Présentation du système d’amarrage classique et de ses limites
Dans les exploitations offshores, le pétrole issu des nappes sous-marines est acheminé depuis le fond de l’océan vers les plates-formes au moyen de conduites appelées risers. Du fait de la houle, des courants marins et du vent, les plates-formes ont tendance à dériver. Une dérive trop importante pourrait mettre les risers sous tension et les endommager fortement. Des systèmes d’amarrage sont donc utilisés pour limiter les excursions des plates-formes. Ces systèmes d’amarrage sont de différentes natures selon le type de plate-forme, les conditions météorologiques locales et la profondeur d’eau. Ils peuvent être provisoires ou permanents. Les ancrages permanents sont généralement constitués de plusieurs lignes reliées à la plate-forme et ancrées au fond de la mer.
Pour l’exploitation des nappes de pétrole situées à de faibles ou moyennes profondeurs (de quelques dizaines à quelques centaines de mètres), les lignes d’ancrage sont faites de chaînes en acier. Pour les forages dits de grands fonds (de quelques centaines de mètres à 1000 mètres de profondeur), on utilise des câbles en acier, reliés à leurs extrémités à des chaînes. Les industries pétrolières souhaitent depuis peu développer l’exploitation de nappes situées en Ultra Grand Fond (jusqu’à 3000 mètres). A de telles profondeurs, l’utilisation des systèmes d’ancrage classiques en acier n’est plus envisageable : les longueurs de câble nécessaires auraient un poids trop important pour que le système soit efficace (réduction de la capacité des platesformes à supporter des charges, problèmes de manutention,…). Pour exploiter les ressources en pétrole situées en Ultra Grand Fond, il est donc indispensable de développer de nouveaux systèmes d’amarrage, plus légers que les systèmes classiques connus.
Recherche de solutions techniques de remplacement
Plusieurs solutions ont été développées pour remplacer les systèmes classiques d’amarrage avec chaînes et câbles en acier. Une solution consiste à s’affranchir complètement de l’amarrage et à maintenir la plateforme en place par un système dit de Positionnement Dynamique (DP). La plate-forme est positionnée en temps réel à l’aide de turbines par rapport à une position donnée, contrôlée par GPS. Cette méthode reste cependant limitée à des applications à court terme. Pour les exploitations à plus long terme (certaines sont destinées à être exploitées pendant une vingtaine d’années), une alternative consiste à conserver le principe de maintien par amarrage en remplaçant le matériau utilisé pour les lignes.
L’acier a jusqu’à présent été le matériau de prédilection car d’une part, son comportement dans divers types d’applications, y compris les câbles, est relativement bien connu et, d’autre part, son prix est très compétitif. Tout matériau utilisé en remplacement de l’acier doit alors répondre à plusieurs critères en termes de résistance mécanique, de résistance chimique, mais également de coût. Concernant les propriétés mécaniques, plusieurs facteurs entrent en jeu pour le dimensionnement des lignes : l’excursion limite autorisée à la plate-forme, la force maximale supportée par la ligne, enfin la densité du matériau qui ne doit pas être trop élevée (ce qui est le facteur limitant dans le cas de l’acier).
La combinaison de ces facteurs permet de déterminer un ordre de grandeur du Module Spécifique que doit présenter le matériau de remplacement. D’autres facteurs sont également à considérer, tels que la stabilité des propriétés mécaniques lorsque le matériau est soumis à une sollicitation cyclique, ainsi que l’allongement à long terme (propriété en fluage), qui doit être limité. Du point de vue chimique le matériau de remplacement doit être résistant à la corrosion, ou de manière plus générale, ses propriétés doivent être stables en eau de mer. Enfin, du point de vue économique, le matériau doit être compétitif par rapport à l’acier. Cette compétitivité ne se calcule pas seulement sur le prix du matériau au kilo, mais également sur les coûts d’installation qui peuvent varier selon le type de lignes envisagé.
Les câbles en fibres synthétiques apparaissent comme une alternative prometteuse. L’ensemble des fibres synthétiques utilisées dans l’industrie des câbles présente un large éventail de propriétés mécaniques : leur module d’Young peut varier de quelques GPa à quelques centaines de GPa. Ce résultat n’égale pas le module de l’acier (200 GPa), mais ce déficit est largement compensé par une densité beaucoup plus faible : autour de 1 g/cm3 pour les fibres synthétiques contre 8 g/cm3 pour l’acier. Les problèmes de corrosion dus à l’immersion en eau de mer ne se posent pas avec les fibres synthétiques. Cependant, certains matériaux voient leurs propriétés mécaniques chuter lorsqu’ils sont immergés.
