Selon l’INSEE, en France, au 1er janvier 2020, une personne sur cinq avait plus de 65 ans. On observe un vieillissement de la population avec l’avancée en âge des baby-boomers. (1) On estime à 30% le taux de personnes chuteuses dans la population des plus de 65 ans. (2) Les chutes représentent un problème de santé publique, notamment en raison de la morbidité et de la mortalité liées aux chutes. A titre d’exemple, sur le territoire français, on relève 76100 hospitalisations pour fracture de hanche en 2014, survenues 9 fois sur 10 après une chute, et on estime qu’un quart des patients avec une fracture de hanche décèdent dans l’année. Les chutes entrainent de nombreux passages aux urgences, avec une forte proportion d’hospitalisations par la suite. La durée moyenne d’hospitalisation après une chute chez les personnes de plus de 65 ans est de 12,2 jours. (3)
Elles ont pour conséquence de nombreuses complications physiques et psychologiques, voire annoncent parfois l’entrée en institution en raison d’une perte d’autonomie. Si les conséquences des chutes sont importantes, elles sont pourtant le plus souvent évitables, en témoigne l’efficacité des programmes de prévention constitués d’interventions variées. Ces derniers ont montré leurs effets dans la prévention des chutes. (4) Il convient donc d’évaluer ces personnes à risque de chute en identifiant les facteurs de risque prédisposants : âge supérieur ou égal à 80ans, femme, antécédent de fractures traumatiques, polymédication (>4 traitements), psychotropes, médicaments cardiovasculaires, trouble de marche ou de l’équilibre, diminution de force ou de puissance musculaire des membres inférieurs, arthrose des membres inférieurs ou du rachis, anomalie des pieds, troubles de la sensibilité des membres inférieurs, baisse de l’acuité visuelle, syndrome dépressif, déclin cognitif. Il est également recommandé de rechercher les facteurs précipitants : cardiovasculaires (malaise, hypotension orthostatique), neurologiques (déficit neurologique sensitivomoteur, confusion), vestibulaires (vertige), métaboliques (hyponatrémie, hypoglycémie, médicaments hypoglycémiants), environnementaux (éclairage, encombrement et configuration du lieu de vie, chaussage). (5) Parmi ces facteurs, de nombreux sont évitables ou peuvent être pris en charge au moins partiellement. C’est le cas de l’hypotension orthostatique, qui augmente significativement le risque de chutes. (6) On estime la prévalence de l’hypotension orthostatique à 6% de la population générale. Pour la population âgée, certaines études évaluent cette prévalence de 10% en population âgée générale à 60% chez les patients institutionnalisés.
Selon la Société Française d’Hypertension Artérielle, l’hypotension orthostatique se définit par la diminution de la pression artérielle systolique (PAS) d’au moins 20 mmHg et/ou de la pression artérielle diastolique (PAD) d’au moins 10 mmHg dans les 3 minutes après un passage en position debout, symptomatique ou non. (9) Sur le plan physiologique, le passage en position orthostatique entraine une redistribution immédiate du volume sanguin avec une fuite du sang vers le pelvis et les membres inférieurs. Cette redistribution entrainerait, en l’absence de phénomènes adaptatifs, une diminution de 30 à 40% du débit cardiaque et de la pression artérielle (10). Les mécanismes correcteurs qui agissent de façon immédiate pour protéger la perfusion cérébrale et permettre le maintien en position debout, sont le système nerveux autonome et l’arc baroréflexe. La diminution de la pression artérielle lors du passage en position debout entraine une diminution de la stimulation des barorécepteurs artériels situés sur les sinus carotidiens et la crosse aortique. Ceci permet d’inhiber le système parasympathique et d’activer le système sympathique. Dans un second temps, des mécanismes hormonaux interviennent via les récepteurs cardiopulmonaires (parois auriculaires, ventriculaires et des vaisseaux pulmonaires), qui activent le système rénine angiotensine aldostérone et la production de vasopressine. Ces mécanismes entrainent une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle (8,10,11). Des altérations de ces mécanismes d’adaptation sont mis en cause dans la physiopathologie de l’hypotension orthostatique. L’hypotension orthostatique peut avoir des étiologies neurogènes liées notamment à un dérèglement du système nerveux autonome : syndromes parkinsoniens (maladie de Parkinson, atrophie multi-systématisée, maladie à corps de Lewy), lésions traumatiques (médullaire, sympathectomie…), sclérose latérale amyotrophique, maladies inflammatoires (myélites, sclérose en plaques, syndrome de Guillain-Barré…), maladies infectieuses (VIH, Lyme…), carence en vitamine B, néoplasie, insuffisance rénale chronique, diabète, amyloses. Elle peut également être d’origine secondaire : médicamenteuse (psychotropes, antihypertenseurs, vasodilatateurs, antiparkinsoniens, anticholinergiques, opiacés, certaines chimiothérapies…), hypovolémie (déshydratation, dénutrition, anémie…).
