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Évolution des styles alimentaires au Sénégal et maladies non transmissibles (MNT)
Évolution des styles alimentaires au Sénégal
Définition
Selon CALVO (1987) cité par MANKOR (2001), un style alimentaire est une représentation de l’alimentation au sein d’un groupe qui prend en compte à la fois les aliments consommés, les pratiques d’acquisition, de transformation et de préparation culinaire, les modalités de prise des repas ainsi que les représentations et symboles associés aux aliments et aux pratiques.
En effet, contrairement au système alimentaire qui renvoie à une notion plus globale et qui concerne l’ensemble d’un territoire, comme le territoire national, le style alimentaire permet de définir la réalité alimentaire au sein d’un groupe social bien défini. A l’intérieur d’un même système alimentaire, plusieurs styles alimentaires, déterminés par des facteurs socioculturels, économiques, peuvent coexister (NDOYE et al., 2001).
L’évolution des styles alimentaires au Sénégal a été étudiée de long en large et en particulier à Dakar par NDOYE et al. (2001), et il ressort que les modes de consommation sont passés du partage des repas au sein des ménages à de nouveaux espaces de consommation plus individualisés.
Repas au sein des ménages
Les pratiques commensales sont presque toutes identiques dans les ménages dakarois. La consommation à l’intérieur du ménage constitue des lieux de socialisation. C’est à travers le repas que le groupe inculque ses normes et valeurs à la jeune génération.
La consommation de type collectif est aussi une occasion de mieux inculquer les règles de bienséance. Autour du plat, aucun enfant n’a le droit de parler ni de regarder autour de lui. Les enfants doivent constamment tenir la tête baissée sur le plat, et ne doivent pas s’affairer au milieu du plat pour récupérer des légumes ou un morceau de poisson mais attendre que la maîtresse de maison distribue les parts. Chaque enfant doit tenir le bol avec l’index et le pouce gauche jusqu’à la fin du repas au cas où le plat bougerait. Au cours du repas, l’enfant ne doit pas mâcher trop vite les aliments, ce qui pourrait évoquer de la gourmandise. Les adultes, par contre, ont toutes les libertés. C’est autour du repas qu’ils engagent des discussions, lesquelles selon la sagesse populaire rendent le plat plus appétissant mais les enfants n’ont pas le droit d’y participer. A la fin du repas, chacun peut se permettre un grand rot, signe de satiété et remercie Dieu en prononçant l’expression : « Alhamdoulilahi Rabilhalamina » qui signifie « Dieu merci ». (NDOYE et al., 2001)
La commensalité au sein des familles est régie par de nombreuses règles s’articulant autour d’un certain nombre de mimiques et de gestuelles, elle constitue un moment favorable pour l’éducation des enfants. Mais avec la crise, de nouvelles formes de consommation apparaissent qui excluent ces normes culturelles.
Nouveaux espaces de consommation
Depuis l’instauration de la journée continue en 1992, l’alimentation hors domicile a connu un essor considérable dans la ville de Dakar. Ce phénomène s’est accentué avec la dévaluation du franc CFA en 1994 et a transformé certains quartiers populaires en de véritables « Fast-food » à ciel ouvert le soir (NDOYE et al., 2001).
Il faut noter que la consommation hors domicile est essentiellement un acte individuel.
En effet, dans la tradition sénégalaise et dans la religion musulmane, l’acte alimentaire est toujours synonyme de partage. L’individu qui s’isole pour manger tout seul sa portion est considéré comme un être asocial, un individualiste.
Traditionnellement, les familles accordent une importance particulière à la préparation des repas et spécifiquement à celle du soir. C’est le soir que les ancêtres sont censés revenir dans le monde des vivants pour se nourrir. Ainsi, même lorsque la famille n’a rien à préparer, la marmite doit toujours être posée sur le feu pour simuler l’acte de préparation et ne pas susciter leur mécontentement. Selon les croyances, les ancêtres sont en relation permanente avec leurs descendants et le pacte qui lie ces deux mondes passe généralement par l’acte alimentaire. C’est une des raisons pour lesquelles, selon la coutume, il est formellement interdit de prélever une part du repas de midi pour le consommer le soir. Les rares familles qui optent pour cette pratique, rentrent en véritable conflit avec les protecteurs de la famille en l’occurrence les ancêtres, et en rupture avec le pacte signé, ils ne peuvent jamais sortir de cet état de pauvreté (NDOYE et al., 2001).
