Expérimentations numériques pour un urbanisme participatif

Construction d’un objet et d’un parcours de recherche 

L’urbanisme et l’aménagement, comme pratiques professionnelles et comme sciences, sont confrontées à des transformations majeures impliquées par la généralisation du numérique sous toutes ses formes, autant dans la gestion urbaine (smart city, smart grid, big data), la conception urbaine (BIM, maquette 3D) que dans la gouvernance urbaine (médiations, edémocratie). Ces enjeux remodèlent profondément l’ingénierie de projet ainsi que les formes de pilotage et de décision dans le cadre des métropoles contemporaines. Si le champ de l’urbanisme participatif a déjà investi ces questionnements, un angle mort demeure la question de l’implication des publics jeunes dans les processus complexes de fabrique de la ville, ses formes, ses freins, obstacles ou accélérateurs.

L’implication du public – au sens d’une participation habitante – en matière de planification spatiale et d’urbanisme est une préoccupation publique constante, qui remonte au moins aux années 1960 (Bacqué et Gauthier, 2011). Elle émerge dans un contexte de remise en question du savoir des experts, et occasionne une nouvelle forme de planification qui vise à mieux intégrer les minorités : l’advocacy planning (Davidoff, 1965) aux États-Unis, ou les mouvements d’urbanisme populaire en France (Hatzfeld, 1986). Elle prend la forme d’un processus interactif, dans lequel la participation des habitants occupe une place centrale, et vise la co production des espaces en projet. Le renouvellement des pratiques professionnelles (Gauthier, Gariépy et Trépanier, 2008), le développement d’une approche réflexive (Schön, 1983) et la critique postmoderne de la planification (Hamel, 1986) encouragent la mise en œuvre progressive d’un certain spontanéisme de la participation (Gaudin, 2010). Les expériences se multiplient dans les territoires, à des échelles variées (rue, quartier, ville) et en des temps du projet différents (diagnostic partagé, co-conception, usages partagés, cogestion). L’aménagement du territoire comme processus collaboratif entre les acteurs du projet (Martouzet, 2018), professionnels ou non (associations, habitants – individuels ou en collectif), deviendrait même une finalité en soi (Arab, 2004). La démocratie participative, posée comme cadre de valorisation de l’expertise habitante et de l’engagement citoyen, se voit ainsi mise à l’agenda des collectivités sous la forme d’une ambition politique.

Cet « idéal participatif » (Blondiaux, 2007, :123) est d’autant plus valorisé – voire exigé socialement (Jadin, 2007) – lorsqu’il vise des publics jeunes. Les discours sur la nécessité de les impliquer dans des dispositifs de participation et de concertation traduisent cet idéal en un impératif : celui de les réengager. Aucun texte ne vient pour autant – à la différence du citoyen (adulte) dans les années 1990-2000 – imposer la mise en place de solutions concrètes pour une participation effective de la jeunesse (dans la définition des politiques publiques ou dans l’aménagement du territoire). L’action participative semble se limiter au moyen de reprendre contact avec les jeunes citoyens, en les consultant pour la construction des politiques publiques « qui les concernent » à l’échelle locale, sur leur territoire, aux côtés du politique. Elle est aussi généralement envisagée comme un moyen de les accompagner « dans leur conquête des attributs de l’âge adulte » (Hbila, 2012, :331). L’individu de moins de 18 ans se voit ainsi réserver des temps d’animation, d’apprentissage et d’expérimentation – mais pas de réelle place dans l’espace public politique, tant qu’il ne profite pas du droit de vote. Certaines instances qui leur sont spécifiquement dédiées, telles que les conseils de la jeunesse, dessinent les contours d’un cadre participatif, relativement limité, à la vie publique (Becquet, 2002). Les jeunes y sont davantage des objets de politiques publiques que des acteurs à part entière de l’action publique locale (Chiron, 2016). La participation des jeunes, et plus spécifiquement à la fabrique de la ville ou à la fabrique urbaine, pose donc la question d’une redéfinition de la citoyenneté qui ne relève plus uniquement du vote, mais valorise plutôt le faire et l’agir. V. Becquet (2006) et P. Loncle (2010) montrent d’ailleurs qu’en dehors des processus électoraux, l’engagement des jeunes n’est pas à proprement parler en perte de vitesse. On note en revanche un éloignement – voire une méconnaissance – des modes d’expression et d’engagement entre les différentes générations, ainsi qu’entre les attentes et les préoccupations des jeunes et les institutions en charge de les représenter (Chiron, 2016). Cet éloignement vis-à-vis des institutions entraine de fait un éloignement vis-à-vis des dispositifs de participation (Carrel, 2007) et nécessite, pour les administrations, d’expérimenter des formes originales et attractives d’implication et d’engagement.