Méthode
Type d’étude
Il s’agit d’une étude observationnelle analytique transversale monocentrique menée dans le Centre d’Investigation du Malaise et de la Chute de la personne Agée (CIMCA) au Centre Hospitalier Universitaire Nord de Marseille, dans le service du Professeur Rossi. Cette étude a pour objectif de rechercher les facteurs associés à une hypotension orthostatique chez le patient âgé chuteur.
Population étudiée
Ont été inclus dans l’étude tous les patients chuteurs de plus de 75 ans, ayant consulté pour la première fois au CIMCA entre le 1er septembre 2016 et le 30 septembre 2018, qui n’étaient pas grabataires et pour lesquels une recherche d’hypotension orthostatique a été possible. Au total, 318 patients ont été inclus et analysés. Les patients sont adressés au CIMCA soit par leur médecin traitant directement, soit par le service d’accueil des urgences et l’équipe mobile de gériatrie, soit par les services d’hospitalisation de médecine et de chirurgie de l’hôpital Nord de Marseille. Ils résident principalement dans les arrondissements de Marseille et dans les communes situées au nord de Marseille.
Prise en charge à l’hôpital de jour
Les patients sont convoqués à distance de l’évènement aigu (hospitalisation ou passage aux urgences). Ils bénéficient d’un bilan sanguin à jeun (NFS, ionogramme complet, urée, créatininémie, calcul du DFG, CRP, bilan hépatique, protidémie, albuminémie, pré-albumine, TSH, PTH, vitamine D, vitamine B12, folates, bilan lipidique), puis sont évalués de façon systématique avec un examen clinique, une évaluation gériatrique complète, des tests de marche, un électrocardiogramme (ECG), une recherche d’hypotension orthostatique, une évaluation rhumatologique avec ostéodensitométrie. Selon l’examen clinique et les antécédents, ils peuvent également rencontrer des médecins spécialistes (ORL, neurologue, cardiologue), des intervenants paramédicaux (diététicienne, assistante sociale, podologue), et réaliser d’autres examens complémentaires (scanner, échographie cardiaque, Holter-ECG).
Recueil de données
Dans cette étude, les données ont été recueillies à l’aide des comptes-rendus réalisés par les médecins de l’hôpital de jour. Les données ont été anonymisées. Un accord a été obtenu auprès du comité de protection des personnes : ID RCB : 2018-A01596-49.
Données générales et du dossier médical
La collecte des données inclut le recueil de l’âge, du sexe, et du mode de vie comprenant le lieu de vie, la présence d’aidants professionnels ou d’une situation d’isolement. Une évaluation rapide de l’autonomie est réalisée avec les échelles ADL (Activities of Daily Living) et IADL (Instrumental Activities of Daily Living) (Annexes 1 et 2). Parmi les antécédents généraux, sont rapportés : diabète, cancer, BPCO ou asthme, maladie de Parkinson, antécédent de dysthyroïdie et mesure de la TSH, ainsi qu’une étude de la fonction rénale (antécédent d’insuffisance rénale chronique, bilan rénal avec estimation du débit de filtration glomérulaire (DFG avec la formule CKD-EPI)). Sont également notés les antécédents cardiovasculaires : hypertension artérielle, insuffisance cardiaque, atteinte vasculaire (infarctus du myocarde, artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), accident vasculaire cérébral (AVC) ou accident ischémique transitoire (AIT)), trouble du rythme cardiaque (fibrillation atriale, flutter, bloc atrioventriculaire (BAV), pacemaker), dyslipidémie. L’indice de comorbidité de Charlson n’est pas réalisé en raison d’un manque de données. Nous avons également relevé les dosages de l’hémoglobinémie et de la vitamine B12.
