Examen physico-chimique du matériau

Historique

Les superalliages

La recherche sur les matériaux constitutifs des aubes de turbines de moteurs d’avions débuta aux Etats-Unis dans les années 1930. Les superalliages constituent une grande avancée dans le développement des matériaux pour turbine à gaz en général, permettant d’augmenter considérablement la tenue des matériaux aux hautes températures.

Vers la fin des années 1940 et pendant plus d’une dizaine d’années, les recherches sur les matériaux à haute température couvraient une large gamme de matériaux: des aciers inoxydables aux alliages réfractaires, en passant par les cermets. Comme le rappelle Versnyder (1982), les progrès de la métallurgie et des procédés d’élaboration dans les années 1950 ont rendu le potentiel des superalliages base cobalt et base nickel évident. Issus d’une technologie empirique, les superalliages ont démontré leur influence favorable sur les performances des moteurs. Fawley (1972) remarque que les superalliages utilisés dans les premiers moteurs d’avions dans les années cinquante constituaient moins de 10% du poids du moteur, pour atteindre les alentours de 75% aujourd’hui.

Les performances des moteurs sont directement liées à la température d’entrée de turbine (TET). A titre indicatif, une augmentation de 50°C de la TET améliore d’environ 10% la poussée spécifique d’un moteur militaire double flux supersonique. Les TET ont augmenté au rythme de 15°C par an de 1960 à 1980. Les matériaux en tant que tels n’ont pas été les seuls facteurs de progression des TET. Les nouveaux procédés d’élaboration (fonderie à cire perdue, solidification colonnaire puis monocristalline) et les améliorations métallurgiques de chaque famille de matériaux y ont largement contribué. La réussite des développements des turbines à très haute température tient beaucoup à la compatibilité entre les matériaux et les conceptions de refroidissement avancées.

La progression de la contrainte admissible en fluage-rupture provient d’une part de l’accroissement de la fraction volumique de phase durcissante γ’, permise par l’élaboration au four à induction sous vide, d’autre part de la fonderie à cire perdue dans les années 1960. Des éléments d’addition abaissent la température de brûlure des superalliages. La tenue au fluage est accrue grâce à la solidification colonnaire permise par une solidification dirigée dans des fours à gradient thermique (20 à 40°C/cm). Enfin, la suppression de tout joint de grain est possible en sélectionnant une orientation de grain.

L’AM1, produit d’un programme de recherches impliquant les laboratoires Matériaux de l’ONERA, l’Ecole des Mines de Paris, Imphy S.A. et SNECMA breveté en 1983, est un fruit de ces avancées technologiques. Ses propriétés seront détaillées dans la suite puisqu’il constitue le substrat du matériau étudié.

