Facteurs de stress et adaptation des insectes à leur milieu
Dans l’environnement naturel, tout organisme fait face aux fluctuations des facteurs environnementaux biotiques et/ou abiotiques. Les facteurs abiotiques représentent l’ensemble des facteurs climatiques et physico-chimiques environnementaux tels que la température, l’humidité, le rayonnement solaire ou des concentrations variables de gaz carbonique dans l’air (Korsloot et al. 2004, Gillott 2005). Dans la nature, contraintes thermiques et hydriques sont souvent liées. Quant aux facteurs biotiques, ils représentent les variations de l’abondance de nourriture/proies, de prédateurs ou de parasites et tout paramètre lié directement aux interactions avec une ou plusieurs autres entités biologiques (Korsloot et al. 2004, Gillott 2005). Lorsque l’amplitude des fluctuations naturelles de ces paramètres est suffisamment forte, ils peuvent devenir des contraintes pour les insectes (Denlinger et Armbruster 2014). La conséquence de cette/ces contrainte(s) est appelée stress. Si l’insecte n’est pas capable de contourner la condition de stress, sa croissance, son développement, sa fécondité et sa survie peuvent être affectés négativement. On considère généralement que la réponse à un stress possède deux modalités que sont l’évitement et la tolérance. L’évitement consiste à se soustraire à la contrainte: le système biologique s’isole de l’agent stressant. On qualifie un insecte de tolérant en ce qui a trait à une variable environnementale particulière s’il supporte des variations de son milieu interne liées à certains changements de l’environnement externe: le système biologique maintient son fonctionnement malgré la contrainte. Tout changement, même mineur, dans l’environnement nécessite une certaine réponse afin que le milieu intérieur puisse être maintenu constant (Schmalhausen II 1949). En dépit de leurs nombreuses adaptations homéostatiques, les insectes sont occasionnellement obligés de faire face à des situations qui les poussent aux limites de leur capacité à équilibrer leurs allocations. Par exemple, pendant certaines saisons de l’année (ou certains moments de la journée), la température peut atteindre des extrêmes de chaleur ou de froid, ou encore une baisse d’hygrométrie. Une adaptation qui permet d’économiser de l’énergie tout en évitant des circonstances difficiles et dangereuses consiste à entrer dans un état de torpeur: c’est la dormance, un état physiologique caractérisé par une activité réduite au minimum et une diminution du métabolisme (Denlinger 1986, Kostal 2006). Plusieurs types de dormances peuvent être distingués, en particulier la diapause et la quiescence .
La diapause
La diapause est une véritable adaptation écophysiologique des animaux aux conditions défavorables du milieu. Elle est très répandue chez les insectes et autres invertébrés (Andrewartha 1952, Kostál 2006, MacRae 2010) leur permettant de résister et de survivre aux variations saisonnières de l’habitat telles que les basses températures hivernales, les fortes chaleurs estivales, les périodes de sécheresse ou encore d’absence de nourriture. Elle permet également de synchroniser les différents stades du cycle de vie avec celui des saisons. Elle est caractérisée par un état d’arrêt de développement induit par des facteurs génétiques endogènes (effet maternel, expression des gènes) et intervient selon les espèces à un stade précis de développement. On parle de diapause embryonnaire, larvaire, nymphale ou imaginale (Denlinger et al. 1972). A l’état de diapause, les insectes ont une physiologie particulière qui les met à l’abri de difficiles conditions environnementales. Ils peuvent donc, sous cette forme survivre pendant la mauvaise saison. Les traits caractéristiques sont le ralentissement métabolique, l’inactivité, l’augmentation des réserves énergétiques, et habituellement une résistance accrue à la perte d’eau et la protection contre les températures extrêmes. La diapause est généralement initiée avant l’installation des conditions défavorables (Podrabsky et Hand 1999).
