Expositions de soi : journal intime et reconfiguration de l’intimité à l’heure d’Internet

C’est au début des années 2000 que nous avons découvert, sur le Web , une pratique au premier abord surprenante : des individus tenaient, en public, mais de façon anonyme, leur journal intime. Rassemblés autour d’un site, Journalintime.com, ces diaristes d’un nouveau genre – des diaristes en ligne, en somme – exposaient leur quotidien, leurs réflexions personnelles et sentiments, sous les yeux de lecteurs, qui se matérialisaient par des messages postés dans les forums. Ces journaux intimes – en ligne donc – nous ont aussitôt interpellée, et nous avons suivi quotidiennement certains d’entre eux, fascinée par la facilité avec laquelle ces individus partageaient leurs pensées intimes avec des inconnus.

À la même époque, s’exacerbaient les critiques relatives au rapport de l’individu contemporain à l’intime ; un climat de mépris entourait les phénomènes d’exposition de soi, se cristallisant, notamment, autour de la télé-réalité – la fameuse « télé-poubelle » –, la presse people, les Skyblogs , ou les ouvrages de littérature autofictionnelle . Entre in-intérêt et banalité, narcissisme et exhibitionnisme, les attaques visaient tout à la fois le contenu de ces productions, et les motifs de leurs auteurs – qui, par ailleurs, apparaissaient comme des victimes, plus ou moins consentantes, de stratégies marketing. Depuis, l’apparition des réseaux sociaux – et en particulier Facebook – a amplifié la virulence de ces discours qui, pour certains, vont jusqu’à annoncer la « mort » de l’intimité ; « doit-on dès lors se rallier à ceux qui, déplorant que l’intime, présent partout, ne le serait finalement nulle part, n’y voient plus qu’un nouveau diktat de l’époque, au cœur de stratégies commerciales désireuses d’appâter lecteurs et spectateurs potentiels ? » .

SE CACHER ? EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT

LE JOURNAL INTIME COMME FAIT DE COMMUNICATION 

Une approche généalogique 

Pour débuter cette étude, il nous semblait indispensable de remonter aux origines de la pratique diaristique, dont la naissance est datée à l’orée du XIXème siècle : nous souhaitions poser les jalons de l’histoire du diarisme, dans un souci définitoire, mais aussi pour comprendre les mutations qui ont pu amener le journal intime à épouser la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Souligner le fait que le journal intime n’est pas né ex nihilo, et explorer, au-delà des motifs individuels, les dynamiques sociales à l’œuvre dans la pratique diaristique, ainsi que certaines de ses filiations historiques : ce cheminement devait nous permettre d’inscrire les modalités contemporaines de la pratique dans une généalogie. Cependant, nous ne prétendons ni être historienne, ni être sociologue ; notre objectif n’était pas de retracer l’histoire du journal intime dans sa globalité, ou de dresser l’ensemble des imbrications sociales le concernant. Par ailleurs, notre réflexion se nourrit largement d’études littéraires, qui sont majoritaires à s’être intéressées au journal intime. Notre regard est donc interdisciplinaire, et notre perspective communicationnelle : c’est du point de vue de sa mise en exposition que nous avons interrogé le journal intime.

Une schématisation assumée : une époque = un diariste = un texte 

Nous ne prétendons donc à aucune exhaustivité, et pour ne pas tomber dans le piège d’une portraitisation superficielle, nous avons opté pour la démarche suivante : partir de quatre diaristes manuscrits, Benjamin Constant, Marie Bashkirtseff, Anne Frank, et Anaïs Nin, afin d’aborder à travers chacun d’entre eux un certain nombre d’enjeux sociaux relatifs aux modalités d’exposition de soi. Nous n’appréhendons pas ces auteurs comme représentatifs d’une époque – nous avons conscience que la chose serait dangereusement réductrice –, mais comme cristallisant certaines mutations dans l’exposition de l’intimité. Ces diaristes ne sont donc pas forcément exemplaires d’une période, mais leur pratique se trouve toujours au cœur d’évolutions sensibles dans l’histoire du journal intime.

En procédant ainsi, nous avons pleinement conscience d’opérer un travail de formalisation du réel ; mais cette schématisation nous est apparue être riche en avantages. Elle nous a permis de mettre au jour, par une étude diachronique, certaines concordances entre usages personnels et contexte social, mais aussi un fil conducteur qui sous-tend, nous semble-t-il, l’évolution du diarisme. Au travers de ce travail d’exemplification – à chaque époque, son journal intime –, nous avons pu saisir différentes modalités d’expression et d’exposition de l’intimité, sans nous perdre dans une exploration globale, qui dépassait notre sujet, mais aussi nos compétences.