Les revêtements

La recherche d’une résistance des matériaux accrue à haute température, conduit obligatoirement à s’intéresser à la tenue à l’oxydation et la corrosion. Bien que des éléments d’alliage du substrat contribuent à améliorer cette propriété, les revêtements ont été introduits dans les années 1960 pour protéger les superalliages. Ils permettent de limiter d’une part la diffusion de composés liquides ou gazeux agressifs vers le substrat et d’autre part, la diffusion d’éléments du substrat vers la surface où ils réagiraient. Duret, Davin, Marijnissen et Pichoir (1982) ainsi que Rhys Jones (1988) décrivent les mécanismes de corrosion et d’oxydation qui peuvent intervenir tour à tour ou simultanément dans les moteurs. A basse température (en dessous de 700°C), les sels de sodium s’acidifient et la corrosion est causée par une forte concentration de SO3. Entre 850°C et 950°C la corrosion à chaud est causée par le sulfate de sodium dissout dans les gaz et enfin, au delà de 950°C, l’oxydation pure devient prépondérante. Une pièce revêtue constitue un système dont la durée de vie peut être considérablement influencée par la protection. Ainsi, la composition et le mode d’élaboration du revêtement tiennent une grande importance dans les propriétés du système obtenu. Les trois grandes familles de procédés de dépôts sont les revêtements par diffusion, les dépôts plasma et les dépôts EBPVD qui sont passés en revue par Hancock et Malik (1994). Mevrel (1989) introduit d’autres procédés, tels que la codéposition électrolytique et l’électrophorèse, développés beaucoup plus récemment. Ne présentant pas l’inconvénient du coût élevé et des difficultés technologiques des procédés plus anciens, notamment pour les pièces de géométrie complexe, ils pourraient connaître un essor dans les années à venir. La protection des alliages contre l’environnement a conduit à développer ces revêtements constitués par des composés intermétalliques, essentiellement aluminiures et MCrAlY (M=Ni, Co, Fe). Aujourd’hui, les TET atteignant 1580°C, les revêtements doivent posséder en plus des propriétés réfractaires et une faible conductivité thermique. Les barrières thermiques constituées d’une couche de céramique déposée au-dessous de la protection intermétallique sont la réponse aux exigences technologiques actuelles. Cependant, l’amélioration des propriétés d’un matériau qui doit répondre à certaines spécifications, par la complexification du système, entraîne nécessairement des aléas inhérents à l’association de plusieurs matériaux entre eux. Les recherches actuelles, dans lesquelles s’inscrit cette étude, visent à présent à identifier et limiter ces aléas.

Les matériaux étudiés

Le substrat

Le superalliage monocristallin base nickel AM1 a fait l’objet d’une optimisation poussée en fluage mais il répond également à des objectifs de fatigue thermique, de corrosion et d’oxydation.

Elaboration
L’élaboration du monocristal est effectuée par solidification dirigée selon la technique de Bridgman dans un four à gradient d’environ 40°C/cm au niveau du liquidus, pour des vitesses de tirage de l’ordre de 240 mm/heure. La solidification s’effectue sous forme de dendrites (Figure I.2) présentant une forte ségrégation et dont les troncs primaires sont distants de 350µm en moyenne. Pendant cette opération, de nombreux défauts apparaissent au sein de la microstructure. On peut observer une légère désorientation des dendrites les unes par rapport aux autres et des porosités, en particulier dans l’espace interdendritique.

Durcissement
Le durcissement est obtenu par précipitation d’une fraction volumique élevée (68%) de la phase γ’. Un traitement thermique optimisé (voir paragraphe I.2.4) conduit à l’obtention de précipités cuboïdaux cohérents avec la matrice (figure I.3), la différence de paramètres de mailles n’excédant pas 0,5%.

La taille des précipités est ajustée en supposant que son évolution suit une loi LSW (Lifshitz, Slyozov, Wagner 1961). Cette loi fait intervenir l’énergie d’interface γ/γ’, prise comme celle des alliages NiAl durcis par Ni3Al et considère que seule la diffusion de l’aluminium dans le nickel favorise la précipitation. Cependant, Espié (1996) montre que la taille des précipités mesurée expérimentalement est assez éloignée de la théorie, ce qui témoigne de l’inaptitude de la loi LSW à décrire la précipitation dans les systèmes multi-constitués. Des théories de croissance plus exactes, telles que la théorie d’Ardell (1972) qui introduit l’influence de la fraction volumique et un temps d’initiation du grossissement des particules, ou la théorie de Kahlweit (1975) qui propose un calcul diffusionnel complexe tenant compte des couplages, ne sont cependant pas utilisées en raison de la multiplicité de paramètres qu’elles font intervenir.