En dehors de ces stratégies individuelles de consommation hors domicile, il existe, le soir, dans certains quartiers populaires, un système de restauration plus organisé et géré par la ménagère en général. Il s’agit de l’achat de plat dans la rue et consommé à l’intérieur du ménage. Cette pratique concerne essentiellement les repas du soir.
Par ailleurs, il existe une corrélation entre la taille du ménage et la pratique d’achat.
C’est au sein des ménages de petite taille que l’achat de plat destiné à l’ensemble des membres de la famille est le plus fréquent ; alors que les ménages de grande taille ont moins recours à cette pratique. Dans les grandes familles, le repas du soir est toujours préparé, mais le régime alimentaire ne connaît aucune variation ou parfois les quantités préparées ne couvrent pas les besoins de toute la famille, ce qui oblige certains à s’orienter individuellement vers la restauration de rue illustrée par les Fast-food, Dibiterie, Tangana (la version modernisée appelée Tangus est visible aux différents ronds de Dakar), etc. Parfois les contraintes de travail, obligent les travailleurs à prendre leur repas en dehors du cadre familial mais également permettent à certains d’échapper aux styles monotones, peu diversifiés le soir et d’alterner avec des rôtis de poulet, des sandwichs, des bouillies, de la grillade de viande (dibi), etc. Le recours à cette nouvelle forme de consommation est une réponse aux besoins de sécurité alimentaire des plus démunis ; et permet aux familles, et en particulier, les familles de petite taille, de diversifier leur alimentation le soir grâce aux nombreuses recettes présentées dans la rue (NDOYE et al., 2001).
Par ailleurs, ces changements de style alimentaire illustrés par le développement de la restauration hors domicile conjugués à de nombreux facteurs (croissance démographique, l’urbanisation et l’amélioration du niveau de vie des populations) sont à l’origine de l’apparition de maladies non transmissibles.
Maladies non transmissibles (MNT)
Définition
Les maladies non transmissibles ou chroniques sont des maladies de longue durée d’évolution généralement lente. Elles ne se transmettent pas d’une personne à l’autre (OMS, 2013). Il existe quatre principaux types de maladies non transmissibles qui sont : les maladies cardio-vasculaires (telles que les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux), le cancer, les maladies respiratoires chroniques (telles que la pneumopathie chronique obstructive et l’asthme) et le diabète (OMS, 2013).
Ces maladies sont appelées maladies chroniques parce que leurs prises en charge se font à long terme ou durant toute la vie dès lors qu’elles surviennent. De la même manière, elles sont nommées parfois maladies émergentes parce qu’elles ont des indicateurs épidémiologiques (taux d’incidence) qui sont en très nette augmentation au cours d’un certain temps dans un espace géographique donné (LY, 2012).
Causes et principales maladies non transmissibles
Principales maladies non transmissibles
Maladies cardiovasculaires
Selon OMS (2017), les maladies cardiovasculaires constituent un ensemble de troubles affectant le cœur et les vaisseaux sanguins, qui comprennent :
– les cardiopathies coronariennes (touchant les vaisseaux sanguins qui alimentent le muscle cardiaque)
– les maladies cérébro-vasculaires (touchant les vaisseaux sanguins qui alimentent le cerveau)
– les artériopathies périphériques (touchant les vaisseaux sanguins qui alimentent les bras et les jambes)
– les cardiopathies rhumatismales, affectant le muscle et les valves cardiaques et résultant d’un rhumatisme articulaire aigu, causé par une bactérie streptocoque
– les malformations cardiaques congénitales (malformations de la structure du cœur déjà présentes à la naissance)
– les thromboses veineuses profondes et les embolies pulmonaires (obstruction des veines des jambes par un caillot sanguin, susceptible de se libérer et de migrer vers le cœur ou les poumons).
Les infarctus et les accidents vasculaires cérébraux sont généralement des événements aigus et sont principalement dus au blocage d’une artère empêchant le sang de parvenir au cœur ou au cerveau. Leur cause la plus courante est la constitution d’un dépôt gras sur les parois internes des vaisseaux sanguins alimentant ces organes. Les accidents vasculaires cérébraux peuvent aussi résulter du saignement d’un vaisseau sanguin cérébral ou de caillots.
