Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Variabilité et changement climatique régionaux
Un climat soumis à la mousson ouest-africaine
Le Sahel est caractérisé par un climat aride à semi-aride. La définition des zones arides et semi-arides donnée par Meigs (1952) est basée sur l’indice d’humidité du sol calculé à partir des précipitations moyennes mensuelles et de l’évaporation. Les zones arides sont distinguées des zones semi-arides par leur capacité ou non à intégrer une culture pluviale. Ce critère qualitatif est plus généralement quantifié par le ratio entre précipitation et évapotranspiration potentielle annuelles (P/ETP). Les précipitations représentent les entrées dans le système tandis que les sorties sont traduites par l’évapotranspiration (évaporation du sol et transpiration des plantes) (Le Houérou 1996). Ainsi, d’après le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement; 1992), la région bioclimatique type « semi-aride » regroupe les zones où le ratio P/ETP est compris entre 0.2 et 0.45.
Le climat sahélien est régulé par le système de la Mousson Ouest Africaine (MOA) définie comme un vaste schéma de circulation saisonnier à basse latitude dû à des contrastes thermodynamiques entre le continent (en particulier le Sahara chaud et sec) et l’océan Atlantique tropical (Nicholson 2013). Dans un schéma simplifié, la mousson repose sur la migration saisonnière de la Zone de Convergence InterTropicale (ZCIT), définie comme la rencontre des circulations atmosphériques continentales et océaniques, vers sa localisation la plus septentrionale en Août. Cette zone de convergence, conjuguée aux flux solaires, induit des conditions thermodynamiques instables sur le continent ouest-africain, provoquant de fortes précipitations convectives (Sultan & Janicot 2000; Le Barbé et al. 2002). Ce sont ces systèmes convectifs à méso-échelle qui induisent la plus grande part des précipitations annuelles dans la zone sahélienne (Figure 2).
Organisés en lignes de grain associés à de violents et intenses orages, ces système pluvieux ont été largement étudiés dans le cadre du service d’observation AMMA-CATCH (Lebel et al. 2009). Si la saisonnalité de la mousson est très régulière (varie de deux mois dans le nord du Sahel à cinq mois dans le sud), la distribution spatiale et temporelle des pluies est, quant à elle, très variable.
En réalité la mousson est un phénomène climatique bien plus complexe que présenté ici avec plusieurs autres éléments qui entrent en ligne de compte tels que le courant jet d’Est africain, le jet d’Est tropical, la dépression saharienne ou encore les ondes d’Est. Toutefois, pour les besoins de cette étude, il est uniquement nécessaire de retenir les échelles spatiales et temporelles de la variabilité climatique sahélienne qui vont impacter le fonctionnement éco-hydrologique de la région.
Précipitations variables dans le temps et l’espace
Variabilité dans le temps
Durant le 20ème siècle, différentes régions du monde, et notamment le Sahel, ont été marqués par une forte variabilité climatique qui a entrainé des modifications hétérogènes de la pluviométrie locale (Narisma et al. 2007). Au Sahel, plusieurs études ont mis en évidence l’évolution des précipitations depuis les années 1901 (Figure 3), avec des périodes contrastées et des changements abrupts qui ont eu de fortes conséquences sur l’environnement, l’économie et la population locale (L’Hôte et al., 2002; Le Barbé and Lebel, 1997; Mahé and Paturel, 2009; Nicholson, 1979; Nicholson, 2013; Sircoulon, 1976; Vischel and Lebel, 2007).
Figure 3: Indices de précipitation (SPI1) sur le Sahel entre 1896 et 2006, et nombre de stations disponibles au cours de cette même période. Figure adaptée des travaux de l’Hôte et al.(2002) et de Mahé et Paturel (2009).
Une première période avant les années 1950 a été identifiée comme une période d’alternance entre années humides et années sèches, caractérisée par des épisodes de sécheresse dans les années 1910-20 et 1940 qui ont eu pour conséquence une famine sévère dans la région (L’Hôte et al. 2002; Nicholson 1979).
1 SPI: Indice standardisé des précipitations: indicateur statistiques permettant de quantifier l’écart des précipitations annuelles par rapport aux précipitations moyennes de la période considérée (SPI= (P-Pm)/σ).
Une seconde période de 1950 à 1967 a été identifiée comme particulièrement humide. Cette modification climatique s’est accompagnée d’une extension rapide de l’agriculture et du développement de terres initialement marginales (Nicholson 1979). Cette période favorable a connu une rupture brutale à la fin des années 60, qui a marqué le début d’une longue sécheresse jusqu’au milieu des années 90 (Sircoulon 1976). La période 1970-80, caractérisée par un déficit pluviométrique généralisé à l’ensemble du Sahel, a été marquée par des années de sécheresse intense en 1972-73 et de nouveau en 1983-84 (Le Barbé & Lebel 1997; Bell & Lamb 2006; Dai et al. 2004; Nicholson et al. 2000; Le Barbé et al. 2002). Ces dernières ont entrainé, tout comme dans les années 40, famine et déplacement de la population. Cette sécheresse est reconnue comme étant « le bouleversement climatique régional le plus incontesté et le plus important » du 20ème siècle (L’Hôte et al. 2002; Dai et al. 2004).