La morphologie cubique des précipités γ’ peut être justifiée par une analyse de minimisation d’énergie. Une forte fraction volumique de précipités γ’, initialement sphériques dans la matrice γ, induit des accroissements de contraintes par interactions entre les zones les plus proches. Les espèces diffusantes migrent alors vers des régions moins contraintes. Un gradient de concentration chimique s’établit autour des précipités toujours sphériques et les espèces γ’-gène sont attirées vers les lieux de précipitation nécessitant le plus petit parcours. En supposant les sphères réparties régulièrement sur un réseau cubique, les zones les plus riches en éléments γ’-gène se trouvent au centre des mailles cubiques et migrent vers les sommets des mailles, formant ainsi les coins des cubes. Cette morphologie cubique et cette disposition des précipités minimisent l’énergie de surface γ/γ’ car la surface d’un cube est inférieure à la surface d’une sphère inscrivant le cube.

L’AM1 est donc un alliage biphasé constitué d’une matrice γ cubique à faces centrées et d’une phase γ’ intermétallique Ni3(Al,Ti,Ta) cubique ordonnée. La température de solidus est particulièrement élevée (1310°C) et la température du solvus de la phase γ’ atteint 1293°C, ce qui la rend particulièrement stable à haute température. La taille des précipités est ajustée entre 0,4 µm et 0,5µm, un tel édifice microstructural présente une résistance élevée au mouvement des dislocations lors d’une déformation plastique.

