Evolution du régime de mobilité interne dans l’ingénierie automobile

A partir des années 1970, l’ingénierie automobile est un secteur qui connaît des évolutions structurelles majeures (Monnet 2013 p. 100). Elle fait face à un contexte de saturation du marché et de forte concurrence, qui se traduit par un besoin de renouvellement accéléré des véhicules. Les constructeurs doivent assurer deux nouveaux objectifs : une optimisation globale des projets véhicule, que ce soit sur les questions de coût, de délai ou de qualité, et une réduction des délais de développement. Cela entraîne plusieurs transformations radicales dans les structures et les pratiques des activités d’ingénierie, dont les principales sont la mise en place du management par projet et le passage à l’ingénierie concourante (Charue-Duboc 2002, Midler 2004), le redécoupage de la chaîne de valeur (Midler 2012).

Ces évolutions font naître progressivement au sein des structures d’ingénierie une recherche de flexibilité fonctionnelle et numérique qui viendrait répondre au besoin de compétitivité en termes d’innovation technologique et de maîtrise des coûts ; et au manque de main-d’œuvre disponible en interne, dû à des vagues successives de réduction d’effectifs. Cela se traduit concrètement par la croissance de l’internationalisation (Dalmasso 2009), un recours accru aux ressources temporaires, tels que les sous-traitants ou les intérimaires, ainsi qu’une évolution des modes de gestion des ressources humaines en interne. Cette notion de flexibilité, s’imposant progressivement dès les années 1980 et souvent présentée à la fois par les entreprises et la littérature académique comme étant le modèle à atteindre pour répondre aux exigences de performance des entreprises et de bien être des salariés, est également remise en question pour ses effets néfastes, notamment sur le plan social (précarité, affaiblissement des collectifs de travail, souffrance au travail) (Kalleberg 2001, Kalleberg 2003).

L’origine et l’évolution de notre question de recherche 

Les spécificités et enjeux de la gestion des mobilités et des carrières dans l’ingénierie 

Les transformations de la conception automobile

De nombreux travaux ont caractérisé les transformations de la conception automobile depuis les années 1970 (Moisdon and Weil 1998). Ces transformations proviennent des évolutions du marché et du contexte économique au niveau du secteur de l’automobile mondial. Sur le marché européen, cela se traduit par une montée en puissance de la concurrence, associée à une ouverture des marchés et une forte diminution de la croissance. Dans ce contexte, les constructeurs déploient plusieurs stratégies :
❖ La différenciation de l’offre, avec une augmentation de la variété de chaque véhicule. C’est la naissance de la notion de gamme. Chaque modèle de base comporte des versions dérivées, avec une diversité des options possibles et plusieurs choix de motorisation (Monnet 2013 p. 100).
❖ Cette diversification de l’offre entraîne une augmentation du nombre de projets. Ainsi, alors que Renault sortait six modèles entre 1947 et 1967, treize sont lancés dans les 20 années suivantes (p. 100). A l’époque actuelle, ces chiffres correspondent au nombre de véhicules sortis par an.
❖ Une accélération du rythme de renouvellement des modèles est également observée. Ainsi, le plan stratégique Drive The Change prévoit un renouvellement complet de la gamme entre 2011 et 2016, ainsi que le lancement de huit nouveaux modèles.
❖ Enfin, ces transformations entrainent une réduction des délais de conception. Les enjeux sont multiples. Les constructeurs doivent réduire les délais de mise sur le marché, ce qui se traduit par un raccourcissement des plannings projets, en termes de développement, de fabrication et de livraison des véhicules. Ils travaillent également à l’amélioration de la qualité, en se soumettant à des exigences plus fortes en termes de fiabilité et durabilité des véhicules, sous la pression de la concurrence et de nouvelles normes réglementaires. Enfin, les constructeurs se soumettent à une réduction des coûts drastique. Ces exigences sont comprises sous le sigle QCD (Qualité Coûts Délais).
❖ Enfin, l’externalisation d’un certain nombre d’activités est opérée via différents moyens. Cela comprend aussi bien l’internationalisation des activités d’ingénierie, que l’augmentation de la sous-traitance et des intérimaires (Sardas, Lefebvre et al. 2003, Dalmasso 2009).