Depuis les milieux des années 90 et jusqu’à nos jours, une reprise partielle des précipitations s’est amorcée de manière hétérogène sur la bande sahélienne, avec de nouveau une alternance entre années humides et années sèches (Panthou et al. 2014; Mahé & Paturel 2009; L’Hôte et al. 2002). En moyenne annuelle les précipitations n’ont pas retrouvé leurs valeurs passées (années 1950-60) mais certaines années tendent vers ces dernières (1994, 1999). Si le cumul annuel moyen reste déficitaire, le nombre d’événements extrêmes à l’échelle journalière a augmenté pendant les 15 dernières années (Panthou et al. 2014). Cette évolution a fait émerger de nouvelles problématiques locales telles que les inondations dévastatrices de Niamey par exemple (Cassé et al. 2015; Descroix et al. 2011).
Variabilité dans l’espace
Gradient latitudinal
Les moyennes annuelles dessinent un signal clair sur les dix dernières années avec un gradient latitudinal marqué entre le nord et le sud. En valeur relative, cette transition traduit un déficit pluviométrique moyen, entre les périodes 2001-2010 et 1950-1969 estimé à 20 % dans l’extrême sud et 10 % dans l’extrême nord (Lebel & Ali 2009; Biasutti 2013). Les travaux de Panthou et al. (2014) ont par ailleurs montré que l’augmentation du poids des événements extrêmes sur le cumul annuel était plus grande dans le nord que dans le sud.
Gradient longitudinal
Alors que la sécheresse des années 1970 et 1980 était plus ou moins uniformément ressentie sur la majeure partie de l’Afrique de l’Ouest avec un déficit annuel moyen des précipitations de l’ordre de 20% (et jusqu’à 40% localement), la période récente de 1990 à 2007 est caractérisée par une situation plus complexe. En effet, les travaux de Lebel et Ali (2009), représentés par la Figure 4, mettent en évidence, au-delà de la variabilité latitudinale, une variabilité longitudinale le long de la bande sahélienne d’Afrique de l’ouest durant cette période. Si la zone ouest (Figure 4a) semble toujours souffrir d’un déficit pluviométrique prononcé, la zone centrale et celle de l’Est (Figure 4b et c) semblent montrer des signes d’atténuation de ce déficit. La baisse du nombre d’événements pluvieux intenses au cœur de la mousson est la cause du déficit pluviométrique annuel. Les variations des fortes précipitations contraste avec la distribution spatiale beaucoup plus lisse de leurs variations annuelles moyennes (Lebel & Ali 2009; Panthou et al. 2014).
Cette variabilité aussi bien spatiale que temporelle des précipitations, fait du Sahel une zone de forts enjeux pour les ressources hydriques et la population locale (agriculture, subsidence, conditions de vie etc.).
Figure 4: Division du Sahel en 3 zones: Ouest (a), Centre (b) et Est (c). Variabilité des anomalies des précipitations au Sahel établie d’après les données de stations de pluie réparties sur l’ensemble de la zone. Figure adaptée des travaux de Lebel et Ali (2009).
Un réchauffement surtout printanier
Le réchauffement climatique a fait l’objet de nombreuses études ces dernières décennies. Cependant, peu de travaux ont porté sur l’évolution des températures en zone sahélienne. Les travaux de Guichard et al. (2015) ont permis de combler ces lacunes en s’intéressant à l’évolution de la température de surface depuis les années 1950 sur l’ensemble de la zone sahélienne à l’aide de plusieurs jeux de données.
Les conclusions de cette étude montrent l’impact considérable du réchauffement multi-décennal sur l’Afrique de l’Ouest. Si ce dernier n’affecte que très peu les mois d’hiver, le printemps, l’été et l’automne sont à l’inverse particulièrement touchés (Figure 5). A l’échelle du Sahel, la tendance est dominée par un réchauffement important au printemps, avant le début des premières pluies, avec une hausse des températures sur les 60 dernières années de près de 2°C en moyenne et un réchauffement plus marqué durant la nuit.
Les conséquences premières de ce réchauffement se manifestent par un assèchement du sol plus rapide ainsi que par une pression hydrique plus intense pour la végétation.
Hydrologie et écosystèmes sahéliens
Les écosystèmes sahéliens
Végétation naturelle
La végétation sahélienne est souvent décrite comme une steppe à épineux, constituée d’une strate herbacée dominée par des plantes annuelles et d’un peuplement de ligneux éparse dont la densité augmente avec le gradient pluviométrique nord-sud (Hiernaux & Le Houérou 2006).
La strate herbacée est majoritairement constituée de graminées annuelles de petite taille avec une dynamique fortement marquée entre la saison sèche et la saison humide ainsi qu’une importante capacité de résilience. De manière générale, sa dynamique temporelle et spatiale dépend des précipitations annuelles et de la redistribution latérale des pluies imposée par l’état de la surface. Les herbacées pérennes sont relativement peu nombreuses et sont localisées aux extrémités sud et nord de la bande sahélienne (Hiernaux & Le Houérou 2006).
