Examen critique de l’ argumentation ministérielle
Commission Clair: attentes et déceptions
Lors de la création de la Commission Clair, les attentes étaient grandes de la part des instances régionales qui déchantèrent rapidement et ne tardèrent pas à exprimer leur déception relativement à la mise en veilleuse de la question de décentralisation. Quelques mois seulement après le dépôt du rapport Clair, les administrateurs des Centres locaux de Services communautaires (CLSC) se disaient d’ accord avec les recommandations proposées sur l’ importance à accorder à la prévention. Ils estimaient cependant que la Commission avait manqué de courage en recourant à la proposition d’incitatifs monétaires pour résoudre le problème de répartition des médecins sur le territoire québécois plutôt que d’explorer des avenues novatrices comme celle de la régionalisation des budgets consentis à la Régie de l’ Assurancemaladie du Québec (RAMQ). Le quotidien Le Soleil rapporte alors que les directeurs de servIces de santé gaspésiens réunis durant deux jours afin de prendre position sur les conclusions de l’ enquête, reçoivent un appui de taille de l’Association des CLSC-CHSLD du Québec pour dénoncer la concentration des médecins en milieux urbains. Selon le président de cette Association, le gouvernement n’aurait pas eu le courage de régler de façon définitive ce problème jusqu’à maintenant; de sorte que, selon elle, il serait temps que l’ on dise haut et fort que l’ argent pour payer les médecins doit être réparti selon les besoins géographiques4 . Ces revendications semblent cohérentes avec la stratégie d’ amélioration de la santé telle que définie en 1994 par le Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé. Les membres du Comité en étaient arrivés à un consensus sur le principe d’ approche communautaire pour assurer le vieillissement en santé.
Parmi les moyens favorisant l’amélioration de l’état de santé aux divers stades du cycle de la vie, la participation des aînés devait, selon le rapport, être manifestement reconnue. La sagesse et les habiletés de ces citoyens devraient mieux servir au maintien de leur propre qualité de vie, mais aussi de celle de toute une communauté. À condition toutefois que la contribution des bénévoles et des aidants naturels soit reconnue et soutenue financièrement par les fonds publics. Le cas échéant, non seulement les personnes les plus âgées, malS aussi celles confrontées à toute espèce de vulnérabilité, tant psychologique que physique, risquent d’être confinées à un statut de dépendance envers les experts du domaine médical , paramédical et du travail social. Les familles les plus démunies n’auront d’ autres choix que celui de quitter les campagnes et les régions périphériques pour les régions urbaines où se concentrent les ressources cliniques spécialisées. Or, déjà l’exode des populations rurales et le processus de dépopulation de certains lieux en décroissance démographique laissent présager la difficile offensive pour l’occupation du territoire que devront mener les générations à venir. À la lecture des recommandations de la Commission Clair, il semble que les travaux aient convergé vers la transformation interne du système d’ organisation de services cliniques et aient été axés sur l’ amélioration de la capacité actuelle du réseau à répondre aux besoins des Québécois en optimisant le ratio coüts-efficacité (2000, p. 67). Dans l’ introduction de leur rapport, les commissaires proposent une « révolution tranquille », mais précisent-ils, « sur le plan de la gouverne du réseau » (2000, p. viii). En effet, la Commission a délégué aux Régies régionales de la Santé et des Servic ~ s sociaux (RRSSS) une partie de leur mandat: « mener des consultations auprès des groupes d’ intérêt et de la population, notamment dans les régions » (2000, p. iii, iv). D’après le rapport, chaque comité régional a produit un résumé des audiences locales et ces textes furent résumés une seconde fois par une instance provinciale à l’ intention des commissaires.
Contribution à la recherche sur le développement régional
L’exploration scientifique n’a cessé depuis de se poursuivre dans le champ de cette approche spécifique d’un développement social territorialement ancré. L’intérêt que suscite encore ce domaine de recherche laisse entrevoir la richesse et la complexité du phénomène. Les sciences régionales se sont spécialisées dans l’observation de populations spatialement délimitées et par l’articulation théorique de dénominateurs communs correspondant à une idéologie progressiste. Des faits , des situations, des contextes ont été décrits comme autant de facteurs d’ organisation et de désorganisation socioéconomiques, avec lesquels les acteurs devaient composer. L’ écart de succès entre zones plus ou moins avancées fut le plus souvent expliqué en comparant des caractéristiques localisées; les stratégies des régions gagnantes furent proposées comme modèles aux régions perdantes. Les sciences régionales traditionnelles répondaient aux attentes d’ une époque face à l’augmentation des connaissances: expliquer objectivement les faits observés, en extraire des principes structurant le changement, énoncer des lois applicables universellement.
