Dans le contexte de l’analyse de l’apparition et de l’évolution du sexe chez les Eucaryotes, il faut distinguer la reproduction sexuée du déterminisme sexuel. La reproduction sexuée, appelée aussi sexe méiotique, est un phénomène extrêmement répandu qui assure la production de nouvelles combinaisons génétiques dans presque toutes les lignées eucaryotes, même ancestrales. C’est un processus qui se déroule en deux étapes, la première, la syngamie (i.e. fusion de deux cellules haploïdes), va engendrer la formation d’un zygote diploïde qui lors de la seconde étape, la méiose, va générer la formation de nouvelles cellules haploïdes et ainsi compléter le cycle. L’apparition de la reproduction sexuée serait très ancienne et remonterait au début de l’évolution des eucaryotes (Cavalier-smith 2002), mais nos connaissances sont très limitées et son origine reste l’une des grandes énigmes de la biologie (Speijer et al. 2015).
Les mécanismes du déterminisme du sexe, quant à eux, i.e. le développement d’individu vers l’un ou l’autre des deux types de sexe (mâle ou femelle), ont émergé de manière indépendante et répétée au sein de plusieurs lignées d’Eucaryotes et les voies qui déterminent les spécificités sexuelles sont très variées.
La détermination dessexes chez les Eucaryotes
L’apparition à de multiples reprises de systèmes de détermination du sexe a permis de voir émerger une grande diversité de mécanismes. Cependant, ils peuvent être regroupés en deux catégories de détermination du sexe, épigénétique ou bien génétique. Même si certaines espèces, comme le zebrafish, présentent un état intermédiaire entre ces deux grandes catégories, avec un système de détermination du sexe génétique mais qui peut être influencé par des facteurs abiotiques (Liew and Orbán 2014).
Détermination épigénétique du sexe
Le premier type de détermination sexuelle est lié à des facteurs épigénétiques (Détermination Epigénétique du Sexe – DES) de type abiotique ou bien abiotique. Ce type de déterminisme du sexe est phylogénétiquement dispersé et retrouvé dans divers taxons tels que les plantes, les nématodes, les amphipodes, les mollusques, les poissons ou encore les vertébrés amniotes (Figure 1) (Janzen and Phillips 2006). Dans le cas d’une influence abiotique, le sexe n’est pas déterminé au moment de la fécondation, mais durant le développement de l’embryon (Bull 1983). Cette influence abiotique peut être liée à la température, la disponibilité des ressources, le pH ou encore la photopériode. Par exemple, le cas le plus connu est celui de la détermination du sexe par la température lors du développement de l’embryon chez l’ensemble des crocodiliens et des rhynchocéphales (Janzen and Phillips 2006), pour certaines tortues (Pieau et al. 1994) et poissons (Godwin et al. 2003). Chez le Copépode Pachypygus gibber, la faible ressource en nourriture entraîne une augmentation du nombre d’individus mâles (Becheikh et al. 1998). Des influences de type biotique peuvent aussi être à l’origine d’une modification du sexe au cours de la vie d’un individu. Chez la crépidule, le sexe est déterminé par la position de l’individu dans la population. Un individu sur un substrat sans congénères à proximité se développera en femelle. A l’inverse, si l’individu s’installe sur un substrat avec une colonie déjà établie ou directement sur ses congénères, il se développera en mâle (Wright 1988; Proestou et al. 2008). Chez certains poissons, la proportion d’un sexe par rapport à l’autre favorisera le développement de l’un des deux sexes (Godwin et al. 2003).
L’avantage théorique de ce système est la capacité donnée à la population de pouvoir s’adapter dans des environnements « inégaux » en modifiant la structure de la population afin d’optimiser le fitness (Bull 1985). En d’autres termes, un individu adoptera le sexe qui possède la plus grande capacité à survivre et à transmettre son patrimoine génétique dans l’environnement où il se situe. Cependant, ce type de déterminisme du sexe a un coût, comme le développement de l’intersexualité et un biais au niveau du sexe ratio. De plus, dans le cas des systèmes dépendant de la température, le sexe ratio est tributaire des conditions environnementales et de la sélection du site de nidification par le parent.
Détermination génétique du sexe
La détermination du sexe peut aussi être liée à des facteurs génétiques (Détermination Génétique du Sexe – DGS). Plusieurs systèmes existent, le modèle classique étant le contrôle de la détermination du sexe de manière monogénique avec des systèmes chromosomiques tels que XY chez les mammifères et ZW chez les oiseaux ou bien UV chez certaines algues ou bien l’hépatique Marchantia polymorpha, pour lesquelles un unique locus contrôle la détermination (Figure 1). Chez le papillon bombyx (ZW), le chromosome sexuel femelle totalement dégénéré ne possède pas de gènes codant pour des protéines, mais une protéine non codante, un piRNA (Piwi-interacting RNA) qui va déterminer le sexe par l’activation de l’isoforme femelle du gène Bmdsx (Kiuchi et al. 2014).
