Expérience du geste intracorporel: l’expérience des infirmières en interaction avec un malade dans le cadre d’un soin prescrit

Enjeux socioprofessionnels et théoriques de la recherche

Quelle figure de l’infirmière ? 

La France comptait, au 1er janvier 2018, 660 611 professionnels infirmiers actifs selon les dernières statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, 2018). Parmi eux, 116 800 infirmiers exercent en secteur libéral ou mixte et 433 202 sont des hospitaliers exclusifs.

Le site « Infirmiers.com » réalise une synthèse de ce que représente ce métier :

« Formés sur trois années en Institut de formation en soins infirmiers, titulaires d’une licence en soins infirmiers depuis la réforme des études en 2009, les infirmier(e)s sont majoritairement des femmes à 88 % et travaillent principalement à l’hôpital public », ce qui nous amènera à parler plus spécifiquement des infirmières. 

Ces soignants dispensent des soins de nature préventive, curative ou préventive.

« Leurs contributions sont ainsi multiples : aide matérielle et psychologique dans les actes quotidiens perturbés par la maladie (respiration, alimentation, hygiène…), accompagnement dans la maladie physique ou mentale et lors des soins, réalisation des prescriptions médicales (injections, pansements…), éducation de la personne ou d’un groupe pour maintenir ou restaurer sa santé, organisation des soins et collaboration avec les autres travailleurs sanitaires et sociaux… ». 

Soumis au Code de déontologie élaboré par l’Ordre national des infirmiers en 2016, les soignants interviennent dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, dans des structures et à domicile, de manière autonome ou en collaboration.

Le métier infirmier est ainsi dense et riche : « compétences et terrains d’exercice multiples, spécialisations diverses, législation spécifique et évolutive, perspectives favorables entre recherche et coopérations interprofessionnelles… » .

L’infirmière fait constamment face à des situations dynamiques et inédites, ce qui constitue la complexité de son métier. Cette thèse nous permettra de mieux comprendre en quoi les nouveaux enjeux de professionnalisation présentés précédemment modifient le regard des infirmières sur leur rôle et leur posture vis-à-vis des malades et les gestes techniques qu’elles réalisent. Nous analyserons comment elles articulent les différentes activités qui leur sont demandées et comment elles les priorisent au regard d’un rythme élevé. Il s’agit d’identifier ce qui caractérise aujourd’hui les nouveaux ajustements nécessaires à la pratique d’une infirmière dans un métier en voie de recomposition. Nous essaierons d’identifier ce qui se cache derrière une identité collective de plus en plus défendue vis-à-vis des contraintes qui leur sont imposées. Les infirmières revendiquent une définition autonome de leur métier et une meilleure reconnaissance de leurs compétences face à celles des médecins dans un espace social de plus en plus normalisant.

Nous essaierons également de faire émerger leurs représentations du professionnalisme d’une infirmière qu’elles évoquent lors de nos formations et qui sont souvent des limites à leur changement de posture dans la mise en œuvre de l’ETP.

C’est aussi appréhender la possibilité pour les infirmières de s’autoriser à pratiquer un nouveau rôle, celui de l’éducation thérapeutique du patient, dans une perspective développementale mais en tenant compte des tensions liées à une transformation identitaire chez l’infirmière. Il s’agit aussi de déterminer, par conséquence, quelles adaptations sont à proposer en termes de formation pour la pratique de l’ETP mais aussi dans le cadre de la transmission intergénérationnelle des gestes de métier dans un milieu de travail en constante évolution. Il s’agira notamment d’analyser les raisons de l’absence d’écoute ou d’échange ou d’autres actions recommandées lors d’un geste technique.

Les dimensions incorporées d’un geste intracorporel : que se disent les infirmières ?

L’objet de cette thèse est aussi d’interroger les dimensions incorporées et implicites de la pratique infirmière qui émergent lors d’un soin intracorporel et ce qu’elles se disent lors de la réalisation de ce geste.

Les soignants, pour répondre aux recommandations officielles, doivent suivre une formation de 40 heures en éducation thérapeutique du patient, vécue parfois comme l’obligation de valider des compétences qu’ils pensent déjà avoir acquises par leurs expériences ou activités d’accompagnement de malade. Un certain nombre de limites apparaissent pour l’adoption de cette nouvelle posture. Une meilleure compréhension de ces limites améliorerait les formations proposées aux soignants et aux malades et permettrait peut-être à certains de les dépasser ou tout du moins de les identifier .

De fait, concernant l’apprentissage et la formation des adultes, il s’agit de mieux comprendre « comment tout cela se passe » et éventuellement de favoriser le changement de fausses représentations. Nous souhaitons mettre à jour d’éventuels obstacles épistémologiques, ontologiques ou didactiques qui perturberaient les soignants dans leur souhait de parler aux malades ou d’être plus à leur écoute. Il s’agit aussi d’identifier si les recommandations de l’ETP qui seront évoquées dans la présentation du contexte, ne mettent pas davantage en souffrance les soignants dans leur travail.