Un courant de recherche s’ est détaché des études classiques strictement engagées dans la vérification de la pertinence des indicateurs de croissance. Le champ de recherche en développement régional s’est particulièrement démarqué par son ouverture au questionnement de l’idéologie sous-jacente à la définition des paramètres à prédominance économique. La profusion des travaux réalisés en interdisciplinarité, de même que l’ intensification des efforts de conceptual isation auquel les étudiants et particulièrement les candidats au doctorat sont conviés, constituent un stimulant notable. Ce courant scientifique s’ est engagé dans une voie différente où l’ économie ne représente qu ‘ un aspect du développement, associé à la spécificité de la culture, cette dimension étant reconnue comme hautement significative, surtout depuis l’ influence marquante de Fernand Dumont (1994).
Les chercheurs se voient confrontés à de nouveaux défis concernant, entre autres, la sélection d’indicateurs fiables garantissant des résultats reproductibles, et l’élaboration de modèles explicatifs pouvant se traduire en stratégies concrètes. Il est généralement admis dans les milieux scientifiques que les consensus sociaux émergent d’un système de relations au sein duquel interagissent des processus identitaires, des habitudes de coopération et des traditions de solidarité communautaire. Cependant, bon nombre de régionalistes, à l’instar de Marc-Urbain Proulx (1999), considèrent les nombreuses composantes de cet ensemble comme immatérielles et intangibles et par conséquent difficilement mesurables dans leur évolution à court terme sur un territoire donné. Notre étude doctorale tente de contribuer à ce vaste chantier de recherche sur le développement régional.
Le phénomène régional au Québec a été repris comme thématique par une équipe de chercheurs sous la direction de Marc-Urbain Proulx (1996) et présenté comme une réalité des plus complexes, dont l’ intérêt en tant qu ‘ objet d’ étude ne cesse de croître. Alors que l ‘ historien Fernand Harvey définit la « régionalité » comme un fait de culture et plus précisément le « rapport des individus et des sociétés avec le territoire à l’échell:: régionale» (1996, p. 113), Luc-Normand Tellier suggère de situer l’ évolution du Québec et de ses régions dans un contexte spatial mondial (1996, p. 27). Le sociologue Bruno Jean rappelle que les petites nations revêtent à l’ échelle planétaire un caractère régional; il souligne également l’enrichissement conceptuel qui accompagne le mouvement envirolmementaliste. À ce point de vue, le paradigme du développement régional se trouve en plein renouvellement et doit intégrer l’aspect de « géométrie variable» (1996, p. 136) et celui de « diversité à cultiver » (1996, p. 152). La question régionale renvoie de plus au concept d’identité que l’ethnologue Jocelyne Mathieu (1996) aborde comme un processus continu où s’entremêlent un ajustement à des contextes et une transmission des valeurs traditionnelles; un processus qui enclencherait une pluralité de sentiments d’appartenance.
Il nous semble que le concept de régionalité pourrait encore être enrichi , notamment en articulation avec le principe d ‘ autonomie dans une représentation de la société, autre que celle de système de production. Les tenants de l’économie marchande réclament des analyses scientifiques de tels systèmes dont les régions tiennent lieu de sous-systèmes de production. Avec la montée des préoccupations concernant les changements climatiques, dont l’ impact sur l’ espèce humaine sera inévitable, un autre paradigme commence à poindre. Nous pourrions le nommer à la suite de Heidegger (Beaudry, 2000, p. 10-11), le souci proprement humain d ‘ habiter le monde. Il nous semble également que le thème de la santé offre un terrain fertile à l’ éclosion d’ un projet social qui peut englober les ambitions dans une sorte de rayonnement culturel qui transcenderait les frontières provinciales. Pourquoi le Québec ne pourraitil pas se positionner d’avant-garde, parmi les régions du monde, oeuvrant à faire avancer la cause de l’égalité d’accès au savoir thérapeutique en tant que patrimoine de l’ humanité?
