Exploration analytique et expérimentale des interactions cohérence-turbulence au sein d’un écoulement de sillage

« La science doit s’accommoder à la nature. La nature ne peut s’accommoder à la science. »  Ferdinand Brunot  .

La Nature, la science et ses géants 

La Nature nous offre tous les jours la chance de s’émerveiller devant ses réalisations. Elle est le peintre, nous en sommes ses spectateurs. Sa production est abondante, riche de formes et de couleurs, donnant sans cesse la preuve d’un ordre, d’une logique. Elle est également fascinante par le gigantisme sans limite de ses toiles, apparente juxtaposition d’évènements microscopiques, de petites touches impressionnistes, qui prennent germe aux confins de l’infiniment petit. Il est coutume de dire que les équations régissent ou gouvernent les réalisations de la Nature, comme si elle suivait aveuglément les exigences d’un dompteur, qu’elle n’était sensible qu’au langage des mathématiques. Je dois affirmer que la Nature n’est pas – ou du moins n’est plus – un animal sauvage qui doit être dompté. La science ne donne pas d’ordre, en aucun cas la Nature ne marche au pas, cela ne la regarde pas. La science donne une représentation de la réalité. Elle s’exprime par le langage des mathématiques, et transcrit les phénomènes physiques en termes scientifiques. Pour Albert Jacquard : nous ne voyons pas le monde avec nos yeux, nous le voyons avec nos concepts. En outre, la science enseigne l’humilité, elle se mature, et l’histoire nous montre qu’il faut clamer avec prudence la véracité et l’unicité des lois physiques. Comme Newton, il faut avoir la modestie de dire : « tout se passe comme si les corps s’attiraient », et non que les « corps s’attirent ». L’histoire lui donnera raison.

Chaque marche, chaque pas franchi par l’humanité en déchiffrant les mystères de la Nature est un moyen pour les générations suivantes de voir plus loin (Bernard de Chartres), de mieux voir (Isaac Newton). Jean-Claude Ameisen résume la progression scientifique par une phrase dont son émission porte le nom : Sur les épaules de Darwin, sur les épaules des géants. Nous nous trouvons ici bas tels des nains, assis sur les épaules des géants. Nous voyons plus loin non pas parce que nous disposons d’une vue d’une certaine acuité, mais parce que ces géants nous portent vers les hauteurs, nous élèvent par leur taille gigantesque. J’ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de géants (Isaac Newton).

La turbulence 

Cette thèse a pour but l’étude d’un phénomène particulier : la turbulence, phénomène dont les réalisations surabondent dans la Nature. Il suffit de porter notre regard sur le mouvement des nuages, prendre le temps de regarder la danse lancinante des rivières, le vol paisible d’un oiseau ou le passage d’une marée pour se persuader de son caractère pléthorique. Depuis les esquisses de Léonard de Vinci jusqu’au tableau La nuit étoilée de Vincent van Gogh, les artistes y ont puisé une partie de leur inspiration. Elle a cela de fascinant que l’homme en a fait l’expérience il y a certainement des millénaires, et pourtant les premières études scientifiques remontent seulement au XIX° siècle. On citera notamment les travaux des géants que sont Poiseuille, Darcy, Helmholtz, Boussinesq, Reynolds ou Rayleigh. À cette même époque – pour ne citer qu’eux – Pierre et Marie Curie découvraient la radio-activité et Maxwell et Lorentz établissaient les lois fondamentales de la physique. C’est dire que des avancées plus que notables ont vu le jour à cette période, dans des domaines particulièrement contre-intuitifs ou du moins difficilement accessibles par l’observation. La recherche sur les écoulements turbulents n’en était alors qu’à ses balbutiements. Au cours du XX° siècle, quelques publications scientifiques éminemment importantes ont vu le jour, notamment dans le courant des années 1940. Depuis, le nombre d’études sur la turbulence a littéralement explosé.