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Table des matières

Introduction
Chapitre I: Examen physico-chimique du matériau
I.1. Historique
I.1.1. Les superalliages
I.1.2. Les revêtements
I.2. Les matériaux étudiés
I.2.1. Le substrat
I.2.1.1. Propriétés thermo-chimiques
I.2.1.1.1. Composition
I.2.1.1.2. Elaboration
I.2.1.1.3. Durcissement
I.2.1.1. Propriétés physiques
I.2.1.3. Propriétés mécaniques de l’orientation cristallographique
I.2.1.4. Coalescence
I.2.2. L’aluminiure C1A
I.2.2.1 La cémentation en caisse basse activité
I.2.2.2. Le procédé C1A
I.2.2.2.1. L’aluminisation par diffusion
I.2.2.2.2. La chromisation
I.2.2.3. Propriétés
I.2.3. La barrière thermique
I.2.3.1. La couche d’accrochage CN22
I.2.3.1.1. Composition
I.2.3.1.2. Rôle du platine
I.2.3.1.2. Propriétés physiques et mécaniques
I.2.3.2. La couche céramique
I.2.3.1.1. Procédé de dépôt EBPVD
I.2.3.1.2. Stabilisation de la zircone par l’yttrine
I.2.3.1.3. Microstructure du dépôt céramique
I.2.3.1.4. Propriétés
I.2.4. Traitements thermiques appliqués aux matériaux
I.3. Evolution de la barrière thermique en oxydation statique
I.3.1. La liaison céramo-métallique
I.3.1.1. La couche d’oxyde
I.3.1.2. Rôle de l’élément soufre du sousbrat dans la formation de cavités
I.3.1.3. Epaisseur de la couche d’oxyde
I.3.1.4. Propriétés de l’alumine
I.3.2. Modifications chimiques de la sous-couche dues à l’oxydation
I.3.2.1. Analyse chimique quantitative du matériau brut
I.3.2.2. Evolution des profils au cours de l’oxydation
Chapitre II: Endommagement de la sous-couche
II.1. Théorie des singularités de contrainte en pointe d’une fissure transverse
II.1.1. Fissuration transverse d’une couche mince
II.1.2. Propagation de fissures à la surface de la protection
II.1.3. Evolution d’une fissure entièrement localisée dans la protection
II.1.4. Multifissuration
II.1.5. Conséquences pour le substrat
II.2. Examen de la transition ductile-fragile
II.2.2. Méthode expérimentale
II.2.2.1. Dispositif expérimental
II.2.2.2. Principe de dépouillement d’un essai
II.2.3. Résultats
II.2.3.1. Caractéristiques des essais réalisés
II.2.3.2. Fissuration
II.2.3.2.1. Observations
II.2.3.2.2. Le clivage
II.2.3.3. Déformation critique
II.2.3.3.1. Evolution de la déformation critique avec la température
II.2.3.3.2. Comparaison des résultats obtenus à 25°C sur les géométries Ø6 et Ø1
II.2.4. Effet de volume
II.2.4.1. Statistique de Weibull
II.2.4.2. Module de Weibull issu des déformations critiques
II.2.4.3. Module de Weibull issu de la distribution de taille de grains
II.2.4.4. Comparaison des deux méthodes
II.3. Propriétés viscoplastiques d’un aluminiure de nickel en couche mince
II.3.1. Introduction
II.3.2. Procédure expérimentale
II.3.2.1. Définition des éprouvettes
II.3.2.2. Validation de l’expérience sur le matériau nu
II.3.2.3. Instrumentation et paramètres expérimentaux
II.3.3. Résultats des essais
II.3.3.1. Examen microstructural de la surface des éprouvettes
II.3.3.2. Examen microstructural d’une coupe sagitale des éprouvettes
II.3.3.3. Synthèse des mesures
II.3.4. Loi de viscoplasticité du revêtement C1A
II.3.4.1. Influence de la protection sur le comportement du système
II.3.4.2. Modélisation du comportement composite
II.3.4.2.1. Formalisme du modèle
II..3.4.2.2. Identification des paramètres
II.4. Etat des connaissances concernant les propriétés d’un aluminiure de nickel
II.4.1. Introduction
II.4.2. Fatigue thermique de la protection C1A
II.5. Fatigue oligocyclique à 200°C
II.5.1. Principe des essais
II.5.1.1. Méthode expérimentale
II.5.1.2. Méthode de dépouillement
II.5.2. Résultats
II.5.3. Mécanisme de rupture de la protection
II.6 Modélisation de la rupture fragile de la protection en fatigue à 200°C
II.6.1. Configuration du modèle
II.6.1.1. Terminologie
II.6.1.2. Géométrie
II.6.1.3. Mécanisme de fissuration
II.6.2. Mécanique de la fissuration
II.6.2.1. Le transfert de charge
II.6.2.2. Effet de l’orientation des grains
II.6.2.3. Effet de volume
II.6.2.4. Propagation de la fissure
II.6.3. Identification des paramètres
II.7. Prévision de la durée de vie de la protection C1A en fatigue thermique
II.7.1. Mécanisme de fissuration en fatigue thermique
II.7.2. Calcul de la fissuration de la protection en fatigue thermique
II.7.2.1. Discrétisation de l’éprouvette prismatique
II.7.2.2. Fissuration des éléments de protection
II.7.2.3. Analyse des résultats obtenus
II.7.3. Contribution du substrat
II.7.3.1. Propagation en fatigue
II.7.3.2. Propagation due à l’oxydation
II.7.3.3. Calcul de la vitesse de propagation dans le substrat
II.7.3.3.1. Formalisme du modèle
II.7.3.3.2. Discussion des résultats
II.7.4. Conclusion
Chapitre III: Résistance interfaciale de la barrière thermique
III.1. Le délaminage et l’écaillage
III.1.1. Amorçage d’une décohésion
III.1.1.1. Le flambage
III.1.1.2. L’effet de coin
III.1.1.3. Compétition enclavage-flambage
III.1.2. Propagation
III.1.3. Cas des contraintes résiduelles d’origine thermique
III.2. Mécanique de la fissuration interfaciale
III.2.1. Fissuration purement interfaciale
III.2.1.1. Singularité de contrainte en pointe de fissure
III.2.1.2. Interpénétration des faces de la fissure
III.2.1.3. Tentatives de simplification du concept
III.2.2. Fissuration sub-interfaciale
III.2.2.1. Formalisme
III.2.2.2. Condition de propagation sub-interfaciale
III.2.3. Déviation de fissure
III.2.3.1. Formalisme
III.2.3.1. Influence d’une contrainte locale tangentielle
Conclusion

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