Le nanomètre est devenu une échelle incontournable en matière condensée, que ce soit dans la conception de circuits intégrés optimisés ou pour avancer dans la compréhension de la machinerie biologique. Toutefois, à ces dimensions, l’interaction entre la lumière et la matière devient très faible : les sections efficaces d’absorption ou d’émission de photons sont plus de six ordres de grandeur plus petites que la longueur d’onde au carré et la propagation de la lumière est à peine modifiée (faible diffusion ou déphasage induit). Il est donc difficile de sonder et d’analyser optiquement des nanostructures mais aussi de leur faire absorber, diffuser ou émettre efficacement de la lumière. Exalter les interactions lumière / matière aux échelles nanométriques semble donc primordial au développement de capteurs, de détecteurs, de sources de lumières mais aussi de cellules solaires plus compacts et efficaces .
Alors qu’un atome isolé interagit efficacement avec une onde optique de fréquence correspondant exactement à une transition électronique, des phénomènes d’élargissement homogènes et inhomogènes en matière condensée réduisent considérablement les sections efficaces d’absorption, d’émission et de diffusion de la matière condensée à température ambiante. Il faut donc imaginer une méthode capable d’exalter, sur une large gamme de fréquences, les propriétés optiques de nanostructures qui sont régies par la physique quantique.
En 1946, E. M. Purcell a montré, dans un article de quelques lignes, que les propriétés optiques d’un système quantique ne lui sont pas intrinsèques [1]. Il indique que le taux d’émission spontané d’un atome, placé dans un état électronique excité, est considérablement modifié lorsque que celui-ci est au sein d’une cavité optique résonante. Ainsi, l’exaltation du taux d’émission de l’émetteur dans un mode de la cavité, de facteur de qualité Q et de volume Vm, est proportionnelle à Q/Vm appelé facteur de Purcell. Ce couplage ne se produit que si la fréquence d’émission des photons est égale à la longueur d’onde de résonance de la cavité ; mais est alors extrêmement efficace [2]. Ce couplage fortne peut être reproduit en matière condensée, avec des microcavités, qu’à de très faibles températures où les émetteurs quantiques présentent des largeurs spectrales proches de leur valeur naturelle [3].
Indépendamment, la première expérience qui a démontré que l’émission spontanée d’un système quantique dépend de son environnement, à été réalisée par K. H. Drexhage dans les années 60 [4]. La variation de la distance entre l’émetteur quantique et un miroir d’argent modifie le temps de vie de luminescence d’ions lanthanides. Dans ce cas, le processus n’est pas spécifique à une fréquence mais les modifications du taux d’émission ne sont que d’une dizaine de pourcents. Un couplage efficace entre les états de la matière et du rayonnement peut toutefois être transposé à température ambiante. Pour cela, le résonateur dans lequel est placé l’émetteur doit avoir une largeur de résonance spectrale similaire à ce dernier. En terme de facteur de Purcell, cela implique un faible facteur de qualité Q. Par conséquent, pour obtenir une forte exaltation du taux d’émission, il est nécessaire de confiner le champ dans un petit volume Vm. Il nous faut donc concevoir des résonateurs large bande qui vont se coupler à des échelles sub-longueur d’onde avec l’émetteur et réémettre un rayonnement en champ lointain.
Dans le domaine des télécommunications, les antennes ont été initialement conçues pour envoyer des signaux à longue distance. En effet, ces dispositifs sont très utilisés en électronique pour obtenir un couplage efficace entre une onde propagative et une source électrique ou un détecteur de taille sub-lambda, sur une large gamme de fréquences. La partie passive de l’antenne est composée de structures fortement polarisables qui servent à amplifier la puissance rayonnée en champ lointain. Ces propriétés sont donc très proches de celles recherchées pour la lumière avec, en guise d’absorbeur ou d’émetteur de champ électromagnétique, un système quantique.