Le couvert ligneux est généralement épars au sein de la strate herbacée sauf dans les zones de dépression où il peut former des fourrés plus ou moins denses (Cisse 1986). En moyenne, la strate ligneuse se compose d’épineux de type Acacia dont la couverture n’excède pas 5 % (Tracol 2004). L’une des plus denses couvertures ligneuses, typique du milieu semi-aride, est couramment appelée « brousse tigrée ». Son nom provient de sa forme caractérisée par une alternance entre sol nu et bandes de végétation denses, orientées perpendiculairement à la direction d’écoulement (Albergel 1987).
2 CRU: Climate Research Unit: Unité de recherche rattachée à l’université d’East Anglia en Angleterre. L’unité fournit des grilles de données, communément utilisées pour les études climatiques
La végétation sahélienne, particulièrement sensible aux variations climatiques, a été impactée aussi bien par les épisodes de sécheresses des années 1970 et 1980 que par la reprise partielle des précipitations depuis les années 1990 (Figure 6). Une étude sur l’évolution de la végétation simulée à partir de modèle de végétation STEP3 a permis de constater que les sécheresses ont raccourci le cycle moyen de la végétation herbacée et réduit son amplitude (Pierre et al. 2016). La reprise des précipitations s’est, quant à elle, apparentée à un « reverdissement » hétérogène sur le Sahel, également observé à partir des données satellites (Dardel, Laurent Kergoat, et al. 2014). Concernant les ligneux, si aucun changement clair n’a pu être observé dans les zones densément peuplées, les peuplements épars montrent une tendance globale positive estimée à environ 2 % sur la période 2000-2014 (Brandt et al. 2016). Cette même étude a également mis en évidence une diminution locale de la surface des forêts, indicatrice de l’extension continue des surfaces cultivées et du déboisement associé.
Géomorphologie et substrat
La structure géologique de la région sahélienne est caractérisée par une fine couche sédimentaire reposant sur le craton stable ouest-africain du paléoprotérozoïque. La géologie de la région est définie principalement par quatre épisodes dont deux continentaux, qui se sont succédés depuis le Précambrien (Grimaud et al. 2014; Le Houérou 1989; Block 2015). Malgré une géologie assez uniforme sur l’ensemble de la région, le Sahel est caractérisé par une forte variabilité en termes de texture des sols.
Le paysage sahélien est ainsi constitué de trois grands types majeurs de substrat détaillés ci-dessous à partir des travaux de Penning de Vries et Djitèye (1982), de Le Houérou (1989) et de Hiernaux et Le Houérou (2006). 1) Les sols sableux, qui sont généralement organisés en systèmes dunaires et interdunaires orientés ENE-WSW, sont caractérisés par une forte capacité de rétention de l’eau qui font d’eux, un lieu privilégié du développement de la végétation. Cet ensemble recouvre la majeure partie du paysage sahélien (Figure 7). 2) Les sols superficiels, qui représentent des surfaces lessivées, contiennent peu d’éléments nutritifs pour la végétation. Le couvert y est plus clairsemé avec des surfaces importantes de sols nus. Le substrat est dominé par des affleurements rocheux de grès et de schistes du précambrien, issus des épisodes continentaux, auquel s’additionnent des sols détritiques ou latéritiques. 3). Les sols des bas fonds et des plaines alluviales, riches en argile, sont des récepteurs des eaux de ruissellement, et représentent des lieux privilégiés au développement de la strate ligneuse.
En terme topographique, le Sahel se caractérise par un relief relativement faible avec des altitudes comprises entre 200 et 600 mètres à quelques exceptions près comme par exemple au Mali où le mont Hombori et l’Adrar des Ifoghas atteignent respectivement, 1155 m et 890 m.
Hydrographie et hydrogéologie
Le Sahel est traversé par quelques grands fleuves (Niger, Sénégal, Nil et Logone-Chari) mais se compose essentiellement de petits cours d’eau plus ou moins éphémères qui se mettent en place durant la saison des pluies. Les systèmes de la région peuvent être classés en deux groupes distincts: les systèmes exoréiques qui représentent les bassins contributifs à ces grands fleuves et les systèmes endoréiques, majoritaires dans la région, qui représentent des bassins versants clos où l’eau se concentre dans des dépressions de type mares ou lac qui ne durent généralement que quelques semaines (voire quelques mois) après la fin de la saison des pluies (Le Houerou 1980). Typiques du milieu semi-aride sahélien (Desconnets et al. 1997), ces systèmes concentrent les eaux de surface dans des dépressions caractérisées par une succession de courtes phases de remplissage durant la saison des pluies, et de longues phases de vidange. Ces points d’eau peuvent alimenter les réserves d’eau souterraines dans lesquelles puits peu profonds ou puisards peuvent pomper (Favreau et al. 2009; Joly 2006; Desconnets & Galle 1996). La plus ou moins grande pérennité du point d’eau durant et après la saison des pluies dépend de la puissance de colmatage argileux qui tapisse le fond (voir par exemple Martîn-rosales and Leduc, 2003). A la fin de la saison des pluies, il ne reste alors que quelques points d’eau permanents.
Les eaux souterraines profondes sont généralement rares et les forages ne fournissent qu’une faible quantité d’eau. Ceci est dû à la structure géologique de la région, présentée précédemment, qui se caractérise par une couche sédimentaire ne permettant pas la présence de nappe phréatique de grande envergure (Le Houerou 1980). Les eaux de surface en zone sahélienne sont donc des ressources cruciales pour la population locale, aussi bien en termes de subsidence que pour les activités économiques telles que le pastoralisme ou l’agriculture. Leurs répartitions spatiales représentent une contrainte forte à l’occupation du territoire et leurs pérennités une source de sédentarisation.