Malgré près de 100 ans de recherche scientifique sur le sujet, la marche vers la compréhension et prédiction de la turbulence demeure lente et le but est loin d’être atteint. En quoi la turbulence est-elle fascinante ? Finalement, il semblerait qu’elle le soit à bien des égards. La cause majeure est qu’il s’agit d’un des problèmes de la physique moderne qui demeure irrésolu, et attire par la même la curiosité des physiciens. Heinsenberg avait l’humour de dire : Lorsque je rencontrerai Dieu, je lui poserai deux questions : pourquoi la relativité ? Et pourquoi la turbulence ? Et à cela il répondait :Je suis personnellement convaincu qu’il aura une réponse à la première. Lorsqu’un géant de l’ampleur de Heisenberg semble si déconcerté face à la turbulence, on est en proie à s’inquiéter. Et pour cause ! Un certain nombre de caractéristiques majeures font de ce phénomène un casse-tête pour les physiciens:

Une très grande variété d’échelles de temps et d’espace. A première vue, un écoulement turbulent s’apparente à un tas de boue, à une pelote de laine, où une très grande variété d’échelles s’entremêlent et se meuvent suivant une dynamique allant de temps très courts à des temps très longs. Du point de vue du physicien, aucune séparation d’échelle ou de temps n’est alors possible, et l’intégralité du spectre d’échelles et de temps doit être considérée. Ce point particulier est clairement un frein à la description du phénomène. Cependant, la turbulence semble dévoiler une certaine hiérarchie d’échelles, au sein de laquelle on a coutume de supposer que l’énergie cascade de proche en proche. La paternité de cette idée revient à Lewis Fry Richardson [120] qui révolutionna la perception de la turbulence.

Une très forte non linéarité. Cette non linéarité est intrinsèque aux équations de Navier-Stokes. Ces équations sont le postulat permettant de décrire le mouvement des fluides dans l’approximation des milieux continus et des fluides Newtoniens (viscosité indépendante du taux de cisaillement). Elles ont été établies dans le courant du 19me siècle, et depuis aucune solution générale ni même l’unicité de la solution n’ont été démontrées. Ce problème est inscrit dans les sept problèmes du millénaire (n’en reste que 6 depuis que le mathématicien russe Grigori Perelman donna la démonstration de la conjecture de Poincaré). La non linéarité des équations de Navier-Stokes a pour résultat que de faibles effets ont de grandes conséquences. En d’autres termes, une légère modification des conditions initiales ou limites entraînent de très larges modifications du phénomène observé après un certain temps. On qualifie cela de chaos (mot grec qui est l’antithèse du cosmos qui signifie ordre ou arrangement [21]). La non linéarité rend donc la prédiction déterministe aux temps longs hors de portée. Lorsque le déterminisme échoue, le physicien a coutume d’invoquer les opérateurs statistiques. Cela permet de s’affranchir de la très grande variabilité du phénomène.

La turbulence n’est pas purement aléatoire. Au sein de cette pelote de laine apparemment désorganisée, un ordre, conséquence d’un déterminisme sous jacent, semble persister. Plus communément cet ordre est qualifié par les mots de ’structure cohérente’. Mais qu’est ce qu’une structure cohérente ? Pour Hussain [75], [74], une structure cohérente est un mouvement à grande échelle dont la vorticité présente une corrélation de phase le long de son extension spatiale. L’extension jusque laquelle une vorticité cohérente persiste délimite l’étendue spatiale de cette structure cohérente. Cette définition sous entend donc que les structures cohérentes présentent une topologie de taille finie. En d’autres termes, on peut leur attribuer une qualité corpusculaire. Or, tous les écoulements turbulents ne respectent pas forcément cette limitation spatiale. Ceux-ci semblent, en effet, se mouvoir d’avantage comme un bain d’ondes qu’un enchevêtrement de structures corpusculaires. De plus la vorticité n’est peut-être pas le seul critère d’identification d’une corrélation de phase. Il mérite certainement d’être complété grâce à d’autres opérateurs, comme par exemple l’étirement [2]. La définition de Hussain, bien que clamée courageusement au milieu des controverses, semble donc aujourd’hui quelque peu limitée. Pour cette raison, nous préférons parler de mouvement organisé, ou mouvement cohérent qui s’affranchit de cette délimitation spatiale et ne limite pas son élucidation à l’existence seule d’une vorticité cohérente.

Considérations analytiques 

« Expérimenter, c’est imaginer »  Friedrich Nietzsche  .

D’après Heidegger, La qualité des théories est intrinsèquement conditionnée par la qualité des intuitions a priori. Au delà des convictions politiques douteuses de ce penseur, il me semble que cette phrase résume tout à fait la démarche scientifique. L’essentiel des activités de recherche ont en effet pour but de construire et d’aiguiser cette intuition, qui prend germe et évolue en fonction des différentes expériences sondant le phénomène à étudier. Cette quête d’intuition est le quotidien du chercheur. Pourtant cette graine à elle seule ne suffit pas. La traduction des observations en termes plus théoriques nécessite d’imaginer un possible scénario, déduit des observations, et créant un lien logique entre chacune d’entre elles. L’imagination est donc la brique avec laquelle le pont entre observation et théorie peut s’élever, Expérimenter, c’est imaginer. Pour Albert Jacquard : Sans imagination il ne pourrait y avoir création. Pour Einstein : L’imagination est plus importante que le savoir. On stigmatise bien souvent le scientifique en le qualifiant à tort de rationnel, alors que c’est au contraire l’abstraction et l’imagination qui caractérise et anime l’esprit scientifique.