L’idée est donc apparue dans la littérature en 2005 de redimensionner les antennes aux fréquences optiques pour coupler un émetteur quantique avec le champ lointain en l’entourant de nanoparticules de métaux nobles polarisables [5]. La lumière oscillant un million de fois plus rapidement que les ondes radio, les antennes obtenues vont être typiquement 10⁶ fois plus petites que les antennes RF. Les métaux parfaits n’existent pas aux fréquences optiques mais des nanoparticules de métaux nobles (Au, Cu, Ag) peuvent être utilisés à leur résonance plasmon comme objets fortement polarisables permettant de confiner le champ électromagnétique.
Les antennes optiques demandent alors une précision de fabrication inférieure à la dizaine de nanomètres. Les techniques avancées en nanosciences permettent d’atteindre cette résolution par le biais de nouveaux processus de fabrication « top-down » (faisceau d’ion focalisé et lithographie par faisceau d’électrons) [6, 7, 8] et par voie chimique, par l’utilisation des techniques « bottum-up » d’auto-assemblage [9, 10, 11].
Cependant, fabriquer de façon reproductible et à grande échelle des nanoantennes couplées avec un émetteur unique reste d’une grande complexité. En effet, une variation nanométrique de la position de l’émetteur par rapport à la structure polarisable engendre une forte variation de la densité locale d’état optique [12, 13, 14]. Le contrôle, à cette échelle, de la position entre un émetteur et une nanoparticule d’or est possible en utilisant un microscope à force atomique [13,14]. A plus large échelle, la lithographie électronique a également permis de coupler efficacement des émetteurs avec des nanostructures métalliques pour obtenir une émission spontanée exaltée et/ou directionnelle. Mais la position relative des parties actives et passives de l’antenne est soit aléatoire [15], soit présente une incertitude de plusieurs dizaines de nanomètres [16,17,18,19] Les techniques d’auto assemblage permettent une meilleure résolution dans le contrôle de la position de l’émetteur vis à vis d’une nanostructure d’or. En particulier, l’ADN synthétique permet de positionner, avec une précision nanométrique, une molécule unique à proximité d’une nanoparticule d’or qui, dans ce cas, éteint l’émission spontanée [20]. En effet, une nanoparticule d’or individuelle n’est pas une bonne antenne avec une faible section efficace de diffusion et un faible confinement du champ. Il est donc préférable d’utiliser un dimère de nanoparticules confinant le champ en son centre. Des tentatives d’études de dimères de particules de métaux nobles associés, grâce à l’ADN, à un émetteur quantique ont été décrites dans la littérature [21, 22]. Néanmoins, une faible pureté des échantillons n’a pas permis une analyse statistique non-ambiguë de ces nanostructures. Des dimères d’or auto-assemblés, présentant un nombre incontrôlé de molécules fluorescentes, ont toutefois pu être purifiés par des techniques biochimiques usuelles et influencer les propriétés d’émission spontanée [23].
Introduction aux nano-antennes
De façon générale, on peut associer à une antenne le fait de convertir une onde propagative en énergie localisée pour se coupler efficacement à la matière à des échelles sub-longueurs d’onde [30].
Contrairement aux micro-cavités, caractérisée par un spectre de résonance étroit, les antennes optiques vont pouvoir présenter des résonances large bandes compensées par des modes optiques confinés. Il serait alors possible d’exalter l’émission spontanée d’un émetteur quantique à température ambiante [31, 30].
Les antennes sont typiquement composées d’éléments passifs, fortement polarisables, alimentés par une source active, de taille petite par rapport à la longueur d’onde. La confection reproductible de nanostructures polarisables dans le domaine de l’optique nécessite des dimensions nanométriques qui n’ont été démontrées que récemment [6,7,8]. Aux fréquences optiques, la partie active de l’antenne sera également de taille nanométrique et régie par les lois de la physique quantique. Alors qu’en radiofréquences les antennes sont caractérisées par le gain en puissance émise par la source classique ; en optique, une nanoantenne alimentée par une source quantique va entraîner une variation du taux d’émission Γ. La différence de taille entre la partie active de l’antenne et la longueur d’onde implique une différence d’impédance en radiofréquences qui peut être redéfinie en optique pour une source quantique [31].