Etude de l’ordonnance
L’évaluation gériatrique réalisée en hôpital de jour comprend une étude de l’ordonnance du patient avec tout d’abord la recherche d’une polymédication. Par la suite, pour cette étude, nous avons relevé les traitements à visée cardiologique : traitements anti-hypertenseurs (nombre, type, classe thérapeutique), antiagrégants plaquettaires, anticoagulants, hypolipémiants. Nous avons également recherché les autres traitements : alpha-bloquant à visée prostatique, inhibiteurs de la pompe à proton (IPP), corticothérapie, traitements antiparkinsoniens, psychotropes, lévothyroxine.
Evaluation neuropsychologique
Une évaluation neuropsychologique rapide est réalisée avec la recherche de troubles de l’humeur : antécédent de dépression, mini-GDS (Geriatric Depression Scale) (Annexe 3), prise de psychotropes (antidépresseurs, hypnotiques, anxiolytiques). Une brève évaluation des fonctions cognitives supérieures est réalisée en hôpital de jour. Pour cette étude, nous avons relevé uniquement le score MMSE (Mini Mental State Examination) (Annexe 4) et la présence éventuelle d’un antécédent de démence. Les fonctions sensorielles auditives et visuelles sont évaluées en hôpital de jour mais n’ont pas fait l’objet d’une analyse au sein de cette étude.
Evaluations nutritionnelle et fonctionnelle
Une évaluation nutritionnelle est réalisée avec la mesure du poids et de la taille, le calcul de l’indice de masse corporelle en kg/m² (IMC), le passage du Mini Nutritional Assessment (MNA) ou mini-MNA (Annexe 5), ainsi que le dosage de l’albuminémie avec CRP, de la protidémie et de la pré-albumine. A l’hôpital de jour, le bilan est complété par la recherche d’une perte de poids, accompagnée au cas par cas d’une évaluation précise des besoins et des apports, réalisée par une diététicienne. Nous n’avons pas étudié ces données dans cette étude. Sur le plan fonctionnel, le bilan comprend la recherche de l’utilisation d’une aide technique à la marche, la réalisation d’un appui monopodal, et le SPPB test (Short Physical Performance Battery test) (Annexe 6) pour évaluer le risque de sarcopénie.
Recherche d’hypotension orthostatique
La recherche d’hypotension orthostatique est réalisée dans la matinée, après un temps de repos d’au moins 5 minutes sur la table d’examen. Les mesures de pression artérielle et de fréquence cardiaque sont réalisées à l’aide d’un tensiomètre automatique initialement en position couchée, debout à 1 minute, et selon les examinateurs debout à 3 et 5 minutes. Les traitements de l’hypotension orthostatique (midodrine (Gutron), fludrocortisone, heptaminol (Heptamyl)) sont par ailleurs recueillis.
Prise en charge de l’ostéoporose
Cet hôpital de jour ayant également une orientation rhumatologique, un bilan complet d’ostéoporose est réalisé. Cependant, dans cette étude, nous avons conservé uniquement les antécédents de fracture majeure, la calcémie, la parathormone (PTH), et la vitamine D, laissant de côté les facteurs de risque d’ostéoporose, l’évaluation ostéodensitométrique et radiologique, ainsi que les autres dosages biologiques à visée rhumatologique réalisés de façon systématique Il est à noter que la valeur de la calcémie n’a pas été corrigée avec l’albuminémie ou la protidémie.
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Table des matières
I. Introduction
II. Méthode
1) Type d’étude
2) Population étudiée
3) Prise en charge à l’hôpital de jour
4) Recueil de données
a) Données générales et du dossier médical
b) Etude de l’ordonnance
c) Evaluation neuropsychologique
d) Evaluations nutritionnelle et fonctionnelle
e) Recherche d’hypotension orthostatique
f) Prise en charge de l’ostéoporose
5) Analyse statistique
III. Résultats
1) Caractéristiques de la population étudiée
a) Diagramme de flux
b) Données générales et comorbidités
c) Etude de l’ordonnance
d) Evaluations nutritionnelle, neuropsychologique et fonctionnelle
2) Mesure de l’hypotension orthostatique
3) Facteurs associés à l’hypotension orthostatique
a) Facteurs généraux
b) Antécédents et traitements associés à l’hypotension orthostatique
c) Facteurs nutritionnels associés à l’hypotension orthostatique
d) Facteurs neuropsychologiques et fonctionnels associés à l’hypotension orthostatique
IV. Discussion
V. Conclusion
VI. Bibliographie
VII. Annexes
VIII. Lexique