Population et activités économiques
A l’exception des villes (Niamey, Hombori etc.), la population sahélienne est majoritairement nomade et s’articule autour de différents groupes ethniques suivant le pays considéré (les Moors, les Peulhs et les Touaregs sont les principaux groupes).
Les agro-systèmes sahéliens se caractérisent donc par la coexistence d’activités agricoles et d’élevage qui constituent les activités économiques prédominantes dans la région. Selon Djaby (2010), elles occupent plus de 80 % de la population sahélienne. L’activité agricole est définie par une culture de type pluviale et par conséquent soumise aux aléas climatiques. Afin de palier à cette vulnérabilité, l’activité agricole dominante au nord de la région se concentre sur la culture des céréales type Mil et Sorgo, particulièrement bien adaptées aux aléas de la distribution des pluies et des pratiques culturales (Hiernaux & Le Houérou 2006).
Entre 1950 et 2000, le Sahel a plus que triplé sa population (Raynaut 2001). Cette forte croissance démographique s’est accompagnée d’une forte demande en énergie et en nourriture, ce qui a conduit à un déboisement, localement intensif, et à l’expansion des terres cultivées (Banoin & Guengant 1998; Mahé et al. 2010; Mahé et al. 2003). L’étude réalisée par Mahé et al. (2010) sur le Nakambé, montre une forte évolution de la végétation naturelle (70 % à moins de 20 % en 40 ans) au profit des zones de culture (25 % en 1950 pour 70 % en 2002) et des sols nus (augmentation brutale après les grandes sécheresses variant de 5 % à plus de 15 % entre 1972 et 2002; Figure 8a). Cette évolution est corrélée à l’évolution de la population sur le bassin (Figure 8b). Dans certaines régions telles qu’au Fakara ou au sud-ouest Niger, le déboisement ou défrichement a été estimé à plus de 50 % et localement, cette estimation peut atteindre 80-87 % (Séguis et al. 2004; Leblanc et al. 2007). Malgré cela, les tendances globales sur la zone sahélienne, sont plus incertaines (Brandt et al. 2016)
Avec l’agriculture, l’élevage constitue une des plus importantes ressources du pays. Une grande partie de la région, notamment la zone comprise entre les isohyètes 300 et 100 mm, est à vocation essentiellement pastorale. Toutefois, l’augmentation démographique des dernières décennies a contribuée à développer largement le secteur agricole et à étendre les surfaces cultivées aux secteurs anciennement tournés vers le pastoralisme (Raynaut 2001).
Les processus hydrologiques: entre infiltration et ruissellement
Depuis le début des années 50, les nombreuses campagnes de simulation de pluie associées à une étude pédologique détaillée des horizons superficiels sur différents bassins représentatifs du Sahel, ont permis de mettre en relation les paramètres caractéristiques de l’écoulement de surface et de l’infiltration et ceux représentatifs du milieu et de la physiographie des bassins (Dubreuil 1972; Casenave & Valentin 1989; Albergel 1987). Ces études ont pu également montrer que l’hydrologie de ces milieux est déterminée essentiellement par les conditions de surface des sols (caractéristiques physiques des premiers centimètres du sol) (Collinet 1988; Albergel 1987; Hernandez et al. 2000; Casenave & Valentin 1989; Chen et al. 2013).
La faible infiltrabilité de certains sols associée à la nature convective des précipitations entraine un écoulement par dépassement de la capacité d’infiltration des sols (Peugeot et al. 2003; Descroix, Moussa, et al. 2012; Descroix et al. 2009; Leblanc et al. 2008), plus généralement connu sous le nom d’écoulement Hortonien (Horton 1933). Ce type d’écoulement peut être soit un écoulement concentré, soit, à l’inverse, un écoulement diffus ou en nappe (qui ne se cantonne pas à un chenal fixe). Ce dernier type d’écoulement caractérise les milieux semi-arides, souvent composés de sols à faible perméabilité (sols cuirassés, roches nu, formations endurées) ou encroutés et caractérisés par des précipitations particulièrement intenses ne permettant pas l’infiltration dans le sol (Chen et al. 2013; Joly 2006).
La génération de l’écoulement de surface n’est donc pas seulement reliée à la quantité et à la distribution des précipitations mais également aux caractéristiques du substrat (typologie des sols, encroûtement de surface, topographie), de la couverture végétale (Haas et al. 2011; Casenave & Valentin 1990; Dunne et al. 1991) et surtout aux nombreuses rétroactions qui les définissent et que nous allons tenter de mettre en évidence par la suite.
Précipitations
« Les effets de l’arrivée d’eau sur le sol, qui inaugure le cycle hydrologique et géodynamique… dépendent moins de la quantité d’eau tombée que de la manière dont elle tombe et de la qualité lithologique du sol » (Joly 2006).
L’intensité des précipitations affecte le ruissellement de surface et par définition le taux d’infiltration dans le sol. En effet, plus elles vont être intenses et plus la capacité d’infiltration du sol sera dépassée (Dunne et al. 1991; Cook 1946), et par conséquent, plus un écoulement de type Hortonien se met en place. De plus, les sols pauvres en matières organique et mal protégés par une végétation peu développée, ont tendance, sous l’effet de cette forte intensité, à subir des réorganisations superficielles importantes qui limitent encore l’infiltration. L’intensité des précipitations est donc un acteur majeur dans le partitionnement de la pluie entre infiltration et ruissellement.
Substrat
Typologie des sols
La typologie des sols représentatifs du paysage sahélien et leurs propriétés hydrodynamiques en font des zones essentielles au partitionnement des eaux de pluie entre ruissellement et infiltration. En fonction de leur composition texturale et de leur granulométrie, elles vont soit limiter, soit favoriser l’écoulement de surface. Une couverture sableuse va imposer une infiltration rapide de l’eau, contrairement à un sol limoneux argileux qui va imposer un cheminement lent de telle sorte que le sol va rapidement se saturer induisant un écoulement de surface qui va contribuer à lisser, encrouter et imperméabiliser le sol.
Encroûtement
La zone sahélienne est particulièrement soumise à l’encroûtement de surface, phénomène qui s’est renforcé depuis les épisodes de sécheresse des années 1970-80 (Valentin, 1994). Le type de croûtes diffère suivant les processus impliqués dans leur formation et la texture du sol sur lequel elles reposent (voir Figure 9a pour quelques exemples). Casenave et Valentin (1990) ont pu réaliser un travail détaillé des états de surface de la zone sahélienne en décrivant les différents types de croûtes rencontrés et les étapes de leur formation (Figure 9b). L’importance de ces croûtes dans les processus hydrologiques des zones semi-arides, a été démontré à de nombreuses reprises (Braud et al. 2001; Gascoin 2010; Peugeot et al. 1997).
Plusieurs travaux (Valentin & Janeau 1988; Valentin et al. 2004; Valentin 1994) ont ainsi mis en évidence que la concentration des eaux de ruissellement sur les croutes d’érosion, contribue à creuser le sol et ainsi à former des ravines. Cette auto-accélération de la dégradation du sol crée des surfaces à faible capacité d’infiltration favorisant l’écoulement. La variabilité spatiale et temporelle de ce phénomène, particulièrement marquée dans les zones semi-arides, est accentuée par l’impact des gouttes de pluie qui contribuent à la formation d’une croûte imperméabilisant le sol, autrement connu sous le nom d’effet « splash 5 » (Blackburn et al. 1992; Joly 2006). La Figure 9b représente le détachement des particules par les gouttes de pluie pour différents types de croute. Figure 9: a) Schéma représentatif de la dégradation d’un paysage sahélien (Casenave & Valentin 1989). b) Evolution temporelle de l’encroûtement superficiel sur sol sahélien (Valentin 1994). c) Conséquences de l’encroûtement de surface sur l’érosion hydrique d’après les travaux de Valentin (Valentin 1994) et Collinet et Valentin (1979)
Topographie
La pente va jouer un rôle dans le partitionnement de l’eau entre infiltration et ruissellement de par son influence sur l’érosion. Dubreuil (1972) a mis en évidence, pour des petits bassins versants sahéliens, la corrélation entre augmentation du coefficient de ruissellement et pente.
Roose (1967) a observé au Sénégal que l’infiltration est corrélée négativement à la pente et qu’il suffit d’une légère inclinaison de la topographie (1.25 à 2 %), pour entrainer une augmentation considérable du ruissellement et de l’érosion. Dans la même idée, Casenave et Valentin (1990), au travers de leur étude le long de la bande sahélienne de l’ouest, ont démontré que plus la pente est faible et plus les processus de réorganisation superficielle sont importants. Plusieurs explications à cela ; dans un premier temps, sur les pentes fortes, l’érosion en nappe est suffisamment marquée pour transporter rapidement les particules détachées par la pluie et ainsi prévenir de l’encroûtement; dans un second temps, la densité et la profondeur des griffes d’érosion, présentant une meilleure infiltrabilité, croissent avec la pente.
Couverture végétale
Si les effets de la couverture végétale sur le partitionnement de l’eau entre infiltration et ruissellement sont restés longtemps confus (Dunne et al. 1991), les nombreuses études qui s’en sont suivies, ont permis de rendre compte du rôle prépondérant du couvert sur la régulation des processus hydrologiques de surface en zone semi-aride (Albergel 1987; Galle et al. 1999; Awessou 2011; Tongway et al. 2001; Collinet 1988; Peugeot et al. 1997; Blackburn et al. 1992; Collinet & Valentin 1979).
Une barrière contre l’érosion et l’encroûtement
Roose (1976), au travers de son étude en zone sahélienne, a mis en évidence le rôle de la couverture végétale sur la protection du sol contre l’érosion, travaux repris par la suite par de nombreux auteurs (Casenave & Valentin 1989; Valentin & Janeau 1988; Valentin 1994; Dunne et al. 1991).
La végétation intervient contre l’érosion hydrique de surface en protégeant les sols contre l’énergie des agents érosifs et en maintenant le sol afin d’empêcher l’ablation du substrat. Dans le premier cas, la végétation va jouer un rôle de protection contre la formation de croûte d’érosion mais également, contre l’énergie des goutes de pluie par l’effet d’interception, réduisant ainsi l’effet « splash » (Dunne et al. 1991; Smith et al. 1999; Roose 1999). De plus, elle va réduire l’énergie du ruissellement en constituant un écran à la surface des sols, barrant le cheminement des filets d’eau, abaissant la vitesse d’écoulement, favorisant ainsi l’infiltration. Dans le second cas, la végétation permet de maintenir les sols sableux grâce à son système racinaire permettant ainsi la cohésion des sols et le renforcement de ses propriétés mécaniques (De Gironcourt 1912).
Certains auteurs ont par ailleurs observés, qu’une couverture arbustive ou une végétation basse peut offrir une protection supérieure à celle des arbres (Rey et al. 2004; Thompson et al. 2010; Chen et al. 2013).
Un lieu préférentiel d’infiltration
La végétation contribue à piéger une partie des sédiments érodés en amont créant des monticules qui favorisent l’infiltration. De plus, les macropores générés par les racines contribuent à augmenter la microfaune (tels que les termites qui font déboucher leurs galeries à la surface du sol, détruisant d’éventuelles pellicules et permettant l’ouverture d’une porosité fonctionnelle) et l’espace entre les éléments du sol, favorisant ainsi la conductivité du sol et donc la percolation. (Dunne et al. 1991; Galle et al. 1999).
Cela est particulièrement vrai dans le cas des systèmes de « brousse tigrée », végétation typique du paysage sahélien. Les barrières végétales ralentissent l’écoulement de surface en augmentant la rugosité du sol et en infiltrant la quasi totalité de l’eau qui traverse cette bande végétale (Leprun 1992; d’Herbès et al. 2001; Galle et al. 1999; Seghieri & Galle 1999; Hiernaux & Gérard 1999). Ces bosquets denses ont un taux d’infiltration pouvant varier de 30 % sur la zone pionnière (entrée du bosquet) à 100 % au cœur du bosquet (Seghieri & Galle 1999).
Le pourcentage de couvert végétal est donc une indication du degré de protection contre l’érosion des sols et du degré de ruissellement de surface attendu. Il est généralement corrélé positivement à l’infiltration et négativement à l’érosion. Le changement du couvert végétal, dû aux aléas climatiques et anthropiques dans la région, a donc une importance primordiale sur la régulation des processus de ruissellement, d’infiltration et d’érosion (Vásquez-Méndez et al. 2010; Albergel 1987; Souley Yero 2012; Dunne et al. 1991; Cappelaere et al. 2009; Casenave & Valentin 1992).
Le paradoxe sahélien, des causes incertaines
Définition du paradoxe hydrologique
Les réponses hydrologiques induites par le déficit pluviométrique des dernières décennies, se traduisent par des effets contrastés suivant la zone considérée. Si dans la zone soudano-Guinéenne, une baisse des écoulements de surface a été observée, la zone Sahélienne, paradoxalement, a connu une augmentation du ruissellement de surface durant la même période. Cette situation paradoxale, pouvant se résumer par « moins de pluie mais plus d’eau en surface », a été pour la première fois mise en évidence par Albergel (1987) sur un bassin au nord du Burkina Faso. Par la suite, la même constatation a été faite sur différents bassins d’Afrique de l’ouest (Mahé & Olivry 1999), au Niger (Mahé et al. 2003; Descroix, Moussa, et al. 2012; Mahé et al. 2005; Leduc et al. 2001), en Mauritanie (Mahé & Paturel 2009; Mahé et al. 2011) ou encore au Mali (Gardelle et al. 2010), donnant ainsi une dimension régionale à ce phénomène, couramment appelé « le Paradoxe Sahélien ».
Plusieurs auteurs ont ainsi mis en évidence que l’hydrologie sahélienne a profondément évolué suite à la période de sécheresse des années 1970-80 (Haas et al. 2011; Leblanc et al. 2008; Mahé et al. 2003; Leduc et al. 2001; Descroix, Moussa, et al. 2012). Les études hydrologiques menées par Mahé et Paturel (2009) et Mahé et al. (2010; 2003; 2005; 2013) depuis une 20aine d’années en Afrique de l’ouest, et par la suite par différents auteurs (Descroix et al. 2009; Mahé & Paturel 2009; Sighomnou et al. 2013), montrent que le coefficient d’écoulement a nettement augmenté sur certains hydro-systèmes du Sahel, en dépit de la diminution marquée de la pluviométrie. Mahé et Paturel (2009) par exemple (Figure 10) ont mis en évidence une augmentation du coefficient de ruissellement de l’ordre de 38 % sur le bassin du Dargol et de 108 % sur le bassin du Nakambe. Ces résultats sont en ligne avec des études antérieures qui avaient déjà remarqué qu’un accroissement important de l’écoulement été lié à la perte de la capacité d’infiltration des sols, due essentiellement au colmatage de surfaces initialement poreuses (Albergel 1987; Collinet 1988; Casenave & Valentin 1989; Casenave & Valentin 1992).
L’augmentation du ruissellement de surface a eu comme conséquence un accroissement généralisé de la surface des points d’eau dans les zones pastorales du centre et du nord du Sahel (Gardelle et al. 2010), une augmentation des niveaux de la nappe phréatique dans le sud-ouest Niger (Favreau et al. 2009; Descroix, Diedhiou, et al. 2012), liée directement à l’augmentation de l’alimentation des points d’eau (lieu d’infiltration privilégié) et des ravines, ainsi que des valeurs plus élevées de la crue sahélienne du fleuve Niger (Sighomnou et al. 2013).
Figure 10: Variabilité des précipitations (points blancs) et du coefficient de ruissellement (points noirs) pour des bassins a) du Sahel central (Burkina-Faso et du Niger) et b) du Sahel de l’ouest (Mauritanie) entre les années 1955-58 et 1986-98. Les barres représentent le nombre de stations disponibles par an (Figure tirée des travaux de Mahé et Paturel (2009).
Mais quelles sont les causes de l’augmentation du coefficient de ruissellement observé sur les dernières décennies dans la région? Différentes hypothèses ont été avancées dans les études qui ont porté sur ces sujets depuis plus de 25 ans. Les principaux facteurs qui pourraient jouer un rôle dans cette évolution sont exposés ci après.
Des explications diverses
L’étude pionnière d’Albergel (1987) sur le paradoxe du Sahel a permis de montrer que « l’affaiblissement du régime pluviométrique pendant la période 1969- 1983 semble être largement compensé par la modification des états de surfaces dans le fonctionnement des petits bassins versants ». D’après son étude, il semblerait que pour les bassins situés au nord de l’isohyète 800 mm, ces modifications soient dues à l’action conjuguée de l’homme et des conditions climatiques. D’après lui, la diminution du couvert herbacé et l’extension des zones cultivées ont favorisé les tassements de la surface du sol et le développement de pellicules imperméables ainsi que l’extension de régions très érodées. Depuis lors, d’autres études ont tenté d’expliquer ce phénomène en mettant en évidence l’évolution de certains facteurs clés de l’hydrologie sahélienne exposée ci-après.
Les facteurs anthropiques
Surexploitation des terres
L’hypothèse avancée est que la conversion des savanes en terres agricoles a favorisé l’érosion hydrique et éolienne et a ainsi entrainé des perturbations importantes sur les flux hydrologiques en favorisant le processus de ruissellement de surface et le développement de l’exoréisme (Leduc et al. 2001; Taylor et al. 2002; Leblanc et al. 2007). En effet, l’horizon sableux étant décapé, les sols sont encroûtés, compactés et sujets à un fort ruissellement (Roose 1985).
Dans certaines régions, ce changement d’utilisation des terres est la résultante d’un défrichement pour l’extension des cultures et d’un déboisement pour les usages domestiques. Toutefois, cette raison n’explique que partiellement, et uniquement dans les zones de cultures, la baisse significative de la végétation (Leblanc et al. 2008; Favreau et al. 2009; Mahé et al. 2010; Descroix, Moussa, et al. 2012).
Intensification de la pression de pâture
La pâture contribue à impacter le partitionnement de l’eau entre infiltration et ruissellement en jouant sur le développement de la végétation et sur les propriétés hydrologiques du sol. La pression de pâture pourrait donc jouer un rôle sur l’augmentation du ruissellement en zone pastorale où la mise en culture et quasi nulle.
En effet, d’après Rey et al. (2004), à court terme, un pâturage intensif favorise la dégradation de la végétation et le tassement du sol, contribuant ainsi à réduire l’eau infiltrée dans le sol de plus de 80 % localement et à multiplier le ruissellement par douze par rapport à des terrains similaires non pâturés. Hiernaux et al. (2009) en revanche ont un avis plus nuancé sur l’impact du bétail. Ils montrent d’une part que le piétinement du bétail va favoriser la pousse de certaine plantes annuelles et occuper ainsi une place importante dans le maintien de la fertilité des sols (Hiernaux, Mougin, et al. 2009). D’autre part, ils ont montré au Niger que le pâturage contribue localement à réduire et à fragmenter les surfaces encroutées. Si ces deux effets semblent contribuer à diminuer le ruissellement de surface, cette tendance pourrait être partiellement compensée par une augmentation des croûtes nouvellement formées qui imperméabilisent le sol.
En conséquence, un pâturage modéré contribuerait à légèrement augmenter le taux d’infiltration mais à l’inverse, un pâturage intensif le ferrait diminuer. D’autre part, Valentin (1994) a remarqué dans les régions sableuses du Sahel, que l’impact du bétail sur les propriétés physiques du sol se localise essentiellement autour des points d’eau.
Les facteurs climatiques
Intensification du régime des pluies
Comme nous l’avons vu précédemment, le Sahel est soumis depuis le débuts du 21ème siècle à une augmentation des événements pluvieux intenses malgré un total annuel toujours plus bas que celui des années 50-60 (Panthou et al. 2014; Frappart et al. 2009). Le ruissellement sahélien étant principalement de type Hortonien, une augmentation du nombre d’événements intenses entraine un accroissement du ruissellement de surface. Cependant, d’après les travaux de Descroix (2012; 2011), il semblerait que l’évolution de la pluie peut difficilement expliquer l’augmentation des ruissellements et des débits. En effet, le nombre croissant d’événements extrêmes (>40mm) observé depuis les années 2000 sur le bassin du Niger ne semble pas assez importante pour expliquer l’augmentation du coefficient de ruissellement qui a près de triplé sur la zone durant cette même période. Plus récemment, les travaux de Cassé et al. (2015), ont montré que si les modifications dans le régime des pluies journalières ont contribué à augmenter les risques d’inondation à Niamey sur les 30 dernières années, elles ne semblent pas suffire à expliquer la tendance sur le long terme (1950-2012).