La présence d’une antenne peut donc exalter les propriétés d’un système quantique servant d’émetteur ou de récepteur de lumière. Cependant, elles vont introduire des pertes non-radiatives dissipées sous forme de chaleur car il n’y a pas de métaux parfaits en optique. Dans le cas d’une antenne radiofréquence, on peut définir son efficacité comme le ratio entre la puissance rayonnée en champ lointain et la puissance totale émise par la source. En optique, on pourra également introduire une efficacité η comme le rapport entre le taux d’émission radiative ΓR et le taux d’émission total Γ qui est la somme de l’émission non-radiative ΓNR et de ΓR [30]. Afin de se coupler efficacement avec un émetteur à température ambiante, la structure passive doit répondre aux critères suivant : fortement polarisable, de taille sub-lambda (nanométrique) et de résonance large bande dans le visible. De plus, pour compenser le mauvais facteur de qualité associé à la largeur du spectre voulu pour se coupler à l’émetteur, le champ électromagnétique doit être fortement confiné. Nous verrons que les nanoparticules de métaux nobles (Ag, Au, Cu et Al) sont particulièrement adaptées pour remplir les exigences imposées pour le couplage à un émetteur à température ambiante. En particulier, il est possible de produire une oscillation des charges surfaciques du métal en les couplant de manière résonante avec la lumière. On parle dans ce cas de plasmon de surface délocalisé, également appelé plasmon-polariton de surface. Le terme « plasmon » est utilisé pour décrire une oscillation collective des électrons de conduction du métal. Ces plasmon-polaritons se caractérisent par une onde qui se propage le long de l’interface entre un métal noble et un diélectrique avec une décroissance exponentielle de l’intensité dans la direction normale à l’interface, caractéristique d’une onde évanescente [33]. Dans le cas d’un objet métallique de taille inférieure par rapport à la longueur d’onde de la lumière, il est également possible d’exciter une résonance plasmon. Le nuage électronique de la particule se polarise sous l’effet de l’excitation pour obtenir un système de charges oscillantes de taille sub-longueur d’onde. On parle alors de résonance plasmon localisée. Dans le paragraphe suivant, nous allons expliquer pourquoi cette interaction est résonante sur une large gamme de fréquences et pourquoi cela permet de concevoir la partie passive d’une antenne : c’est à dire des objets fortement polarisables permettant de confiner le champ électromagnétique à des échelles nanométriques.
Résonance plasmon de nanoparticules petites par rapport à la longueur d’onde
Pour des nano-particules métalliques, les plasmons de surfaces localisés apparaissent sous l’excitation d’une onde électromagnétique incidente. La fréquence de résonance de ces oscillations varie en fonction de la taille, de la forme, du type de métal, et de l’environnement diélectrique [34, 35, 36]. Pour comprendre l’origine des résonances plasmons dans les nanoparticules, nous allons considérer, dans un premier temps, une particule beaucoup plus petite que la longueur d’onde. Dans ce cas, le champ incident est homogène à l’échelle de l’objet et on peut considérer que la réponse du système sera proche de la réponse électrostatique (approximation quasi-statique).
Résonance plasmon de nanoparticules quelconques : Théorie de Mie
Jusqu’à présent, nous avons considéré une particule de taille inférieure à la longueur d’onde, ce qui nous a permis de traiter les propriétés optiques par une approximation dipolaire. Cependant, lorsque la taille de la particule devient plus grande, la phase du champ électromagnétique ne peut plus être considérée comme uniforme dans la particule. En effet, la distribution des charges ne décrit plus nécessairement un dipôle et des ordres plus élevés sont à prendre en compte. La résolution des équations de Maxwell pour une particule de taille et de forme quelconque est un problème complexe. Toutefois, elle est possible pour des particules sphériques en utilisant la théorie de Mie [37]. L’étude de particules sphériques permet de mettre en évidence tous les processus physiques sous-jacents à la conception d’une antenne optique. De plus, les particules utilisées dans cette thèse pourront, généralement, être approximées à des sphères.
