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Population d’étude et description des enquêtés
Le travail de terrain s’est réalisé entre 2012 et 2017. La prise de contact avec la population d’étude s’est effectuée par le biais des réseaux militants – aussi bien ceux de la diaspora que ceux du réseau de solidarité26. Cette insertion sur le terrain au travers des activités militantes a permis de constituer un échantillon qui, grâce à la méthode dite de « boule de neige », s’est peu peu éloigné des sphères engagées. Par ailleurs, cette voie d’entrée était importante pour instaurer une relation de confiance puisque ma présence sur le terrain militant était perçue par mes enquêtés comme une garantie de mon engagement. Quarante entretiens ont été réalisés avec des Palestiniens résidant en France. Les entretiens se sont réalisés avec des personnes se déclarant palestiniennes, quel que soit leur lieu de naissance, et étant en France au moment de l’étude, quelles que soient les raisons de ce séjour.
Le choix de retenir pour seul critère d’inclusion l’autoqualification identitaire – le lien avec la Palestine étant toutefois assuré par le contenu de l’entretien lui-même – résulte de la complexité à délimiter et à définir la population étudiée. La disparité des estimations du nombre de Palestiniens en France, généralement évalué à 3000, indique les difficultés à établir une estimation fiable et à définir les contours de cette population qui, du fait de sa longue expérience d’exil, a bénéficié d’une grande diversité de naturalisation. Ce n’est donc pas l’appartenance à une nationalité qui constitue un facteur déterminant de la palestinéité, mais plutôt la volonté de continuer à s’affirmer comme appartenant à cette communauté27. L’échantillon, constitué d’hommes et de femmes âgés de 20 à 57 ans, est très hétérogène aussi bien en termes de parcours migratoires que de caractéristiques sociales ou de degrés d’engagement – ce dernier pouvant aller d’un engagement soutenu à des stratégies d’évitement à l’égard des sphères militantes en passant par des engagements ponctuels.
Le consentement libre et éclairé
Un formulaire de consentement libre et éclairé (cf. ci-dessous) a été signé par toutes les personnes ayant participé à un entretien formel et enregistré. Ce formulaire, qui contractualise la relation enquêteur/enquêté, permet d’informer l’enquêté sur l’objet de la recherche, sur ses droits en tant que participant et sur l’usage qui sera fait des données.
Par ailleurs, chaque entretien a débuté par une présentation orale du cadre de la recherche, de ses objectifs et par une explication des droits relatifs à la posture d’enquêté. Un certain nombre de personnes rencontrées au cours de cette recherche bénéficie d’une certaine notoriété dans les sphères politiques, culturelles ou militantes. À ce titre, la question de la désanonymisation s’est posée. Le formulaire de consentement se clôt par un item permettant à l’enquêté de choisir s’il souhaite, ou non, préserver son anonymat. Toutefois, afin que la participation à cette recherche doctorale ne soit pas préjudiciable aux enquêtés, il est entendu que cette désanonymisation ne prend acte que si cela s’avère nécessaire pour l’analyse.
Outre la question de l’anonymisation ou non concernant des participants, la question de l’éventuelle anonymisation des institutions étudiées s’est également posée. S’il semble parfois difficile de présenter les résultats en omettant de présenter les associations, l’analyse ne nécessite toutefois pas toujours de les nommer, notamment quand il s’agit d’évoquer des tensions et des contradictions plus ou moins fortes entre elles.
Dans de nombreux cas, il s’est avéré nécessaire de s’émanciper du cadre formel, rigide et contractuel prévu par le formulaire de consentement et l’enregistrement. De ce fait, un certain nombre des participants n’ont pas signé ce formulaire et n’ont pas été enregistrés. Il leur a toutefois été présenté les objectifs de la recherche et leurs droits en tant qu’enquêtés de façon orale et explicite en début d’entretien.
La recherche doctorale à laquelle vous participerez est financée par le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Elle est conçue et réalisée par Ellie Mevel (laboratoire Dysola, Normandie Université) et dirigée par Michalis Lianos (Professeur de sociologie, Normandie Université). Pour des raisons d’ordre éthique et déontologique, nous souhaitons vous tenir informé.e. de vos droits en tant qu’enquêté.e.
