Les matériaux utilisés pour les trains d’atterrissage nécessitent un compromis de propriétés résistance mécanique/ténacité élevé que seuls quelques matériaux comme les aciers ultra haute résistance (UHR) possèdent. La nuance 300M est largement utilisée depuis de nombreuses années dans les atterrisseurs, mais sa ténacité limitée et sa faible résistance à la corrosion sous contrainte poussent les concepteurs à vouloir la remplacer pour certaines applications exigeantes. La nuance Ferrium® M54® présente un compromis de propriétés Rm/KIC/KISCC exceptionnel qui pourrait permettre son application dans les trains d’atterrissage. Afin de comprendre les évolutions métallurgiques entre la nuance 300M et la nuance M54®, un historique du développement des aciers UHR à précipitation de carbures est présenté. La microstructure des aciers Co-Ni à précipitation de carbures M2C, famille d’aciers à laquelle la nuance M54® appartient, est ensuite décrite en détails.
Évolution des aciers à ultra haute résistance à précipitation de carbures
La ténacité limitée de la nuance 300M a poussé les élaborateurs à développer de nouvelles nuances. Cette ténacité limitée est notamment due à la précipitation de cémentite aux joints de grains et de lattes lors de la trempe martensitique et du revenu à 300°C.
Les compositions chimiques des nouvelles nuances doivent donc permettre de limiter le taux de cémentite tout en gardant un niveau de résistance mécanique élevé nécessaire à l’application.
La naissance des aciers à fortes teneurs en cobalt et nickel, et précipitation de carbures M2C
Les recherches pour remplacer l’acier 300M ont débuté dans les années 1960-1970 avec les élaborations des nuances HP9-4-20[10] et HY-180[11]. Ces nuances ont des concentrations élevées en cobalt et en nickel ainsi que des additions importantes de chrome et de molybdène .
Le chrome et le molybdène sont utilisés pour précipiter au revenu sous forme de carbures de type M2C afin de durcir la matrice en dégradant peu la ténacité. La cémentite fragilisante présente dans la nuance 300M est ainsi partiellement remplacée. Les carbures nanométriques que forment le molybdène et le chrome au revenu sont nécessaires pour obtenir le compromis de propriétés Rm/KIC souhaité (Rm>1930MPa, KIC>100MPam). Le chrome permet d’accélérer les cinétiques de précipitation des carbures (Mo, Cr)2C, comparé à des carbures Mo2C purs, et d’abaisser ainsi leur température de précipitation car sa vitesse de diffusion est plus élevée que celle du molybdène[8,12–14]. Kwon et Lee[15] suggèrent que le chrome pourrait rentrer en solution dans la cémentite lors du revenu, ce qui la stabiliserait et retarderait donc la précipitation des carbures M2C. En effet, la précipitation des carbures de type M2C peut être considérée comme un état transitoire entre les carbures Fe3C et M6C selon le séquencement suivant:
Fe3C→M2C→M6C
Si la cémentite est stabilisée, la précipitation des carbures M2C sera décalée vers les hautes températures de revenu ou les temps de revenu longs. La teneur en carbone est réduite dans les aciers HY-180 et HP-9-4-20, par rapport à la nuance 300M, pour éviter la précipitation de cémentite fragilisante. Ce taux est compensé par la présence d’autres éléments d’alliages afin d’obtenir une précipitation suffisante et efficace au revenu. Du cobalt et du nickel sont ainsi ajoutés. Ces éléments n’influencent pas directement la précipitation, mais leur rôle est tout de même majeur dans la microstructure de ces nuances . L’addition de nickel est cependant limitée par la température de début de transformation martensitique Ms, qui ne doit pas être inférieure à 220°C pour obtenir un taux d’austénite résiduelle minimal .
Speich et al.[8] ont étudié les effets des ajouts de cobalt, molybdène et chrome dans l’acier HY-180. Le cobalt décale le survieillissement, visible par la baisse de résistance, vers les hautes températures en décalant le phénomène d’annihilation des dislocations. Le molybdène forme des carbures durcissants M2C, à l’origine du pic de durcissement secondaire. Speich précise cependant qu’un ajout de molybdène trop important diminue la ténacité. Il en est de même pour le chrome, qui, lorsqu’il est présent en faible quantité, augmente la température de revenu et favorise donc potentiellement la formation d’austénite de réversion. Au contraire, une teneur trop élevée en chrome conduit à une précipitation intensive de carbures qui coalescent rapidement. Ainsi, le pourcentage optimum de chrome et de molybdène est respectivement de 2% et 1% massique d’après Speich .
Grâce à la diminution de la teneur en carbone et l’apport des éléments cobalt, nickel, chrome et molybdène dans les nuances HP9-4-20 et HY-180, la ténacité des aciers à précipitation de carbures a largement augmenté, passant d’environ 60MPa√m à plus de 190MPa√m. Cependant, la résistance mécanique n’est pas assez élevée (Rm<1500MPa) et à la fin des années 1970, la nuance AF1410[13] est développée. L’élaboration de cette nuance permet de proposer un acier avec une résistance mécanique plus élevée que la nuance HY-180, tout en conservant une ténacité suffisante (>KIC 300M).
La nuance AF1410 a donc la même base de composition chimique que l’acier HY 180 . La teneur en cobalt est relevée, pour augmenter l’effet du retard à la restauration des lattes de martensite et la précipitation de carbures. Le taux de carbone est aussi plus important, ce qui a pour effet d’augmenter la fraction volumique de carbures. La résistance mécanique augmente donc entre la nuance HY-180 et la nuance AF1410 (1420MPa à 1670MPa) avec une baisse raisonnable de la propriété de ténacité (200MPa√m à 165MPa√m). Les recherches se focalisent alors sur les voies d’amélioration de la ténacité afin d’optimiser le compromis Rm/KIC.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 L’excellent compromis de propriétés ténacité-résistance à la traction de l’acier Ferrium® M54®, 40 ans de recherche pour une microstructure complexe mais optimisée
I Évolution des aciers à ultra haute résistance à précipitation de carbures
I.1 La naissance des aciers à fortes teneurs en cobalt et nickel, et précipitation de carbures M2C
I.2 Les voies d’amélioration de la ténacité
I.3 La nuance Ferrium® M54® : fruit de 40 ans de progrès dans la métallurgie des aciers ultra haute résistance à précipitation de carbures
II Microstructure des aciers Co-Ni à durcissement par précipitation de carbures M2C
II.1 La matrice martensitique
II.2 Les carbures
II.3 L’austénite
III Synthèse
Chapitre 2 Programme expérimental
I Matière et traitements thermiques étudiés
I.1 Matière
I.2 Réalisation des traitements thermiques
II Caractérisation de la microstructure
II.1 Dilatométrie et Analyse Thermique Différentielle
II.2 Microscopie Optique et Microscopie Électronique à Balayage
II.3 Microscopie Électronique en Transmission
II.4 Diffraction de rayons X
II.5 Aimantation à saturation
II.6 Sonde Atomique Tomographique
II.7 Diffusion de Neutrons aux Petits Angles
III Simulations thermodynamiques
IV Mesure des propriétés mécaniques
IV.1 Microdureté
IV.2 Traction
IV.3 Résilience
V Programme expérimental
VI Synthèse
Chapitre 3 Influence des conditions de traitement thermique sur la précipitation de carbures
I Identification de la séquence de précipitation au revenu
II Caractérisation de la précipitation après revenu
II.1 Composition chimique
II.2 Taille
II.3 Fraction volumique
II.4 Structure cristalline
II.5 Conclusion
III Influence des paramètres de la mise en solution et du traitement par le froid sur la précipitation de carbures
III.1 Influence des conditions d’austénitisation
III.2 Influence du traitement par le froid
III.3 Conclusion
IV Synthèse
Chapitre 4 Évolution du taux d’austénite au cours du traitement thermique et son impact sur les propriétés mécaniques
I Évolution du taux d’austénite au cours du traitement thermique
I.1 Formation d’austénite de réversion
I.2 Transformation martensitique lors du traitement cryogénique
I.3 Stabilisation de l’austénite résiduelle avant le traitement cryogénique
I.4 Conclusion
II Impact de l’austénite résiduelle sur les propriétés mécaniques
II.1 Propriétés en traction
II.2 Résilience
Contrôle des propriétés mécaniques de l’acier Ferrium® M54® par la maîtrise de sa microstructure au cours du traitement thermique dans l’optique d’applications aéronautiques
II.3 Conclusion
III Détermination des conditions de durée et de température critiques lors de l’arrêt entre les étapes de la trempe à l’huile et du traitement par le froid
III.1 Modèle phénoménologique permettant d’estimer la variation du taux d’austénite en fonction du temps et de la température d’intertraitement entre la trempe à l’huile et le traitement par le froid
III.2 Validation du modèle sur traitements thermiques industriels
III.3 Proposition d’un traitement thermique amélioré
III.4 Conclusion
IV Synthèse
Conclusion