Ils sont généralement dus à la présence de plusieurs facteurs de risque associés comme le tabagisme, une mauvaise alimentation, un manque d’activité physique, l’hypertension et l’usage nocif de l’alcool
Cancer
Le cancer est une perte de contrôle accidentelle de la régulation des cellules qui aboutit à une prolifération anarchique. Une tumeur est le résultat de la multiplication désordonnée des cellules d’un tissu ou d’un organe qui envahissent les tissus voisins en détruisant les capsules de séparation provoquant ainsi des métastases. Le risque augmente avec le vieillissement des cellules qui peut être accéléré par l’environnement (tabac, soleil, etc.) (MOREL, 2012).
Les cancers font partie des maladies non transmissibles même si certains peuvent être provoqués par des agents infectieux transmissibles, virus en particulier. Un cancer n’est pas directement transmissible (GODET et al., 2017).
Il existe plusieurs causes :
– origine multifactorielle: le risque augmente avec deux notions à savoir l’association de plusieurs facteurs cancérigènes et l’importance de l’exposition au risque dans la quantité (effet /dose), le temps (précocité et durée d’exposition)
– facteurs de risque professionnels: exposition à certaines substances
(amiante, benzène, chlorure de vinyle, goudron…), exposition aux radiations ionisantes (radiologues, militaires, personnel des centrales nucléaires…), utilisation de produits anti-cancéreux (personnel soignant)
– facteurs de risque social: tabac, alcool, alimentation déséquilibrée, exposition solaire, sexualité à risque (virus)
– facteurs de risque viral : Hépatite C, papilloma-virus (col utérin), HIV (sarcome)
– facteurs de risque génétique Maladies génétiques, certains cancers familiaux
– les autres facteurs : certains médicaments (distilbène), pollution atmosphérique (centrales défectueuses, gaz des voitures …)
Par ailleurs, des études épidémiologiques sur la consommation de viande et le risque de cancer soutiennent l’existence d’une association spécifique avec le risque de cancer colorectal. Cette association semble cependant avoir été vérifiée de manière plus constante pour la consommation de viande rouge (bœuf, agneau et porc) et la viande transformée (jambon, salami, bacon et autre charcuterie) pour lesquelles la consommation de 80 grammes par jour peut augmenter le risque de cancer colorectal de 25% et 67% respectivement (NORA et al., 2002).
Maladies respiratoires chroniques
Il s’agit principalement de la bronchopneumopathie chronique obstructive et l’asthme.
La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO)
Selon l’OMS, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) n’est pas seulement une maladie mais un terme qu’on utilise pour décrire les affections pulmonaires chroniques caractérisées par une obstruction chronique de la circulation de l’air à l’intérieur des poumons. Les termes plus familiers de « bronchites chroniques » et « emphysème » ne sont plus utilisés, mais sont maintenant inclus dans le diagnostic de la BPCO.
Les symptômes les plus communs de la BPCO sont la dyspnée, ou « manque d’air», la production excessive de crachat, et une toux chronique. Cependant, BPCO n’est pas simplement une « toux de fumeur », mais une maladie sous-diagnostiquée, une affection pulmonaire qui met la vie en danger et qui peut mener progressivement à la mort.
Les principaux facteurs de risque le tabagisme, la pollution atmosphérique intérieure (telle que les carburants de biomasse utilisé pour faire la cuisine et pour le chauffage), la pollution atmosphérique extérieure, l’exposition à des risques professionnels dus à la présence de poussières ou de produits chimiques (OMS, 2004).
L’asthme
L’asthme est une maladie chronique qui se caractérise par des crises récurrentes où l’on observe des difficultés respiratoires et une respiration sifflante et dont la gravité et la fréquence varient d’une personne à l’autre. Les symptômes peuvent se manifester plusieurs fois par jour ou par semaine et s’aggravent chez certains sujets lors d’un effort physique ou pendant la nuit (OMS, 2004).
On n’a pas encore complètement élucidé les causes profondes de l’asthme. Les plus gros facteurs de risque pour le développement de l’asthme sont liés à l’association d’une prédisposition génétique et de l’exposition à des substances et des particules présentes dans l’environnement qui sont inhalées et peuvent provoquer des réactions allergiques ou irriter les voies respiratoires, telles que :
– les allergènes à l’intérieur des habitations (par exemple les acariens dans les tapis et les meubles rembourrés, les polluants, et les squames des animaux de compagnie);
– les allergènes extérieurs (comme les pollens et les moisissures);
– la fumée du tabac;
– les produits chimiques irritants sur le lieu de travail;
– la pollution de l’air.