Vous acceptez de participer à un entretien de recherche avec Ellie Mevel dans le cadre de son travail de doctorat sur la mobilisation de la diaspora palestinienne en France. Votre participation vise à soutenir la recherche scientifique et aucune contrepartie ne vous est proposée.
L’entretien de recherche, sous réserve de votre acceptation, sera enregistré. Toutefois, cet enregistrement sera réservé à une utilisation confidentielle.
Vous pouvez à tout moment vous retirer de cette recherche auquel cas l’entretien réalisé ne pourra être utilisé ni dans la thèse, ni dans la publication de travaux scientifiques. Si vous le souhaitez, vous pouvez demander à ce qu’une partie de l’entretien ne soit pas exploitée dans la recherche. Des extraits de l’entretien pourront figurer dans le texte de la thèse d’Ellie Mevel et dans ses publications scientifiques. Ces extraits seront exploités en utilisant un alias, sauf si vous souhaitez expressément que votre nom y paraisse. La description de votre profil sera modifiée de façon à ce que vous ne soyez pas indirectement reconnu.e (par exemple, par votre fonction dans une organisation, votre participation à un évènement etc.)
Nous vous remercions vivement pour votre participation à cette recherche.
Choix retenu : J’accepte que mon nom soit cité dans les travaux de recherche (thèse et publications scientifiques).
Les refus de participer comme reflet de dynamiques sociales à l’œuvre sur le terrain
Toutefois, cette difficulté d’accéder à une population désaffiliée ou non-engagée soulève un certain nombre de questions aussi bien méthodologiques que théoriques. L’explication proposée par Lacroix (2013) reste insatisfaisante, dans le sens où les travaux de Lamarche (2013) auprès des refuznikim ou des militants anti-occupation indiquent qu’il n’est pas impossible, loin s’en faut, de recueillir de nombreux témoignages de personnes optant pour une posture de « trahison » à l’égard de leurs pairs. Toutefois, contrairement aux non-engagés ou désengagés, les enquêtés de Lamarche (2013) sont des militants actifs qui combattent l’ensemble dont ils sont originaires. En ce sens, ce n’est pas nécessairement la « fidélité à la cause » qui rend inaccessibles les témoignages de désaffiliés, mais plutôt que leur désaffiliation ne conduit pas à une autre affiliation tout aussi engageante. Dans le cas des non-engagés, les personnes rompent avec la communauté pour des motivations qui ne tiennent pas à une réorientation militante. Les raisons de la désaffiliation ou de la non-adhésion peuvent donc être attribuées à des choix individuels et non idéologiques. Or, si prévaut largement l’idée que l’attachement à un dessein individuel est au cœur de la modernité, on doit nuancer ce propos au regard des communautés sous pression. Quand une menace existentielle pèse sur un ensemble et que le devenir en tant qu’ensemble reste incertain, un détachement vis-à-vis de l’ensemble en raison de considérations individualistes semble une posture inacceptable. Cela ressort particulièrement dans les parcours et les discours de nos enquêtés (cf. Chapitre III). Si ces individus font tous référence à la nécessité de se préserver en tant qu’individu et de faire primer leur épanouissement personnel et professionnel, il n’empêche qu’ils ont tous pris une part active, et pour le moins engageante, vis-à-vis de la communauté. La difficulté de réaliser des entretiens avec des personnes non-engagées témoigne donc d’une posture difficilement tenable : celle de se soustraire à une identité menacée afin de se préserver en tant qu’individu.
Les refus de participer à une recherche – et plus particulièrement à un entretien de recherche – peuvent, en ce sens, être appréhendés comme des révélateurs de dynamiques sociales à l’œuvre sur le terrain. Il s’agirait de les considérer non plus « comme des anecdotes intempestives, mais comme des données d’enquête ordinaires en élargissant le champ des possibles des voies d’accès à la connaissance » (Papinot, 2013 : 2). Les refus sont inhérents au travail de terrain et sont généralement appréhendés comme une difficulté parmi tant d’autres à surmonter dans le long cheminement de la recherche. Aussitôt dépassés, ils sont bien vite oubliés et rarement exploités. Comme la plupart des obstacles avec lesquels le chercheur a dû s’accommoder, les refus font généralement partie des impensés que certains appellent communément la « cuisine de la recherche » ou le « bricolage méthodologique ». Toutefois, cette terminologie informelle semble, d’une part, témoigner d’une certaine fragilité épistémologique et, d’autre part, souligner que si les soubassements sont parfois peu solides, ils suffisent à maintenir debout l’édifice conceptuel.
