Exploration a priori des projets de formation des étudiants
La problématisation de l’éloignement des visions
Selon Sowder (2007), le développement d’une vision partagée de l’enseignement et del’apprentissage des mathématiques est l’un des six buts de la formation à l’enseignement des mathématiques. Des visions qui ne se rencontrent pas risquent en effet de générer, de part et d’autres, nombre d’insatisfactions. Étant impliquée dans la formation initiale à l’enseignement des mathématiques, nous avons pu à maintes reprises observer ces insatisfactions et éprouver personnellement du mécontentement à l’égard de la formation qui était, ou non, attendue par les étudiants3. Afin de rendre la situation plus confortable, nous avons souvent tenté, dès le début des cours, d’engager un dialogue avec les étudiants, avec pour intention manifeste de mettre en commun nos visions respectives et de favoriser leur rapprochement. Or cet exercice de mise en commun n’a que très rarement suscité le rapprochement escompté et nous pourrions même dire, pour paraphraser Bednarz (2010), que la prise de conscience du caractère peu viable de cet exercice nous a vite sauté aux yeux. Cet échec serait entre autres imputable, nous expliquent Jonnaert et Vander Borght (1999), à des systèmes de connaissances et de conceptions différents:
De l’exploration d’une expérience passée
Nous avons longtemps cherché, à l’instar de plusieurs autres didacticiens et formateurs d’enseignants, à décrire ces systèmes de connaissances et de conceptions et à comprendre pourquoi les étudiants nourrissaient une vision différente de la nôtre. Nous nous demandions ainsi comment s’était développée leur vision des mathématiques et de leur enseignement, sur quoi reposait-elle ou encore, par quoi était-elle influencée. En posant ces questions, les didacticiens ont été amenés à explorer l’expérience passée des étudiants, expérience à laquelle ils ne pouvaient évidemment rien changer. Plusieurs recherches ont ainsi été menées sur l’habitus scolaire, soit sur les dispositions qu’ils ont intériorisées à travers leur expérience d’élève (Perrenoud, 2001; Schubauer-Leoni, 1986)5, sur leurs attitudes envers les mathématiques (Ernest, 1988; Mapolelo, 1998; M.-P. Morin, 2003) ou encore sur leurs conceptions des mathématiques, de leur enseignement ou de leur apprentissage (Lafortune, Deaudelin, Doudin, & Martin, 2003; Noël & Mura, 1999; Philipp, 2007; Thompson, 1992). Ces études ont été bénéfiques puisqu’elles permettent notamment d’expliquer pourquoi les étudiants nourrissent de telles attentes à l’égard de la formation à l’enseignement des mathématiques. Il semble toutefois illusoire d’isoler un de ces objets (habitus, attitudes, conceptions), de construire un dispositif de formation autour de lui, et de croire que cela puisse suffire pour générer le rapprochement souhaité. Le risque d’échec est grand et cela pourrait très vite enfermer les formateurs dans une logique fataliste. Par ailleurs, les systèmes de connaissances et de conceptions des étudiants ont tendance à se maintenir car ils ont été opérationnels dans leur expérience passée et même propices, pour certains d’entre eux, au
développement d’un intérêt pour l’enseignement des mathématiques. Pour les amener à raffiner leur vision de la pratique de référence, il nous a semblé qu’il pouvait être plus opportun d’explorer non pas leur expérience passée, mais l’expérience d’enseignement qu’ils projettent a voir dans l’avenir6. En regardant le même horizon, il serait selon nous possible de favoriser le rapprochement de nos visions.
À l’exploration d’une expérience projetée
Explorer l’expérience projetée par les futurs enseignants, cela implique de cesser de regarder vers le passé et de tourner nos yeux vers l’avenir. C’est passer de l’étude des causes à celle des fins, c’est poser la question du «Pourquoi», mais cette fois-ci en deux mots : «Pour quoi». Selon Caron (2010), poser cette question n’a rien de futile, bien au contraire:
Il est à noter qu’une expérience d’enseignement directe, comme celle que les étudiants sont appelés à réaliser dans leurs périodes de stage, participe fortement à cette exploration ; ce que nous visons plutôt dans un cours de didactique en classe se rapproche davantage d’une simulation de cette expérience où l’on se donne les outils et le temps nécessaires pour en faire l’analyse.
