EVOLUTION DES DROITS DE L’ENFANT PRIVÉ DE PROTECTION PARENTALE
Etat des lieux des enfants privés de protection parentale en Suisse
La Suisse, à défaut d’une base légale à ce sujet, ne dispose toujours pas de données fiables et généralisées concernant les enfants privés de protection parentale. Pourtant, le Comité des droits de l’enfant, dans les deux derniers rapports faits à la Suisse, souligne la nécessité de remédier urgemment à cette lacune. En attendant la mise en place d’une action nationale, les associations PACH (enfants placés et adoptés Suisse) et INTEGRAS (association professionnelle pour l’éducation sociale et la pédagogie spécialisée) ont établi un « aperçu des placements d’enfants en famille d’accueil et en institution » (Seiterle, 2018). Ce recensement se base sur les données suisses de 2015 à 2017. Toutefois, le rapport relève de grandes difficultés à obtenir les informations de la part des cantons. Seule la moitié d’entre eux, tous alémaniques, ont pu transmettre des données. Le rapport informe que « de nombreux cantons ne disposent toujours pas de statistiques centrales sur le placement d’enfants et d’adolescents et n’ont donc pas pu ou pas voulu fournir de chiffres » (Seiterle, 2018, p. 12).
Afin d’obtenir une estimation pour l’entièreté du territoire suisse, une extrapolation a été nécessaire. Après l’analyse des données reçues, l’équipe de recherche constate qu’en moyenne 1,1% à 1,2% des enfants (de 0 à 18 ans) bénéficient d’une solution de placement. En étendant ce taux à la Suisse entière, le rapport indique une proportion de 18’000 à 19’000 enfants placés. Le rapport tient compte des placements volontaires, de ceux ordonnés par une APEA (Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte) ou par un juge civil et de ceux décidés par la justice pénale pour mineurs. D’après les chiffres, une moitié des placements sont volontaires et seuls « un bon tiers » (Seiterle, 2018, p. 9) proviennent d’une APEA ou d’une juridiction civile. Cela représenterait entre 6’000 et 6’270 enfants placés dans le cadre civil. Dans son dernier rapport, daté au 31 décembre 2018, la COPMA (Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes) indique que 4’514 enfants font l’objet d’une mesure de l’art. 310 CC, soit celui permettant au juge de retirer l’enfant de sa famille (COPMA, statistiques, 2018).
Dans son communiqué de presse du 5 septembre 2019, la COPMA indique que « la priorité est accordée aux solutions consensuelles et aux mesures de soutien » (COPMA, communiqué, 2019). Elle précise également que les enfants placés – qui représentent 11% des enfants bénéficiant de mesures de protection – le sont lorsque « leur bien est gravement menacé, par exemple en raison de la toxicomanie des parents, d’un surmenage des parents ou de violence domestique grave ». Dans les conclusions du communiqué de presse, la COPMA souligne l’importance du soutien à la famille. Cependant, elle rappelle que dans certains cas, la famille n’agit pas dans l’intérêt des enfants. Dans ces cas-là, une intervention étatique est nécessaire, mais doit se faire à l’unisson avec la famille et non en opposition à cette dernière.
MÉTHODOLOGIE ET ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE
Ecrit durant les mois de janvier à mai 2020, ce mémoire et sa méthodologie ont subi quelques restrictions en lien avec l’apparition du Covid-19 et des interdictions engendrées par les mesures publiques mises en place pour lutter contre le virus. Afin d’étudier le sujet sous différents angles, j’ai rassemblé, lu et analysé plusieurs documents gravitant autour de la thématique des enfants privés de protection parentale. Ces documents (articles scientifiques, journaux, reportages audio-visuels) proviennent de plusieurs sources : juridictions internationales, ONG, politiques, chercheurs, sociologues, psychologues et psychiatres, etc. Ces contributions ont ensuite été analysées sous la loupe de plusieurs théories pour en définir les intentions intrinsèques.
Bien sûr, l’exhaustivité des sources n’a pas pu être atteinte en raison du temps restreint mis à disposition et de l’étendu d’un travail de master en droits de l’enfant. Toutefois, une attention particulière a été accordée à la sélection des sources retenues afin de proposer une représentativité suffisante au débat. La mise sur pied d’une récolte de données directe auprès des enfants privés de protection parentale a été réfléchie puis abandonnée. En effet, la recherche et les précautions éthiques et psychologiques qu’elle implique pour les enfants auraient engendré un travail trop conséquent pour correspondre aux attentes d’un travail de master. Toutefois, des recherches quantitatives et qualitatives ont été effectuées parmi les données préexistantes.
Les écoles de pensées en droits de l’enfant
Les visions de l’enfant et de ses compétences diffèrent entre chaque état, chaque région, chaque individu. Entre toutes ces représentations, il est difficile de trouver un consensus. Afin de cartographier les différentes représentations de l’enfant et de ses droits, Hanson (2012) décrit quatre écoles de pensées qui se partagent le débat autour de quatre thématiques : l’image que nous nous faisons de l’enfant, la compétence dont il bénéficie, les droits que nous lui accordons et comment ceux-ci s’imbriquent avec les autres droits. En fonction des réponses à ces différents débats, les états et les politiques peuvent être classés dans une des quatre écoles de pensées : paternalisme, bien-être, émancipation et libérationnisme. Des siècles durant, une vision théologique de l’enfant était prédominante. Elle prône l’idée que chaque individu naît incomplet et évolue jusqu’à devenir un adulte, soit une personne dotée de raison et d’indépendance. Dans cette optique, l’enfant est un être en devenir (becoming), il n’est pas encore un être social. Si cette vision est encore existante aujourd’hui, plusieurs disciplines, dont la sociologie de l’enfant, ont remis en question cette perception. Elles réfutent cette idée que l’homme, dont l’enfant, ne peut pas agir en tant qu’acteur dans les choix de sa vie. Elles proposent alors une vision où l’enfant est un acteur social à part entière capable d’influer sur les choix de sa vie (being).