Le diabète
Le diabète est une maladie chronique grave qui se déclare lorsque le pancréas ne produit pas suffisamment d’insuline (hormone régulatrice de la glycémie), ou lorsque l’organisme n’est pas capable d’utiliser efficacement l’insuline qu’il produit (KRUG et WATTS, 2016). L’hyperglycémie, conséquence courante d’un diabète non maîtrisé, peut, au fil du temps, provoquer de graves lésions cardiaques, vasculaires, oculaires, rénales et nerveuses.
Il existe deux types de diabète :
– le diabète de type 1 appelé diabète insulino-dépendant ou diabète juvénile se caractérise par une production insuffisante d’insuline dans l’organisme. La cause n’est pas connue et il n’est actuellement pas possible de le prévenir. Les symptômes sont notamment : émission d’urine et soif excessives, faim constante, perte de poids, altération de la vision et fatigue.
– le diabète de type 2 appelé diabète non insulinodépendant ou diabète de l’adulte résulte de l’utilisation inefficace de l’insuline par l’organisme. Il touche l’immense majorité des personnes vivant avec le diabète dans le monde. Les symptômes peuvent être similaires à ceux du diabète de type 1, mais ils sont souvent moins marqués ou absents. Les antécédents familiaux, et un diabète gestationnel antérieur, associés à un âge avancé, au surpoids et à l’obésité, une mauvaise alimentation, la sédentarité et le tabagisme, augmentent le risque. Cependant, Le surpoids et l’obésité, avec la sédentarité, sont considérés comme responsables de la plus grande part de la charge de morbidité liée au diabète dans le monde (OMS, 2014).
Différentes causes
Les maladies non transmissibles sont dues principalement à une consommation accrue d’aliments trop gras, trop sucrés, trop salés et pauvres en fibres associé à une insuffisance ou un manque d’activité physique (JALBART ET MONGEAU, 2006). En effet, la mauvaise qualité de l’alimentation est comptée parmi les six principaux facteurs de risque qui contribuent à la charge mondiale de morbidité. Plus précisément, il existe un lien entre, d’une part, les maladies non transmissibles et, d’autre part, une alimentation pauvre en fruits, en légumes, en fruits à coque, en graines, en céréales complètes et en acides gras oméga 3 venant de produits de la mer et riche en sodium (UNSCN, 2017).
Selon l’OMS (2013), le surpoids et l’obésité sont étroitement associés à un plus grand risque de développement de maladies chroniques tels l’hypertension, le diabète de type II, les coronaropathies. Le développement de ces maladies est d’ailleurs observé chez une population de plus en plus jeune (OMS, 2004). L’hypertension artérielle est l’un des principaux facteurs de risque de l’apparition de maladies cardio-vasculaires. Bien que l’obésité soit d’origine multifactorielle, l’alimentation constitue un facteur important de son développement (LUO et al., 2008). En effet, la prévalence accrue de l’excès pondéral et de l’obésité dans le monde découle essentiellement d’un changement d’alimentation associé à une diminution de l’exercice physique qui découle souvent de l’urbanisation et du caractère plus sédentaire de nombreuses formes de travail et de loisirs. Le changement d’alimentation encore appelé transition alimentaire se caractérise par une consommation accrue d’aliments riches en graisses totales et en graisses d’origine animale, en sucre et/ou en sel et pauvres en fibres et en micronutriments (DELISTE, 1990).
Fardeau des maladies non transmissibles dans le monde et en Afrique
L’évolution des styles de vie et l’augmentation du pouvoir d’achat de certains groupes de population ont conduit à une réduction de l’allaitement maternel, à la diminution du nombre de repas préparés à la maison et à l’augmentation de la consommation de produits de restauration rapide, de tabac et d’alcool (OMS, 2010). De plus, le recours accru aux moyens de transport motorisés et le manque d’espaces pour la marche et le vélo ont conduit à une diminution de l’exercice physique pour un grand nombre de personnes et à une détérioration de la qualité de l’air. Tous ces facteurs laissent entrevoir une augmentation considérable de la charge de morbidité déjà élevée due aux maladies non transmissibles (OMS, 2010).
