Le bitume se définit comme un matériau complexe non volatile existant dans la nature ou produit essentiellement via une distillation fractionnée non-destructive du pétrole brut. Les bitumes sont considérés comme des mélanges d’hydrocarbures, distincts par leur masse, leur degré d’aromaticité, le nombre et la nature de leurs groupements polaires. La composition élémentaire du bitume dépend principalement de sa provenance (source du pétrole). Il est majoritairement formé de carbone (80 à 87%) et d’hydrogène (8-12%). En outre, il contient une quantité non négligeable d’hétéroatomes tels que le soufre (0-9%), l’azote et oxygène (0-2%) [1]. Des traces de métaux tels que le vanadium, le nickel et le fer sont aussi présentes. Les hétéroatomes jouent un rôle très important sur les propriétés chimiques et physiques du bitume, du fait de leur polarité élevée qui permet d’associer des molécules par des liaisons intra et intermoléculaires, induisant un durcissement du bitume [2, 3].
Suite à la complexité de sa chimie, il n’est pas possible de donner la formule chimique exacte d’un bitume, et c’est pourquoi des structures moléculaires moyennes sont proposées. Une façon de simplifier la description de cette variété moléculaire consiste à séparer le bitume en différentes fractions (classes ou composés) selon leur solubilité dans des solvants de différentes polarités [4, 5]. Cette méthode standard, la plus commune utilisée dans l’industrie pétrolière, est abregée par le terme fractionnement SARA, qui signifie Saturés, Aromatiques, Résines et Asphaltènes [4, 5]. Ces différentes fractions diffèrent par leur polarité, leur masse molaire, ainsi que par leur rapport C/H. Les trois premières fractions forment une phase appelée maltène, qui est une huile noire très visqueuse. Les asphaltènes, qui représentent généralement entre 5 et 30 % du bitume, forment la partie insoluble du bitume dans les n-alcanes (heptane ou pentane), ce sont des molécules polaires de masse moléculaire très élevée (103 – 105 g/mol) [6]. D’après la littérature, les molécules d’asphaltènes possèdent entre trois et vingt cycles aromatiques fusionnés les uns aux autres, et le diamètre de ces molécules est de l’ordre de 10 à 22 Å. Ces structures aromatiques condensées portent des chaînes latérales alkyle dont la taille varie entre 4 et 20 atomes de carbone [6-9]. Grâce au système relativement conjugué d’une molécule d’asphaltène, les interactions π–π entre ces molécules peuvent conduire à la formation d’agrégats d’asphaltènes [7]. La teneur en asphaltènes par rapport aux autres constituants, ainsi que les proportions des fractions dans la phase maltène ont un effet significatif sur les propriétés viscoélastiques des bitumes. Par conséquent, la structure du bitume est essentiellement biphasique, les asphaltènes étant dispersés dans une matrice maltène [1]. Cette structure a été proposée par Nellensteyn dès les années 1920, qui a décrit le bitume comme une suspension colloïdale. Cette idée fut ensuite largement développée par l’école hollandaise. Grâce au développement des techniques rhéologiques, le bitume est maintenant décrit comme une suspension colloïdale à haute température, constituée de particules d´asphaltènes agrégées, dispersées dans une matrice maltène vitrifiable à basse température [1].
Le bitume 70/100
Le bitume utilisé en France pour l’enrobage des déchets nucléaires est un bitume de distillation directe. Chaque bitume fabriqué est caractérisé par son grade et classé selon ses caractéristiques physiques. Plus le grade est élevé et plus le bitume est mou (plus faible viscosité). Les normes que l’on retrouve usuellement sont les grades 180/220, 70/100, 40/50…. Ces valeurs correspondent à un indice de pénétrabilité (I.P) et sont obtenues au moyen d’un test normalisé qui est la pénétrabilité d’une aiguille. Celui-ci représente l’enfoncement en dixième de millimètre d’une aiguille calibrée, au bout de 5 secondes et sous une charge de 100 g. Les mesures sont effectuées à 25°C.
Les boues incorporées dans le bitume
Quatre boues ont été utilisées dans cette étude. Ce sont des mélanges de sels dans de l’eau à une concentration de 180 g/L. Ces boues ont été synthétisées afin de préparer d’une part des échantillons modèles, c’est le cas des monosels et bisel, et d’autre part des enrobés simulant le cas réel (cas du STE3).
Boue monosel BaSO4
Ce sont des suspensions à base de sulfate de baryum (BaSO4). Les principales caractéristiques de ces sels sont leur insolubilité dans l’eau et leur masse volumique élevée, de l’ordre de 4,5 g/cm3 . Ces sels sont sous la forme d’une poudre blanche, de taille élémentaire entre 300 et 500 nm, et sous forme d’agglomérats de l’ordre de 5 ± 3 µm.