La deuxième question porte sur la compétence de l’enfant, c’est-à-dire de savoir si nous considérons l’enfant comme capable de raisonnement ou simplement capable de vivre l’instant présent. Certains pensent que l’enfant peut prendre des décisions fondées et dans son intérêt, alors que d’autres argumentent qu’un enfant n’a pas l’expérience nécessaire à une prise de décision réfléchie. Les recherches scientifiques apportent parfois quelques réponses à ce débat. Celles de Jean Piaget, notamment, démontrent que l’enfant évolue par étape et acquiert la capacité de prendre des décisions réfléchies et organisées dès l’âge de 12 ans. Cependant, ce développement par étape renforce la vision incomplète de l’enfant qui avance, pas à pas, vers un statut d’adulte complet. D’autres chercheurs prennent avec des pincettes cette vision en étape tant ce développement dépend d’autres facteurs comme les compétences personnelles, l’aptitude des personnes qui l’élèvent, le milieu dans lequel il évolue, etc. Au-delà des arguments scientifiques, le débat s’étend également autour de fondements idéologiques.
Dans de nombreuses sociétés, les enfants n’ont légalement pas accès à certains droits ou biens (alcool, droit de vote, droit d’ester en justice, etc). Ces restrictions, à défaut d’être basées sur des mesures empiriques, le sont sur des perceptions idéologiques propres à chaque société. Ceux qui prônent la compétence de l’enfant pensent que les discours d’incompétence empêchent l’enfant de montrer qu’il est capable tant il est directement considéré comme incompétent. Finalement, comme en justice, une partie du débat porte sur l’apport de la preuve. L’enfant doit-il prouver qu’il est compétent ou doit-il démontrer qu’il est incompétent ? Le constat de départ n’est pas le même. Dans la première hypothèse, l’enfant est présumé incompétent mais peut devenir compétent s’il montre qu’il en est capable. Dans la seconde, l’enfant est présumé capable jusqu’à preuve du contraire.
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Table des matières
PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
1.1 ETAT DES LIEUX DES ENFANTS PRIVÉS DE PROTECTION PARENTALE EN SUISSE
1.2 QUESTIONS DE RECHERCHE
MÉTHODOLOGIE ET ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE
CADRE THÉORIQUE
3.1 LES ÉCOLES DE PENSÉES EN DROITS DE L’ENFANT
3.2 LES PERSPECTIVES POLITIQUES EN PROTECTION DE L’ENFANT
3.3 LES DIFFÉRENTES FORMES DE TRAVAIL SOCIAL AVEC LES FAMILLES
LA DÉSINSTITUTIONNALISATION : UN NOUVEAU PARADIGME SOCIAL
4.1 DÉFINITION
4.2 HISTOIRE DE LA DÉSINSTITUTIONNALISATION
4.3 DÉSINSTITUTIONNALISER LE SYSTÈME DE PROTECTION DE L’ENFANT
4.3.1 Principes généraux des lignes directrices
4.3.2 Etablissement d’une procédure systématique
4.3.3 Elargissement de la palette de mesures
4.3.4 Recommandations du Comité
4.4 RÉSULTATS
EVOLUTION DES DROITS DE L’ENFANT PRIVÉ DE PROTECTION PARENTALE
5.1 EVOLUTION INTERNATIONALE
5.1.1 Déclaration de 1986
5.1.2 Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE)
5.1.3 Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants
5.2 EVOLUTION NATIONALE
5.2.1 Un passé chargé d’histoire
5.2.2 Les modifications du Code civil suisse (CC)
5.2.3 Ordonnance sur le placement d’enfants (OPE)
5.3 EVOLUTION CANTONALE
5.4 RESULTATS
LA DÉSINSTITUTIONNALISATION DANS LE CANTON DE NEUCHÂTEL
6.1 DESCRIPTION DU PROJET DE DÉSINSTITUTIONNALISATION
6.1.1 Soutien à la parentalité
6.1.2 Mesures ambulatoires
6.1.3 Familles d’accueil d’hébergement (FAH)
6.1.4 Placement indépendant
6.1.5 Institutions d’éducation spécialisée (IES)
6.2 ANALYSE DU PROJET DE DÉSINSTITUTIONNALISATION
6.2.1 A la lumière des principes généraux des lignes directrices
6.2.2 A la lumière des recommandations du Comité des droits de l’enfant
RECOMMANDATIONS
7.1 GARDER LES DROITS DE L’ENFANT COMME OBJECTIF
7.2 OPTER POUR UNE EVIDENCE BASED POLICY
7.3 NE PAS FAIRE DE L’INSTITUTION UNE MESURE DE DERNIER RECOURS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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