Les maladies non transmissibles tuent chaque année 41 millions de personnes, ce qui représente 71% des décès dans le monde. Chaque année, 15 millions de personnes, âgées entre 30 à 69 ans, meurent d’une maladie non transmissible ; plus de 85% de ces décès « prématurés » surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (OMS, 2018). En 2020, 60% des décès feront suite à une MNT contre 41% en 1990. Environ 80% des décès dus aux maladies non transmissibles surviennent dans les pays à revenu faible ou moyen (OMS, 2018). Les maladies cardiovasculaires sont responsables du plus grand nombre de décès dus aux maladies non transmissibles avec 17,9 millions par an, suivies des cancers (9 millions), des maladies respiratoires (3,9 millions) et du diabète (1,6 million). On impute à ces quatre groupes d’affection plus de 80% des décès « prématurés» dus aux maladies non transmissibles (OMS, 2018).
Par ailleurs, le tabagisme, la sédentarité, l’usage nocif de l’alcool et une mauvaise alimentation augmentent le risque de mourir d’une maladie non transmissible. En outre, la hausse de la prévalence de l’obésité, la consommation accrue d’aliments de mauvaise qualité et la dénutrition omniprésente contribuent à cette épidémie (OMS, 2018).
Poids des maladies non transmissibles au Sénégal
Au Sénégal, le diabète, les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle et le cancer prennent de plus en plus d’ampleur (SENEGAL, 2016). Ces maladies chroniques sont devenues des maladies du siècle. Le cancer fait des ravages au Sénégal, surtout celui des enfants. En effet, environ 800 en sont victimes par an (LOPPY, 2008).
Le diabète, maladie silencieuse qui ne fait pas beaucoup de bruit comme le paludisme ou le Sida mais massif car une importante partie de la population sénégalaise vit avec ce fléau. Au Sénégal, on désigne le diabète par « la maladie du sucre » (LOPPY, 2008). Elle connaît au Sénégal une véritable explosion depuis une dizaine d’années avec une prévalence aujourd’hui estimée entre 5 à 10% (NDARINFO, 2013).
Les maladies cardiovasculaires constituent une véritable problématique de santé publique. En 2005, le ministère de la Santé et de l’Action sociale avait classé les maladies cardiovasculaires comme la deuxième cause de décès au Sénégal et la première cause de décès chez les adultes. Le paludisme étant la première cause de décès. Aujourd’hui les études montrent que 40% de la population sont affectées par l’hypertension artérielle contre 25% il y a 25 ans. Ensuite une autre maladie comme l’excès du cholestérol, les chiffres sont à 40 voire 50%. D’ici quelques années les maladies cardiovasculaires risquent d’être la première cause de mortalité au Sénégal (NDARINFO, 2013).
L’émergence de ces maladies est liée à la transformation des modes de vie, dont l’urbanisation rapide est un accélérateur. À l’orée des indépendances, 15% de la population seulement du continent vivait en ville ; aujourd’hui, le chiffre avoisine 38%. Cette dynamique provoque un changement des habitudes alimentaires illustré par une consommation régulière de viande, d’huile, de sel et de boissons sucrées de type soda ; alors que les individus deviennent plus sédentaires. À cela s’ajoutent l’ingestion accrue d’alcool, le tabagisme et l’exposition aux produits chimiques (LE MARCIS, 2017).
Face à la progression de ces maladies nutritionnelles dites « de civilisation », il est opportun de connaitre et comprendre les facteurs déterminant le choix alimentaire des consommateurs afin de mettre en œuvre des programmes d’information appropriés.
Déterminants du choix alimentaire
De nombreux facteurs individuels et collectifs influencent les choix alimentaires. En effet, le contexte socio-économique, les stratégies commerciales, les divers messages de santé, les modes de consommation, l’offre, etc. les influencent significativement. Par ailleurs, un modèle proposé par Solidaris (une mutualité socialiste en France) regroupe l’ensemble de ces déterminants selon cinq axes d’accessibilité : financière et matérielle, pratique, via l’information, sociale et culturelle, et psycho-sociale (VOGELS, 2017).