Boue monosel NaNO3
La principale différence des nitrates de sodium (NaNO3) avec les BasO4 est leur solubilité totale dans l’eau et leur pouvoir cristallisant. Ils se présentent sous forme de cristaux cubiques de taille de l’ordre de 31,5 ± 13,2 µm. La densité de ces sels est de l’ordre de 2,261.
Boue bisel (2/3 BaSO4 + 1/3 NaNO3)
Cette boue est formée d’un mélange 2/3 en masse de sels BaSO4 et 1/3 de NaNO3, dissous dans l’eau et de densité de 3,75.
Boue STE3
C’est une solution aqueuse contenant divers sels en suspension. Cette boue a été préparée au laboratoire suite à une procédure bien définie. Cette boue possède la même composition qu’une boue STE3 industrielle.
La composition finale de la boue est de 67% de sels insolubles et 33% de sels solubles dans l’eau. Cette boue se caractérise par une large distribution granulométrique de sels, entre 0,01 et 75 µm, dont la taille moyenne est de l’ordre de 19 µm (Figure I.1).
Le tensioactif
Afin de fluidifier le mélange bitume/boue, un tensioactif est utilisé. Ce tensioactif industriel utilisé dans le processus de fabrication des enrobés bitume porte le nom ODS-17 et est issu d’un produit animal non purifié. C’est un tensioactif de type ionique avec deux composantes : (1) une composante anionique RCOO- , constituée d’un mélange de 60% de linoléate C17H31COO- , de 30% d’oléate C17H33COO- et de 10% de palmitate C15H31COO- , (2) une composante cationique, constituée d’un mélange de plusieurs diamines polyéthoxylés [2]. La teneur en tensioactif est de l’ordre de 2% massique par rapport à l’extrait sec. Pour des raisons techniques, le tensioactif est introduit dans l’extrudeuse après dilution dans du toluène (rapport de masse toluène/ODS-17 de l’ordre de 5). Le toluène est ensuite éliminé par évaporation au cours de l’extrusion.
Irradiateur γ
Les enrobés bitumineux réels contiennent des radioéléments émetteurs α, β et γ. Compte tenu des contraintes de sureté nucléaire, il est difficile d’utiliser des éléments radioactifs en laboratoire. Nous utilisons donc une source d’irradiation γ externe pour simuler le vieillissement radiochimique, tout en étant conscient que les interactions rayonnement/matière sont différentes, en particulier entre une particule α et la matrice bitume (in-situ plus importante). Outre les contraintes de sureté, l’utilisation d’un rayonnement γ externe (le plus courant et accessible) permet d’atteindre des niveaux de dose intégrée importants et donc de pouvoir simuler plusieurs dizaines d’années d’entreposage d’un fût réel en quelques jours d’irradiation. Une des sources de rayonnement γ la plus couramment utilisée est le cobalt-60, caractérisé par une période radioactive de 5,27 ans. Chaque source possède une activité qui correspond au nombre de désintégrations par seconde. Cette activité se mesure en becquerels (Bq). A titre d’exemple, un gramme de Cobalt 60 correspond à 44 TBq (1100 curies), avec 1 Ci = 3,7×1010 Bq [5]. La grandeur physique qui permet de quantifier l’interaction d’un rayonnement avec la matière est la dose absorbée (D). Elle est définie comme l’énergie absorbée par unité de masse de la cible. L’unité internationale de la dose est le gray (Gy). 1 Gy correspond à la dose absorbée par une masse de 1 kg à laquelle les rayonnements communiquent une énergie de 1 joule : 1 Gy = 1J/kg. L’ancienne unité était le rad (1 Gy = 100 rad). La dose absorbée se mesure avec un dosimètre.
Les techniques de caractérisation
Rhéologie
Dans l’objectif d’étudier le comportement rhéologique du bitume pur et des enrobés vierges et irradiés, deux rhéomètres à contrainte imposée ont été utilisés dans cette étude : un rhéomètre de type AR-G2 de la société TA Instruments, équipé du système EHP (Electrically Heated Plates), permettant une homogénéité thermique dans l’échantillon. L’autre rhéomètre utilisé est le MCR 301 de la société Anton Paar, équipé d’une cloche permettant une stabilité thermique. Des géométries plan-plan de diamètres différents (25, 40 et 50 mm) ont été utilisées suivant la température d’étude. L’entrefer choisi est de 1 mm dans le cas des bitumes et de 1,5 mm pour les enrobés. Les tests ont été réalisés entre 22 et 90°C. Le domaine de viscoélasticité linéaire a été déterminé en balayant en déformation entre 10-6 et 100, à une fréquence angulaire de 100 rad/s. La limite de ce domaine, donc la déformation critique, est déterminée lorsque le module élastique G’ atteint 90% de sa valeur au plateau [6]. Les tests de balayage en fréquence ont été réalisés entre 100 et 0,01 rad/s, à une contrainte ou déformation choisie dans le domaine de linéarité. Les courbes d’écoulement ont été obtenues par l’application d’un couple en continu (5 points par décade) et le déplacement correspondant est mesuré. Dans tous les cas, un temps de stabilisation de 60 s est utilisé, ce qui a été jugé suffisant pour assurer un taux de cisaillement constant à ± 5%. Des rampes en température ont également été effectuées, entre -20 et 100°C, avec une vitesse de 1°C/min. Tous les tests effectués ont été précédés d’une étape de stabilisation de 10 minutes à une déformation de 10-3 et une pulsation de 1 rad/s.