Cette question du pourquoi n’est pas une coquetterie philosophique dont on pourrait remettre en cause la pertinence dans une formation professionnelle. C’est elle qui, en principe, détermine les finalités de l’enseignement (Ernest, 1991), l’enjeu de la tâche proposée à l’élève et les éléments qui recevront une attention particulière aux moments de l’institutionnalisation et de l’évaluation. […] Même s’il y a bien souvent effritement des intentions originales dans la succession des étapes du processus, il n’est pas exagéré d’affirmer que les finalités visées avec l’enseignement d’une discipline conditionnent, parfois même fortement, la transposition didactique externe à la classe»
Cette manière de problématiser l’éloignement des visions permet au formateur d’envisager de nouveaux possibles, de penser à un nouveau champ d’intervention. Elle tient davantage compte du fait que les étudiants sont conscients que le futur ne sera pas nécessairement semblable à ce qu’ils ont connu jadis et ce, notamment – et non exclusivement – parce qu’ils auront à enseigner un programme différent de celui qu’ils ont connu en tant qu’élèves. En somme, explorer l’expérience projetée permet de repenser la problématique comme étant celle de l’éloignement des projets de formation. Selon Jonnaert et Vander Borght (1999) :
Un apprentissage aura du sens parce que […] l’apprenant recherche de l’information, de nouvelles connaissances ou de nouvelles compétences en fonction d’un projet personnel (Jonnaert & Vander Borght, 1999, p. 353).
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Table des matières
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABRÉVIATIONS
DÉDICACE
INTRODUCTION
1 PROBLÉMATIQUE
1.1 La situation de départ: des attentes non comblées en formation initiale
1.1.1 Une hypothèse de travail: des visions qui ne se rencontrent pas
1.1.1.1 La vision recensée des formateurs
1.1.1.2 La vision postulée des futurs enseignants
1.1.2 La problématisation de l’éloignement des visions
1.1.2.1 De l’exploration d’une expérience passée
1.1.2.2 À l’exploration d’une expérience projetée
1.2 La position du problème: la rencontre des projets de formation
1.2.1 Le projet de formation
1.2.2 Le caractère négocié et évolutif du projet de formation
1.3 La question de recherche et les objectifs généraux
1.3.1 La question générale de recherche
1.3.2 Les objectifs généraux de la recherche
1.4 Le jugement de probabilité comme hypothèse de réponse
1.4.1 La pertinence scientifique de ce choix de situations
1.4.1.1 Jugement de probabilité et projet : une épistémologie commune
1.4.1.2 Contre-intuitivité et rencontre des projets
1.4.2 La pertinence sociale de ce choix de situations
1.4.2.1 Pertinence pour les formateurs
1.4.2.2 Pertinence pour les étudiants
1.4.2.3 Pertinence pour les citoyens de demain
1.4.3 La pertinence didactique de ce choix de situations
1.4.3.1 Jugement de probabilité et formation en didactique
2 CADRE THÉORIQUE
2.1 Les modalités d’analyse des projets des acteurs
2.1.1 Les types de projet
2.1.1.1 Le projet « visée »
2.1.1.2 Le projet « programmatique »
2.1.2 Les modes d’anticipation du projet
2.1.2.1 Le mode adaptatif
2.1.2.2 Le mode prévisionnel
2.1.2.3 Le mode prospectif
2.1.3 La complexité des situations anticipées
2.1.3.1 Les systèmes
2.1.3.2 La complexité
2.1.3.3 Les systèmes complexes
2.1.3.3.1 Éléments en interaction
2.1.3.3.2 Organisation hiérarchique ou multi-échelles
2.1.3.3.3 Émergence
2.1.3.3.4 Rétroaction (feed-back)
2.1.3.3.5 Non-linéarité
2.1.3.4 La complexité des systèmes didactiques
2.2 Les modalités de conception des situations didactiques
2.2.1 Les heuristiques de jugement
