Le 9 fรฉvrier 2019 a marquรฉ lโentrรฉe en vigueur de la directive 2011/62/UE permettant une coordination des actions en maniรจre de lutte envers les mรฉdicaments contrefaits ร lโรฉchelle europรฉenne. Ce renforcement de la rรฉglementation vise ร sโadapter au contexte mondial actuel oรน la menace des contrefaรงons ne cesse de croรฎtre, malgrรฉ le dรฉploiement dโimportantes ressources par les acteurs internationaux de la lutte contre les mรฉdicaments contrefaits.
En effet selon lโOrganisation Mondiale de la Santรฉ (OMS) la contrefaรงon des mรฉdicaments reprรฉsenterait plus de 10% du marchรฉ mondial des mรฉdicaments et estime que plus de 50% des mรฉdicaments commercialisรฉs sur internet sont contrefaits (1). Ce trafic, motivรฉ par lโaspect lucratif, est en constante augmentation depuis des annรฉes et prรฉsente un rรฉel risque pour la santรฉ publique.
Lโenjeu pour lโUnion Europรฉenne (UE) est ainsi de garantir lโauthenticitรฉ de lโensemble des mรฉdicaments sur toute la chaรฎne, de la fabrication jusquโร la dispensation au patient et รฉviter que des mรฉdicaments falsifiรฉs soient introduits dans la chaรฎne de distribution. Concrรจtement la directive 2011/62/UE impose la mise en place de dispositifs antieffraction sur tous les mรฉdicaments et de la sรฉrialisation basรฉe sur lโapposition dโun code unique pour certaines boรฎtes de mรฉdicaments. La mise en ลuvre de cette nouvelle rรฉglementation depuis le 9 fรฉvrier 2019 est venue impacter lโensemble de la chaine de distribution des mรฉdicaments et implique de nombreux acteurs, notamment : les Laboratoires pharmaceutiques fabricants et exploitants, les dรฉpositaires, les grossistes-rรฉpartiteurs, les pharmacies ainsi que des รฉditeurs de logiciels. La collaboration de lโensemble de ces acteurs est nรฉcessaire au bon fonctionnement de ces mesures europรฉennes pour mener une lutte efficace. Lโapplication de ces mesures au sein dโun Laboratoire pharmaceutique fabricant et exploitant a mobilisรฉ de nombreuses ressources afin de permettre une gestion efficace de ces changements.
LE CONTEXTE LIE AUX CONTREFACONS DES MEDICAMENTS
DEFINITIONS
Selon les termes de lโarticle L.335-2 du code de la propriรฉtรฉ intellectuelle, la contrefaรงon dโun produit (mรฉdicament, film, produit de luxe, logiciel…) est dรฉfinie comme une atteinte aux droits de propriรฉtรฉ intellectuelle (2).La propriรฉtรฉ intellectuelle incorpore des rรจgles permettant notamment la protection des connaissances, des informations, des conceptions, des formes ou des dรฉnominations. La propriรฉtรฉ intellectuelle comprend la propriรฉtรฉ littรฉraire ou artistique protรฉgรฉe par des droits dโauteur, et la propriรฉtรฉ industrielle (3). Le titre de propriรฉtรฉ industrielle permet dโobtenir un monopole sur un territoire dรฉterminรฉ et pendant un temps dรฉfini. Sous rรฉserve de son dรฉpรดt et de la publication de lโinvention, le titre permet dโinterdire ร autrui dโentamer un monopole sur lโobjet en question. On retrouve diffรฉrents titres de propriรฉtรฉ industrielle (4) :
– Le brevet qui protรจge une activitรฉ inventive, et si elle est capable dโune application industrielle, en confรฉrant ร son titulaire une exclusivitรฉ dโexploitation pendant 20ans ร compter du jour de dรฉpรดt de la demande. Lorsque ces droits de propriรฉtรฉ intellectuelle expirent, lโinvention ยซ tombe dans le domaine public ยป Dans le domaine pharmaceutique, selon le rรจglement communautaire nยฐ1768/92(5), il est possible dโajouter un Certificat Complรฉmentaire de Protection (CCP) qui permet dโรฉtendre la durรฉe de protection du brevet ร 15 ans ร compter de la premiรจre Autorisation de Mise sur le Marchรฉ (AMM), avec un maximum de 5 ans aprรจs lโexpiration du brevet. Son objectif est de compenser la pรฉriode de dรฉveloppement du mรฉdicament durant laquelle le brevet ne peut pas รชtre exploitรฉ. Ces derniรจres annรฉes, on observe une multiplication des brevets portant sur un mรชme principe actif afin dโรฉviter la sortie du brevet par les gรฉnรฉriqueurs. Ainsi, se dรฉveloppent les brevets de produits qui portent sur le principe actif en tant que tel, dans toutes ses applications et dans toutes ses voies de synthรจse, les brevets de formulation galรฉnique, les brevets dโindication thรฉrapeutique, les brevets dโassociations et les brevets de procรฉdรฉs de synthรจse. Lโensemble de ces brevets permet une prolongation, au moins partielle, de la durรฉe de protection du principe actif ;