Toutes les fibres ne sont donc pas adaptées à l’utilisation offshore. Les fibres synthétiques présentent également un avantage économique certain. D’une part, la production industrielle massive de certaines fibres (PET, Nylon) permet d’avoir un matériau de base à un prix abordable. D’autre part, les coûts sont réduits du fait de leur faible densité : les câbles étant plus légers que ceux en acier, il est plus facile de les stocker, de les transporter et de les La faible densité des fibres a d’autres conséquences pratiques positives sur l’utilisation de tels câbles. Les systèmes d’amarrage faits de câbles et/ou chaînes en acier ont une configuration en caténaire : c’est en partie le poids des lignes qui permet de limiter le déplacement de la plate-forme. Avec les fibres synthétiques, les lignes ont une configuration tendue.
Cela a pour conséquence de réduire la longueur de câble nécessaire, mais également l’empreinte au sol, ce qui est appréciable dans des sites bien souvent encombrés. Enfin, le fait d’avoir des câbles plus légers entraîne une diminution des charges verticales appliquées à la plate-forme, ce qui lui confère une charge utile supérieure.
Choix du matériau
Il existe un grand nombre de polymères produits industriellement sous forme de fibres. La plupart de ces fibres servent de renfort dans les matériaux composites. Cependant, parmi celles-ci, certaines sont également produites spécifiquement pour la fabrication de câbles. D’un type de fibre à un autre, les propriétés, notamment mécaniques, diffèrent et en font des composants plus ou moins appropriés pour les câbles d’amarrage de plates-formes.
Parmi les câbles couramment utilisés dans le milieu maritime, on trouve les câbles de polypropylène et de nylon (polyamide 6,6), deux types de fibre de module relativement faible. Le nylon se retrouve également sous forme de petits câbles en tant que renforts de pneumatiques, ou encore dans les cordes d’alpinisme. Pour les applications marines, les deux fibres sont utilisées pour la fabrication d’aussières (câbles employés pour l’amarrage et le remorquage de navires). Cependant, elles ne semblent pas les plus adaptées pour l’amarrage des plates-formes. Malgré leur faible prix lié à une production de masse, leurs propriétés mécaniques ne sont pas satisfaisantes pour ce type d’applications. La faible résistance des fibres de polypropylène nécessiterait l’utilisation de câbles d’un diamètre excessif pour obtenir une charge à rupture équivalente à celle des câbles en acier.
De plus, le polypropylène est sujet à un fluage important lorsqu’il est soumis à des efforts continus, ce qui n’est pas souhaitable pour des lignes d’amarrage puisque l’on cherche précisément à limiter les mouvements de la plate-forme. Quant au nylon, ses propriétés mécaniques sont fortement amoindries en immersion. Enfin, par comparaison aux autres fibres disponibles sur le marché, le module que présentent les fibres de nylon et de polypropylène est largement inférieur (cf. Figure I-2). Il en résulte que pour des câbles de même diamètre faits de différents types de fibres, les excursions des plates-formes ancrées à l’aide de fibres de nylon ou de polyamide seront supérieures.
Les fibres PET (polyéthylène téréphtalate) ont un module plus élevé et sont actuellement les fibres les plus fabriquées et employées au monde, à la fois pour des applications textiles et techniques. En conséquence leur prix est relativement faible. Elles constituent à ce jour le matériau le plus sérieusement considéré en remplacement de l’acier. Plusieurs études ont été menées au cours de la dernière décennie dans ce sens et les premières plates-formes amarrées avec des lignes synthétiques en PET ont commencé à être exploitées ces dernières années (cf. §I.6). En effet, les fibres en PET présentent un bon compromis des caractéristiques requises pour l’amarrage offshore, à la fois mécaniques et économiques. Une nouvelle génération de fibres en PET a été développée récemment et pourrait être amenée à remplacer la génération antérieure.
Les fibres de PEN (polyéthylène naphtalate), qui comme celles de PET font partie de la famille des Polyesters, ont été développées pour le renfort de pneumatiques dans le but de remplacer le PET ou le nylon pour des conditions d’application plus contraignantes que la normale. Elles présentent de fortes similitudes avec les fibres en PET de par leur structure moléculaire, mais leur raideur est presque deux fois supérieure. L’utilisation de câbles en PEN devrait alors mener à une déformation moins importante et donc à des excursions de plate-forme réduites. Tout porte à croire que le comportement de ces fibres, qui n’est pas encore bien connu du fait de leur récente apparition sur le marché, se rapproche de celui du PET. Cela en fait donc un matériau intéressant pour l’application offshore. Toutefois son prix reste largement supérieur à celui du PET, car sa production est limitée. Il serait malgré tout intéressant de confirmer l’adéquation des propriétés mécaniques des fibres PEN avec les caractéristiques requises pour l’amarrage offshore car si cellesci s’avéraient avantageuses, il en résulterait une forte demande de production et logiquement une diminution du coût de fabrication.
