Evolution des rôles du conseil d’administration

On assiste de nos jours à un engouement des recherches en Gouvernance à un tel point que certains résultats perdent de leur pertinence, principalement à cause de leurs grandes divergences. Ces dernières sont essentiellement tributaires du prisme théorique à travers lequel la problématique est posée, étant donné qu’au fil des années, plusieurs courants théoriques ont émergé en matière de gouvernance.

Evolution des rôles du conseil d’administration 

Aperçu sur les théories fondamentales du conseil d’administration

La théorie de l’agence et ses évolutions

La théorie de l’agence se base sur le postulat de l’existence d’un conflit d’intérêts entre les actionnaires de l’entreprise d’une part et les dirigeants de l’autre. Cependant, la reconnaissance de ce conflit a déjà été documentée selon (Nicholson & Kiel, 2007) par Adam Smith en 1776, qui à l’époque a parlé du caractère égoïste des agents économiques. L’expansion du capitalisme, au début du vingtième siècle, s’est par la suite accompagnée d’une séparation entre la propriété et la décision. A cet effet, les dirigeants possédant plus d’expertise et de connaissances vont servir des apporteurs de capitaux en manque de savoir faire. Ainsi, les dirigeants ont acquis de plus en plus de latitude décisionnelle. De là s’établit une relation d’agence et des conflits d’agence qui se caractérisent par la recherche d’intérêts personnels de la part des dirigeants et aux dépens des actionnaires.

En 1960, dans le cadre de l’analyse des droits de propriété, Coase trouve que la mise en commun et l’utilisation d’une ou plusieurs ressources doit se faire dans le cadre d’arrangements contractuels permettant le transfert de contrôle de certaines ressources entre les parties cocontractantes, ce transfert de contrôle n’est pas efficient et infaillible, à cause des risques contractuels tels que les conflits d’intérêts et l’opportunisme dus essentiellement à la rationalité limitée des cocontractants.

Par la suite, les développements d’Alchian & Demsetz, (1972) ont assimilé l’entreprise à un nœud de contrats et la protection des actionnaires se fait par des mécanismes tels que la concurrence des autres dirigeants par exemple. De son côté, Williamson (1975), perçoit l’entreprise comme étant une fonction de production qui vise à maximiser son profit, où les agents sont opportunistes et ont une rationalité limitée. L’entreprise n’est plus un nœud de contrats mais une structure de gouvernance des relations d’échange, pour protéger les transactions de l’entreprise des risques d’opportunisme. Quelques années plus tard et quatre décennies après les travaux de Berle & Means (1932), Jensen & Meckling (1976) développent la théorie de l’agence, selon laquelle la relation d’agence est « un contrat selon lequel une ou plusieurs personnes appelées (principal) engagent une autre personne appelée (agent) pour accomplir un service en leur nom, ce qui implique une délégation de pouvoir de décision à l’agent ». Cette théorie se base sur deux hypothèses essentielles, à savoir, l’asymétrie informationnelle et le conflit d’intérêts entre le principal (propriétaire) et l’agent (dirigeant). Plusieurs développements autour de cet article se sont succédés, donnant lieu à la théorie positive de l’agence, notamment les travaux de (Fama & Jensen, 1983). L’article de Fama & Jensen (1983) appelle à la nécessité de la mise en place de mécanismes adéquats pour protéger les actionnaires de la recherche d’intérêts personnels de la part des dirigeants ou des conflits d’intérêts. Ces mécanismes de contrôle vont permettre une réduction des coûts d’agence et une augmentation du profit pour les actionnaires. A cet effet, la configuration organisationnelle la plus efficiente serait celle capable de minimiser les coûts d’agence (Charreaux, 2000).

Depuis les travaux de Berle et Means (1932), attribuant les mauvaises performances des entreprises à la latitude décisionnelle des dirigeants (Charreaux & Desbrières, 2001), l’intérêt porté à la gouvernance d’entreprises n’a pas cessé de s’accroître. Les travaux d’Alchian (1965, 1969) et de Demsetz (1964, 1966 et 1967) ainsi que (Alchian et al., 1972), ont inspiré la majorité des travaux ultérieurs et ont constitué un fondement pour le développement de théories telles que la théorie des droits de propriété, la théorie des coûts de transaction et la théorie de l’agence développée par Jensen & Meckling (1976), Fama (1980), puis Fama et Jensen (1980), et qui ont facilité la compréhension du processus de création et de répartition de la rente organisationnelle au sein de l’entreprise, et ont justifié par conséquent les premiers développements de la théorie de la gouvernance.