Il paraît pourtant difficile de négliger l’importance qualitative que représentent les refus dans l’analyse, ne serait-ce que parce qu’ils expriment la parole de ceux qui ne se sont justement pas exprimés. Il est évidemment extrêmement difficile de comprendre le sens dans l’absence de données et l’on peut imaginer que si les refus sont négligés c’est parce que nous ne disposons pas d’outils pour les penser. Bien que nous manquions de catégories opérantes pour penser le refus, on peut se demander à quel point il est satisfaisant de réduire l’analyse à la partie visible et audible de l’objet étudié ? Peut-on concentrer la réflexion exclusivement sur ceux qui ont répondu favorablement à notre invitation en faisant abstraction de la face immergée de l’iceberg ? Comment donner du sens à un silence ou plutôt à un refus de s’exprimer ? Au même titre que l’abstention électorale est analysée, il semble important de dévoiler les raisons et le sens dans l’acte de s’abstenir de participer à une recherche. Les personnes sollicitées ne sont pas égales face à la requête du chercheur. Certaines disposent d’une marge plus ou moins étendue, pour accepter ou refuser la demande d’entretien. Il semble donc nécessaire de comprendre les facteurs déterminant la volonté ou le refus de participer à une enquête en sciences sociales.
La prise en compte des refus a permis d’offrir certaines pistes d’analyse, de formuler certaines hypothèses de travail, et a éveillé notre intérêt pour le sens social que pouvait abriter les refus. L’exemple de Hussein (55 ans, cadre de la fonction publique) semble particulièrement illustratif de ce phénomène. Au cours d’un appel téléphonique, il m’explique les raisons de sa réticence à participer à un entretien de recherche : Moi si j’accepte de vous parler ce sera avec la langue de bois. Je vais vous dire ce qu’il faut dire et voilà c’est tout. Ça va pas vous faire avancer. Après sinon j’ai des problèmes. Alors voilà, si on se voit ce sera de la langue de bois, moi, je veux pas de problèmes. Je ne parlerai de rien, pas de mon parcours, pas des actions militantes. Après ça crée des problèmes. Je veux que mon nom il n’apparaisse nulle part, c’est pour ça que je ne signe aucune pétition. Après, on a des problèmes. »
En m’appelant pour m’informer des raisons de sa non-disposition à participer à l’entretien, cette discussion a permis de souligner le caractère hautement sensible de la recherche – caractère qui s’exprimait déjà dans les entretiens mais qui a été largement confirmé par les refus de ceux qui ont ressenti la participation à cette recherche comme une menace – et, également, d’émettre l’hypothèse de l’existence d’univers incompatibles entre certaines positions dans l’espace social et certaines postures idéologiques (cf. Chapitre II). Déjà Darmon (2005 : 107) avait évoqué que « les modalités d’acceptation ou de refus [de participer à une recherche] peuvent être rapportées à des positions dans l’espace des discours ». Comme l’indique Hussein (55 ans), sa profession ne lui permet pas de sortir d’un discours qui vise un large soutien. Il se prémunit donc contre toute objection ou discours qu’il qualifie de « langue de bois ». Ce type de justification interroge la possibilité qu’il existe des rationalités concurrentes, voire antagonistes, entre certaines postures idéologiques et certaines positions sociales. En d’autres termes, ce refus questionne la possibilité de survie sociale dont disposent les individus dans certains espaces, s’ils maintiennent une posture « trop » critique ou un attachement communautaire « trop » prononcé.