La participation à la fabrique de la ville : rhétoriques et registres d’action

« La première tâche, c’est de raviver l’espoir et de faire ce que chaque organisateur professionnel a toujours fait partout, quelle que fût la classe sociale : communiquer les moyens et les tactiques qui donneront aux gens le sentiment qu’ils détiennent les instruments du pouvoir et qu’ils peuvent désormais faire quelque chose » (Alinsky, 1971, traduction française de 1976, :240) .

Le cadre théorique que nous développons en cette première partie s’attache à décrire trois notions fondamentales de notre recherche, et les interactions entre celles-ci : l’urbanisme, la participation et l’innovation. Après avoir posé le cadre historique de l’émergence de la question participative et de ses évolutions en nous appuyant sur un ensemble de références pluridisciplinaire , nous discuterons deux hypothèses de transformation de la culture participative et de l’action publique urbaine :

1. Par les transitions sociales, environnementales, et le paradigme de l’inclusion dans la gouvernance territoriale comme moteur de l’action publique
2. Par le rapport à l’innovation dans le champ de l’action publique .

L’ouverture des processus de fabrique de la ville : enjeux de définition de la participation

Encourager la participation citoyenne à la prise de décision comme « permettre aux citoyens qui le souhaitent de devenir des acteurs politiques à part entière » (Bitoun, 1995, :12) est l’une des définitions « imprécises, parfois contradictoires » (Blatrix, 2000, :10) de ce que recouvre la démocratie participative. La participation comme notion recouvre d’ailleurs une telle variété de situations que l’utilisation d’un seul terme pour toutes les décrire serait inappropriée (Fung, 2003). C’est un terme constamment réinventé (Bresson, 2014) qui peut aussi bien, dans les champs de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme, renvoyer à des formes de consultation et de concertation de la population, qu’être employé pour décrire les négociations à l’œuvre dans une situation de projet. Certaines nuances sont toutefois apportées. La concertation, qui implique une participation active de l’ensemble des acteurs concernés par un processus de décision (Touzard, 2006), se distinguerait de la négociation dans la mesure où cette dernière implique deux orientations fondamentales de l’action collective : le conflit et la coopération (ibid.). Ainsi, pour H. Touzard, le conflit engage des processus de négociation dans les projets, tandis que la concertation est marquée par une orientation coopérative prédominante. Cette dimension de la coopération se retrouve dans la définition de la concertation proposée par J-E. Beuret, S. Pennanguer et F. Tartarin (2006) : c’est un « processus de construction collective de questions, de visions, d’objectifs et de projets communs relatifs à un objet » ( :31). Pour L. Mermet (2006), travail empirique et réflexion théorique ne doivent pas être cadrés a priori par des choix sémantiques, d’autant plus que les dimensions coopérative et agonistique des situations de décision seraient toujours étroitement intriquées. Ainsi, clarifier et définir ces processus, dans le cadre d’une recherche sur la participation en urbanisme, se pose comme un prérequis indispensable.

Nous rappellerons dans un premier temps les facteurs d’émergence de la question participative [1.1.], en situant les contextes (en particulier politique et social) dans lequel s’inscrit la participation des habitants à la prise de décision. Nous y proposons un récit synthétique du renforcement de la démocratie participative entendue au sens « restreint » (Bacqué et Sintomer, 2011), autrement dit comme la « combinaison des structures classiques de la démocratie représentative avec des procédures de démocratie directe ou semi-directe dotées d’un pouvoir décisionnel et pas simplement consultatif » (:17). Ce récit est organisé selon un plan chronologique : des luttes urbaines dans les années 1960-1980 [1.1.1.], à l’institutionnalisation des démarches participatives dans les années 1990-2010 [1.1.2], nous clôturerons cette histoire synthétique en posant la question de la fin de la participation depuis les années 2010 [1.1.3.]. Les approches évaluatives de la participation étant privilégiées jusque les années 2010, des approches concrètes de sa mesure en sont présentées au fil de ce récit. Elles permettent d’approcher la notion au prisme d’indicateurs établis par différents auteurs (Arnstein, 1969 ; Pretty, 1995).