Facteurs influençant l’accessibilité à une alimentation de qualité
Facteurs financiers et matériels
Les revenus des ménages sont un facteur qui influence les choix alimentaires. Les personnes à faibles revenus ont tendance à se tourner vers une alimentation de faible qualité nutritionnelle, susceptible de favoriser l’obésité et les maladies chroniques. En effet, selon VOGELS (2017), les prix des produits gras et sucrés sont toujours plus bas que ceux des fruits et légumes. Également, la perception de satiété serait plus rapidement atteinte avec les denrées grasses qu’avec les légumes. Selon le même auteur, plus les revenus sont faibles, plus les ménages doivent effectuer un arbitrage au niveau de leurs dépenses. La composition de la famille joue un rôle important, notamment parce qu’elle influence les ressources financières (un salaire ou plus) et les dépenses (nombre d’enfants à charge, …) du ménage.
En outre, l’habitation en elle-même et son équipement ont des impacts sur les habitudes culinaires (présence ou non d’une cuisine, d’un frigo, d’un congélateur, d’un four, de matériel de cuisine, etc.). L’habitat et la qualité de l’habitation, de même que son équipement, dépendent grandement du revenu du ménage (VOGELS, 2017).
Facteurs liés à l’offre alimentaire
Les commerces accessibles à proximité (magasins, marchés, etc.), les transports, les services à domicile sont à prendre en compte dans le déterminisme des choix alimentaires. En effet, les dépenses en restauration hors domicile (restaurants, fast-foods, etc.) représentent une part grandissante des dépenses totales consacrées à l’alimentation et aux boissons. La qualité de l’alimentation prise hors domicile est directement dépendante de ce qui est « offert » au niveau de cette restauration (VOGELS, 2017).
Facteurs liés à l’information
De multiples sources d’informations sur l’alimentation sont perçues via les acteurs en éducation permanente (santé, environnement, etc.), les médecins, la presse, les pairs, la famille, l’internet, etc. Selon VOGELS (2017), ces informations sont souvent noyées parmi une multitude de messages marketing et publicitaires trop souvent diamétralement opposés à ceux qui sont préconisés dans le cadre de l’alimentation durable et de qualité. En outre, les étiquettes et emballages constituent aussi des sources d’information sur les produits. Par ailleurs, plus les niveaux d’éducation formelle et informelle sont faibles et plus les informations et les enjeux liés à l’alimentation sont perçus comme difficiles à comprendre et à mettre en œuvre concrètement.
Facteurs sociaux et culturaux
La notion de « bien manger » ou « d’alimentation de qualité » diffère selon la culture et le milieu social. Sur le plan social, les aliments permettent de « rendre visibles des catégories de culture », de communiquer, de partager, de maintenir des relations sociales (VOGELS, 2017). Dans ces conditions, selon (MANKOR, 2001), la valeur d’un bien n’est plus uniquement déterminée par sa rareté ou sa cherté, mais aussi par sa capacité à marquer des évènements, sa capacité à distinguer des personnes, son aptitude à remplir certaines fonctions telles que le partage d’expériences, de connaissances et l’entraide.
Dans le même ordre d’idée, CORBEAU (1996) cité par MANKOR (2001) affirme que les aliments peuvent être rejetés s’ils trahissent une appartenance à un groupe social auquel un individu ne veut pas être associé.
L’intégration sociale influence l’accès à une alimentation durable et de qualité. Les habitudes familiales guident également les comportements alimentaires. En effet, les habitudes naissent souvent en famille, et évoluent plus tard par des influences diverses comme celles d’un conjoint, des pairs, des médias, etc. (VOGELS, 2017). Selon ce même auteur, dans certaines familles par exemple, les repas « fait maison » et partagés sont encore très présents alors que dans d’autres, les repas sont plus déstructurés (peu réguliers, plats préparés, etc.).
Par ailleurs, l’appartenance à un milieu social et à une culture précise induit certaines pratiques alimentaires. En effet, les religions ou certaines formes de spiritualité prescrivent certains usages spécifiques à l’alimentation de leurs fidèles. Par exemple, la consommation de viande qui est régie, à travers toutes les sociétés, par des règles plus ou moins strictes, notamment les tabous, interdictions et prescriptions (MANKOR, 2001).
Facteurs liés à l’éducation
Le niveau d’éducation semble être aussi déterminant que les revenus dans les choix alimentaires. Les personnes les moins éduquées consomment plus de gras et de sucre, moins de fruits, de légumes, de produits laitiers et de poissons que celles qui ont un niveau d’études et/ou de revenus supérieurs. Par niveau d’éducation, nous entendons l’éducation scolaire, mais aussi les connaissances (savoir, savoir-être et savoir-faire) accumulées tout au long de la vie (VOGELS, 2017).