Dans le cadre de la vision de la théorie de l’agence, la question centrale est celle de l’appropriation ou la répartition des flux issus de l’activité de l’entreprise (Charreaux, 2002b). Donc les mauvaises performances des entreprises sont essentiellement dues, selon Berle & Means (1932), à la latitude managériale des dirigeants. Ces chercheurs ont conclu à ce que les entreprises à grande séparation entre propriété et décision ne constituent pas une forme efficiente d’entreprise, essentiellement à cause de la latitude décisionnelle des dirigeants et le manque de contrôle de la part des actionnaires. Les travaux de Berle & Means ont été pris en compte pour une amélioration de la réglementation boursière aux Etats-unis ainsi que pour la création de la SEC (Securities Exchange Commission) ayant pour mission la protection des investisseurs.

Sous la théorie de l’agence, le dirigeant joue aussi un rôle passif, il est supposé être un agent opportuniste qui recherche son intérêt personnel aux dépens des intérêts des actionnaires de l’entreprise dans le cadre de l’exercice de ses fonctions managériales. Il est aussi assimilé à un facteur de production, du fait qu’il loue son savoir faire à l’entreprise. Ainsi, la tâche de contrôle des dirigeants est assurée par le conseil d’administration. Notons qu’au niveau de la théorie de l’agence, la performance est issue essentiellement des efforts d’éviction du gaspillage de la rente organisationnelle et de la valeur créée ou potentielle à créer, par la mise en place de mécanismes disciplinaires et de surveillance adaptés qui minimisent les coûts d’agence d’une part et qui limitent, d’autre part, les risques de comportement opportuniste des dirigeants. A cet effet, la théorie de l’agence ne se soucie pas du processus de création de la valeur ni de la façon dont est réalisée la performance. La théorie de l’agence, développée par (Jensen et al., 1976), est considérée comme une approche normative, qui a été complétée par l’introduction de la théorie positive de l’agence (Jensen, 1983), comme étant une approche plus explicative. Les premiers développements de la théorie de la gouvernance financière sont apparus à partir de l’étude de Berle & Means (1932) et de la théorie de l’agence développée par Jensen & Meckling (1976). Au début, ces développements tournaient autour de la protection des intérêts des actionnaires contre les agissements « opportunistes » des dirigeants dans le cadre de la séparation de la propriété et de la décision. Cette approche englobe une vision juridico-financière, qui perçoit l’entreprise comme une suite de contrats (Alchian et al., 1972) et selon laquelle, la protection des actionnaires se fait par des mécanismes tels que la concurrence des autres dirigeants ou les prises de contrôle. Ainsi, s’est établie une vision purement financière, qui perçoit l’actionnaire uniquement comme apporteur de capital financier et qui s’intéresse au niveau de séparation de la propriété et de la décision (Charreaux, 2002a). Dans ce cadre, le conseil d’administration revêt un caractère purement disciplinaire, visant à protéger les actionnaires contre les agissements et l’opportunisme des dirigeants et à rechercher l’efficience pour les actionnaires. Cette efficience consiste essentiellement dans la production d’une rente organisationnelle qui représente le profit de la combinaison des ressources de l’entreprise et la réduction des conflits d’intérêts (Charreaux, 2000). Ainsi, les théories développées par Berle & Means (1932) ou par Jensen & Meckling (1976) ont été construites pour prendre en considération les formes d’entreprises existantes à l’époque. La forme des entreprises a changé, ce qui nécessite une remise en question de ces théories considérées comme inadaptées (Charreaux, 2002a). (Johnson, Ellstrand, & Daily, 1996) notent à cet effet l’importance de l’indépendance des administrateurs des dirigeants comme signe de garantie de l’efficacité du contrôle effectué et assumé par le conseil d’administration. Selon eux, la dépendance « affecte la capacité et la volonté des administrateurs d’accomplir leurs responsabilités fiduciaires (NT) » .

La théorie de l’intendance

Considérée comme l’une des théories de la gouvernance les plus importantes, la théorie de l’intendance trouve son point de départ dans la manière de concevoir l’individu dans la théorie de l’agence. C’est-à-dire un individu opportuniste, qui recherche la maximisation de son profit. (Donaldson & Davis, 1991) expliquent que cette conception trouve son fondement dans une théorie de psychologie organisationnelle : la théorie X de Mc Gregor (1960). L’individu de la théorie X est un individu qui recherche la récompense et évite la punition, il est du type individualiste.