– La marque qui est dรฉfinie par le code de la propriรฉtรฉ intellectuelle comme un signe de reprรฉsentation graphique servant ร distinguer les produits ou services dโune personne physique ou morale (6). Dans le domaine pharmaceutique, le nom du mรฉdicament peut รชtre considรฉrรฉ par le patient comme une garantie dโorigine et de qualitรฉ du produit. En France, les marques pharmaceutiques doivent faire lโobjet dโune double consultation auprรจs dโun Office de propriรฉtรฉ intellectuelle vรฉrifiant la disponibilitรฉ du nom et de lโAgence Nationale de Sรฉcuritรฉ du Mรฉdicament et des produits de santรฉ (ANSM) qui veille ร ce que la marque ne prรชte pas ร confusion et nโengendre pas dโerreurs qui pourraient entraรฎner un risque de santรฉ publique. La marque est protรฉgรฉe 10 ans, renouvelable indรฉfiniment.
– Le modรจle ou le dessin, souvent associรฉ ร une marque, qui rรฉpond ร une nouveautรฉ, un caractรจre propre et une forme non fonctionnelle. Lโarticle L.511-1 du code de la propriรฉtรฉ intellectuelle prรฉcise que ยซ peut รชtre protรฉgรฉe ร titre de dessin ou modรจle lโapparence dโun produit, ou dโune partie de produit, caractรฉrisรฉe en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matรฉriaux ยป (7). Le modรจle est valide 5 ans, renouvelable 4 fois.
Les contrefaรงons se caractรฉrisent ainsi par une atteinte aux droits de la propriรฉtรฉ intellectuelle et lรจsent ร la fois le crรฉateur du produit, le dรฉtenteur du titre de propriรฉtรฉ intellectuelle et รฉgalement le client. Cependant le mรฉdicament nโest pas un produit comme les autres. Selon lโarticle L.5111-1 du Code de la Santรฉ Publique (CSP) : ยซ On entend par mรฉdicament toute substance ou composition prรฉsentรฉe comme possรฉdant des propriรฉtรฉs curatives ou prรฉventives ร lโรฉgard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant รชtre utilisรฉe chez lโhomme ou chez lโanimal ou pouvant leur รชtre administrรฉe, en vue dโรฉtablir un diagnostic mรฉdical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerรงant une action pharmacologique, immunologique ou mรฉtabolique ยป(8). Ainsi on comprend que les contrefaรงons de mรฉdicaments nโintรจgrent pas uniquement des infractions au droit de la propriรฉtรฉ intellectuelle mais constituent des risques dโatteinte ร la santรฉ publique. Dรจs lors, le Parlement europรฉen et le Conseil de lโUnion Europรฉenne ont reconnu cette spรฉcificitรฉ dans la directive 2011/62/UE(9) en distinguant le caractรจre particulier des mรฉdicaments, ayant des effets thรฉrapeutiques, de toute autre marchandise. En intรฉgrant une problรฉmatique de santรฉ publique et lโaction dโaltรฉrer volontairement en vue de tromper, la contrefaรงon de mรฉdicaments a รฉtรฉ remplacรฉe par les termes de ยซ mรฉdicament falsifiรฉ ยป ou ยซ faux mรฉdicament ยป. La dรฉfinition de rรฉfรฉrence de faux mรฉdicament a รฉtรฉ รฉtablie par lโOrganisation Mondiale de la Santรฉ (OMS) en 1992, lors de la premiรจre rรฉunion internationale sur les mรฉdicaments contrefaits : ยซ un mรฉdicament contrefait est un mรฉdicament qui est dรฉlibรฉrรฉment et frauduleusement muni dโune รฉtiquette nโindiquant pas son identitรฉ et/ou sa source vรฉritable. Il peut sโagir dโune spรฉcialitรฉ ou dโun produit gรฉnรฉrique, et parmi les produits contrefaits, il en est qui contiennent les bons ingrรฉdients ou de mauvais ingrรฉdients, ou bien encore pas de principe actif et il en est dโautres oรน le principe actif est en quantitรฉ insuffisante ou dont le conditionnement a รฉtรฉ falsifiรฉ. ยป(10) A noter que le mรฉdicament gรฉnรฉrique ne doit pas รชtre confondu avec un faux mรฉdicament, le mรฉdicament gรฉnรฉrique ayant obtenu une AMM, suite ร la dรฉmonstration de bioรฉquivalence avec le mรฉdicament princeps ร lโexpiration de son brevet.