La majeure partie des refus a émané de personnes distantes à l’égard des réseaux militants et des institutions diasporiques. Comme si le non-engagement questionnait la légitimité de s’exprimer en tant que personne d’origine palestinienne. En utilisant la méthode boule de neige pour approcher la population d’étude, le cercle de contacts a peu à peu été élargi. Cependant, plus cette recherche amenait à s’éloigner des cercles militants et plus elle se heurtait à un nombre conséquent de refus. Il n’était pas rare que des personnes répondent négativement à ma demande en me donnant les coordonnées d’une autre personne plus « compétente » sur le sujet ou en me précisant qu’elles n’étaient pas engagées et donc pas en mesure de répondre à mes questions. Quelles que soient les justifications avancées, ces cas soulignent que certains ne se soumettent pas aux attendus. Et comme le souligne Lianos (2016 : 292-293), « Not doing what you are expected to do, sheer stubborn and blind refusal, is little researched by the social sciences. » Les refus – non plus ceux de participer à une recherche mais ceux de se soustraire un rôle assigné – témoignent donc d’une volonté de changer sa propre condition et d’échapper un avenir imposé, celui de « larbin » dans le cas exposé par Lianos (2016), ou celui de victime dans le cas des Palestiniens non-engagés.
Les refus de prendre part à un entretien semblent constituer des données empiriques particulièrement importantes dans la production de connaissances. Considérer les refus et la partie invisible permet de (re)donner une voix à ceux qui sont bien trop souvent écartés des recherches parce que manquant d’audibilité sociale. Dans le cas spécifique de l’étude des diasporas, l’invisibilité sociale et politique se transpose souvent en une invisibilité sur la scène académique. La prise en compte de ceux qui ont refusé de s’exprimer invite à redessiner les contours de l’objet étudié et permet d’inclure à l’analyse une strate particulière de la population, ce qui questionne les limites de la catégorie « diaspora ». En effet, la prise en compte des refus invite à se demander si la compréhension des phénomènes diasporiques doit se limiter à l’analyse des membres actifs de la diaspora. Si Brubaker (2005) n’entrevoie pas la pertinence d’inclure dans la diaspora des personnes qui ont perdu toute inclination vers leur pays d’origine et qui sont totalement « assimilées » dans leur société d’accueil, pour Sheffer (2003), la situation ne serait pas si tranchée et l’auteur a proposé le terme de « diaspora dormante ». Pour notre part, nous pouvons conclure que s’intéresser à la partie silencieuse de la diaspora et donner un sens aux refus de participer à une recherche offre la possibilité de saisir la complexité des processus sous-jacents à l’endormissement et à l’éveil d’une diaspora, mais aussi à l’engagement à distance et à l’adhésion à un conflit.
Pour les Palestiniens nés en exil, la souffrance à distance associée à un sentiment de rejet dans la société d’accueil tend à renforcer la probabilité de se situer dans une posture intransigeante vis-à-vis du conflit dans le pays d’origine. En ce sens, comme le souligne Mohammad-Arif (2014 : 219), « La souffrance à distance – donc imaginée – a eu des effets plus marquants que la souffrance, sinon vécue, au moins visualisée au plus près ». Cette tendance est à nuancer au regard des profils sociaux des acteurs considérés : les personnes bénéficiant d’importants capitaux socio-économiques tendent à s’orienter vers les postures du compromis ou de l’incertitude, tandis que celles bénéficiant de faibles capitaux sont plus enclines à s’insérer dans une posture d’intransigeance. Pour Hoffman et al (2007 : vii), les postures « radicales » développées en diaspora seraient dues au fait que les secondes générations de migrants « failed assimilation, and […] do not fit into their new society. » Par ailleurs, selon Loddo (2008 : 12) certains jeunes palestiniens au Royaume-Uni « construisent un ennemi sans visage, à même de représenter dans une condensation de signifiants, la menace sioniste, celle de l’assimilation culturelle, de la xénophobie et de l’islamophobie ». On peut ainsi retrouver une construction de l’ennemi similaire dans le discours des jeunes palestiniens nés en France et engagés dans une posture intransigeante. Le spectre des revendications est bien souvent élargi et ces individus se rapprochent de réseaux – tel que le Parti des Indigènes de la République – qui apportent un soutien à la Palestine tout en élargissant la focale à la lutte contre le sionisme, le colonialisme ou l’islamophobie. Cependant, il convient de souligner que ce n’est pas le manque d’intégration effective mais plutôt la perception du rejet qui conduit les individus s’orienter vers l’intransigeance. Par ailleurs, la souffrance à distance (Boltanski, 1993) et l’indignation qu’elle suscite chez les personnes nées en France peut constituer un socle de raisons favorisant le positionnement dans une posture de l’intransigeance. À cela se superpose un climat de méfiance à l’égard des musulmans ou des arabes, qui contribue à influencer la façon dont les Palestiniens se définissent et fait de la palestinéité une affiliation relativement discriminante (Signoles, 2011 : 395). Ainsi, la distance vis-à-vis de la zone de conflit, conjuguée à la perception de rejet dans la société française semble offrir un socle de conditions pouvant favoriser l’orientation vers des postures peu conciliantes à l’égard du conflit.