Cas de la viande
Principaux déterminants de la consommation de la viande
Les prix relatifs des viandes et les pouvoirs d’achats des consommateurs déterminent les inégalités devant la consommation. II est admis en général que la consommation de viande augmente avec le revenu moyen ; ainsi les populations les plus pauvres consomment moins de viande que les plus riches. En effet, les pays à revenus élevés ont une consommation moyenne annuelle par tête plus élevée que celle des pays pauvres et dans les pays pauvres les couches les plus riches consomment plus de viande que les moins riches (MANKOR, 2001).
Selon MANKOR (2001), d’autres déterminants aussi divers que variés président à la consommation de viande. L’importance de la viande dans l’alimentation humaine dépasse de loin son rôle purement nutritionnel. En effet, la consommation de viande garde des caractéristiques particulières héritées de l’histoire humaine. Elle est autrefois symbole de puissance et du pouvoir, marque d’appartenance à une élite (la noblesse se réservant le droit à la chasse), consommation rituelle lors de certaines fêtes religieuses (Pâques et Aïd-El-Kebir perpétuant le sacrifice d’Abraham). Le même auteur affirme que le poids de l’histoire reste très fort dans l’élaboration de l’appareil de règles qui organisent la consommation de viande. On trouve ainsi dans toutes les civilisations, des prescriptions religieuses (implicites ou explicites) beaucoup plus fortes pour la viande que pour les autres aliments telles que les tabous, interdictions et obligations (MANKOR, 2001).
La consommation de viande ne répond donc pas toujours à des besoins purement nutritionnels, mais aussi et surtout identitaires. La part relative des différents types de viandes varie d’une civilisation à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre (FLANDRIN et MONTANARI, 1996).
Particularités nationales
La consommation de viande dans le monde est caractérisée par une diversité de modèles malgré la mondialisation des échanges et des communications. La part des différents types de viandes dans la consommation varie d’une civilisation à l’autre, d’un pays à l’autre.
BOUTONNET (1999) cite quelques modèles de consommation de viande en précisant les déterminants qui en sont le fondement.
Ainsi, selon cet auteur, dans les pays musulmans, du fait de l’interdiction de la consommation du porc, c’est la consommation de la viande de volaille qui augmente lorsque les revenus augmentent. Dans le même ordre d’idée, l’auteur signale les particularismes qui existent dans le continent américain : les américains du sud consomment surtout de la viande bovine et ceux du nord sont les premiers consommateurs de volaille au monde avec 40 kg/personne/an. En outre, les peuples latins et nord-américains préfèrent une viande de couleur claire, tendre, peu grasse ou à ras de couleur blanche donc issue d’animaux à croissance rapide, nourris avec une alimentation concentrée riche en protéines. En revanche, les Anglo-saxons d’Europe et d’Océanie et les sud-américains préfèrent une viande plus goûteuse, de couleur plus foncée, plus grasse donc issue d’animaux à croissance plus lente, nourris à l’herbe ou avec une alimentation concentrée moins riche en protéines.
Selon le même auteur, au Japon, le marché du bœuf est traditionnellement segmenté entre une viande très chère et une viande moins chère. La viande très chère, le bœuf Wagyu, est élevé spécialement pour sa viande avec beaucoup de soins et très gras (persillé). Par contre, la viande issue de la réforme du troupeau laitier, plus courante et moins chère et les viandes bovines importées ; elles aussi moins chères mais consommées surtout hors domicile (BOUTONNET, 1999).
En Afrique de l’Ouest, la FAO (1998) distingue quatre types de modèles de consommation de viande :
– un modèle à base de viande de ruminants rencontré dans les pays sahéliens : Mauritanie, Mali, Niger et Burkina Faso ;
– un modèle diversifié où plusieurs types de viande sont représentés dans des pays côtiers tels que le Nigeria, la Côte d’ivoire, le Ghana, la Guinée, le Togo, la Sierra Léone et le Liberia ;
– un modèle dominé par la viande de porc dans les anciennes colonies portugaises uniquement : Guinée Bissau et Iles du Cap Vert;
– un système constitué par la viande de ruminants et de volaille rencontré au Sénégal et au Bénin.
Cette diversité des modèles traduit les différentes intensités de la force des motivations des consommateurs qui les sous-tendent.