D’un autre côté, le système de polygénétique fait intervenir plusieurs loci indépendants ou bien des combinaisons d’allèles afin de déterminer le sexe (Figure 2) (Kosswig 1964). Ce type de détermination est trouvé dans une grande diversité de groupes phylogénétiques comme les insectes, les mammifères, les poissons ou encore chez les plantes (Moore and Roberts 2013). Par exemple chez la souris naine d’Afrique (Mus minutoides), le système de détermination est de type XYW. L’apparition de la copie W provient de l’évolution d’un chromosome X et est caractérisée par l’acquisition d’une mutation contre la masculinisation (Veyrunes et al. 2010). Des systèmes plus complexes, faisant intervenir différents allèles, sont observés chez des espèces de poissons de la famille des Cichlidae (Ser et al. 2010). Cependant, le fait de posséder plusieurs chromosomes sexuels ne donne pas forcément un système de détermination du sexe polygénétique. L’ornithorynque possède 5 X et 5 Y, mais la détermination sexuelle est identique au système XY monogénétique grâce à une ségrégation commune des X et des Y lors de la méiose (Grützner et al. 2004). Les travaux théoriques sur les deux systèmes tendent à montrer que le système polygénique multiloci serait une première étape de transition du passage de l’hermaphrodisme au système monogénétique (Rice 1987; Bachtrog et al. 2014).
Les différents cycles de vie sexués chez les Eucaryotes
Les types de détermination du sexe, présentés précédemment, sont étroitement corrélés au cycle de vie de l’espèce. Chez les Eucaryotes, le cycle de vie est caractérisé par l’alternance de deux phases, diploïde et haploïde. La transition de la phase diploïde à la phase haploïde est réalisée par la méiose tandis que la transition de la phase haploïde vers la phase diploïde est accomplie grâce à la syngamie ou autrement appelée fusion des gamètes. Cependant, il existe des variations entre les espèces, principalement liées à la durée de chaque phase et au niveau de l’activité mitotique. Ces différences peuvent être catégorisées en trois variantes du cycle de vie : le cycle de vie à majorité haploïde, le cycle de vie à majorité diploïde et le cycle de vie à alternance des générations ou cycle haploïde-diploïde.
Le cycle de vie haploïde est caractérisé par la dominance de la phase haploïde sur la phase diploïde (Figure 3a). La phase diploïde est réduite au minimum sans développement d’un individu multicellulaire, le zygote faisant rapidement la méiose, produisant ainsi des méiospores. Les méiospores se développent en organismes multicellulaires qui produisent des gamètes haploïdes, fusionnant pour redonner un zygote. Ce type de cycle de vie est observé chez les organismes tels que les champignons ou encore les algues vertes.
Le cycle de vie diploïde est caractérisé par la dominance de la phase diploïde sur la phase haploïde (Figure 3b). La syngamie engendre le développement d’un organisme multicellulaire diploïde, qui, selon les espèces, peut produire des individus avec des sexes séparés ou bien des individus hermaphrodites. Comme expliqué dans la section précédente, le sexe peut être déterminé de manière environnementale ou de manière génétique. La phase haploïde est réduite à l’état de gamètes. Ce type de cycle de vie est observé principalement chez les Opisthocontes, certaines algues vertes et brunes ou encore chez les Alvéolés et les Excavés.
Le cycle de vie haploïde-diploïde est caractérisé par une alternance du développement d’individus haploïdes, appelé gamétophytes, et d’individus diploïdes, les sporophytes (Figure 3c). Après la méiose chez le sporophyte, les méiospores engendrent le développement de deux individus haploïdes, un mâle et une femelle. La fusion de leurs gamètes permet le développement d’un nouveau sporophyte. Ce type de cycle de vie est observé chez les algues rouges, les plantes terrestres, certaines algues brunes ou chez les champignons.
|
Table des matières
Introduction générale
Objectifs
Chapitre 1 : Evolution et analyse fonctionnelle de la détermination du sexe chez les algues brunes
Introduction
La détermination des sexes chez les Eucaryotes
Détermination épigénétique du sexe
Détermination génétique du sexe
Les différents cycles de vie sexués chez les Eucaryotes
Les chromosomes sexuels : origine et évolution
Les différents types de chromosomes sexuels
Formation et évolution des chromosomes sexuels
Structure des chromosomes sexuels
Expression des gènes biaisés par le sexe
Origines des GBS
Expression et évolution des gènes biaisés par le sexe
Les algues brunes et l’étude de l’évolution des sexes
Apport de la bio-informatique pour l’étude du déterminisme du sexe
DNA-seq
RNA-seq
Article 1 – A Haploid System of Sex Determination in the Brown Alga Ectocarpus sp
Introduction
Article
Discussion et perspectives
Article 2 – The Pseudoautosomal Region of the U/V Sex Chromosomes of the Brown Alga
Ectocarpus Exhibit Unusual Features
Introduction
Article
Discussion et perspectives
Article 3 – Sexual Dimorphism and the Evolution of Sex-Biased Gene Expression in the Brown
Alga Ectocarpus
Introduction
Article
Discussion et perspectives
Conclusions générales et perspectives
Chapitre 2 : Annotation structurale et fonctionnelle chez l’algue brune modèle Ectocarpus sp
Introduction
Définition et caractéristiques d’un modèle biologique
Méthode de sélection d’un modèle biologique
Séquençage du génome de l’organisme modèle
Annotation d’un génome
Annotation structurale, au niveau nucléotidique
Identification des ARN non codants
Annotation fonctionnelle, au niveau des protéines
Annotation fonctionnelle, au niveau des processus biologiques
Annotation experte
Visualisation des données
Evolution de l’annotation
Impact de l’annotation sur les analyses ultérieures
Article 1 – Re-annotation and improved large-scale assembly of the genome of the brown algal
model Ectocarpus
Introduction
Article
Discussion et perspectives
Article 2 – MicroRNAs and the evolution of complex multicellularity: identification of a large,
diverse complement of microRNAs in the brown alga Ectocarpus
Introduction
Article
Discussion et perspectives
Conclusions générales
Bibliographie
Télécharger le rapport complet