L’engagement vis-à-vis du pays d’origine, particulièrement si la diaspora a été générée par un conflit, semble être un phénomène allant de soi : les Palestiniens en diaspora maintiennent une loyauté à l’égard de leur terre d’origine, ils s’engagent dans des pratiques militantes, s’insèrent dans des réseaux transnationaux et participent au développement d’institutions diasporiques. Pourtant, loin de suivre cette logique linéaire, l’engagement en diaspora résulte de multiples facteurs. Les dispositions individuelles, ainsi que la motivation à rejoindre le mouvement, sont loin d’être des dimensions suffisantes pour expliquer l’inclinaison des individus à adopter une posture engagée. Aux appétences et compétences dont disposent les individus se superpose une toile institutionnelle qui semble jouer un rôle essentiel dans la mobilisation et la production des militants. Les propos tenus par l’activiste de Génération Palestine font bien ressortir la pluralité des mécanismes à l’œuvre dans la formation même de l’engagement. Celui-ci est en partie produit par la part active de la communauté, qui véhicule une injonction morale à participer à des activités militantes. Cette injonction est d’autant plus forte quand des liens affinitaires se tissent entre les Palestiniens en diaspora. En effet, ces relations affectives et communautaires rendent difficilement acceptable la prise de distance vis-à-vis de la sphère militante. Par ailleurs, l’incitation à l’engagement est renforcée par des personnes externes à la communauté, notamment celles qui militent au sein du réseau de solidarité. En ce sens, ce réseau associatif joue un rôle essentiel dans l’enrôlement et le maintien des Palestiniens dans une posture engagée en créant une demande implicite ou explicite, réelle ou imaginée.
Ainsi, l’obligation morale d’engagement des membres de la diaspora n’émerge pas seulement en tant que conséquence d’une socialisation et d’une appartenance, historique et contemporaine. Elle résulte également de la demande implicite et anticipée provenant de personnes externes à cette identité. L’anticipation de ces attentes normatives dans le contexte de l’exil renforce l’obligation de porter la condition collective et de se positionner vis-à-vis du conflit. L’incitation à adopter une posture militante en diaspora est donc produite à la fois par une force centripète provenant de la communauté d’appartenance et par une force externe provenant des attentes de certains ressortissants du pays d’accueil, notamment des militants, à l’égard des Palestiniens. La littérature a bien souvent insisté sur la première de ces forces, négligeant la seconde qui pourtant constitue un ressort essentiel à la compréhension de l’engagement.
Au cours de ce chapitre, nous souhaitons donc souligner la façon dont les militants palestiniens sont « façonnés » par les organisations de la diaspora et du réseau de solidarité. Nous verrons comment cette toile institutionnelle crée des cadres de pression incitant, et parfois contraignant, les Palestiniens à s’engager dans une carrière militante. Une fois engagés, les membres de la diaspora sont bien souvent tenus et retenus par ces réseaux dans leur posture militante. Par ailleurs, l’efficience du façonnage institutionnel est renforcée par le caractère politique associé à l’identité palestinienne. La mémoire collective et l’histoire de la Palestine ont fait de la revendication d’une identité palestinienne un acte politique et existentiel (Aouragh, 2011 ; Pirinoli, 2004). Cette perception de l’identité palestinienne – construite historiquement et largement relayée par les réseaux associatifs – a contribué à la construction d’une conception essentialisante de l’engagement lorsqu’il concerne les Palestiniens.