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Table des matières
INTRODUCTION
Première partie : Synthèse bibliographique
Chapitre I : Généralités sur le secteur de l’élevage au Sénégal
I.1. Importance et rôle de l’élevage au Sénégal
I.1.1. Cheptel
I.1.2. Importance sociale et culturelle
I.1.3. Importance économique
I.2. Systèmes d’élevage au Sénégal
I.2.1. Définition
I.2.2. Système de production extensif ou système pastoral
I.2.3. Système agropastoral ou Semi-intensif
I.2.4. Le système périurbain ou intensif
I.3. Chaîne de valeur Bétail-Viande au Sénégal
I.3.1. Circuit vif
I.3.2. Circuit mort : distribution et transformation de la viande à Dakar
I.4. Évolution de la production et consommation de viande et d’abats au Sénégal
I.4.1. Évolution de la production d’abats et de viande au Sénégal
I.4.2. Évolution de la consommation de viande et abats au Sénégal
Chapitre II : Évolution des styles alimentaires au Sénégal et maladies nontransmissibles (MNT)
II.1. Évolution des styles alimentaires au Sénégal
II.1.1. Définition
II.1.2. Repas au sein des ménages
II.1.3. Nouveaux espaces de consommation
II.2. Maladies non transmissibles (MNT)
II.2.1. Définition
II.2.2. Causes et principales maladies non transmissibles
II.2.3. Fardeau des maladies non transmissibles dans le monde et en Afrique
II.2.4. Poids des maladies non transmissibles au Sénégal
Chapitre III : Déterminants du choix alimentaire
III.1. Facteurs influençant l’accessibilité à une alimentation de qualité
III.1.1. Facteurs financiers et matériels
III.1.2. Facteurs liés à l’offre alimentaire
III.1.3. Facteurs liés à l’information
III.1.4. Facteurs sociaux et culturaux
III.1.5. Facteurs liés à l’éducation
III.2. Cas de la viande
III.2.1. Principaux déterminants de la consommation de la viande
III.2.2. Particularités nationales
III.3. Théories appliquées aux choix alimentaires
III.3.1. Relation attitude-comportement
III.3.2. Théorie de l’action raisonnée (TAR)
III.3.3. Théorie du comportement planifié (TCP)
Deuxième partie : Evaluation du comportement et des perceptions des ménages face à la consommation de la viande de dibiteries et aux risques de maladies non transmissibles (MNT) dans la région de Dakar
Chapitre I : Matériel et Méthodes
I.1. Zone et période d’étude
I.2. Population cible
I.3. Matériel
I.4. Méthodes
I.4.1. Echantillonnage et taille de l’échantillon
I.4.2. Collecte des données et design du questionnaire
Chapitre II : Résultats
II.1. Description du profil sociodémographique et économique de la Population d’étude
II.2. Analyse des préférences et déterminants socioéconomiques du mode de consommation de la viande de dibiteries
II.2.1. Analyse des préférences de consommation de la viande de dibiteries
II.2.2. Déterminants sociodémographiques et économiques de la consommation de viande de dibiteries
II.3. Connaissances et perceptions des ménages sur le lien entre la consommation de la viande et le développement de maladies non transmissibles (MNT)
II.3.1. Connaissances des populations sur le lien entre la consommation de la viande et le développement de maladies non transmissibles
II.3.2. Perceptions des populations sur le lien entre la consommation de la viande et le développement de maladies non transmissibles
II.4. Modélisation du comportement des consommateurs de viande de dibiteries face aux risques de maladies non transmissibles
II.4.1. Consistance interne et matrice de corrélation des variables
II.4.2. Déterminants de l’intention de consommer la viande de dibiteries face aux risques de maladies non transmissibles
II.4.3. Déterminants du comportement des consommateurs de viande de dibiteries face aux risques de maladies non transmissibles
Chapitre III : Discussion et Recommandations
III.1. Discussion
III.1.1. Limites de l’étude et difficultés rencontrées
III.1.2. Préférences et déterminants socioéconomiques du mode de consommation de la viande de dibiteries
III.1.2.2. Déterminants sociodémographiques et économiques de la consommation de viande de dibiteries
III.1.3. Connaissances et perceptions des ménages sur le lien entre la consommation de viande et le développement de maladies non transmissibles (MNT)
III.1.4. Déterminants de l’intention et du comportement des consommateurs de viande de dibiteries face aux risques de maladies non transmissibles
III.2. Recommandations
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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