Exposome : Nouveau concept pour étudier les risques sanitaires
En 2005, Chris Wild a présenté le concept du « exposome » (Wild, 2005). Il a suggéré que, conjointement avec la génomique, la métabolomique, la protéomique et la transcriptomique, nous devons également comprendre les relations entre les expositions aux produits chimiques et les maladies tout au long de la vie. Plusieurs années plus tard, Lijoy et Rappaport (Liory et Rappaport, 2011 ; Wild, 2012) ont également exploré ce concept. Ils ont souligné que l’évaluation des expositions ne devrait pas être limitée aux produits chimiques pénétrant dans le corps mais devrait également inclure les substances toxiques générées d’une manière endogène par l’inflammation, le stress oxydant, la peroxydation lipidique (LPO) et d’autres processus physiologiques (Rappaport et Smith, 2010 ; Rappaport, 2011) (Figure 1). En effet, cette notion d’exposome est apparue suite au constat d’une recrudescence de pathologies chroniques dont la notion de susceptibilité génétique ne pouvait à elle seule l’expliquer. Au final, l’exposome désigne l’intégration de l’ensemble des expositions délétères pour la santé, à la fois environnementales, comportementales et professionnelles auquel est soumis un individu tout au long de son existence.
Ce concept nécessite aujourd’hui de nombreux développements méthodologiques innovants dans l’évaluation et la traçabilité des expositions à risque cancérigène. Ces dernières deviennent de plus en plus complexes en raison des sources multiples, de leur chronicité et des faibles doses des contaminants.
La recherche liée aux dommages à l’ADN en lien avec diverses expositions aériennes à des produits chimiques a été l’une des priorités du laboratoire Aliments Bioprocédés Toxicologie Environnements (ABTE). Parmi les polluants retrouvés dans le milieu aérien, nous avons portés notre regard sur les aldéhydes qui sont des produits hautement réactifs très nocifs pour la santé. Ils sont très irritants et ont la capacité de se lier directement aux macromolécules cellulaires qui peuvent être à l’origine de dommages très délétères pour la santé humaine (Voulgaridou et al., 2011). Ce chapitre mettra donc l’accent sur notre compréhension des dommages à l’ADN induits par les aldéhydes, sur la notion des biomarqueurs et sur les progrès des méthodes d’analyse qui ont considérablement modifié notre capacité à mesurer avec précision les biomarqueurs, tels que les adduits à l’ADN au cours des dernières décennies.
Surveillance biologique de l’exposition chez l’Homme : notion de biomarqueurs
La notion de biomarqueur est issue du domaine de l’épidémiologie moléculaire née dans les années 1980 afin de comprendre les causes de la survenue du cancer, et d’améliorer la prévention de cette maladie (Marie, 2007). La biosurveillance de l’exposition des individus aux produits cancérigènes apparaît ainsi comme un outil essentiel à la prévention, et celleci est permise par l’étude de tout un panel de biomarqueurs pouvant être détectés bien avant la survenue d’un cancer. La formation endogène de certains biomarqueurs peut en outre compliquer l’évaluation de l’exposition externe.
Dans le domaine de la santé, il existe plusieurs types de biomarqueurs, les biomarqueurs diagnostiques, pronostiques et prédictifs permettant respectivement de dépister une maladie, de suivre son evolution et d’évaluer la réponse au traitement. Les étapes de validation doivent être réalisées lors d’études préliminaires, voire de transition pour faire le lien entre les approches de laboratoire et les études en population. Une validité analytique pour doser les biomarqueurs doit être opérée. Il faut s’assurer de la limite de détection de quantification, de sensibilité, de spécificité, d’exactitude et de précision. A coté de ces critères il faudra vérifier la fiabilité de la méthode dans le temps. Un autre critère à vérifier est la validation biologique du biomarqueur. Il faudra connaître les facteurs intervenant dans les variations intra- et inter-individuelles, sa persistance dans l’organisme afin d’évaluer la fenêtre d’exposition. Aussi pour démontrer une possible association entre l’exposition, le biomarqueur et la maladie, il faudra s’attacher à explorer les critères suivants (Pleil, 2012) :
1- l’origine (exogène, endogène ou une réponse) ;
2- la fonction biologique ;
3- les paramètres cinétiques (absorption, distribution, métabolisme ou élimination) ;
4- le milieu biologique en lien avec la période d’exposition (sang, urine, salive, air expiré…).
