Théorie déterministe
Nous nommons « théorie déterministe » la conception qui émergea des travaux de Fisher et se concrétisa sous le nom de « néodarwinisme » selon laquelle l’évolution d’une population est essentiellement déterministe et gouvernée par une sélection naturelle toutepuissante. La génétique des populations introduisit le concept de tness qui mesure l’aptitude d’un individu à peupler la génération suivante d’individus fertiles qui lui soient identiques ou non. Deux composantes interviennent dans cette grandeur. La « viabilité » v indique la probabilité qu’un individu porteur d’un certain génotype parvienne à l’âge de la reproduction. La « fertilité » f dénote la capacité d’un individu à se reproduire. Le fitness absolu est noté traditionnellement W et vaut v f . On introduit également le fitness relatif w = W~W0 où W0 est un tness absolu de référence, celui de la souche sauvage par exemple. Les modèles de génétique de population les plus simples font l’hypothèse de générations discrètes, non chevauchantes, s’accouplant au hasard et considèrent seulement deux allèles.
Théorie de l’évolution neutre
Comparée à la théorie déterministe, la « théorie de l’évolution neutre », qui est l’œuvre principalement de Kimura, interprète l’évolution comme un phénomène avant tout stochastique. D’après cette théorie, la fixation d’un allèle plutôt qu’un autre est due aux fluctuations dans la taille de la progéniture. L’effet de ces fluctuations avait déjà été étudié par Fisher [56, 57] et Wright [199] mais ces auteurs ont conclu que dans les populations biologiques il devait être largement surpassé par la sélection naturelle. Plus précisément, la théorie neutre de l’évolution est résumée par le principe (v) de the neutral theory of molecular evolution. (v) Selective elimination of denitely deleterious mutants and random fixation of selectively neutral or very slightly deleterious mutants occur far more frequently in evolution than positive Darwinian selection of denitely advantageous mutants. [ … ] this leads us to an important principle for the neutral theory stating that ‘the neutral mutants’ are not the limit of selectively advantageous mutants but the limit of deleterious mutants when the eect of mutation on fitness becomes indefinitely small [94, p. 113]. En d’autres termes, la théorie de l’évolution neutre, contredit le néodarwinisme sur l’importance de la sélection positive : le néodarwinisme en fait la règle quand la théorie de l’évolution neutre en fait l’exception. La théorie de l’évolution neutre postule qu’il existe essentiellement deux types de mutations :
— les mutations délétères qui sont purgées par la sélection naturelle (« sélection négative »);
— les mutations neutres qui se fixent ou sont éliminées par hasard.
Selon la théorie de l’évolution neutre, le schéma 1 (p. 16) doit être modifié en génotype phénotype capacité reproductrice génotype génotype , (5) où les trois occurrences de « génotype » représentent un nombre considérable de génotypes compatibles avec un unique phénotype. L’idée de la possible fixation de mutants neutres existe déjà dans l’article de Sueoka qui bâtit une théorie décrivant la variation de la composition AT-GC des génomes bactériens [168]. Même plus tôt, en 1932, Morgan dans son livre the scientific basis of evolution reconnaît : If the new mutant is neither more advantageous than the old character, nor less so, it may or may not replace the old character, depending partly on chance; but if the same mutation recurs again and again, it will most probably replace the original character [138, p. 132]. Et bien sûr les travaux deKimura etCrow montrent également que la substitution par des mutants neutres a été envisagée avant 1968 [98]; le modèle des allèles infinis (infinite allele model, 1964) est curieusement antérieur à la théorie neutre. Dans leur article, Kimura et Crow notent en introduction : It has sometimes been suggested that the wild-type allele is not a single entity, but rather a population of dierent isoalleles that are indistinguishable by any ordinary procedure. [ … ] It is known that a single nucleotide substitution can have the most dratic consequences, but there are also mutations with very minute effects and there is the possibility that many are so small as to be undetectable.