Cette étude est intéressante car dans un cadre social, les soins se réalisent dans un espace d’activités en situation d’intervention sur autrui. L’étude d’un geste intracorporel permet ainsi d’apporter des repères sur la question des actes intrusifs que l’on trouve partout dans nos sociétés pour le bien des personnes sur prescription de la loi ou d’un tiers. Il s’agit notamment de mieux comprendre la nature et le jeu des processus intersubjectifs dans les situations vécues comme intrusives. Il est intéressant également d’étudier quelles peuvent être les intentions conscientes et inconscientes qui émergent au cours du soin.

Tout l’enjeu consiste à rendre compte des différentes formes d’activités opérées dans les situations de soin que les acteurs déploient à l’occasion des interactivités qui s’y déroulent. Opérer un déplacement de pensée vis-à-vis des discours et des idéologies qui circulent au sein de ce champ implique de rendre compte, dans une démarche d’intelligibilité, du travail «réel» mis en œuvre par les différentes catégories d’acteurs. Notre étude peut mettre en exergue les conflits de critères entre métiers/gestes professionnels/formation ETP, la gestion des risques que les infirmières perçoivent, les préoccupations enchâssées, les émotions, la recherche de confort personnel pour éviter la souffrance au travail, voire des facteurs de burn out très important chez les soignants. Ainsi, par rapport à la gestion du stress et des émotions : comment l’infirmière subit-elle, canalise-t-elle ou utilise-t-elle les émotions, les affects, les manifestations involontaires de son corps en fonction de celui du malade ? Comment crée-telle un équilibre, un climat écologique, apaisant et propice à cet acte intracorporel ? Comment favorise-t-elle l’écoute dans ces différentes dimensions ? Cette recherche vise ainsi à accéder à cette parole du non-dit d’une profession émotionnellement impliquée et dont la durée de vie professionnelle est en moyenne de sept ans, notamment en rendant visible les activités mentales de l’infirmière dans le cadre d’un geste intracorporel. C’est aussi créer un débat autour du regard que porte la société civile sur les pratiques des soins techniques et notamment par les malades qui les subissent.

Face à des pressions de rentabilité et l’évaluation des seules tâches techniques, ces travaux visent aussi à mieux comprendre la place de l’écoute lors d’un geste intracorporel, souvent non valorisée, notamment d’un point de vue financier avec le paiement à l’acte et donc restant invisible dans la pratique infirmière. C’est ainsi mettre à jour les critères de performance que les infirmières déterminent par rapport à un geste intracorporel et les représentations qu’elles en ont. Il s’agit d’identifier les contraintes invisibles qui les poussent à résister aux pressions «socio-culturelles normalisatrices » empreintes d’un certain idéal. Nous tenterons de convertir leur discours social en discours scientifique en transformant ce qu’elles énoncent en objet et résultats de recherche. D’autre part et de façon liée, nous valoriserons les mécanismes symboliques sous-jacents à leur geste en déterminant ce qui provient de leurs actions collectives de ce qui relève de la singularité d’une infirmière.

En termes de travail collectif, il s’agit ainsi de questionner les invariants d’un geste mais aussi de ce qui revêt de la singularité des acteurs comme la société le propose pour la prise en charge des malades. Cela pourra éventuellement participer à la compréhension de ce qui déclenche une incompréhension de certains cadres infirmiers face à une « nouvelle génération » d’infirmières plus « individualistes » (Obertelli, P. (dir.) ; Pouteau, C., HabereyKnuessi, V. ; Dancot, J ; Le Roux, A. ; Llambrich, C. (2015)). Nous pouvons aussi nous interroger sur les difficultés de management rencontrées dans les services hospitaliers où « la question de la culture devient un véritable problème social (…), car la réussite de ces efforts collectifs de développement repose à l’évidence sur la compréhension mutuelle de leurs membres » (Wittorski, 2008). Plus généralement, nous essaierons de mieux comprendre les interrelations entre les actions des sujets (individuels et collectifs), la production d’une identité individuelle de l’infirmière lors d’un geste et celle d’une identité collective.

Enfin, les progrès technologiques et scientifiques ont contribué à diminuer la morbi-mortalité des actes de soins. Aujourd’hui, les marges d’évolution encore possibles en matière de gestion de risques concernent une meilleure compréhension des facteurs humains. Ainsi, la compréhension approfondie du raisonnement clinique de l’infirmière lors des prises de décision en contexte réel ou de simulation, s’avère intéressante pour l’amélioration des formations initiales. Compte-tenu des décisions charnières que les infirmières doivent prendre pour gérer le risque ou réagir lors d’un évènement indésirable grave, une compréhension approfondie des particularités de leur raisonnement clinique s’avère essentielle tant pour la recherche que pour le développement du poste d’infirmière clinicienne.