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Table des matières

INTRODUCTION
Construction d’un objet et d’un parcours de recherche
Problématisation de la recherche
Objectifs théoriques de la recherche
Devenir chercheur, entre recherche et action
Structure de la thèse
PARTIE I. La participation à la fabrique de la ville : rhétoriques et registres d’action
Chapitre 1. L’ouverture des processus de fabrique de la ville : enjeux de définition de la participation
1.1. Situer l’émergence de la question participative : mise en récit de la revendication d’une implication citoyenne à la constitution d’un objet de recherche en SHS
1.2. L’urbanisme participatif : un panorama des formes classiques de mobilisation au prisme des temps du projet
1.3. De l’exploration à l’expérience de la participation : ancrage d’un modèle d’action au sein des administrations publiques
Synthèse du chapitre 1
Chapitre 2. Un contexte de fabrique en faveur d’une innovation ouverte ? – ou « l’âge du faire » (Lallement, 2015) et des communs
2.1. Dispositifs participatifs et modernisation de l’action publique : l’inclusion, un principe d’action performatif ?
2.2. Participer : un acte citoyen ? Vers la définition d’une citoyenneté élargie
2.3. La participation des jeunes comme idéal démocratique : une minorité à intégrer ou des citoyens ordinaires ?
Synthèse du chapitre 2
Chapitre 3. Expérimentations numériques en contexte de production urbaine : innovation participative ou utopie productive ?
3.1. Le registre de l’innovation, moteur des transformations de l’action urbanistique?
3.2. Explorations numériques et expérimentations, un registre d’action privilégié pour la participation ?
3.3. Un renouvellement des esthétiques de la culture participative ?
Synthèse du chapitre 3
Conclusion intermédiaire : De la nécessité d’actualiser les lectures sur la participation
PARTIE II. Une ville intelligente et citoyenne, l’ambition de Rennes (étude de cas)
Chapitre 4. De l’enjeu communicationnel à l’impératif participatif : enjeux politiques, informationnels et organisationnels de la formalisation d’une culture participative locale
4.1. La participation à Rennes, entre information de proximité et communication politique
4.2. Organiser la participation sur le territoire : enjeux politiques et (re)structuration organisationnelle
4.3. Espaces et temporalités de la participation à Rennes
Synthèse du chapitre 4
Chapitre 5. Une fabrique de la ville des intelligences ? Enjeux et effets de la traduction locale d’un concept mondial
5.1. L’avènement de la ville intelligente
5.2. Rennes, du technopôle à la métropole intelligente
5.3. Rennes, ville intelligente et ville des intelligences ?
Synthèse du chapitre 5
Chapitre 6. La participation citoyenne, entre rapport à la ville et rapport à la cité
6.1. Culture participative locale et médiation numérique : une enquête sur et à Rennes
6.2. Les mots de la participation : lexique territorialisé d’un registre performatif
6.3. La participation des jeunes à Rennes : entre délégation, expérimentation et médiation
6.4. Enjeux et effets de l’institutionnalisation d’une culture participative au sein d’une structure publique
6.5. Formats classiques de la participation et innovations numériques : entre opposition et complémentarité
Synthèse du chapitre 6
Conclusion intermédiaire : D’une problématisation politique de la ville intelligente à l’esthétisation des démarches participatives
PARTIE III. Mise en œuvre et (co-)conception : enjeux méthodologiques d’une recherche sur la fabrique de la ville
Chapitre 7. Construire le cadre opératoire de la recherche
7.1. Établir – Construire le cadre méthodologique de la recherche
7.2. Expérimenter – Concevoir et animer deux situations participatives
7.3. Confronter – Enquête sur la participation et l’engagement des publics jeunes
Synthèse du chapitre 7
Chapitre 8. Observer et animer, ou la place du chercheur sur et face à son terrain
8.1. Expérimentations et ratés : résultats attendus, matériaux obtenus
8.2. Devenir chercheur, entre pratiques et réflexivité
Synthèse du chapitre 8
Chapitre 9. Analyser les données de la recherche
9.1. Corpus des matériaux mobilisés pour l’analyse
9.2. Grille d’analyse
Conclusion intermédiaire : Limites et apports de l’expérimentation comme cadre et objet de recherche
PARTIE IV. De la part ic ipat ion des jeunes par pro jet au projet de participation des jeunes
Chapitre 10. Initier le projet : rassembler et diagnostiquer
10.1. Établir un diagnostic partagé en situation expérimentale
10.2. Recueillir la parole des jeunes : entre droit à être entendu et devoir de s’exprimer
Synthèse du chapitre 10
Chapitre 11. Faire projet : se projeter collectivement et co-concevoir
11.1. Co-concevoir des propositions d’aménagement en situation expérimentale
11.2. Pourquoi et comment faire projet du point de vue des professionnels ?
11.3. Valoriser l’engagement – Une inévitable institutionnalisation de la participation?
Synthèse du chapitre 11
Conclusion intermédiaire : La participation des jeunes : entre médiations, engagements, et éducation à la citoyenneté
CONCLUSION GÉNÉRALE

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