. Une autre étude sur des adolescents ayant expérimenté le cannabis à au moins 5 reprises (n=541), a retrouvé une association entre le SNP rs806380 du CNR1 et des symptômes de dépendance plus faibles [Hopfer et al. 2006]. Cependant, une étude cas-témoins sur 224 sujets dépendants au cannabis et 104 sujets témoins n‟a pas retrouvé d‟association entre le SNP rs806380 du gène codant le CNR1 et la dépendance au cannabis [Hartman et al. 2009]. Une étude sur des étudiants consommateurs quotidiens de cannabis (n=105), a retrouvé que le SNP rs2023239 du CNR1 était associé à la sévérité du sevrage de cannabis et le SNP rs324420 du gène codant le fatty acid amide hydrolase (FAAH) au craving après sevrage de cannabis [Haughey et al. 2008]. D‟autres gènes, impliqués dans l‟abus de substance en général, auraient un rôle dans la dépendance au cannabis, en particulier les gènes GABRA2, les gènes codant les récepteurs DRD2 et les gènes OPRM1 [Agrawal & Lynskey 2009]. Certains polymorphismes de l‟allèle C3435T du gène codant l‟ABCB1, impliqué dans la pharmacocinétique du THC, ont également été retrouvés plus fréquemment dans une population de 40 sujets dépendants au cannabis par rapport à des sujets témoins [Benyamina et al. 2009].
Traits de personnalité : impulsivité, recherche de sensations
En population générale, les scores aux échelles d‟impulsivité [de Wit 2009; Vangsness et al. 2005; et pour revue: Moeller & Dougherty 2002], de recherche de sensations [Crawford et al., 2003, Hampson et al., 2008, Kopstein et al., 2001, Vink et al., 2007] et de recherche de nouveauté [Hale et al. 2003] sont plus élevés chez les consommateurs de cannabis et les sujets dépendants au cannabis que chez les non consommateurs. Sur un plan catégoriel, les troubles de personnalité antisociales et état-limites, caractérisés entre autres par des niveaux élevés d‟impulsivité, sont plus fréquents chez les sujets dépendants au cannabis que chez les non consommateurs [Agosti et al. 2002; Chabrol, 2005], par exemple, dans l‟étude Epidemiologic Catchment Area (ECA), la fréquence de la personnalité antisociale parmi les sujets avec abus/dépendance au cannabis était de 14,7% [Regier et al. 1990].
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. CONTEXTE
A. Facteurs de vulnérabilité à l’abus/dépendance au cannabis
1. En population générale
a) Facteurs environnementaux
b) Facteurs génétiques
c) Traits de personnalité : impulsivité, recherche de sensations
2. Chez les patients atteints de schizophrénie
a) Facteurs environnementaux
b) Rôle de l‟automédication
c) Facteurs génétiques
d) Traits de personnalité : impulsivité, recherche de sensations
e) Vulnérabilité neurobiologique
B. Symptômes et troubles psychotiques induits par les substances
1. Profil psychotomimétique des différentes substances
2. Symptômes et troubles psychotiques induits par les amphétamines, PCP et kétamine
a) Symptômes/troubles psychotiques induits par les amphétamines
b) Symptômes psychotiques induits par la phencyclidine (PCP)
c) Symptômes psychotiques induits par la kétamine
3. Symptômes psychotiques induits par le cannabis
a) Effets des cannabinoïdes sur le système endocannabinoïde
b) Effets psychotomimétiques de la consommation de cannabis
4. Troubles psychotiques induits par le cannabis
a) Troubles psychotiques induits par le cannabis
b) Syndrome amotivationnel
C. Influence de la consommation de cannabis sur l’émergence et l’évolution des troubles schizophréniques
1. Influence de la consommation de cannabis sur l‟émergence des troubles psychotiques
a) Etudes épidémiologiques
b) Méta-analyses
c) Relation dose-effet
d) Spécificité
e) Evolution de la consommation de cannabis et prévalence de la schizophrénie
f) Plausibilité biologique
g) Précocité du début de la consommation de cannabis
h) Augmentation du risque chez les sujets vulnérables
i) Consommation de cannabis et symptômes prodromiques
j) Interactions gène/environnement (GxE)
2. Influence de la consommation de cannabis sur les premiers épisodes psychotiques
a) Fréquence de l‟abus/dépendance au cannabis lors du premier épisode psychotique
b) Age de survenue des premiers troubles psychotiques
c) Influence de l‟abus/dépendance au cannabis lors du premier épisode psychotique
3. Abus et dépendance au cannabis et évolution de la schizophrénie
a) Fréquence de l’abus/dépendance au cannabis chez les patients atteints de schizophrénie
b) Influence de l‟abus/dépendance au cannabis sur l‟évolution de la schizophrénie
D. Conclusions
III.RESULTATS
A. Dervaux et al. Neurological soft signs in non-psychotic patients with cannabis dependence
B. Dervaux et al. Impulsivity and sensation seeking in cannabis abusing patients with schizophrenia
C. Goldberger et al. Variable individual sensitivity to cannabis among patients with schizophrenia
D. El Omari et al. Frequency of substance use disorders in patients with schizophrenia in Morocco
IV.DISCUSSION
V. CONCLUSIONS
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