La restitution des résultats de cette recherche dans des temps de formation ou d’analyse de pratiques pourra peut-être amener les infirmières à penser différemment leur rôle dans l’accompagnement des personnes contraintes d’accepter ce geste invasif. Nous verrons si nos résultats pourront permettre de préciser une posture qui réclame de multiples ajustements, face à la temporalité du malade et ses priorités qui ne sont pas toujours en lien avec la maladie ou synchrones avec l’environnement où se réalise le soin. Nous identifierons ce qui permet, ou à l’inverse, ne permet pas aux infirmières de rendre le malade sujet de ses soins en leur donnant la possibilité d’exprimer d’éventuelles limites d’opérationnalité ou personnelles.

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Table des matières

INTRODUCTION
Genèse du questionnement et agencement du rapport de thèse
1. PREMIERE PARTIE : LA DEMARCHE ET LES ENJEUX DE LA RECHERCHE
1.1 L’origine de ma question de recherche
1.2 Les enjeux de la recherche
1.2.1 Enjeux socioprofessionnels et théoriques de la recherche
1.2.2 Enjeux scientifiques de la recherche
1.2.3 Enjeux personnels de la recherche
2. SECONDE PARTIE : DELIMITATION DE L’INTITULE DE LA THESE
2.1 Pourquoi choisir le terme d’expérience ?
2.1.1 Le vécu
2.1.2 L’expérience
2.1.3 L’apprentissage
2.2 Le soin en interaction
2.2.1 L’interaction avec un malade
2.2.2 L’interaction dans un environnement
2.2.2.1 Les dimensions sociales, culturelles et institutionnelles du soin
2.2.2.2 Les dimensions didactiques du métier
2.2.2.3 Les dimensions subjectives et expérientielles
2.3 Le geste de soin intracorporel
2.3.1 Un geste professionnel
2.3.2 Les techniques infirmières
2.4 Une intervention intracorporelle sur autrui
2.4.1 Le corps humain comme présence pour soi et pour le monde
2.4.1.1 Le corps comme présence au monde
2.4.1.2 Le corps comme interlocuteur pour soi
2.4.1.3 Le toucher
2.4.2 L’effraction
2.5 Un soin prescrit
2.5.1 La prescription
2.5.2 La réalité du soin
2.5.3 L’économie dans le soin
3. TROISIEME PARTIE : PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
3.1 Problématique
3.2 Hypothèses
4. QUATRIEME PARTIE : CADRE THEORIQUE RELATIF A L’ENVIRONNEMENT SCIENTIFIQUE DES HYPOTHESES
4.1 Les activités mentales des infirmières
4.1.1 Les phases et les logiques d’une action
4.1.2 La granularité d’une action au-delà de la conscience
4.2 – La préparation mentale des infirmières
4.2.1 La planification
4.2.2 La particularisation
4.3 Les mécanismes d’autorégulation
4.3.1 La prise de conscience
4.3.2 L’abstraction réfléchissante
4.3.3 Les types de régulations
4.4 La priorisation des tâches
4.4.1 La satisfaction et la perception de résultats
4.4.2 Le contrôle de l’action
4.4.3 La gestion du temps
4.4.4 La gestion de l’incertitude et des risques
4.4.5 La gestion des émotions
4.4.6 La recherche d’un équilibre
4.5 Les niveaux de contrôle de l’activité
4.5.1 Les automatismes
4.5.2 Les conflits de routines
4.5.3 Les facteurs éliminant les routines
4.6 L’attention sélective
4.6.1 Une nécessaire sélection d’informations
4.6.2 Les affordances ou stimuli
4.6.3 Le langage interne
4.7 – L’isolement de l’attention
4.7.1 L’économie de soi
4.7.2 Les bulles de simplicité
4.7.3 L’intuition
4.8 – Les micro-cultures du geste intracorporel
4.8.1 La construction de normes implicites contextuelles
4.8.2 La réalisation d’un geste sur-mesure
5. CINQUIEME PARTIE : METHODOLOGIE DE RECHERCHE
5.1 Perspective épistémologique et démarche de recherche
5.1.1 Une approche d’inspiration phénoménologique
5.1.2 La question de la subjectivité de la chercheure
5.2 Cadre méthodologique
5.2.1 Une recherche qualitative hypothético-déductive et inductive
5.2.1.1 L’analyse de discours comme support de la prise en compte de la complexité du phénomène étudié
5.2.1.2 Une démarche à visée compréhensive
5.2.2 Le mode de recueil de données
5.2.2.1 Le choix de deux types d’entretien : explicitation et semi-directif individuel à visée explicative
5.2.2.2 Les conditions d’interview des infirmières
5.2.3 Constitution et présentation de notre échantillonnage
5.2.3.1 Les sujets interviewés
5.2.3.2 Les difficultés rencontrées
5.2.4 Le mode d’analyse des données
5.2.4.1 Analyse de contenu
5.2.4.2 Proposition d’un traitement statistique des données
6. SIXIEME PARTIE : NOS RESULTATS DE RECHERCHE
CONCLUSION

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