A la lumière des remarques précédentes, il est donc quelque peu anormal et certainement un peu troublant pour le lecteur de voir ce chapitre théorique ainsi disposé dans ce manuscrit. Le plus logique aurait été de le voir apparaitre une fois toutes les observations faites, comme il en a été pendant cette thèse. Nous avons choisi, au contraire, de construire ainsi ce manuscrit afin de montrer en quoi les développements fondamentaux constituent un outil d’étude des écoulements turbulents. De la même manière que les méthodes expérimentales (ou numériques), la théorie est un moyen, un outil permettant de sonder le phénomène à étudier. La propriété fondamentale des écoulements turbulents est de présenter de telles variations spatio-temporelles qu’ils ne peuvent être décrits de manière déterministe. En théorie, la transition et le développement de la turbulence suivent bien un chemin déterministe,cette voie étant inhérente aux équations de Navier Stokes. Cependant le nombre de degré de liberté soumettant l’écoulement est trop important pour prédire analytiquement son comportement. Ainsi, la description de la turbulence est construite sur la base des théories statistiques .

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Table des matières

Introduction Générale
1 Considérations analytiques
1.1 Bilan en un point
1.1.1 Bilan de l’énergie cinétique totale
1.1.2 Bilan de l’énergie cinétique cohérente et aléatoire
1.2 Bilan en deux points
1.2.1 Formulation générale
1.2.2 Contexte localement homogène et isotrope
1.2.3 Contexte localement axisymétrique
1.2.4 Bilans à chaque échelle dissociant cohérence et turbulence
1.3 Conclusion
2 Dispositif Expérimental
2.1 La soufflerie subsonique basse vitesse
2.1.1 Le ventilateur axial
2.1.2 Le convergent
2.1.3 la veine d’essai
2.1.4 Le sillage
2.2 L’anémométrie au fil chaud
2.2.1 Principe
2.2.2 Influence des dérives en température
2.2.3 Conditionnement des signaux
2.2.4 Étalonnage des sondes en X (HWA-X)
2.3 La Velocimétrie par Images de Particules
2.3.1 Principe
2.3.2 Estimation du déplacement des particules
2.3.3 Choix des particules d’ensemencement
2.3.4 Résolution spatiale
2.3.5 PIV classique (PIV2C) – PIV rapide (TR-PIV2C)
2.4 L’Anémométrie Doppler Laser
2.4.1 Principe
2.4.2 L’Anémométrie Doppler Laser 3 composantes (ADL3C)
2.4.3 Correction du biais des mesures ADL
2.5 La diffusion acoustique ultra-sonore
2.5.1 Principe
2.5.2 Dispositif expérimental de diffusion acoustique (AS)
2.6 Conclusion
3 Dynamique d’advection à une échelle
3.1 Estimation de la vitesse de convection
3.1.1 Ajustement direct
3.1.2 Corrélation spatio-temporelle
3.2 Temps caractéristiques à un nombre d’onde
3.2.1 Mise en évidence du mécanisme de balayage
3.2.2 Identification du nombre de Strouhal
3.2.3 Temps de balayage et de basculement
3.2.4 Hypothèse de Taylor locale
4 Bilan en un point en champ proche
4.1 Statistiques du champ de vitesse
4.1.1 Comparaison des méthodes de mesures
4.1.2 La longueur de recirculation
4.2 Bilan de quantité de mouvement
4.2.1 Projection sur l’axe x
4.2.2 Projection sur l’axe y
4.3 Bilan d’énergie cinétique turbulente
4.3.1 Estimation du terme de dissipation
4.3.2 Bilan d’énergie cinétique
4.4 Bilan d’énergie cinétique cohérente et aléatoire
4.4.1 Fluctuations cohérentes de la vitesse
4.4.2 Fluctuations cohérentes de la pression
4.4.3 Bilan d’énergie cinétique cohérente et aléatoire
4.5 Conclusion
5 Bilan en deux points dans le champ intermédiaire
Conclusion Générale

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