La théorie de Mie est basée sur la résolution analytique des équations de Helmholtz en coordonnées sphériques. Cette théorie s’applique au cas particulier d’une sphère d’indice quelconque np, en milieu homogène nm, soumise à une onde plane incidente. Compte tenue de la symétrie sphérique du système, les champs E et H sont exprimés, en tout point de l’espace, sur une base d’harmoniques sphériques vectoriels en fonction de deux séries de paramètres an et bn [37]. Les bases d’harmoniques sphériques vectoriels sont obtenues en combinant des harmoniques sphériques scalaires, décrivant la dépendance angulaire, et des fonctions de Riccoti Bessel pour la dépendance radiale. Leurs expressions sont complexes mais les conditions aux limites des champs électromagnétiques, transverses et longitudinaux.
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Table des matières
Introduction
1 Exaltation de l’interaction lumière-matière aux échelles nanométriques
1.1 Pourquoi associer émetteur quantique et antenne nanométrique ?
1.1.1 Densité locale des modes électromagnétiques (LDOS)
1.1.2 Introduction aux nano-antennes
1.2 Éléments passifs d’une nano-antenne
1.2.1 Résonance plasmon de nanoparticules petites par rapport à la longueur d’onde
1.2.2 Résonance plasmon de nanoparticules quelconques : Théorie de Mie
1.2.3 Couplage plasmon dans des groupements de sphères
1.3 Partie active d’une nano-antenne
1.3.1 Principes de la luminescence
1.3.2 Influence d’une nano-antenne sur un émetteur fluorescent
1.4 Etat de l’art
1.4.1 Couplage émetteur-particule par AFM
1.4.2 Couplage par des systèmes lithographiés
1.4.3 Couplage par voie chimique
1.5 Méthode de fabrication sélectionnée pour cette thèse
1.6 Conclusion
2 Synthèse de dimères de particules d’or liées par ADN et caractérisation morphologique
2.1 Auto-assemblage de dimères
2.1.1 Conjugaison de nano-particules d’or à des simples brins d’ADN
2.1.2 Purification par électrophorèse : séparation de particules monofonctionnalisées
2.1.3 Contrôle du nombre de brins d’ADN pour des particules de diamètre > 30 nm
2.1.4 Formation des dimères
2.1.5 Méthodes
2.2 Caractérisation morphologique par microscopie électronique en transmission
2.2.1 Microscopie électronique en transmission (TEM « sec »)
2.2.2 Microscopie électronique en transmission sur grilles fonctionnalisées
2.2.3 Microscopie électronique cryogénique en transmission (cryo-EM)
2.3 Estimation des distances inter-particules
2.3.1 Méthode d’évaluation des diamètres et des distances « centre à centre »
2.3.2 Calcul de la fonction de projection
2.3.3 Ajustement de la fonction de projection sur les données expérimentales
2.4 Conclusion
3 Spectroscopie de diffusion d’antennes uniques assemblées sur ADN
3.1 Méthodes
3.1.1 Préparation des échantillons en chambre micro-fluidique
3.1.2 Dispositif expérimental
3.2 Résultats
3.2.1 Mesures des spectres de résonance
3.2.2 Analyse statistique des spectres de diffusion et corrélation avec leur morphologie
3.2.3 Comparaison entre les mesures expérimentales et des distributions théoriques
3.3 Conclusion
4 Dimères de nanoparticules d’or alimentés par une molécule unique : exaltation du taux d’émission spontanée
4.1 Problématiques
4.1.1 Choix d’un émetteur fluorescent
4.1.2 Effet du ROXS sur la Stabilité du fluorophore
4.2 Méthodes expérimentales
4.2.1 Synthèse des échantillons
4.2.2 Préparation de la micro-chambre
4.2.3 Dispositif expérimental
4.3 Résultats expérimentaux
4.3.1 Mesure de molécules uniques et traitement des données
4.3.2 Analyse statistique de l’exaltation des taux d’émission spontanée
4.4 Analyse par la théorie de Mie généralisée des distributions de Γ/⟨Γ0⟩
4.4.1 Distributions théoriques de Γ/⟨Γ0⟩ pour une distribution isotrope des orientations moléculaires
4.4.2 Distributions théoriques de Γ/⟨Γ0⟩ pour une variation nanométrique des distances émetteur-particules
4.4.3 Discussion sur les distributions de taux d’émission spontanée
4.5 Efficacité théorique et expérimentale des nanoantennes
Conclusion