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Table des matières
Introduction
Bibliographie de l’introduction
Chapitre 1 – Matériaux et Méthodes
Table des matières – chapitre 1
1. Matériaux
1.1. Le bitume 70/100
1.2. Les boues incorporées dans le bitume
1.3. Le tensioactif
2. Les outils
2.1. Extrudeuse bivis
2.2. Irradiateur γ
2.3. Cellule de diffusion de l’hydrogène
3. Les techniques de caractérisation
3.1. Rhéologie
3.2. Analyse enthalpique différentielle modulée
3.3. Microscopie électronique à balayage environnementale (MEBE)
3.4. Spectroscopie Infrarouge à Transformée de Fourier (IRTF)
3.5. Analyse thermique différentielle et Analyse Thermogravimétrique (ATD/ATG).
3.6. Analyse élémentaire des bitumes
3.7. Le fractionnement SARA
3.8. Chromatographie Exclusion Stérique (SEC)
3.9. Diffraction des Rayons X (DRX)
3.10. Diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS)
3.11. Microtomographie X
4. Bibliographie du chapitre 1
Chapitre 2 – Caractérisation rhéologique et thermique du bitume 70/100
Table des matières – chapitre 2
1. Caractéristiques physico-chimiques du bitume « Azalt 70/100 »
1.1. Composition élémentaire et par famille
1.2. Spectroscopie Infra-rouge du bitume 70/100
1.3. Diffusion des rayons X dans le bitume 70/100 (SAXS)
2. Caractérisation rhéologique et thermique du bitume 70/100
2.1. Description générale du comportement rhéologique du bitume
2.2. Effet de la contrainte appliquée sur le comportement rhéologique
2.3. Influence de la température sur le comportement rhéologique
2.4. Caractérisation du bitume comme un fluide à seuil
2.5. Loi de comportement rhéologique globale et modèle
2.6. Caractérisation de la microstructure du bitume par des analyses thermiques
2.7. Importance d’une contrainte seuil dans le cas du bitume
3. Bilan de ce chapitre
4. A retenir du chapitre 2
5. Bibliographie du chapitre 2
Chapitre 3 – Influence des conditions opératoires d’extrusion sur le bitume et les enrobés bitume
Table des matières – chapitre 3
1. Influence des conditions opératoires d’extrusion sur les propriétés du bitume pur
1.1. Caractérisations rhéologiques
1.2. Séparation asphaltènes/maltènes
1.3. Interprétation
1.4. Discussion générale
2. Influence des conditions opératoires d’extrusion sur les propriétés des enrobés bitumes
2.1. Enrobé monosel type BaSO4
2.1.1. Effet de la vitesse de vis N
2.1.2. Effet du débit d’écoulement Q
2.1.3. Discussion
2.2. Enrobé monosel type NaNO3
2.2.1. Effet de la vitesse de vis N
2.2.2. Effet du débit d’écoulement Q
2.2.3. Discussion
2.3. Enrobé bisel
2.3.1. Effet de la vitesse de vis N
2.3.2. Effet du débit d’écoulement Q
2.4. Comparaison et discussion générale entre les 3 enrobés bitumes
3. Enrobé industriel de type STE3
3.1. Effet de la vitesse de vis N
3.2. Effet du débit d’écoulement Q
3.3. Comparaison et discussion générale
4. Mesure de la vitesse de migration des bulles
5. Bilan de ce chapitre
6. A retenir du chapitre 3
7. Bibliographie du chapitre 3
Chapitre 4 – Effet de l’irradiation γ sur le comportement du bitume pur et de l’enrobé STE3
Table des matières – chapitre 4
1. Comportement sous irradiation de la matrice bitume
1.1. Evolution du gonflement
1.2. Modifications des propriétés rhéologiques sous irradiation du bitume pur
1.3. Modifications internes ou structurales
1.4. Bilan
2. Comportement sous irradiation de l’enrobé industriel (STE3)
2.1. Evolution du gonflement des enrobés STE3 en fonction de la dose
2.2. Effet de l’irradiation γ sur la population de bulles dans STE3
2.3. Effet de l’irradiation γ sur la rhéologie du STE3
3. Détermination d’une loi de rhéo-vieillissement radiolytique pour l’enrobé bitume type STE3 à T = 22°C
4. Bilan de ce chapitre
5. A retenir du chapitre 4
6. Bibliographie du chapitre 4
Conclusion générale
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