Nous avions également le souci de mettre le texte au cœur de notre étude ; nous ne souhaitions pas aborder cette approche généalogique sans donner chair à notre objet d’étude : le journal intime. Pour cette raison, nous avons choisi pour chaque diariste une entrée de son journal , que nous avons analysée. Là encore, le parti-pris est celui de l’exemplification : nous considérons ces extraits comme des formulations personnelles de l’intimité, comme autant de balises sur l’itinéraire des modes d’exposition de l’intimité. Nous n’appréhendons pas ces extraits comme disant le tout – ce ne sont ni des échantillons des journaux intimes de leur époque, ni des journaux des diaristes en question –, mais les analyser est pour nous une façon d’entrer dans l’intimité du texte ; ils nous permettent, non pas seulement d’illustrer, mais de donner corps à notre étude, en devenant sujets d’analyse et d’interprétation. D’autant plus que, nous l’aborderons, « le journal est un texte qui parle de lui-même, se regarde et se questionne, se constitue souvent en journal du journal » ; le caractère méta discursif de ces écrits permet d’observer, au sein même des journaux, des discours sur la pratique, qui apparaissent particulièrement éclairants.

Une approche communicationnelle 

Il peut sembler, à première vue, paradoxal d’étudier le journal intime dans une perspective communicationnelle, puisqu’il apparaît, dans l’imaginaire commun, relever d’une pratique secrète et solitaire, en outre destinée uniquement à soi-même. Cependant, dès les débuts de notre recherche, nous avons constaté que la tentation du lectorat était apparue très tôt chez les diaristes, et que même chez ceux qui s’en défendent, la projection d’autrui venait « incliner » l’écriture. Il est tentant de penser que l’individu est capable de noter le fruit de sa pensée en se « coupant » du monde social, dans une posture solipsiste, et dans une solitude absolue. Mais le journal intime relève bien d’une forme discursive ; et « un discours, quel qu’il soit, n’est pas une entité isolée, pris dans un fonctionnement autarcique. Il est adossé à la langue, aux discours préexistants et contemporains, au(x) genre(s) dont il relève, traversé par ces réalités diverses. Il est donc un lieu de tensions, de conflits, de négociations avec des extérieurs qui le constituent également et il requiert que soient également prises en compte son hétérogénéité et la dimension dialogique » .

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE – SE CACHER ? EXPLORATION GÉNÉALOGIQUE DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT
INTRODUCTION TRANSITOIRE : LE JOURNAL INTIME COMME FAIT DE COMMUNICATION
I BENJAMIN CONSTANT : LA POSTURE D’UNE AUTO-DESTINATION EXCLUSIVE
II MARIE BASHKIRTSEFF : L’INTRONISATION DU LECTORAT
III ANNE FRANK : DE LA PRATIQUE ORDINAIRE À L’ŒUVRE ÉDITÉE
IV ANAÏS NIN : L’IMPOSSIBLE TRANSPARENCE À SOI
CONCLUSION TRANSITOIRE : DU JOURNAL INTIME MANUSCRIT AU JOURNAL INTIME EN LIGNE
DEUXIÈME PARTIE – SE MONTRER ? CONTEXTUALISATION CONTEMPORAINE DU JOURNAL INTIME EN LIGNE
I MODALITÉS CONTEMPORAINES DE L’EXPOSITION DE L’INTIMITÉ
II DISCOURS DE DIARISTES EN LIGNE
CONCLUSION TRANSITOIRE : DE LA SAISIE DES SINGULARITÉS À LA COMPRÉHENSION DU PHÉNOMÈNe
TROISIÈME PARTIE – LES PARADOXES DE L’INTIMITÉ
I LES FONCTIONS DU JOURNAL INTIME
II LA RELATION À L’ÉCRITURE
III DEUX NOTIONS PROBLÉMATIQUES : LA SINCÉRITÉ ET L’INTIMITÉ
IV LES ENJEUX DU DISPOSITIF WEB
V QUELLE PLACE POUR LE CHERCHEUR DANS UNE PRATIQUE INTIME ?
CONCLUSION GÉNÉRALE
Annexes
Bibliographie
Table Des Matières
Table des figures
Tables des annexes

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