Il existe d’autres fibres avec un module encore plus élevé, telles que les fibres aramide, HMPE (polyéthylène haut module), fibres à cristaux liquides comme le Vectran, ou PBO (polyphénylène benzobisoxazole). Les câbles en aramide et en HMPE sont utilisés dans le milieu maritime, et notamment pour des ancrages temporaires. Toutefois, ces fibres présentent certains inconvénients. Tout d’abord elles sont beaucoup plus chères que les fibres en PET. De plus elles sont beaucoup plus sensibles aux phénomènes d’abrasion et leur module élevé peut d’avérer être un problème par rapport aux phénomènes de fatigue.
La rupture en service précoce de câbles en aramide a d’ailleurs contribué à une certaine prudence dans l’utilisation de ce type de fibres. L’utilisation du HMPE est également critique à long terme car ce matériau flue beaucoup. Les fibres à cristaux liquides comme le Vectran sont encore très peu utilisées à ce jour. Leurs similitudes avec l’aramide laissent à penser que certaines caractéristiques telles que la sensibilité à l’abrasion seraient des facteurs limitants. Les fibres PBO, quant à elles, sont étudiées dans les domaines à haute technicité tels que l’aérospatiale pour leur module exceptionnel (au delà de 200 GPa), mais leur prix est beaucoup trop élevé. De plus très peu de données sont disponibles concernant le comportement à long terme de ce dernier type de fibre, qui semble montrer certaines faiblesses au contact de la lumière et de l’humidité.
Fabrication des fibres et des câbles synthétiques
Fabrication des fibres
Les câbles synthétiques sont obtenus par assemblage d’un très grand nombre de fibres unitaires ou filaments. Ces filaments ont un diamètre de quelques dizaines de microns. Ils sont fabriqués par filage, processus similaire à celui d’extrusion et qui consiste à transformer une masse visqueuse de polymère en un filament continu. Selon le type de polymère utilisé, le procédé de fabrication varie. Pour les thermoplastiques (entre autres Polyesters et Polyamides), on parle de filage à l’état fondu : c’est directement le polymère fondu qui est mis en forme. En amont du procédé, le polymère est introduit sous forme de granulés puis fondu ou bien la polymérisation est effectuée in situ en mélangeant les produits de la réaction sous vide et sous haute température. Le polymère fondu est ensuite acheminé par un jeu de pression à l’aide de pompes vers la filière, plaque percée de capillaires, à travers laquelle le matériau est extrudé après avoir été filtré pour éliminer les éventuelles particules étrangères qui affecteraient la qualité des fibres.
Dans le cas de la production industrielle, la filière comporte plusieurs centaines de trous et les filaments sont produits sous forme de yarns. Selon l’application, la forme de section des trous de la filière peut varier (on trouve par exemple des formes trilobées pour les applications textiles, qui confèrent au filament certaines propriétés optiques) mais elle est généralement cylindrique pour les fibres techniques. En sortie de filière, les filaments formés se solidifient au contact de l’air, la solidification étant complétée par l’application d’un jet d’air à 20°C perpendiculairement à la direction de filage.
Le yarn ainsi produit passe ensuite par une étape d’ensimage. Elle consiste à déposer une fine couche de substance chimique huileuse sur le yarn, à la fois pour faciliter son passage sur les organes métalliques intervenant dans l’étape suivante de bobinage, et pour éliminer les éventuelles surcharges électrostatiques qui pourraient bouleverser l’alignement des filaments au sein du yarn et ainsi nuire au bobinage. L’ultime étape de bobinage est combinée avec l’étape d’étirage. Le yarn ensimé est appelé en contrebas par un mécanisme d’enroulement qui maintient sur celui-ci une tension et une vitesse linéaire constantes.
Il est ensuite repris par deux couples de cylindres qui permettent, grâce à des vitesses de rotation différentes, de l’étirer de plusieurs fois sa longueur initiale. Cette étape est déterminante pour les propriétés mécaniques finales des fibres car elle modifie leur microstructure en alignant les macromolécules au sein du filament, ce qui a des conséquences notables sur le module d’Young et la résistance à la rupture en traction. Les vitesses typiques de ce procédé de filage-étirage sont généralement comprises entre 4000 et 7000m/min. Une étape supplémentaire, similaire à l’étape d’ensimage, peut être ajoutée en cours de procédé. Elle consiste à appliquer sur le yarn une substance, appelée simplement « finish », dans le but d’améliorer certaines propriétés spécifiques à l’application envisagée. Sur les filaments destinés à la fabrication de câbles d’amarrage, est appliqué un « marine finish » qui permet une diminution des effets de frottement entre yarns au sein du câble en milieu marin.