Pour (Donaldson et al., 1991), il existe une autre catégorie d’individus, qui sont mus par un besoin d’accomplissement et de satisfaction interne provenant de l’achèvement d’un tâche déterminée, d’une responsabilité ou de l’exercice d’une autorité. De ce fait, l’administrateur et le dirigeant ne sont plus considérés comme des agents, mais comme des intendants. Et bien que, sur le plan sémantique, ces deux termes soient équivalents, la perspective visée par (Donaldson et al., 1991) est différente. En effet, cet intendant est un bon représentant de ses mandataires qui a une volonté d’accomplissement qui le motive. Ainsi, les objectifs du principal et de son intendant sont convergents et non pas contradictoires (Davis, Schoorman, & Donaldson, 1997). Donc l’efficacité et la performance ne proviennent plus de l’intensité du contrôle effectué mais de la motivation que l’individu a pour accomplir sa tâche et sa responsabilité. (Davis et al., 1997) ajoutent dans ce sens que la théorie de l’intendance n’est pas contradictoire avec la théorie de l’agence et plaident plutôt en faveur de la complémentarité de ces deux théories. La théorie de l’intendance est ancrée dans la psychologie, en considérant l’individu comme étant un individu collectiviste, qui évolue dans un groupe et qui contribue à sa réussite et à l’atteinte de ses objectifs. Donc le dirigeant ou l’administrateur sont désormais des membres d’une organisation où ils contribuent à la performance et à l’atteinte des objectifs (Davis et al., 1997). Dans ce sens, et bien qu’elle soit reconnue comme l’une des trois théories proéminentes de la recherche en gouvernance d’entreprise, (Nicholson et al., 2007) affirment que cette théorie n’est pas universelle pour la relation entre le conseil d’administration et la performance.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1: Evolution des rôles du conseil d’administration
1.1- Aperçu sur les théories fondamentales du conseil d’administration
1.1.1- La théorie de l’agence et ses évolutions
1.1.2- La théorie de l’intendance
1.1.3- La théorie de la dépendance des ressources
1.1.4- La théorie de l’hégémonie managériale
1.1.5- La théorie des échelons supérieurs
1.1.6- La théorie cognitive de la gouvernance
1.1.7- De la théorie de la gouvernance aux théories de la gouvernance
1.2- La multitude des rôles du conseil d’administration
1.2.1- Le rôle du conseil d’administration dans la théorie de l’agence
1.2.2- Le rôle du conseil d’administration dans la théorie de l’intendance
1.2.3- Le rôle du conseil d’administration dans la théorie de dépendance des ressources
1.2.4- Le rôle du conseil d’administration dans la théorie de l’hégémonie managériale
1.3- Au-delà de la surveillance : Le rôle cognitif du conseil d’administration comme cadre d’analyse
1.4- La classification des rôles du conseil d’administration : deux, trois ou plus?
1.5- Vers une théorie comportementale de la gouvernance des entreprises
1.6- Le cadre institutionnel et juridique du conseil d’administration
1.6.1- Le cadre institutionnel international et national des conseils d’administration
1.6.2- Le cadre juridique du conseil d’administration en Tunisie
Chapitre II. Définitions et déterminants de la dynamique du conseil d’administration
2.1- La dynamique des rôles dans le conseil d’administration
2.2- Évolution du CA : lecture par le changement
2.2.1- Définition du changement
2.2.2- Le changement dans le conseil d’administration
2.2.3- Le changement de la configuration des rôles
2.3- Les déterminants de la dynamique du conseil d’administration
2.3.1- L’administrateur et son profil
2.3.2- La diversité des administrateurs
2.3.3- Le pouvoir
2.3.4- Les facteurs exogènes : région, communauté, profession
2.3.5- Les normes d’effort
2.3.6- L’utilisation des compétences et des connaissances
2.3.7- La cohésion
2.3.8- Les conflits cognitifs
Chapitre III. Le conflit dans le conseil d’administration: Revue de la littérature
3.1- Définition du conflit
3.2- les phases ou épisodes du conflit
3.2.1- La phase de latence
3.2.2- La phase de la perception
3.2.3- La phase du ressenti
3.2.4- La phase de la manifestation
3.2.5- Les conséquences du conflit
3.3- Les conflits et l’organisation
3.3.1- Les différents types de conflits dans l’organisation
3.3.2- Les conflits dans les groupes de travail
3.4- Effet des conflits : efficacité et inefficacité
3.5- Cas des conflits dans le conseil d’administration
Chapitre IV. Le modèle et la méthode
4.1- Le modèle
4.2- La méthode
4.2.1- Motivations du choix de la méthode
4.2.2- La méthode de recherche: démarche qualitative
4.2.3- Les entretiens semi directifs
4.2.4: Collecte des données
4.2.5 : Traitement des données
Chapitre V. Résultats et discussions
5. 1: Analyse et interprétation des résultats: Analyse intra cas
5.1.1: Le cas n° 1: Le cas TI
5.1.2: Le cas n° 2: Le cas SW
5-1-3: Le cas n° 3: Le cas SD
5-1-4: Le cas n° 4: Le cas IN
1-5: Le cas n° 5: Le cas ED
5-1-6: Le cas n° 6: Le cas AB
5. 2 : Analyse et interprétation des résultats: Analyse Inter cas
5-2-1: Le changement de combinaisons de rôles
5-2-2: Configuration de rôles, rôle dominant et nouveaux rôles
5-2-3: Évolution du conseil à travers le temps
5-2-4: Le rôle de médiation
5-2-5: Les rôles du conseil d’administration: Au-delà du rôle de contrôle
5-2-6: L’émergence de nouvelles tâches
5-2-7: Récapitulatif des cas étudiés
Conclusion générale

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