2.2.1.1 L’heuristique de la représentativité
2.2.1.1.1 Les biais liés à l’heuristique de représentativité
2.2.1.1.2 Les erreurs d’estimation liées à la négligence de la taille de l’échantillon
2.2.2 Les approches théorique et fréquentielle des probabilités
2.2.2.1 L’approche théorique (classique)
2.2.2.2 L’approche fréquentielle
2.2.3 Quelques éléments de la théorie des situations didactiques
2.2.3.1 La dialectique de l’action
2.2.3.2 La dialectique de la formulation
2.2.3.3 La dialectique de la validation
2.3 Les objectifs spécifiques de recherche
3 MÉTHODOLOGIE
3.1 Participants à l’étude
3.2 Plan d’instrumentation
3.2.1 Exploration a priori des projets de formation des étudiants
3.2.1.1 Questionnaires individuels
3.2.1.2 Première discussion de groupe
3.2.2 Réalisation d’une séquence de situations probabilistes
3.2.2.1 Problèmes de la séquence
3.2.2.1.1 Problème 1
3.2.2.1.2 Problème 2
3.2.2.1.3 Problème 3
3.2.2.2 Articulation et déroulement de la séquence
3.2.2.3 Productions écrites des étudiants
3.2.3 Exploration a posteriori des projets de formation des étudiants
3.2.3.1 Seconde discussion de groupe
3.2.3.2 Entretiens individuels
3.3 Plan d’analyse
3.3.1 Données personnelles relatives aux participants
3.3.2 Données relatives au projet de formation
3.3.2.1 Types de projet
3.3.2.2 Modes d’anticipation du projet
3.3.2.3 La complexité des situations anticipées
3.3.3 Données relatives à la séquence
4 Résultat
4.1 Résultats relatifs aux projets de formation avant la séquence
4.1.1 Les types de projets
4.1.1.1 Les projets « visée » a priori
4.1.1.1.1 Les projets « visée » concernant les futurs enseignants
4.1.1.1.2 Les projets « visée » concernant les élèves
4.1.1.1.3 Les projets « visée » concernant les mathématiques
4.1.1.2 Les projets programmatiques a priori
4.1.1.2.1 Les projets centrés sur les connaissances concernant l’enseignement
4.1.1.2.2 Les projets centrés sur les connaissances concernant l’apprentissage
4.1.1.2.3 Les projets centrés sur les connaissances concernant les mathématiques
4.1.1.3 L’articulation des projets « visée » et programmatiques
4.1.1.3.1 Le cas d’Amélie (FM1)
4.1.1.3.2 Le cas de Béatrice (FM8)
4.1.1.3.3 Le cas de Cédric (FM16)
4.1.1.3.4 Le cas de Dominic (FM20)
4.1.1.3.5 Le cas d’Éléonore (FM34)
4.1.1.3.6 Le cas de Florence (FM49)
4.1.1.3.7 Le cas de Gabrielle (FM50)
4.1.1.3.8 Le cas de Hilda (FM55)
4.1.1.3.9 Synthèse des résultats relatifs aux projets a priori
4.1.2 Les modes d’anticipation du projet
4.2 Résultats relatifs à la séquence
4.2.1 Engagement dans une dialectique d’action, de formulation et de validation
4.2.1.1 Temps 1 et 2 du protocole
4.2.1.2 Temps 3 et 4 du protocole
4.2.1.3 Temps 5 et 6 du protocole
4.2.1.4 Temps 7, 8 et 9 du protocole
4.2.2 Recours à une approche stochastique
4.2.3 Émission d’un jugement de probabilité considérant la complexité de la situation
4.3 Résultats relatifs aux projets de formation après la séquence
4.3.1 Les projets « visée » et programmatiques a posteriori
4.3.1.1 Le cas d’Amélie
4.3.1.2 Le cas de Béatrice
4.3.1.3 Le cas de Cédric
4.3.1.4 Le cas de Dominic
4.3.1.5 Le cas d’Éléonore
4.3.1.6 Le cas de Florence
4.3.1.7 Le cas de Gabrielle
4.3.1.8 Le cas de Hilda
4.3.1.9 Synthèse des résultats relatifs aux projets a posteriori
4.3.2 Les modes d’anticipation
4.3.2.1 Le mode adaptatif
4.3.2.1.1 Le futur socle
4.3.2.1.2 Le futur nécessaire
4.3.2.2 Le mode prévisionnel
4.3.2.2.1 Le futur tendanciel
4.3.2.2.2 Le futur interdit
4.3.2.3 Le mode prospectif
4.3.2.3.1 Le futur incertain
4.3.2.3.2 Le futur libre
4.4 Conclusion partielle
CONCLUSIONS
RÉFÉRENCES
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