Conservation au niveau moléculaire
Au niveau moléculaire, des données plus fonctionnelles ont également permis de conforter la relation entre les taux d’évolution et la contrainte. Une illustration intéressante est donnée par le segment intermédiaire C de la proinsuline. Ce segment est en effet clivé pour donner naissance aux peptides A et B de l’insuline active. Il est probablement moins important pour le fonctionnement de l’hormone que ne le sont les autres segments A et B. Le taux de substitution du segment C s’élève à 2,4 ċ 10−9 substitution par résidu et par année, tandis que ceux des segments A et B valent 0,4 ċ 10−9 substitution par résidu et par année [89]. La poche de l’hémoglobine liant l’hème donne lieu à la conclusion complémentaire : les mutations y sont nettement moins fréquentes [153]. Différents auteurs ont développé et utilisé des mesures de similitude ou de dissimilitude biochimique entre acides aminés pour déchiffrer les mécanismes de substitution : Epstein en 1967, Clarke en 1970, Miyata et al. en 1979 [133]. Kimura réutilisa la distance de Miyata pour mettre en évidence que la substitution d’un acide aminé par un autre est d’autant plus fréquente que ces deux acides aminés sont semblables [94, p. 152]. En d’autres termes, une substitution est d’autant plus susceptible d’avoir lieu qu’elle implique peu de modifications biochimiques. En vertu de l’égalité 19 (p. 32), l’interprétation neutraliste reformule cela en : une mutation est d’autant plus susceptible d’être neutre du point de vue de la sélection naturelle qu’elle implique peu de modifications biochimiques. Les querelles suscitées par la proposition de la théorie de l’évolution neutre a donné lieu à l’invention de nombreux tests statistiques dont on trouvera une revue dans l’ouvrage de Kimura [94] et qui ont dans l’ensemble conrmé l’exactitude de la théorie neutre (cf. référence [142] et références citées). La théorie de l’évolution neutre constitue à présent l’hypothèse nulle de ces tests dont la fonction est de mettre en évidence une sélection positive. Ces indicateurs de sélection positive reposent le plus souvent sur la comparaison des taux de mutation synonyme et non-synonyme (voir par exemple [83]).
Correspondance génotype-phénotype-fitness
L’idée d’« espace des génotypes » prend corps la première fois avec le fitness landscape de Wright en 1932 [200]. Il imagina que l’évolution pouvait être vue comme un parcours tendant vers les cimes sur un paysage vallonné dont les altitudes représentent les potentiels reproductifs de chaque génotype. Ici, le génotype n’est pas limité à un seul locus mais est formé de l’ensemble de la composition allélique du génome. L’évolution et en particulier le jeu de l’évolution adaptative et de l’évolution neutre dépend de manière décisive de l’aspect du paysage de fitness.
1. Il est donc important de connaître comment sa rugosité aecte le parcours évolutif. La famille des modèles N K de Kauffman a été une tentative de formaliser l’aspect de ce paysage dans le cadre de l’interaction épistatique de K gènes parmi N existant sous deux formes alléliques [91]. Ce modèle décline toute une variété de paysages de tness, de parfaitement lisse à complètement aléatoire.
2. Il est également essentiel de connaître quel est le paysage de tness qui émerge de modèles structuraux et fonctionnels des macromolécules. Maynard Smith introduisit en 1970 le concept voisin d’« espace des protéines » [121]. Il défend l’idée que l’évolution peut être efficace en dépit de l’immensité de l’ensemble des séquences protéiques possibles (l’espace des protéines). D’après lui, il suffit que les séquences fonctionnelles soientconnectées. La connexion entre deux séquences est assurée par les mutations ponctuelles et les autres événements mutationnels de l’ADN (insertions, délétions, recombinaisons, etc.). L’ensemble de ces séquences interconnectées forme un réseau. Ce réseau prend le nom de « réseau neutre » en l’absence de sélection positive. Un réseau neutre est donc un ensemble de séquences compatibles avec un phénotype donné dans lequel une population évolue en empruntant les arêtes reliant les séquences. La validation de la théorie proposée par Maynard Smith repose sur la mise en évidence de ces réseaux neutres. Même si Maynard Smith n’était pas un fervent partisan de la théorie de l’évolution neutre, la neutralité est explicitement admise dans son article [121]. Expérimentalement, les connexions d’un réseau neutre peuvent être observées. Par exemple, la mutation de la glycine 210 du site actif de la tryptophane-synthétase A d’E. coli en sérine ou alanine est pleinement fonctionnelle. Néanmoins, l’observation plus complète de réseaux neutres requiert des simulationsin silico, plus particulièrement, s’il s’agit de connaître leurs traits communs.
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Table des matières
I Introduction
I.1 Téories de l’évolution
I.2 Tempo de l’évolution
I.3 Contraintes fonctionnelles et sélection négative
I.4 Évolution à l’échelle moléculaire
I.5 Champ du travail
II Modèle et méthodes
II.1 Introduction
II.2 Définition et propriétés des graphes
II.3 Modèle évolutif
II.4 Modèles de protéine
III Évolution des protéines monomériques
III.1 Introduction
III.2 Résultats
III.3 Discussion
III.4 Annexes
IV Modèle et méthodes (protéines dimériques)
IV.1 Adaptation du modèle évolutif
IV.2 Modélisation de la dimérisation
V Évolution des protéines dimériques
V.1 Introduction
V.2 Résultats
V.3 Discussion
V.4 Annexes
VI Article
Conclusion
Remerciements
Bibliographie
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