Les spécificités des activités d’ingénierie 

Le terme d’ingénierie désigne « l’ensemble des fonctions qui mènent de la conception et des études, de l’achat ou du contrôle de fabrication des équipements à la construction et à la mise en service d’une installation industrielle, agricole ou tertiaire. Ce type d’activité ressort à titre principal de sociétés d’ingénierie, qui étudient, conçoivent, contrôlent ou dirigent tout ou partie d’un aménagement, d’un ouvrage d’infrastructure ou d’un équipement (aéronautique, automobile, machine-outil, etc.) » (Barjot 2013). Le métier d’ingénierie fait le pont entre les métiers en amont, tel que le Design, le Marketing ou encore la recherche et les acteurs situés en aval, à savoir la Fabrication (Charue-Duboc 2002).

Le terme de métier dans l’ingénierie renvoie à « un groupe professionnel détenant et exerçant un ensemble de savoir-faire homogène et partagé dont l’acquisition requiert plusieurs années d’apprentissage, dont les membres sont soumis à certaines règles dans l’exercice de leur profession et dont l’identité collective est reconnue » (Sardas, Lefebvre et al. 2003). A la suite des travaux du Centre de Gestion Scientifique (CGS) sur les dynamiques professionnelles des concepteurs, les métiers de conception ont été définis comme des métiers « particuliers », composés de deux types de savoir : « un corps de savoir commun et reconnu d’une organisation à une autre et un corpus spécifique à l’entreprise considéré et développé en son sein. Ainsi, le métier de concepteur mécanicien renvoie à des savoirs donnant lieu à des enseignements et des diplômes et à des savoirs spécifiques à l’entreprise considérée » (Dalmasso 2009 p. 32).

Nos travaux portent à la fois sur l’activité de conception et sur celle de pilotage de projet. A ce citre, nous nous référons à deux séries de travaux menées par deux laboratoires : les travaux du CGS sur l’articulation et la communication entre les différents métiers de conception et ceux du Centre de Recherche en Gestion sur le management par projet.

La complexité de l’activité de conception et la gestion des interfaces

L’activité de conception est reconnue pour son extrême complexité. Les travaux menés par le CGS dans les années 1990 ont rendu compte de la difficulté à comprendre et à cerner l’intégralité du processus de conception, décrit comme un « enchevêtrement de tâches, de procédures, d’outils, d’étapes, etc., et dont chaque acteur opérationnel ne maîtrise lui-même, plus ou moins, qu’un morceau » (Monnet 2013 p. 64). Cette complexité vient déjà du produit à concevoir, à savoir le véhicule lui-même. Chaque modèle est composé par 3000 à 4000 composants, liés par plus de 10000 fixations-relations. Chaque véhicule est décliné en plusieurs modèles, chacun avec des variantes et des options différentes. Ensuite, à cette complexité technique s’ajoute une complexité organisationnelle, caractérisée par des entités indépendantes les unes des autres et opérant chacune sur une des étapes du processus de conception ou d’industrialisation du véhicule. Pour finir, la complexité vient de la quantité des opérations, des métiers, des savoirs et des acteurs à mobiliser pour réaliser la totalité du processus de conception et d’industrialisation du véhicule (Monnet 2013 p. 65).

Les travaux sur la gestion des compétences dans les métiers de l’ingénierie font état d’un courant de spécialisation et de normalisation des tâches de conception. Cela se traduit par une parcellisation des savoirs dans une organisation des métiers dite « en cheminées » ou « en silos » (Charue-Duboc 2002). Ces savoirs s’acquièrent sur des temporalités longues par le biais d’un apprentissage en situation (Dalmasso 2009).

La recherche-intervention de Benoit Weil et Jean-Claude Moisdon révèle cependant que, malgré ce cloisonnement des métiers et des savoirs, les acteurs participant à la conception et l’industrialisation du véhicule fonctionnent ensemble grâce à de la « communication informelle » et une « coordination spontanée du travail » (Monnet 2013 p. 94). Ils désignent ce mode d’interaction par le terme « d’adhocratie », à savoir une organisation souple et flexible, où les échanges entre les acteurs se déroulent de façon ad hoc en fonction des besoins. Le métier de la conception se base donc sur un fonctionnement en réseau, qui permet de réduire le cloisonnement entre les métiers et de régler les problématiques techniques par le biais de compromis entre les contraintes des uns et des autres.

Les particularités de l’activité de pilotage de projet

Dans les années 1980, à cette organisation matricielle par grands métiers s’ajoute un management des projets des nouveaux véhicules (Monnet 2013 p. 100). Ce mode d’organisation transversal se base sur le principe de la co-localisation des acteurs, qui consiste à réunir sur un même plateau tous les acteurs participant au développement de la voiture. Cette évolution va de pair avec le passage de l’ingénierie séquentielle à l’ingénierie concourante, qui au lieu de faire intervenir les métiers les uns derrière les autres, comme un passage de relais, mobilise tous les acteurs de façon coordonnée dès l’amont du projet. La logique-projet s’articule autour de la figure du chef de projet (Midler 2004 p. 107).