Dans le domaine de la santé et de l’environnement, pour établir une relation de cause à effet, il est également possible d’utiliser les biomarqueurs. On distingue trois types de biomarqueurs (Perera et Weinstein, 2000 ; Pleil, 2012) :
◈ Les biomarqueurs d’exposition (polluant dans l’organisme) : ils correspondent à toutes substances exogènes, métabolite ou réponse à une interaction entre un agent xénobiotique et une molécule ou cellule-cible mesurée dans un compartiment de l’organisme. On distingue ainsi la dose interne, reflétant la mesure du xénobiotique ou d’un de ses métabolites dans une matrice biologique. Cette mesure de la dose interne est pertinente et complémentaire des approches épidémiologiques. Elle permet en effet d’évaluer spécifiquement les doses avec lesquelles l’organisme est directement en contact en intégrant les mécanismes d’absorption, de distribution, de métabolisme, de bioaccumulation et d’élimination du xénobiotique, variables d’un être humain à l’autre. Pour illustrer cette catéogorie nous pouvons citer la cotinine, métabolite de nicotine, bon marqueur du tabagisme actif mais aussi passif mesurable dans la salive, le sang et les urines, (Hecht, 2003; Kim, 2016). Dans une autre étape, il est possible de mesurer la dose biologiquement efficace qui correspond à la dose au niveau de la cible biologique telle que la détermination des adduits à l’ADN. Ils peuvent être caractéristiques d’un produit ou d’une famille de produits cancérigène (exemple, les hydrocarbures aromatiques polycycliques HAP) comme ils peuvent mettre en évidence des dommages moins spécifiques liés par exemple à des phénomènes d’alkylation ou d’oxydation. L’interprétation des taux d’adduits doit tenir compte de leur persistance, elle même dépendante de la stabilité du produit, des systèmes de réparation et de la fréquence de renouvellement des macromolécules et de la cellule ciblées.
◈ Les biomarqueurs d’effet (réponse de l’organisme) : ils traduisent les conséquences physio-pathologiques de l’exposition à un polluant, ils permettent de détecter des effets biologiques plus ou moins proches de la survenue de la maladie. Elles marquent la plupart du temps des lésions irréversibles (exemple : protéines du choc thermique, enzymes du stress oxydant, les mutations somatiques, aberrations chromosomiques…).
◈ Les biomarqueurs de sensibilité aux effets : leur étude a pour but d’identifier les individus présentant une sensibilité élevée à certains polluants. Les facteurs de susceptibilité comprennent l’âge, le sexe, l’origine éthnique, le statut nutritionnel, ou l’existence de maladie prédisposante. Les paramètres les plus étudiés sont les facteurs de prédispositions génétiques et les polymorphismes de gènes impliqués dans les réponses biologiques suite à l’exposition à un facteur de risque (réparation de l’ADN, métabolisme des xénobiotiques, systèmes immunitaires, l’infalmmation…).
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Table des matières
Introduction
Etude de profils en adduits à l’ADN comme biomarqueurs potentiels d’exposition aux polluants aériens en milieu urbain dans une approche de type adductomique
I. Chapitre 1 : De l’exposome à la compréhension mécanistique des effets induits par les aldéhydes
I- Exposome : Nouveau concept pour étudier les risques sanitaires
II- Surveillance biologique de l’exposition chez l’Homme : notion de biomarqueurs
III- Exposition systémique aux aldéhydes
1. Expositions environnementales
2. Expositions endogènes
IV- Adduits des aldéhydes à l’ADN et cancérogenèse
1. Stress oxydant et adduits exocycliques
2. Réactions de quelques aldéhydes dérivés de la LPO avec l’ADN et conséquences fonctionnelles
3. Effets des aldéhydes dans l’induction de la transformation maligne des cellules normales
4. Mécanisme de réparation des lésions de l’ADN
5. Intérêt des adduits à l’ADN comme biomarqueurs d’exposition
V- Méthodes de dosage des adduits à l’ADN
1. Méthodes non chromatographiques
2. Méthodes chromatographiques
VI- Objectifs de la thèse
II. Chapitre 2 : Mise au point de la méthode d’analyse par UHPLC-MS/MS
I- Etat de l’art
II- Préparation des adduits
1. Réactifs
2. Préparation des solutions mères
III- Mise au point de la méthode de dosage
1. Préparation des étalons de calibration et des échantillons de contrôle de la qualité
2. Hydrolyse enzymatique
3. Chromatographie liquide
4. Conditions de spectrométrie de masse
5. Validation
6. Résultats
IV- Discussion
III. Chapitre 3 : Etude in vitro des adduits à l’ADN des aldéhydes
I- Partie expérimentale
1. Exposition acellulaire aux aldéhydes
2. Exposition acellulaire aux mélanges équimolaires d’aldéhydes
3. Analyse des adduits formés par la méthode validée en UHPLC-ESI-MS/MS
II- Résultats et discussion
1. Analyse de l’ADN du thymus de veau traité avec des aldéhydes
2. Analyse de l’ADN du thymus de veau traité avec des mélanges équimolaires d’aldéhydes
IV. Chapitre 4 : Etude de l’exposition tabagique sur le profil d’adduits exocycliques
I- Objectif de l’étude
II- Méthodologie
III- Partie expérimentale
1. Échantillons de sang humain
2. Extraction d’ADN à partir du sang humain
3. Analyse statistique des données des échantillons
IV- Résultats
V- Discussion
V. Chapitre 5 : Etude en milieu professionnel de différents biomarqueurs pour le suivi de l’exposition aux aldéhydes en milieu urbain
I- Objectif de l’étude
II- Méthodologie
III- Partie expérimentale
1. Caractérisation de la population
2. Questionnaires général et quotidien
3. Prélèvements et traitement des échantillons
4. Test de la fonction pulmonaire
5. Caractérisation de l’exposition aux aldéhydes
6. Marqueurs biologiques
7. Analyse statistique
IV- Résultats
1. Caractéristiques générales de la population
2. Biomarqueurs du stress oxydant
3. Effets des aldéhydes et de divers facteurs sur le MDA
V- Discussion
Discussion générale et perspectives
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes