Évolution de l’hétérogénéité
« La diversité linguistique et culturelle n’a rien d’exceptionnel et ce n’est pas une nouveauté pour la Suisse qui, dès 1878 […], offre au monde une image multiculturelle et multilingue […] » (Allemann-Ghionda, 1999, p.1). Allemann-Ghionda se pose la question : « Comment l’école s’est-elle trouvée interrogée par cette hétérogénéité ? » (p. 2) Groux et Porcher (1997) apportent la réponse suivante : « La configuration du monde s’est profondément modifiée au cours des années récentes et […] le poids des systèmes éducatifs et des enjeux qu’ils recouvrent s’est accru, partout, de façon décisive » (p. 5). Les raisons de ce phénomène sont plurielles. Selon Groux et Porcher (1997), les raisons principales sont les suivantes : L’internationalisation : « les déplacements (nationaux et internationaux) marqueront certainement le dernier demi-siècle [1950-2000] » (p. 5). Les auteurs expliquent que ce nomadisme accroît la professionnalisation (commerces transfrontaliers). « L’internationalisation des métiers renforce chaque jour la nécessité de la mobilité professionnelle, c’est-à-dire, concrètement, l’installation pour une longue durée dans un pays étranger, avec tous les problèmes de scolarisation qu’elle pose » (p. 6). La décentration : La lutte contre l’ethnocentrisme, c’est-à-dire contre l’idée « spontanée » que chacun voit le monde de la même manière que la société dont je suis citoyen, doit beaucoup à la contribution scolaire et s’est manifestée très visiblement au moment des décolonisations. Elle n’a pas cessé depuis : les enfants ont désormais besoin, pour leur vie d’adultes, de savoir qu’il existe plusieurs façons de penser, de vivre, de réagir, et qu’une seule ne s’impose pas à tous comme la meilleure absolument. (p. 6-7) Groux et Porcher donnent l’information que l’éducation comparée est né en 1817, ce qui montre qu’une certaine hétérogénéité était déjà présente. « Les classes sont désormais et pour longtemps hétérogènes » (Grandguillot, 1993, p. 11). L’auteure affirme qu’ « à l’école élémentaire [primaire], le phénomène existe depuis longtemps » (Grandguillot, 1993, p. 11). Elle ajoute que lorsque sa maman exerçait son métier d’enseignante dans les années 1940, l’hétérogénéité se manifestait déjà dans les classes. Cependant, « on a commencé à parler de classes hétérogènes dans les années 70 » (Grandguillot, 1993, p. 13). Elle ajoute que « l’hétérogénéité, telle que nous la connaissons aujourd’hui, s’est en effet construite dans un processus historique » (p. 15). Elle formule alors trois hypothèses sur la construction de cette hétérogénéité ; elle peut s’être construite comme une contrainte, comme une fin ou comme un moyen. Comme une contrainte : « Est-ce une conséquence incontournable de l’hétérogénéité sociale et de la démocratisation de l’école ? » Comme une fin : « L’hétérogénéité des classes se présenterait alors comme l’achèvement d’un processus historique, comme l’aboutissement d’un objectif fixé au début du siècle […] » Comme un moyen « au service de fins politiques et sociales » : « Le moyen que peut se donner notre société pour maintenir ou conforter le lien social doublement mis à mal […] par l’essoufflement de l’intégration culturelle des vagues successives de l’immigration » (Grandguillot, 1993, p. 16). Allemann-Ghionda (1999) affirme que Bien que la mobilité de la population scolaire et son hétérogénéité n’aientcessé d’augmenter depuis les années 60, ces changements dus aux migrations sont encore souvent traités […] de façon marginale et ne modifient pas structurellement les programmes scolaires. En est-il de même dans la formation des enseignants ?. (p. 3-4) C’est une question dont je vais tenir compte durant ce travail de bachelor. Tardif et Akkari (2006) ajoutent que L’école moderne s’est développée, à partir du XIXe siècle, avec l’objectif avoué d’imposer le modèle de la culture dominante à l’ensemble des autres cultures sociales […]. Cette imposition culturelle ne se limitait pas aux matières et contenus enseignés, mais couvrait l’ensemble des pratiques pédagogiques, c’est-à-dire aussi bien les pratiques linguistiques (le bien- parler), comportementales (la bienséance) et cognitives (le bien penser). (p. 6) Par ces dires, on peut remarquer que les élèves venant d’un autre pays devaient s’adapter à la société du pays d’accueil. Ainsi, les enseignants ne se posaient pas la question de comment gérer l’hétérogénéité culturelle et linguistique, mais est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Ce n’est que depuis les années 1960-1970 que des dispositifs d’accueil et d’enseignement du français sont mis en place. Ces dispositifs ont pour but une intégration rapide dans le cursus du pays d’accueil. Allemann-Ghionda (1999) précise les propos de Boyzon-Fradet en ajoutant que « dès les années 70 […], des propositions pédagogiques de gestion de cette diversité se sont développées dans les systèmes éducatifs sous le nom de scolarisation des enfants de migrants, puis de pédagogie interculturelle » (p. 11-12). De 1978 à 1985, On passe d’une quasi absence de prise en compte des aspects culturels apportés par les élèves issus de l’émigration […] à une surévaluation du culturel […]. L’élève migrant est vu à travers un prisme stéréotypé, dans lequel il ne se reconnaît pas toujours. (Allemann-Ghionda, 1999, p. 16) Ensuite, l’auteure ajoute que dès le début des années 80, « un concept global d’intégration est mis en place […]. Ce concept inclut l’obligation, pour les écoles normales, d’inclure l’éducation interculturelle dans leur enseignement […] » (p. 17). Puis, à la fin des années 80, « l’école normale de Neuchâtel inaugure une nouvelle collaboration entre les enseignants de français et d’allemand qui développent une pédagogie intégrée des langues » (Allemann-Ghionda, 1999, p. 17). Dès 1985 jusqu’à maintenant, une Nouvelle perspective s’affirme dans le principe d’égalité qu’elle veut promouvoir pour tous les élèves. Les approches interculturelles dans l’école, qui, jusque là s’inspiraient souvent d’une idéologie caritative, ne concernent plus les seuls enfants migrants mais deviennent progressivement un ensemble cohérent de contenus pédagogiques destiné à l’ensemble des publics scolaires. (Boulot & Boyzon-Fradet, 1992, cité par Allemann- Ghionda, 1999, p. 17) En Suisse, en 1992, 18,1 % des habitants viennent de l’Italie, de la Yougoslavie, de l’Espagne et du Portugal.« Dans le canton de Genève, en 1993-1994, 80% des écoles scolarisent plus d’un tiers d’élèves d’autres cultures. Dans le canton de Vaud, cela représente 50% des écoles. Mais ces chiffres cachent une extrême hétérogénéité » (Boyzon-Fradet, In. B.F. & C. dr., 1997, p. 21). Si on en vient au XXIe siècle, les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) se sont énormément développées durant les années 2000. Tardif et Akkari (2006) affirment que : C’est devenu presque une banalité de dire que la diversité culturelle est et sera de plus en plus l’un des enjeux majeurs de l’éducation du XXIe siècle. Des phénomènes comme la mondialisation de l’économie, l’internationalisation des échanges culturels, notamment grâce à ces forums et médias mondiaux que sont Internet, la télévision et le cinéma, la mobilité croissante et l’immigration transnationale exigent de repenser l’éducation et la formation en prenant en compte, de différentes manières, les cultures des apprenants mais aussi des formateurs ainsi que la culture scolaire elle- même. (p. 5)
Procédure et protocole de recherche
Tout d’abord, je pensais plutôt mener des entretiens semi-directifs avec plusieurs enseignants, puis en discutant avec ma directrice de mémoire, je me suis rendue compte qu’il était plus judicieux d’utiliser l’observation pour ma recherche pour les raisons explicitées au point précédent.C’est ma directrice de mémoire qui m’a donné les coordonnées d’une enseignante ayant l’habitude de travailler avec des classes hétérogènes. Ceci très rapidement, au mois d’août. J’ai donc téléphoné à cette enseignante en lui expliquant le thème de mon mémoire et en lui demandant si elle était d’accord de m’aider à récolter des informations sur ce sujet. Elle a accepté, puis, je lui ai envoyé ma problématique, afin qu’elle puisse avoir plus de détails sur ce que je recherche réellement. Ensuite, j’ai envoyé une demande d’autorisation à la direction du collège où elle enseigne (c.f.annexe 2). Il est à savoir que cette école est située à La Chaux-de-Fonds dans une zone géographique où vivent particulièrement beaucoup d’étrangers, ce qui explique son expérience dans les classes hétérogènes. Etant quelque peu pressée par le temps et n’ayant pas de réponse, j’ai alors directement appelé l’enseignante et durant cet entretien téléphonique elle m’a annoncé que ma demande était acceptée et que la direction n’avait simplement pas encore eu le temps de me répondre. Cette dernière ne m’a donc rien envoyé mais a précisé à l’enseignante que nous pouvions nous organiser entre nous sans la tenir informée. Un rendez-vous a tout de suite été fixé. Puis, nous avons décidé ensemble que j’irais l’observer dans sa classe pendant deux jours lors de la première semaine réservée au mémoire, du 8 au avec la classe entière, une leçon d’appui et deux leçons d’informatique. Il est à noter que lors des leçons en demi-groupe, les élèves étrangers sont répartis de manière égalitaire. Nous n’avons pas jugé nécessaire de se rencontrer avant le premier jour d’observation. En revanche, nous avons prévu un temps de discussion à la fin des observations, afin que je puisse lui poser les questions qui restent en suspens. En ce qui concerne le contrat de recherche (c.f. annexe 3), je l’ai rempli en fonction des conditions de ma recherche et l’ai donné à l’enseignante avant le premier jour d’observation, qui l’a ensuite signé. Je lui ai transmis un contrat et en ai gardé un.
Modification de la tâche/du programme ou suppression
Par rapport à ce que j’ai observé, l’enseignante modifie effectivement certaines tâches. Elle simplifie les activités lorsqu’elles deviennent trop compliquées sur le plan compréhensif ou en fonction du niveau des élèves. Simplifier, ici, signifie le fait de modifier le travail en réduisant les objectifs à la clé. De plus, également dans le but de simplifier, l’enseignante sollicite les autres élèves afin qu’ils fassent la traduction à leurs camarades ne comprenant pas le français. Elle demande par exemple à un élève parlant la même langue mais comprenant aussi le français de traduire les consignes ou certains mots en leur langue. Cependant, cette stratégie n’est pas à négliger. Effectivement, ayant discuté de ce point avec elle, c’est une solution qui fonctionne très bien dans sa classe car les élèves s’entendent particulièrement bien entre eux. Ce n’est donc pas certain que ce moyen se reproduise aussi bien avec une autre population d’élèves. En revanche, l’enseignante ne supprime en aucun cas une tâche. Ceci peut-être car la technique de la traduction fonctionne extrêmement bien. Allemann-Ghionda (1993) se posait justement la question quant au programme scolaire (c.f.problématique). Celui-ci est-il modifié depuis que l’hétérogénéité ne cesse d’augmenter ? La réponse est non, le programme n’est pas modifié, ce sont aux enseignants de modifier leur manière d’apporter les nouvelles connaissances et les apprentissages. En revanche, des dispositifs sont présents aujourd’hui, tels que l’appui langagier, ce qui n’était pas le cas auparavant. Valorisation des différentes cultures ; insertion d’activités transversales J’ai trouvé qu’il y avait une énorme valorisation des différentes cultures de la classe de la part de l’enseignante. Effectivement, lorsque les élèves se sont présentés à moi, l’enseignante leur demandait à chacun d’où ils venaient, s’ils avaient vécu là-bas, combien d’années, ou alors s’ils étaient nés en Suisse. De plus, elle les a également questionnés au sujet des langues qu’ils parlent. En ce qui concerne cette catégorie « valorisation des différentes cultures ; insertion d’activités transversales », je n’ai rien aperçu de tel durant mes jours d’observation hormis le renseignement mentionné ci-dessus. Cependant, un projet collégial a été mené juste avant que j’aille dans la classe. Ce projet, ainsi que d’autres expériences que l’enseignante a vécu avec sa classe sont explicités par la suite. Néanmoins, je tiens à préciser que ce sentiment de valorisation et de respect mutuel n’est pas présent uniquement dans la classe mais réellement dans tout le collège. En effet, comme dit ci-dessus, ce collège contient une majorité d’élèves étrangers car il est situé dans une zone géographique où vivent de nombreux immigrés. Par rapport à la configuration de la classe, plusieurs cartes du monde sont accrochées aux murs. Sinon, des photos et autres travaux des élèves sont affichés dans le collège. Enfin, Grandguillot (1993) se posait la question suivante : « comment conjuguer concrètement les objectifs concernant les savoirs avec ceux relatifs à la socialisation des élèves ? » (p. 7).Je pense que la réponse se trouve ici. En valorisant les différentes cultures des élèves, on apprend à ces derniers la socialisation. On leur apprend à vivre dans cette multiculturalité qui est de plus en plus présente en Suisse.
Promotion des langues étrangères
Concernant ce point, je n’ai pas vu d’activités spéciales qui promeuvent les langues maternelles étrangères des élèves. En revanche, l’enseignante parle beaucoup de l’origine des mots, ainsi que de la racine des langues. Je suppose ceci car les langues latines ont la même base. C’est donc une manière de se faire comprendre vis-à-vis des élèves ne comprenant pas le français. Comme précisé auparavant (c.f. échantillonnage), une élève avait l’anglais comme l’une de ses langues maternelles. Maintenant, les élèves commencent d’apprendre l’anglais à l’école dès la 7ème HarmoS. C’est en quelque sorte une promotion de sa langue pour cette élève camérounaise car elle peut démontrer ses capacités à parler et comprendre l’anglais, mais c’est surtout une branche obligatoire au programme scolaire. C’est pour cela que je ne compte pas cette information comme une promotion propre aux langues étrangères. Une autre observation que j’ai faite qui s’éloigne quelque peu de la catégorie mais qui reste en rapport avec la langue et que je trouve particulièrement importante est le fait que l’enseignante ne dise jamais à ses élèves que ce qu’ils disent est faux. Lorsque la tournure de leur phrase n’est pas correcte, elle prend le temps de leur dire qu’en français « on ne dit pas tout à fait comme cela » et leur formule la phrase corrigée. Ceci prend peu de temps donc ne perturbe pas la gestion de la classe, ainsi que les autres élèves et de plus, cela permet aux élèves d’apprendre la langue française et ses particularités au fur et à mesure. Ce système est devenu un automatisme, une routine au sein de la classe. Cette dernière constatation rejoint le fait que l’enseignante encourage énormément ses élèves à parler ; tous les élèves mais en particulier, ceux qui ne parlent et ne comprennent pas très bien le français. J’ai pu constater que ce comportement d’empathie rassure les élèves. De ce fait, ils n’ont pas peur de s’exprimer même s’ils ne sont pas certains que ce qu’ils disent ait de la signification. Et comme nous le savons, c’est en commettant des erreurs que l’on apprend. Je pense donc qu’il est important, en tant qu’enseignant, de ne pas pénaliser et offenser ou blesser les élèves lorsqu’ils se trompent. Il est de notre ressort d’aider les élèves du mieux que l’on peut et de les encourager autant que possible. Pour terminer et comme déjà mentionné (c. f. modification de la tâche/du programme ou suppression), lorsqu’un élève ne comprend vraiment pas un mot ou une phrase, l’enseignante demande à d’autres élèves (parlant la même langue) de traduire le mot ou la phrase dans leur langue maternelle. Elle utilise donc également cette hétérogénéité comme une force et une ressource. De plus, les élèves sont fiers de pouvoir aider leurs camarades et de montrer qu’ils savent parler une autre langue que le français. Ceci est très bien pour l’estime d’eux-mêmes, ainsi que pour leur reconnaissance.
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Mots clés
Liste des annexes
Introduction
Problématique
Évolution de l’hétérogénéité
Ce qu’en disent les auteurs
Etat de la question
Question(s) et objectifs de la recherche
Méthodologie
Fondements méthodologiques
Nature du corpus
Récolte des données
Procédure et protocole de recherche
Echantillonnage
Méthodes et/ou techniques d’analyse des données
Traitement des données
Méthodes et analyse
Analyse et interprétation des résultats
Modification de la tâche/du programme ou suppression
Valorisation des différentes cultures ; insertion d’activités transversales
Promotion des langues étrangères
Différenciation vis-à-vis des autochtones ?
Moyens utilisés pour se faire comprendre
Utilisation de l’oral et de l’écrit
Objectifs donnés clairement
Conseils et précisions de la part de l’enseignante suite à un entretien téléphonique
Valorisation des différentes cultures ; insertion d’activités transversales
Différenciation vis-à-vis des autochtones ?
Utilisation de l’oral et de l’écrit
Objectifs donnés clairement
Conclusion
Références bibliographiques
Livres
Sites internet
Lois
Annexe 1 : Grille d’observation vierge
Annexe 2 : Demande d’autorisation pour les observations
Annexe 3 : Contrat de recherche signé
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