Evolution du concept de l’inceste au fil du temps
Tout au long de l’Histoire, l’évolution des droits de l’enfants et de la reconnaissance en tant qu’ « être » à part entière s’est faite parallèlement à la décadence du «patria potestas » antique(5) avec l’apparition de l’autorité parentale. Dans l’Antiquité et le droit romain, la «familia » comprenait « un grand nombre de gens soumis soit par le droit soit par la nature au pouvoir d’un seul. Cela comprend le père de famille, la mère, le fils, la fille et tous ceux qui viennent à la suite, petits-fils et petites-filles, et ainsi de suite. Le père de famille exerce le commandement dans sa maison: et c’est pourquoi justement on l’appelle paterfamilias ». Digeste, 50, 16, 195, 2(3).
Le « pater familias », le chef de l’autorité exerçait sa « patria potestas »(6) (puissance paternelle ) sur l’ensemble des biens et des membres de la famille: le père avait le droit de mort et de vies sur ses ascendants jusqu’à sa mort. Ce n’est qu’à la fin du IVème siècle que l’Eglise catholique adoucit le sort des enfants en interdisant l’infanticide et leur abandon. Au moyen-âge, le terme de l’inceste était utilisé pour dénoncer la consanguinité punie par l’Eglise. D’ailleurs, l’Ancien Testament de La Bible avec le passage du Lévitique qui décrit les règles d’union («18.7 Tu ne découvriras ni la nudité de ton père ni la nudité de ta mère. C’est ta mère, tu ne découvriras pas sa nudité… ») pointe bien cette interdiction de consanguinité (7).
De plus, au Moyen-Age, la notion d’inceste ne prenait pas en compte l’absence de consentement ni l’abus d’autorité parentale et l’enfant était considéré au moins aussi responsable que l’auteur des faits. L’histoire de Loth et de ses filles de la Genèse illustre bien cela : les deux filles ont enivré leur père puis lui ont enfanté chacune un enfant afin de s’assurer une descendance ; dans ce récit, ce sont les filles qui sont initiatrices de ce pécher. Des enluminures médiévales reprennent même les scènes des actes incestueux. De même, La légende Dorée qui connue un succès de diffusion en Europe dans un contexte d’antijudaisme, montre bien ces deux représentations médiévales de l’inceste : Judas présenté comme un parricide, fratricide a eu des rapports sexuels avec sa mère biologique sans qu’elle sache qu’il est son fils et il ne révèle cet inceste que plus tard. Au temps de l’Ancien Régime, la déclaration royale de 1639 indiquait : « La révérence naturelle des enfants envers leurs parents est le lien de la légitime obéissance de sujets envers leurs souverains ». Et malheureusement, au cours de la révolution française, l’inceste a été retiré du droit pénal en 1791 « au même titre que la sodomie, le blasphème et la bestialité ». Avec le siècle des Lumières et surtout à partir de la fin du 18eme siècle, le point de vue de la société se modifia. La Convention du 09 août 1793, premier projet officiel du Code Civil, a mis en place le devoir de protection des parents envers leurs enfants : Cambacérès, Juriste de formation du siècle des Lumières, affirma « Surveillance et protection, voilà les droits des parents. Nourrir et élever, établir des enfants, voilà leur devoir. » . La Convention de 1793 a également aboli le droit de correction paternelle. Ainsi, progressivement, la maltraitance physique envers les enfants et notamment les violences sexuelles ont été de plus en plus rejetées. L’exemplarité demandée aux familles françaises fait que les affaires incestueuses ne devaient pas être dévoilé au grand public (8).
Il y a eu plusieurs procès de viols sur mineurs à Paris mais ils étaient très rarement considérés comme des crimes : la justice ne demandait que réparation, par exemple sous forme d’indemnisation financière ; la preuve du viol était basée juridiquement que sur des lésions physiques importantes ; les autres types d’agressions sexuelles n’étaient pas reconnus ; dans les rares procès criminels, le consentement de l’enfant était remis en cause et voir même l’enfant pouvait être perçu comme complice. A noter que le régime Napoléonien fit un retour bref en arrière en rétablissant dans le Code Civile 1804 (dit Code de Napoléon) la puissance paternelle avec « le droit de correction paternelle ».
Le XIXème siècle fut une avancée pour le droit des enfants. Même devant ce silence de la société, la loi française modifia progressivement les mœurs avec de nombreux lois, décrets (9):
– En 1810, le Code pénal ajouta la notion d « attentat à la pudeur par ascendant ou personne ayant autorité sur un mineur non émancipé par mariage ».
– Le Décret du 19 janvier 1811 a défini les enfants trouvés, abandonnés, et les orphelins pauvres et a défini leur prise en charge et obligeant les hospices et hôpitaux à les accueillir si besoin.
– la loi du 28 mars 1882 a rendu obligatoire l’école les enfants de 6 à 13 ans.
– La loi du 24 juillet 1889 a mis en place la déchéance de la puissance paternelle en cas de mauvais traitements ou de négligences graves.
– La loi du 19 avril 1898 dénonça « les violences, viols de faits, actes de cruauté et attentats commis contre les enfants » .
Au XIXème siècle, paradoxalement ,malgré un progrès envers le droit des enfants, l’inceste devint de de plus en plus tabou : les presses n’utilisaient jamais ce terme, même les élites et nombreux juges évitaient ce mot ; le huit clos était imposé dans la plupart de ces affaires, les journalistes racontaient succinctement le peu d’informations qu’ils avaient et c’étaient les pères qui étaient les plus visés comme agresseurs ; par exemple, « Le 28 janvier1884, vers trois heures de l’après-midi, profitant de l’absence momentanée de sa femme, Cauvin appelé sa fille à lui. Comme elle s’y refusait, il la sait violemment, l’entraina de force dans la cuisine », selon La Gazette des tribunaux du 14 novembre 1885. La diffusion de ces premiers faits-divers fut à l’origine du début des dénonciations anonymes parvenant aux tribunaux. L’inceste devint un « crime sans nom »(10). Même les magistrats n’utilisaient plus le terme d’inceste mais ils utilisaient des périphrases ou des superlatifs. Sur le plan de l’instruction, il était difficile aux juges d’instruire « un crime sans nom » d’autant plus qu’il n’y avait pas dans le code pénal de définition de l’inceste ; les affaires étaient alors judiciarisées de façon hétérogène : certaines comme viols, d’autres comme attentats à la pudeur, d’autres comme excitation à la débauche etc.
A la fin du XIXème siècle et début de XXème siècle, malgré que ce sujet soit tabou, des psychanalystes et des sociologues ont rédigé des écrits fondamentaux sur l’inceste : Sigmund Freud écrivit en 1895 « Etudes sur l’hystérie » puis « Totem et Tabou » en 1913 ; Emile Durkheim publia « La prohibition de l’inceste et ses origines » en 1896, Salomon Reinach « La prohibition de l’inceste et le sentiment de la pudeur » en 1905. Au cours du 20ème siècle, la justice connut un bouleversement avec la mise en place de plusieurs services pour les enfants : à partir de 1912 de nombreuses ordonnances, loi et décrets furent érigés pour créer et définir toutes les procédures judiciaires et de protection des enfants. La loi du 4 juin 1970 introduit la notion d’autorité parentale et substitue l’autorité paternelle à la puissance paternelle. Il est ainsi reconnu une autorité conjointe maternelle et paternelle. L’âge de la majorité a été fixé à dix-huit ans en 1974.
Actualités et les enjeux en cours
Au niveau mondial
La violence, et y compris l’inceste tout en étant une affaire individuelle, s’avère dorénavant une lutte collective mondiale, à la hauteur d’une « riposte intersectorielle »-selon le terme bien choisi de l’OMS visant du long terme (de 2016 à 2030, selon les ODD objectifs de développement durable), et de lutte de mobilisation interministérielle de notre Etat , selon le terme bien choisi du plan précité en cours (2017-2019). Comme l’illustre le schéma ci-dessous(13), l’individu est au centre du dispositif institutionnel. C’est à l’institution de s’adapter, répondre aux besoins des personnes vulnérables, mettre en place des outils (signalements, etc.). Les réglementations, les instances socio médico éducative et juridiques doivent permettre à ces personnes une prise en charge adaptée.
L’inceste s’avère dorénavant reconnue comme une souffrance entachée d’innommable, d’indicible lourde de conséquences pour les victimes, ce d’autant plus que ceux-ci sont jeunes. Dans ce mouvement, les mœurs, les structures familiales, les instances institutionnelles mises en place, le cadre législatif, notamment par des projets et la création de nouvelles lois ne cessent d’évoluer dans le Monde et même au sein de notre pays.
En France
La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) a été créée le 30 novembre 2012. Elle a comme objectif de créer un plan national de formation des professionnels sur les violences faites aux femmes avec des outils de formation adaptés, de faire un état des lieux relatives aux violences faites aux femmes et de veiller à la coordination nationale de cette lutte(14). Des films à visée éducative peuvent être visionnés en accès libre via le site www.stopviolencesfemmes.gouv.fr et téléchargés. Notamment les professeurs des écoles, les professionnels médico-sociaux… peuvent les utiliser comme support pour des formations et discussions. Par ailleurs, Mme Rossignol Laurence, sénatrice et ancienne ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes en 2017 , en réponse au plan interministériel de l’OMS, a fait appel à l’expérience des médecins, via l’INSERM pour entre autres élaborer des préconisations et traiter cette question des violences envers les enfants relative aux pratiques sexuelles à caractère incestueuses(4).
Le gouvernement a élaboré, par la suite, le 1er mars 2017 un « plan interministériel de mobilisation et de lutte de mobilisation contre les violences faites aux enfants»(1) pour 2017-2019. Celui-ci contient quatre axes principaux :
– Améliorer la connaissance et comprendre les mécanismes des violences,
– Sensibiliser et prévenir Former pour mieux repérer ,
– Accompagner les enfants victimes de violences.
Ce plan a pour but de lutter contre toutes les violences existantes envers les enfants (physiques, psychologiques et sexuelle) et notamment de l’inceste. La problématique de l’inceste y est citée dans différents axes(15) :
– La mesure 3 du 1er axe s’agit de « renforcer les connaissances sur l’inceste ».
– La mesure 9 du 2ème axe est de « diffuser des outils sur les violences sexuelles à destination des parents et des enfants ».
– La mesure 15 du 4ème axe prévoit de « Renforcer la prise en compte des victimes d’inceste et de violences sexuelles durant l’enfance dans le réseau de téléphonie sanitaire et sociale ».
– La mesure 19 souhaite « Repenser une prise en charge des soins spécifiques aux psychotraumatismes liés aux violences intrafamiliales subies pendant l’enfance».
Un scandale judiciaire a éclaté en septembre 2017 et a permis de dénoncer certaines failles du Code pénal. En effet, une pénétration sexuelle d’un homme de 28 ans commis sur une fillette de 1 ans a été considérée par le Parquet comme une atteinte sexuelle et non comme un viol ; et ceci à cause de l’absence d’élément mettant en évidence les notions de violence, contrainte, menace ou surprise »(16). Suite à cette affaire, de nombreuses associations (Collectif Féministe Contre le Viol …) des artistes, des professionnels divers se sont mobilisés. Notamment Mme Rossignol Laurence, sénatrice et ancienne ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes est auteur de nouvelles propositions de lois « pour meilleure protection des mineurs victimes de viol et des autres agressions sexuelles »(16) qui viennent d’aboutir à des nouvelles mesures.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. ETAT DES CONNAISSANCES ACTUELLES
A. Evolution du concept de l’inceste au fil du temps
B. Actualités et les enjeux en cours
1. Au niveau mondial
2. En France
C. Définitions
1. Définition des différents termes de la délinquance sexuelle
2. Définition de l’inceste
3. Les différentes condamnations pour les viols et agressions à caractère incestueux dans le code pénal
D. Distinction de la majorité légale et sexuelle
1. La majorité légale
2. La majorité sexuelle
3. Qu’implique en pratique cette différence entre la majorité légale et la majorité sexuelle ?
E. Epidémiologie
1. Prévalence dans le Monde
2. Prévalence en Europe
3. Prévalence en France
F. Repérage de l’inceste
1. Circonstances de découverte et situations à risque
2. Quels signes doivent nous alerter ?
G. Les conséquences possibles de l’inceste
1. Sur le plan somatique
2. Sur le plan psychique
H. Conduite à tenir en cas de suspicion d’inceste
1. En cas « situations de maltraitances, notamment sexuelles révélées par l’enfant» ou par un proche et en cas de danger imminent
2. En cas de doutes ou de simples questionnements sur le mineur
3. En cas de « présomption un peu plus importante et en fonction du contexte et des moyens dont dispose le praticien »
I. Contexte juridique de dérogation au secret médical
III. CENTRES D’INTERETS ET OBJECTIFS
IV. MATERIELS ET METHODES
A. Elaboration du questionnaire
B. La population
C. Les objectifs de l’étude
D. Diffusion et analyse des résultats
V. RESULTATS
A. Le taux de participation
B. Les caractéristiques de la population
C. La formation de ces médecins généralistes sur l’inceste
1. Formation initiale
2. Comparaison entre les médecins ayant reçu une formation initiale ou non
3. L’inceste devrait-il être abordé dans la formation initiale des MG ?
4. Formation médicale continue des Médecins Généralistes
D. Lecture des recommandations de l’HAS de 2010
E. Etat de leurs connaissances
1. Leurs connaissances des définitions
2 Leurs connaissances sur les notions de la majorité légale et la majorité sexuelle
3. Leurs connaissances épidémiologiques
4. Leurs connaissances sur les facteurs de risque
5. Leurs connaissances sur les signes cliniques de l’inceste
6. Connaissances des MG sur une conséquence grave de l’inceste : l’état de stress psychotraumatique
7. Connaissances sur la prise en charge
D. Leurs expériences professionnelles
1. Les médecins ayant eu des cas de révélations d’inceste ont-ils des caractéristiques différentes (notamment au niveau de leur formation) que les autres?
2. Les médecins ayant suspectés des cas d’inceste ont-ils des caractéristiques différentes (notamment au niveau de leur formation) que les autres ? Quels signes leur ont permis ces suspicions ?
E. Annexes aux résultats
VI. DISCUSSION
VII. CONCLUSION