La compétence projet a été caractérisée par trois grandes dimensions : « la maîtrise des méthodologies, la connaissance des techniques en cause dans le projet, la compréhension et l’adhésion au projet » (Midler 2004 p. 107). Le chef de projet doit avoir une bonne maîtrise des outils de contrôle de l’activité projet, que ce soient les tableaux de bord, le maniement des indicateurs ou encore les outils de planification. L’activité projet est décrite comme une miniaturisation de la vie d’une entreprise sur plusieurs années. Elle comprend une part de recrutement de collaborateurs, de formation et d’organisation d’une équipe, la gestion de sa croissance et décroissance en fonction des fluctuations de charge, le fait de faire appel à des réseaux extérieurs, la gestion de phases de crise… (p. 108).

Il doit aussi détenir des savoirs techniques en cause dans le projet. La connaissance des méthodologies est considérée comme insuffisante pour juger des problèmes et arbitrer sur des décisions techniques. L’enjeu du chef de projet est d’arriver à être à la fois légitime dans son métier d’origine et faire preuve d’indépendance vis-à-vis de ce dernier. La connaissance technique lui permet de savoir qui contacter dans son métier pour résoudre un problème, de pouvoir prendre part aux débats techniques ou encore d’engager sa Direction métier d’origine sur un choix (p. 109). A l’inverse, il doit faire parfois preuve d’indépendance face à son métier d’origine, quand des conflits apparaissent entre la stratégie métier et les exigences du projet.

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Table des matières

Introduction générale
PARTIE I : PROBLEMATISATION ET DESIGN DE LA RECHERCHE
CHAPITRE 1 : Introduction aux spécificités de l’ingénierie et présentation du terrain de recherche
1. Les spécificités et enjeux de la gestion des mobilités et des carrières dans l’ingénierie
2. Présentation de notre terrain de recherche
3. Evolution et cadrage de la demande formulée à l’équipe de chercheurs : engager une réflexion sur le déploiement de la nouvelle politique de mobilité
CHAPITRE 2 : Une évolution des carrières et des mobilités à nuancer
1. De la carrière organisationnelle aux nouveaux modèles de carrière
2. Définitions, formes et enjeux de la mobilité interne
3. Les nuances à apporter à cette évolution des carrières et des mobilités
4. La gestion d’une étape critique de la transition : le processus d’ajustement
5. Synthèse du chapitre 1 et problématisation
CHAPITRE 3 : Cadre méthodologique de la recherche
1. Choix méthodologiques : une démarche générale de recherche-intervention et qualitative
2. Recueil de données et premières analyses
3. Analyse du matériau
PARTIE II : RESULTATS ET DISCUSSION – EVOLUTION DU REGIME DE MOBILITE DANS L’INGENIERIE : LE CAS D’UN CONSTRUCTEUR AUTOMOBILE
CHAPITRE 4 : Caractérisation de l’intention d’évolution du nouveau régime de mobilité interne
1. Les premières visées de l’évolution du régime de mobilité souhaitée par l’entreprise : un paradoxe entre l’exigence de flexibilité et le besoin de spécialisation
2. Analyse du discours de l’entreprise autour de la nouvelle politique de mobilité
3. Les enjeux sous-jacents à la nouvelle politique de mobilité : analyse du contexte de l’entreprise
CHAPITRE 5 : De l’intention à la mise en œuvre du nouveau régime de mobilité
1. Les évolutions observées du régime de mobilité dans l’ingénierie : nouvelles formes de mobilité, nouveaux acteurs et processus
2. Est-ce que ces évolutions répondent aux attentes des individus?
3. Les évolutions sont-elles faisables pour l’entreprise ?
CHAPITRE 6 : Conception d’un outil d’accompagnement des mobilités à destination des managers
1. Des pratiques et outils de la gestion de la mobilité inadaptés ou insuffisants
2. Proposition d’un outil d’accompagnement des mobilités à destination des managers
CHAPITRE 7 : Caractérisation du nouveau régime de mobilités souhaitable dans l’ingénierie
1. La caractérisation d’un nouveau régime de mobilité et de carrière dans l’ingénierie
2. Apports, limites et perspectives de recherche
Conclusion
Glossaire

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