On distingue gรฉnรฉralement trois types de mรฉdicaments contrefaits(11) :
– Les produits contenant le ou les bons principes actifs, mais la plupart du temps sous-dosรฉs.
– Les produits dans lesquels on ne trouve aucune trace de principe actif.
– Les produits contenant des impuretรฉs, dโautres produits que ceux annoncรฉs, voire des substances toxiques qui peuvent parfois sโavรฉrer dangereuses.
Toutes ces modifications peuvent impacter la balance bรฉnรฉfices-risques du mรฉdicament pour les patients.
Ces dรฉfinitions excluent donc du terme de faux mรฉdicaments les mรฉdicaments ยซ sousstandard ยป ou dits ยซ de qualitรฉ infรฉrieure ยป qui peuvent prรฉsenter une forme de falsification non intentionnelle(12). En effet, le terme de faux mรฉdicament ne doit pas รชtre confondu avec un mรฉdicament comportant une erreur dans les รฉtapes de fabrication et/ou de distribution qui peuvent amener un laboratoire ร commercialiser par erreur des produits non conformes. Le fabricant dโun mรฉdicament sous-standard est bien celui indiquรฉ sur les emballages et les documents mais des non-conformitรฉs y sont retrouvรฉes ร la suite dโun dรฉfaut de maรฎtrise au niveau des รฉquipements, des locaux ou du savoir-faire par exemple. Ces mรฉdicaments restent authentiques dans la mesure oรน ils sont produits par des fabricants autorisรฉs par lโautoritรฉ nationale de rรฉglementation et distribuรฉs dans les circuits lรฉgaux. Cependant leur non-conformitรฉ aux spรฉcifications requises par le dossier dโenregistrement approuvรฉ par lโautoritรฉ sanitaire, place ces mรฉdicaments comme un risque pour la santรฉ publique. Ainsi, tout mรฉdicament non conforme, quโil soit falsifiรฉ ou de qualitรฉ infรฉrieure doit รชtre retirรฉ du circuit de distribution.
Pour cela la vigilance sur la lutte des mรฉdicaments non conformes doit concerner lโensemble des acteurs de la chaine de distribution des mรฉdicaments.
LES ACTEURS DE LA LUTTE
La lutte contre la contrefaรงon nรฉcessite la mobilisation de tous les acteurs de la chaรฎne pharmaceutique, des partenaires publics, des entreprises privรฉes et des professionnels de santรฉ.