L’hibernation et l’estivation sont les deux termes couramment utilisés pour désigner la diapause. L’hibernation est une adaptation au froid hivernal et à la rareté des aliments pendant cette saison, tandis que l’estivation est un état de torpeur estivale à une période où la température est élevée et l’eau rare (Secor et Lignot 2010). C’est une forme de dormance pendant les saisons sèches tropicales, qui peut être une diapause ou une quiescence (Denlinger et Armbruster 2014). Les économies d’énergie résultant d’un ralentissement du métabolisme et d’une baisse de la production thermique sont énormes. Les insectes qui hibernent ou estivent sont donc en mesure de survivre pendant très longtemps sur des réserves limitées d’énergie, emmagasinées dans les tissus de leur corps ou sous forme de réserves. C’est le cas dans les zones tempérées des moustiques Aedes albopictus, Aedes triseriatus, Aedes siriensis et Culex pipiens qui entrent en diapause pendant l’hiver ((Denlinger et Armbruster 2014). Chez les Culex pipiens, seules les femelles entrent en diapause à l’état adulte. Quant aux espèces d’Aedes, elles peuvent subir des diapauses embryonnaire et larvaire. L’hibernation ou l’estivation sont déclenchées par des stimuli environnementaux tels que les changements saisonniers dans la durée du jour appelée photopériode (Tauber et al. 1986, Danks 1987), la température ou l’hygrométrie. I1 a été établi que l’apparition à l’automne, dans les populations anophéliennes des régions tempérées froides, de femelles en diapause est induite par l’action sur les gîtes larvaires des changements dans l’amplitude et le rythme des variations journalières de l’éclairement, de la température et de l’état physico chimique de l’eau (Adam et al. 1964). La diapause est un processus dynamique et non statique qui comprend trois phases (Andrewartha 1952, Denlinger 2002, Kostál 2006):
– La pré-diapause: c’est l’induction par des facteurs internes et/ou externes agissant sur un stade sensible de développement et la préparation à la diapause. Durant cette phase, les insectes accumulent des réserves pour satisfaire leur demande métabolique durant la diapause (Hahn et Denlinger 2007). Cette phase se caractérise par une accumulation de lipides (Adedokun et Denlinger. 1985, Sim et Denlinger 2008) et des protéines de stockage (Denlinger 2002).
– La diapause proprement dite comprend l’initiation, la maintenance et la terminaison. Elle se caractérise par une progression des changements moléculaires et physiologiques. Le développement est arrêté ou grandement retardé et l’insecte devient insensible à tout signal de développement. La dépression métabolique, la diminution des réserves énergétiques, l’augmentation de la tolérance à la dessiccation sont des caractéristiques essentielles de cette phase (Hahn et Denlinger 2011, Denlinger et Armbruster 2014).
– La post-diapause. Bien que la fitness soit diminuée due aux multiples coûts de la diapause, l’insecte est pleinement capable de répondre aux signaux environnementaux qui initient le développement. Des mécanismes hormonaux sont généralement impliqués dans le contrôle de la diapause et les hormones qui interviennent dans cette régulation dépendent des espèces et du stade diapausant (Denlinger et al. 2012). Les diapauses larvaire et nymphale résultent d’un déficit en hormones de mue (ecdystéroïdes) qui est à l’origine de l’arrêt du développement (Denlinger 2002). La diapause observée chez les adultes (diapause de reproduction) est liée à un arrêt de la production d’hormone juvénile (Denlinger 1986) qui est le principal facteur stimulateur de la gamétogenèse. Dans certains cas, la mère dicte à sa progéniture le destin de la diapause: c’est l’effet maternel qui passe probablement par un message hormonal (Danks 1987, Mousseau et Dingle 1991).
La quiescence
La quiescence est un état de vie ralentie déclenché directement lorsque les conditions ambiantes, comme la température, l’humidité ou la nourriture deviennent défavorables (Tauber et al. 1986, Bemis et al. 1987, Podrabsky et Hand 1999, Kostál 2006, Hahn et Denlinger 2007). A la différence de la diapause (voir tableau I), qui est un état programmé de développement ralenti, la quiescence est une réponse immédiate à une dégradation soudaine de la qualité de l’environnement. Réversible, cet état n’est que momentané et cesse dès que l’environnement redevient favorable.
Migration
La migration est l’évitement complet des conditions environnementales défavorables en quittant l’espace géographique. Elle est généralement considérée comme une stratégie alternative à la diapause (Danks 1987, Melody et al. 2008). Dans certaines zones d’Afrique par exemple, la rythmicité influence les déplacements des espèces animales entre les saisons sèches et les saisons des pluies. Sous les climats plus tempérés, la cyclicité des périodes froides en hiver et des périodes plus chaudes en été est également à la base de nombreux phénomènes migratoires dont le but est de répondre aux effets combinés de la diminution des ressources et des températures contraignantes. Plusieurs facteurs ou stimuli environnementaux tels que la photopériode, la température ou l’hygrométrie ou des phénomènes et horloges biologiques sont impliqués dans le déclenchement des phénomènes de migration chez les insectes. Avant ou pendant la migration, la physiologie des insectes peut être modifiée. Les insectes peuvent accumuler des réserves d’énergie avant la migration et développer leurs fonctions locomotrices (Dingle 1974). Les insectes qui migrent accumulent des réserves énergétiques en particulier des lipides pour le vol et maintiennent généralement stable leur métabolisme aérobie.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Introduction
Objectifs
CHAPITRE 1: REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1) Paludisme et bioécologie d’Anopheles gambiae s.l.
1.1.1) Bref aperçu sur le paludisme et le cycle du parasite
1.1.2) La lutte contre le paludisme
1.1.3) Les anophèles
1.1.4) Le complexe An. gambiae s.l
1.2) Facteurs de stress et adaptation des insectes à leur milieu
1.2.1) La diapause
1.2.2) La quiescence
1.2.3) Migration
1.2.4) Réponses phénotypiques apportées par les insectes aux contraintes environnementales
1.2.5) Survie des anophèles pendant la saison sèche
CHAPITRE 2: MATERIEL ET METHODES
1) Cadre de l’étude
1.1) Le Burkina Faso
1.2) Sites d’étude
2) Méthodologie
2.1) Approche de terrain: étude en conditions naturelles
2.1.1) Collecte des moustiques sur le terrain
2.1.2) Mesure des paramètres environnementaux
2.1.3) Détermination des stades de développement ovarien et présence/absence de graisse sous-cuticulaire chez les femelles
2.1.4) Détermination du statut d’insémination des femelles
2.1.5) Identification moléculaire des espèces
2.1.6) Dissection des ailes et morphométrie géométrique
2.1.7) Dosage des réserves nutritionnelles
2.2) Approche expérimentale: étude en conditions contrôlées à partir de colonies d’insectarium
2.2.1) Protocole expérimental
2.2.2) Analyse métabolomique
2.2.3) Analyse des hormones ecdystéroïdes
2.2.4) Analyse morphologique des spiracles par microscopie électronique à balayage (MEB)
2.3) Approche en conditions semi-naturelles: études in situ de la dynamique des populations d’anophèles dans une serre grillagée
2.3.1) Construction et aménagement de la serre
2.3.2) Suivi actif des populations d’anopheles
2.4) Analyses statistiques des données
2.5) Synthèse des activités réalisées au cours de cette thèse
CHAPITRE 3: RESULTATS ET DISCUSSIONS
PARTIE 1: Physiologie et traits morphométriques chez les populations naturelles d’An. gambiae s.l. au début de la saison sèche
1.1) Introduction
1.2) Résultats
1.2.1) Paramètres climatiques
1.2.2) Recherche des symptômes de stratégies de survie dans les populations naturelles adultes
1.2.3) Effectifs et composition spécifique des populations naturelles
1.2.4) Effet des saisons sur le développement ovarien et l’accumulation des graisses souscuticulaires
1.2.5) Morphométrie géométrique des ailes
1.2.6) Variations des réserves énergétiques accumulées à l’émergence
1.3) Discussion
1.4) Conclusion partielle
PARTIE 2: Métabolomique et variations du taux d’hormones ecdystéroïdes chez An. gambiae s.l. exposés aux conditions stressantes de la saison sèche
2.1) Introduction
2.2) Résultats
2.2.1) Analyse des métabolites par GC-MS chez les mâles et les femelles d’An. gambiae s.l
2.2.2) Analyse des ecdystéroïdes
2.3) Discussion
2.4) Conclusion partielle
CONCLUSION GENERALE
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