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Table des matières
PAGE DE TITRE
PAGE D’IDENTIFICATION OU JURy
PENSÉE
REMERCIEMENTS
RÉSUMÉ
RÉSUMÉ COURT
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES
LISTE DES SIGLES ET DES ACRONyMES
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER- LA PROBLÉMATIQUE
l. Régionalisation des fonds publics en santé
l.1 Pert~ , lence soc iale
l.l.1 Problème d ‘accessibilité aux services
1.1.2 Commission Clair: attentes et déceptions
1.2 Pertinence scientifique
l.2.1 Contribution à la recherche sur le développement régional
1.2.2 Appréciation de la portée des représentations de la santé
1.2.3 Documentation de l’aspect identité conceptuelle
1.3 Positionnement épistémologique
l.3.1 Regard sur les paradigmes majeurs
l.3.2 À l’ interface du constructivisme et de la théorie critique
1.4 Cadre de référence
1.4.1 Sociologie et souveraineté territoriale
1.4.2 Phénoménologie et communauté historique
1.5 Cadre conceptuel
1.5.1 Définition des principaux concepts
1.5.2 QuestiOJU1ement et détermination des objectifs
CHAPITRE 2 – LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
2. Spécificité de l’étude des représentations sociales
2.1 Approche à prédominance qualitative
2. 1.1 Utilisation de coefficients numériques
2.1.2 Rapport entre objectivité et subj ectivité
2.2 Traitement des données secondaires
2.2. Considérations éthiques
2.2.2 Critères de scientifi cité
2.3 Délimitation du corpus
2.3 .1 Commission Clair et consultation populaire.
2.3 .2 Inventaire de la consultation régionale
2.3.3 Codification des mémoires disponibles
2.3.4 Processus de sé lection des textes
2.4 Élaboration d’ instruments de collecte d’ information
2.4.1 Dualité structurelle des représentations
2.4.2 Perspective bidimensionnelle
2.4.1 Catégories de la grille de lecture
2.5 De l’analyse de contenu à l’analyse de discours.
2.5.1 Conditions de production des discours
2.5.2 Contexte de la consultation et différenciations sociales
CHAPITRE 3 – L’ANALYSE DES DONNÉES OBSERVÉES
3. Représentations collectives et différenciation sociale
3.1 Examen critique de l’ argumentation ministérielle
3.1.1 Vues ministérielles sur le financement du système de santé
3.1.2 Problématisation du vieillissement démographique
3.l.3 Contrecoups de l’économie mondiale sur la compétitivité
3.1.4 Entre réseaux d’influence et systèmes de représentation
3.2 Examen de la réponse citoyenne
3.2.1 Homogénéité du plan de rédaction des mémoires
3.2.2 Hétérogénéité du style de réponse aux gouvernants
3.3 Analyse des représentations collectives
3.3.1 Résultats du classement des mémoires
3.3.2 Ligne de rupture Nord-Sud en matière d’accessibilité
CHAPITRE 4 – L’INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
4. Des résultats inattendus
4.1 Ce qui divise: la disparité de l’accès aux services
4.1.1 Inégalités d’ordre économique
4.1.:Z Contraintes de nature géographique
4.1 .3 Financement de la technologie médicale aux dépens des services sOcIaux
4.2 Ce qui unit: la fierté inspirée par l’Institution
4.2.1 Concept original
4.2.2 Expertise québécoise
4.2 .3 Besoin de se distinguer à l’échelle internationale
4.3 Une pensée sociale structurante
4.3.1 Portée inclusive de l’appel à la solidarité
4.3.2 Orientation vers un devenir collectif
4.3 .3 Caractère autonomiste de la pensée sociale
CONCLUSION
APPENDICE 1 – Liste des mémoires présentés aux audiences régionales
APPENDICE II – Liste des organismes représentés aux aud iences régionales
APPENDICE III – Extraits de textes révélateurs de l’ appartenance au territoire et de l’appartenance à l’histoire
APPENDICE IV – Classification régionale des mémoires
RE, FE, RENCES
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