Dans un premier temps, nous verrons donc comment l’identité palestinienne s’est historiquement chargée d’une dimension à la fois politique, symbolique et existentielle. Cette construction identitaire singulière renforce la perception partagée par de nombreux Palestiniens selon laquelle l’engagement est une obligation morale, un devoir, voire une caractéristique inhérente à l’identité palestinienne. Dans une seconde partie, nous évoquerons comment les institutions diasporiques et la socialisation communautaire participent à l’injonction d’agir et de penser pour la cause et constituent un cadre de pression interne pour maintenir une orientation militante vers la terre d’origine. Dans une troisième partie, nous verrons comment l’injonction à s’engager est renforcée par les attentes normatives provenant d’un environnement externe, d’abord celui de l’exil et plus particulièrement celui constitué par les réseaux militants pro-palestiniens. Enfin, nous verrons dans une quatrième partie comment le sexe se révèle être un facteur important dans la perception différenciée de cette injonction à l’engagement. Nous aborderons, dans une cinquième partie, les processus de non-engagement et de désengagement et la distance que ce retrait peut provoquer à l’égard des réseaux de socialité mais aussi vis-à-vis de cette recherche qui a participé à la nécessité pour les enquêtés de prendre position à l’égard de leur origine et du conflit.
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Table des matières
INRODUCTION GENERALE
Sur les conflits contemporains
Sur le rôle des diasporas dans les conflits
Sur la diaspora palestinienne en France
CADRE ETHIQUE ET METHODOLOGIQUE
I. Point de vue situé et réflexivité et posture du chercheur sur un terrain engagé
1) Le choix d’un terrain engagé
2) Rapport au terrain et neutralité : le chercheur pris en tenaille
3) Posture du chercheur sur un terrain sensible
II. Les dilemmes éthiques d’une recherche en terrain sensible
III. Population d’étude
1) Les Palestiniens en exil
2) Population d’étude et description des enquêtés
3) Le consentement libre et éclairé
IV. Outils méthodologiques
1) Entretiens semidirectifs et compréhensifs
2) Les discussions informelles
PARTIE I. POSTURES DIASPORIQUES ET ENGAGEMENTS MILITANTS
CHAPITRE I. Les postures diasporiques : compromis, intransigeance, incertitude
I. La posture du compromis
II. La posture de l’intransigeance
III. La posture de l’incertitude
III. Des rapports différenciés à l’ennemi, au conflit et à la paix
Conclusion
CHAPITRE II. Les facteurs explicatifs d’un engagement différencié
I. Sur l’intégration
II. Posture de l’incertitude : incompatibilités et pragmatisme
III. Temps, espaces et générations
Conclusion
CHAPITRE III. Façonnage institutionnel et obligation morale à l’engagement
I. La dimension politique de l’identité palestinienne
II. L’appartenance historique et contemporaine
III. L’anticipation de la demande externe
IV. La perception de l’injonction en fonction du sexe
V. Désengagement et trahison : la non adhésion comme « soustraction entreprenante »
CONCLUSION DE PARTIE
PARTIE II. PLURALITE PACIFIQUE ET CONFLICTUELLE
CHAPITRE IV. Les organisations ethno-nationales aux Moyen-Orient
I. Fragmentation ou pluralité ?
II. Analyse secondaire de données
III. Échantillon
IV. Résultats
Conclusion
CHAPITRE V. Pluralité pacifique et pluralité conflictuelle dans la diaspora
Introduction
I. La pluralité dans la sphère politique : concurrence et conflit
II. Les conditions de la pluralité pacifique
CHAPITRE VI. Subjectivation et action : les complexités du rapport entre l’individuel et le collectif chez les Palestiniens en France
Introduction
I. L’engagement affranchi
II. Les propriétés sociales de l’engagement sectoriel
III. La fonction cohésive et socialisatrice d’une perception partagée
CONCLUSION DE PARTIE
CONCLUSION
La trahison comme forme d’innovation
La dispersion comme espace d’injonctions et de réflexions
BIBLIOGRAPHIE
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