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Table des matières
LEXIQUE
INTRODUCTION
SYMBOLES UTILISES
I INTRODUCTION A LA PROBLEMATIQUE INDUSTRIELLE : RECHERCHE DE NOUVELLES SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES POUR AMARRER LES PLATES-FORMES OFFSHORE
I.1 PRESENTATION DU SYSTEME D’AMARRAGE CLASSIQUE ET DE SES LIMITES
I.2 RECHERCHE DE SOLUTIONS TECHNIQUES DE REMPLACEMENT
I.3 CHOIX DU MATERIAU
I.4 FABRICATION DES FIBRES ET DES CABLES SYNTHETIQUES
I.4.1 Fabrication des fibres
I.4.2 Fabrication des câbles
I.4.3 Terminaison des câbles
I.5 PROBLEMATIQUES MECANIQUES LIEES A L’USAGE DE LIGNES SYNTHETIQUES
I.5.1 Représentation des efforts, comportement force – allongement
I.5.2 Mécanismes de rupture
I.6 ETAT DE L’ART
I.7 CHOIX DES ORIENTATIONS DE RECHERCHE ET PLAN DE L’ETUDE
II COMPORTEMENT MECANIQUE DES CABLES ET FIBRES
SYNTHETIQUES : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
II.1 COMPORTEMENT DES ASSEMBLAGES DE FIBRES
II.1.1 Paramètres liés au comportement mécanique des assemblages de fibres
II.1.2 Etude des mécanismes de rupture à long terme
II.2 COMPORTEMENT DES FIBRES PET ET PEN
II.2.1 Généralités
II.2.2 Propriétés mécaniques
II.2.3 Mécanismes de rupture à long terme
II.2.4 Observations en microscopie
II.3 MODELISATION DU COMPORTEMENT
II.3.1 Comportement en traction
II.3.2 Comportement à long terme
II.3.3 Modèle spécifique du comportement des câbles synthétiques : FRM
II.4 BILAN DE L’ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
III CARACTERISATION DES ASSEMBLAGES DE FIBRES
III.1 DESCRIPTION DES SPECIMENS ET PROTOCOLES EXPERIMENTAUX
III.1.1 Différentes tailles d’assemblage étudiées
III.1.2 Moyens expérimentaux
III.2 RESULTATS DES ESSAIS DE CARACTERISATION MECANIQUE
III.2.1 Caractérisation du rope
III.2.2 Caractérisation du sub-rope
III.2.3 Caractérisation du rope-yarn
III.3 BILAN DE LA CARACTERISATION DES ASSEMBLAGES
IV CARACTERISATION DES FIBRES (YARNS & FILAMENTS)
IV.1 DESCRIPTION DES SPECIMENS ET PROTOCOLES EXPERIMENTAUX
IV.1.1 Yarns et filaments
IV.1.2 Moyens expérimentaux
IV.2 RESULTATS DES ESSAIS DE CARACTERISATION MECANIQUE
IV.2.1 Caractérisation du yarn : traction
IV.2.2 Caractérisation du filament
IV.3 OBSERVATIONS EN MICROSCOPIE DES FACIES DE RUPTURE
IV.3.1 Faciès de rupture après traction ou fluage
IV.3.2 Faciès de rupture après sollicitation cyclique
IV.4 BILAN DE LA CARACTERISATION DES FIBRES
V DISCUSSION : VERS UNE COMPREHENSION GLOBALE DU COMPORTEMENT DES ASSEMBLAGES DE FIBRES EN PET & PEN
V.1 COMPARAISON DES COMPORTEMENTS AUX DIFFERENTES ECHELLES
V.1.1 Comportement en traction
V.1.2 Comportement en fluage
V.1.3 Effet de la mise en place, déformation permanente
V.1.4 Rupture sous sollicitation cyclique
V.2 VALIDATION DU MODELE FRM
V.2.1 Création d’un modèle géométrique de câble
V.2.2 Simulation du comportement mécanique
V.2.3 Bilan de la validation du modèle
V.3 COMPORTEMENT DES FIBRES UNITAIRES EN PET ET PEN
V.3.1 Comportement en traction
V.3.2 Origines de la déformation permanente
V.3.3 Comportement en fluage
V.3.4 Comportement sous sollicitation cyclique
V.4 BILAN
VI CONCLUSIONS
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