LES ENTREPRISES PRIVEES
Les acteurs autorisรฉs ร distribuer en gros le mรฉdicament sont listรฉs en lโarticle R5124-2 du CSP (13). On retrouve notamment :
– Les laboratoires pharmaceutiques fabricants qui exercent lโensemble des opรฉrations dโachat des matiรจres premiรจres et des articles de conditionnement, les opรฉrations de production, de contrรดle de la qualitรฉ, de libรฉration des lots, ainsi que les opรฉrations de stockage correspondantes dans le respect des Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF) ;
– Les organismes importateurs se livrant ร lโimportation, au stockage, au contrรดle de la qualitรฉ et ร la libรฉration de lot de mรฉdicaments en provenance dโEtats non-membres de la Communautรฉ Europรฉenne (CE) et non parties ร lโaccord sur lโEspace Economique Europรฉen (EEE), ou dโautres Etats membres de la CE ou parties ร lโaccord sur lโEspace รฉconomique europรฉen lorsque les mรฉdicaments ont รฉtรฉ fabriquรฉs par un รฉtablissement non autorisรฉ au titre de lโarticle 40 de la directive 2001/83 instituant un code communautaire relatif aux mรฉdicaments ร usage humain;
– Les laboratoires pharmaceutiques exploitants rรฉalisant les opรฉrations de vente en gros ou de cession ร titre gratuit, de publicitรฉ, dโinformation, de pharmacovigilance, de suivi des lots et, sโil y a lieu, de leur retrait ainsi que, le cas รฉchรฉant, les opรฉrations de stockage correspondantes. Lโexploitation est assurรฉe soit par le titulaire de lโAMM, soit pour le compte de ce titulaire par une autre entreprise ou organisme, soit par lโun et lโautre, chacun assurant ses propres opรฉrations constitutives de lโexploitation du mรฉdicament ;
– Les entreprises dรฉpositaires se livrant, pour le compte dโun ou plusieurs exploitants de mรฉdicaments ou dโun ou plusieurs fabricants, au stockage de mรฉdicaments dont elles ne sont pas propriรฉtaires, en vue de leur distribution en gros et en lโรฉtat ;
– Les grossistes-rรฉpartiteurs en charge de lโachat et du stockage de mรฉdicaments en vue de leur distribution en lโรฉtat ;
– Les distributeurs en gros ร lโexportation se livrant ร lโachat et au stockage de mรฉdicaments en vue de leur exportation en lโรฉtat.
Lโensemble de ces acteurs de la distribution de mรฉdicaments doit disposer dโune autorisation dโouverture dโรฉtablissement pharmaceutique, obtenue auprรจs de lโANSM aprรจs รฉvaluation de lโorganisation mise en place par le demandeur de lโautorisation en rรฉponse aux exigences rรฉglementaires en vigueur. Cette autorisation permet de dรฉmontrer que lโรฉtablissement pharmaceutique a non seulement une connaissance approfondie de lโactivitรฉ revendiquรฉe et de ses contraintes mais quโil a รฉgalement une parfaite conscience des points critiques de celle-ci et quโil dispose des moyens adaptรฉs pour les maรฎtriser (14). Lโรฉtablissement pharmaceutique est alors directement responsable de la bonne rรฉalisation de chacune des opรฉrations pharmaceutiques permettant la distribution de mรฉdicaments conformes sur le marchรฉ.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE CONTEXTE LIE AUX CONTREFACONS DES MEDICAMENTS
1.1 DEFINITIONS
1.2 LES ACTEURS DE LA LUTTE
1.2.1 Les entreprises privรฉes
1.2.2 Les professionnels de santรฉ
1.2.3 Les partenaires gouvernementaux et institutionnels
1.2.4 Les organisations professionnelles
1.3 LโAMPLEUR DE LA CONTREFAรON DES MEDICAMENTS
1.3.1 Chiffres gรฉnรฉraux sur la contrefaรงon des mรฉdicaments
1.3.2 Cartographie de la contrefaรงon des mรฉdicaments
1.3.3 Lโessor des contrefaรงons de mรฉdicaments
1.3.4 Les ressources mobilisรฉes dans la lutte
1.3.5 Les Risques rรฉsiduels
DEUXIEME PARTIE : LE RENFORCEMENT DE LA REGLEMENTATION EUROPEENNE
2.1 LโHISTORIQUE DES MESURES DE LUTTE CONTRE LES MEDICAMENTS FALSIFIES (49)
2.2 LA DIRECTIVE 2011/62/UE ET LE REGLEMENT DELEGUE 2016/161 (9)(50)
2.2.1 Les dispositions gรฉnรฉrales
2.2.2 La sรฉrialisation
2.2.3 Les Dispositifs anti-effraction
2.2.4 Les autres mesures de lutte europรฉennes
TROISIEME PARTIE : EXEMPLE DE DEPLOIEMENT DES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LA FALSIFICATION DANS UN LABORATOIRE FABRICANT ET EXPLOITANT
3.1 LE CONTEXTE DES LABORATOIRES TECHNI-PHARMA
3.2 EXEMPLES DE MISE EN PLACE DES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE LA FALSIFICATION
3.2.1 Le contrรดle des changements
3.2.2 La mise en place des dispositifs anti-effraction
3.2.3 La mise en place de la sรฉrialisation
3.2.4 Le suivi des lots de mรฉdicaments dans le cadre de la lutte contre les falsifications
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES