Avant l’apparition de l’industrie, la production était à petite échelle, destinée à des marchés limités, et à forte intensité de main-d’œuvre plutôt que de capital [Hopp and Spearman, 2000]. Le travail était effectué selon deux systèmes : le système domestique et les guildes artisanales. Dans le système domestique, les matériaux étaient distribués par les marchands dans les maisons où les gens effectuaient les opérations nécessaires. Par exemple, dans le secteur du textile, différentes familles filaient, blanchissaient, teignaient le matériel et le revendaient à la pièce. Dans les guildes artisanales, le travail était transmis d’un atelier à l’autre. Par exemple, le cuir était tanné par un tanneur, transmis aux corroyeurs, puis aux cordonniers et aux selliers. Il en résulte des marchés distincts et décentralisés pour le matériau à chaque étape du processus [Hopp and Spearman, 2000].
L’innovation la plus importante de cette époque est la machine à vapeur. Cette dernière a été mise au point par James Watt en 1765 et installée pour la première fois par John Wilkinson dans son usine de fer en 1776. En 1781, Watt a mis au point la technologie permettant de transformer le mouvement de haut en bas de la poutre motrice en mouvement rotatif [Hopp and Spearman, 2000]. La vapeur est ainsi devenue une source d’énergie pratique pour une multitude d’applications, notamment dans les usines, les navires, les trains et les mines. Suite à ça, de nombreuses nouvelles inventions et innovations ont vu le jour. L’une des plus importantes est la ligne d’assemblage. Celle-ci a révolutionné le monde et constitue, jusqu’à présent, un des piliers de l’industrie moderne.
Lignes d’assemblage et systèmes de production dédiées
Au début du 20ème siècle, la production à grand volume était courante dans les industries de transformation telles que l’acier, l’aluminium, le pétrole, les produits chimiques, les aliments et le tabac. La production de masse de produits mécaniques tels que les machines à coudre, machines à écrire, faucheuses et machines industrielles, basée sur de nouvelles méthodes de fabrication et d’assemblage de pièces métalliques interchangeables, était en plein essor. Cependant, c’est Henry Ford (1863-1947) qui a rendu possible la production de masse, à grande vitesse, de produits mécaniques complexes avec sa célèbre innovation, la ligne d’assemblage [Hopp and Spearman, 2000]. Pour ce faire, Ford a abandonné la pratique des ouvriers qualifiés assemblant des sousensembles substantiels et des ouvriers se rassemblant autour d’un châssis statique pour terminer l’assemblage. Au lieu de cela, il a cherché à amener le produit aux opérateurs dans un flux continu sans arrêt.
Les DML ont dominé la fabrication de produits et de pièces de haute précision dans l’industrie mondiale au cours de la seconde moitié du vingtième siècle [Koren, 2020]. Les DML se basent principalement sur un processus fixe et rigide et sont capables de produire des produits ou des pièces à haut volume. En effet, une ligne dédiée est généralement conçue pour produire un seul modèle de produit/pièce à une cadence de production assez élevée. Ces lignes se composent d’un ensemble de stations de travail, où de nombreuses opérations sont effectuées simultanément sur un produit. Un système de manutention, généralement un convoyeur, relie les stations entre elles et permet ainsi de transporter le produit tout au long de sa fabrication . Ce fonctionnement s’est avéré très efficace et a permis d’atteindre des taux de production élevés à un faible coût unitaire, les coûts devant diminuer à mesure que le volume augmente. La production de masse, entraînée par l’invention des DML, s’est avérée efficace et a permis de faire basculer la balance du marché rendant l’offre supérieure à la demande. Par conséquent, et en raison de l’évolution rapide de la technologie et de la mondialisation qui a entraîné une compétitivité globale, la satisfaction du client et l’adaptation à ses attentes sont devenues une nécessité pour les entreprises de production. Or, un des problèmes majeurs des DML est qu’ils sont intrinsèquement inflexibles. En d’autres termes, les outils, machines, et postes de travail sont précisément adaptés pour produire, avec une efficacité maximale, un produit ou une pièce seulement. Ainsi, tout changement dans le produit (fluctuation de la demande ou évolution) est susceptible de rendre obsolètes des machines et outils coûteux et compliquer la réorganisation des tâches des travailleurs. Dans un tel environnement, une solution consiste à équiper la ligne de machines flexibles pour la rendre capable de s’adapter rapidement aux changements du marché.
Systèmes de production flexibles
Vers la fin du 20ème siècle, le besoin de concevoir un système de production flexible se faisait de plus en plus ressentir. En effet, le marché était (et est toujours) caractérisé par des fluctuations et des changements de plus en plus nombreux et imprévisibles entraînés principalement par : (1) l’augmentation de la fréquence d’introduction de nouveaux produits ; (2) des modifications de pièces pour des produits existants ; (3) des fluctuations importantes de la demande et de la gamme de produits ; (4) des changements dans les réglementations gouvernementales liés à la sécurité et l’environnement, et (5) des changements dans la technologie.
Les systèmes de production flexibles, ou FMS (Flexible Manufacturing Systems, en anglais), ont été introduits afin d’offrir aux industriels la possibilité d’améliorer leur technologie, leur compétitivité et leur rentabilité [Liu, 2008]. En effet, la flexibilité permet à une entreprise de s’adapter plus facilement à l’évolution du marché et aux exigences des clients, tout en maintenant des normes de qualité élevées pour ses produits [Shang and Sueyoshi, 1995]. Ceci est rendu possible grâce à l’apparition, dans les années 1960, des bras robotiques, des automates programmables et des machines-outils à commande numérique, communément appelées machines CNC (Computer Numerical Controlled, en anglais). Ces dernières sont cependant celles qui caractérisent le plus les FMS. Les machines CNC sont principalement utilisées dans l’usinage de pièces mécaniques et permettent d’effectuer des opérations telles que le perçage, découpage, fraisage, etc. Les CNC sont des machines programmables pouvant ainsi usiner des pièces en toute autonomie et avec une grande précision. Contrairement aux machines standards des DML, qui sont pré programmées pour effectuer de façon répétitive les mêmes opérations, les machines CNC, quant à elles, peuvent être programmées et reprogrammées facilement et rapidement pour effectuer une grande variété d’opérations sur des produits et matériaux différents. De plus, ces machines disposent généralement d’un ensemble d’outils changeables permettant à la machine d’être reconfigurée. Un FMS est donc composé de cellules d’usinage, chacune disposant d’une ou de plusieurs machines CNC. Les cellules sont interconnectées, via des stations de chargement\déchargement, par un système de transport automatisé [Kostal and Velisek, 2011]. Cette structure permet d’assurer la production de nombreux modèles de pièces en lots de petites tailles.
Cependant, les FMS ne se sont pas diffusés comme prévu [Handfield and Pagell, 1995]. Les entreprises se sont montrées réticentes face à ces systèmes et ce pour plusieurs raisons. En effet, passer à un FMS représente une décision à fort impact financier et organisationnel. La mise de fonds initiale est si élevée qu’elle pèse souvent lourdement sur les ressources financières des entreprises, tandis que la flexibilité des FMS est souvent surdimensionnée par rapport aux besoins réels des entreprises. De plus, les FMS ne sont pas conçus pour la production de masse. Comme les machines CNC n’utilisent qu’un seul outil à la fois, la productivité des FMS est faible par rapport à celle des DML. Par conséquent, la combinaison d’un coût d’équipement important et d’un faible débit rend le coût par pièce relativement élevé [Koren et al., 1999].
Pour résumer, il est évident que la flexibilité est une caractéristique nécessaire pour les entreprises d’aujourd’hui en raison des exigences et fluctuations des marchés. Les FMS se sont avérés être une solution capable de faire face à cette situation. Néanmoins, les coûts d’investissement élevés, la complexité de ces systèmes et les performances fournies, font que les FMS ne conviennent pas à de nombreux secteurs industriels. Par conséquent, la flexibilité doit être obtenue par d’autres moyens.
Systèmes de production reconfigurables
Nous avons introduit précédemment deux types de systèmes de production. A savoir, les DML qui sont conçus pour fabriquer un seul produit avec une capacité de production élevée, et les FMS qui sont des systèmes flexibles capables de s’adapter rapidement aux changements, mais qui offrent une faible productivité. Ainsi, en considérant les avantages et les inconvénients de chacun de ces systèmes, il semble que l’amélioration la plus naturelle soit une combinaison des deux. Autrement dit, un système à la fois flexible et capable d’offrir une productivité élevée. Dans ce contexte, le concept de systèmes de production reconfigurables ou RMS (Reconfigurable Manufacturing Sytems, en anglais) a été introduit par Koren et al. [1999]. Contrairement aux FMS, les RMS sont conçus avec un niveau de flexibilité personnalisé autour d’une famille prédéfinie de produits. De plus, la structure de ces systèmes doit être conçue de telle sorte qu’elle soit évolutive et ajustable pour mieux faire face aux variations de la demande ou aux changements des produits.
Selon Koren and Shpitalni [2010], pour qu’un système de production soit reconfigurable, il doit satisfaire six caractéristiques principales décrites ci-dessous.
1. La personnalisation se traduit par une flexibilité personnalisée d’un système/machine autour d’une famille de produit seulement.
2. La convertibilité est la capacité d’un système/machine à adapter rapidement ses fonctionnalités pour répondre à de nouvelles exigences de production.
3. L’évolutivité est l’aptitude d’un système/machine à modifier facilement sa capacité de production en ajoutant de nouvelles machines par exemple.
4. La modularité consiste à subdiviser des fonctions opérationnelles en unités, ou modules, interdépendants de manière à pouvoir les arranger et les réorganiser facilement.
5. L’intégrabilité consiste à ajouter de nouvelles ressource (modules, machines, etc) rapidement et efficacement à travers des interfaces de contrôle standardisées facilitant l’intégration et la communication.
6. La diagnostiquabilité est la capacité d’un système/machine à pouvoir être facilement diagnostiqué dans le but de détecter rapidement des anomalies telles que les pannes et les défauts.
Ces caractéristiques permettent d’améliorer la réactivité du système en réduisant le temps et l’effort de reconfiguration. De plus, celles-ci peuvent réduire de manière fiable les coûts associés au cycle de vie du système en lui permettant d’évoluer constamment au rythme de la demande des consommateurs, de la technologie des procédés et des variations du marché [Koren and Shpitalni, 2010]. Parmi les caractéristiques mentionnées ci-dessus, la personnalisation, l’évolutivité et la convertibilité sont les plus critiques. Quant aux autres, à savoir la modularité, l’intégrabilité et la diagnostiquabilité, elles permettent une reconfiguration rapide, mais ne garantissent pas les modifications de la capacité de production et des fonctionnalités.
Les machines reconfigurables
Les Machines Reconfigurables ou RM (Reconfigurable Machines, en anglais) sont les principaux composants qui confèrent aux RMS la capacité de s’adapter et de répondre rapidement aux fluctuations du marché et aux aléas. Elles sont essentiellement conçues avec une flexibilité nécessaire pour traiter une famille particulière de produits. Ces machines ont une structure modulaire, c’est-à-dire qu’elles sont constituées de composants physiques qui peuvent être facilement remplacés et/ou réorientés, offrant ainsi une large gamme de fonctionnalités. Cela facilite la reconfiguration d’une RM lui permettant ainsi de s’adapter aux changements des produits ou de la demande. Selon Koren [2010], il existe quatre types de RM :
1. Les machines-outils reconfigurables,
2. Les machines d’assemblage reconfigurables,
3. Les machines d’inspection reconfigurables,
4. Les fixations reconfigurables.
Machines-outils reconfigurables
Communément appelées RMT (Reconfigurable Machine Tools), ces machines sont utilisées dans les centres d’usinage. Elles se composent principalement de modules physiques (tels que des outils d’usinage, des têtes de broche, des tourelles, etc.), chacun d’entre eux étant capable d’effectuer une ou plusieurs tâches de fabrication. Ces modules peuvent être placés de plusieurs façons dans une machine, ce qui permet d’obtenir différentes configurations. Chaque configuration est caractérisée par un ensemble de fonctionnalités.
Machines d’assemblage reconfigurables
Les machines d’assemblage reconfigurables ou RAM (Reconfigurable Assembly Machines, en anglais), sont principalement utilisées dans les lignes d’assemblage. De la même façon que les RMT, celles-ci ont une structure modulaire et peuvent être modifiées pour assembler des produits ayant certaines caractéristiques communes. Katz [2006] ont fourni un exemple d’une RAM permettant l’assemblage de différents types d’échangeurs de chaleur automobile appartenant à la même famille de pièces.
Machines d’inspection reconfigurables
Contrairement aux RMT et RAM, ces machines sont utilisées pour inspecter et mesurer les pièces usinées en cours de fabrication. Elles sont composées de différents capteurs photoélectrique ou optique qui servent, entre autre, à mesurer les dimensions et à s’assurer de la bonne qualité de la pièce. Le nombre et l’emplacement de ces capteurs peuvent être modifiés en fonction de la pièce à mesurer.
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Table des matières
Introduction
1 Évolution des systèmes de production
1.1 Introduction
1.2 Lignes d’assemblage et systèmes de production dédiées
1.3 Systèmes de production flexibles
1.4 Systèmes de production reconfigurables
1.5 Les machines reconfigurables
1.5.1 Machines-outils reconfigurables
1.5.2 Machines d’assemblage reconfigurables
1.5.3 Machines d’inspection reconfigurables
1.5.4 Les fixations reconfigurables
1.6 Les structures d’un système reconfigurable
1.6.1 Lignes reconfigurables
1.6.2 Systèmes de production cellulaires reconfigurables
1.7 Conclusion
2 Conception et optimisation des RMS : état de l’art
2.1 Introduction
2.2 Les mesures de performance
2.2.1 Niveau machine
2.2.2 Niveau système
2.3 Aperçu des approches de résolution
2.3.1 Approches exactes
2.3.2 Approches heuristiques
2.4 Classification des problèmes d’optimisation des RMS
2.4.1 Conception des RMS
2.4.2 La planification et l’ordonnancement dans un RMS
2.4.3 Problème d’agencement des machines
2.4.4 Équilibrage et rééquilibrage de lignes reconfigurables
2.5 Conclusion
3 Équilibrage de lignes de production mono et multi-produits
3.1 Conception de lignes d’assemblage
3.2 Problème d’équilibrage de lignes d’assemblage
3.2.1 Classification du ALBP
3.3 Problème d’équilibrage de lignes d’assemblage simples
3.3.1 Approches de résolution pour le SALBP
3.4 Problème de rééquilibrage de lignes d’assemblage
3.5 Problème d’équilibrage de lignes d’assemblage à modèles mixtes
3.6 Problème d’équilibrage de lignes d’assemblage à modèles multiples
3.7 Conclusion
4 Minimisation du nombre de réaffectations de tâches dans la conception de lignes reconfigurables multi-produits
4.1 Introduction
4.1.1 Description du problème
4.1.2 Les intervalles d’affectation
4.2 L’ordre d’arrivée des produits est connu
4.2.1 Formulation du problème
4.2.2 L’heuristique Halt-and-Fix
4.2.3 Résultats expérimentaux
4.3 L’ordre d’arrivée des produits est inconnu
4.3.1 Formulation du problème
4.3.2 L’heuristique Halt-and-Fix
4.3.3 Résultats expérimentaux
4.4 Conclusion
5 Minimisation du nombre de modules dans la conception de lignes reconfigurables multi-produits en présence de machines modulaires
5.1 Introduction
5.2 Description du problème
5.3 Formulation compacte
5.4 Formulation étendue
5.4.1 Algorithme de génération de modules
5.4.2 Filtrage de modules
5.5 Résultats expérimentaux
5.6 Conclusion
Conclusion générale