Toutefois, une éventuelle intensification à une échelle temporelle plus fine (sub-horaire) reste une hypothèse plausible, quoique non avérée, pour expliquer l’augmentation du ruissellement.
La végétation soumise à la sécheresse
L’évolution spatiale et temporelle de la végétation au sein de la bande sahélienne est un débat qui oppose un Sahel en désertification à un Sahel en reverdissement depuis les travaux de Tucker et al. (1991), Anyamba et al. (2003) et Olsson et al. (2005) principalement. Dardel et al. (2014) ont montré que malgré une tendance générale au reverdissement à l’échelle sahélienne, localement, une dégradation du couvert herbacé pourrait jouer un rôle important sur l’augmentation des écoulements de surface.
Plusieurs auteurs ont ainsi mis en évidence une tendance à la dégradation locale de la végétation ligneuse dense. Typiquement, Sighomou et al. (2013) ont pu constater une forte progression des sols nus au détriment du couvert ligneux sur le bassin du Niger suite aux sécheresses sévères des années 1970-1980. Dans la région du Gourma (Mali), où l’action de l’homme sur son environnement est particulièrement faible, l’analyse de l’évolution du couvert ligneux depuis 1984 a conclu à un déclin important de la densité et de la couverture de cette végétation sur les sols peu profonds, accompagné d’un changement d’espèces et de structure spatiale (Hiernaux, Diarra, et al. 2009; Gardelle et al. 2010).
L’évolution de la brousse tigrée a subi des changements similaires. De fait, il apparait que sa densité depuis les années 1950 a fortement diminué jusqu’à disparition par endroits. Sur le site de Saga Gorou (Niamey, Niger) par exemple, la brousse tigrée occupait 69 % de la surface des plateaux avant les années 70 contre 18 % en 1975 et a totalement disparu dans les années 2000 (Touré et al. 2010). La même constatation a été faite dans différentes régions du Mali (Trichon et al. 2012; Ruelland et al. 2010) et dans la région du Fakara, au Niger (Leblanc et al. 2007), où elle a diminué du quart sur la même période.
La baisse importante de la végétation fournie de type « brousse tigrée » semble être une hypothèse solide quant à l’augmentation locale du ruissellement de surface.
La connectivité du bassin
L’érosion des ravines est une conséquence de l’augmentation du ruissellement de surface, induite aussi bien par la dégradation des sols que par les événements pluviométriques extrêmes (Valentin et al. 2005).
Leblanc et al. (2008) ont analysé une série temporelle de photographies aériennes sur une zone du nord-ouest Niger et mettent en évidence le développement spectaculaire du réseau de drainage sur l’ensemble du site (Figure 11). Il résulte de cette étude que les ravines ont augmenté en nombre et en longueur tout au long de la période 1950-1992, induisant un accroissement de la densité de drainage d’un facteur de 2.5.La même constatation a été faite par Massuel (2005) sur le degré carré de Niamey ou encore par Kergoat et al. (In prep) sur le bassin de Tin Adjar (Sahel central) où la longueur de réseau de drainage est passée de 37 km en 1956 à 102 km en 2007, correspondant à une augmentation de la densité de drainage d’un facteur de 2.8.
Ce développement du réseau de drainage accompagne le passage d’un ruissellement en nappe à un ruissellement concentré et entraine un changement de connectivité au sein du bassin hydrologique. Ce dernier peut parfois conduire à la connexion entre plusieurs bassins, voir à une connexion directe aux grands fleuves sahéliens. Le passage d’un système endoréique à un système exoréique, généralement connu sous le nom de « rupture d’endoréisme » (Mamadou et al. 2015; Descroix, Moussa, et al. 2012), pourrait contribuer de manière significative à l’augmentation du ruissellement.
Le bassin d’Agoufou (Gourma, Mali)
Contextes géographique et climatique
Le bassin versant d’Agoufou (15.34°N, 1.48°O) d’une superficie moyenne de 245 km², est localisé dans la région du Gourma au nord-est du Mali, comprise entre la boucle du Niger et la frontière Burkinabée (Figure 12).
Situé dans la moitié nord de la zone soumise à la mousson Ouest-Africaine, le bassin d’Agoufou est caractérisé par un climat semi-aride tropical avec un régime de précipitation de type unimodal. La saison des pluies comprise entre début juin et début octobre est suivie par une longue saison sèche.
Le bassin d’Agoufou a connu une forte variabilité des précipitations annuelles depuis les années 1930 (Figure 13), similaire à ce qu’à connu l’ensemble du Sahel (Figure 3), avec la succession d’une période humide qui s’étend de 1950 à 1970 et d’une longue période de sécheresse jusque dans les années 1990 avec un phase extrême entre 1982 et 1987 (pluie moyenne annuelle estimée à 215 mm). Depuis lors, des années humides et des années sèche se succèdent avec des années très déficitaires telles que 2004 ou encore 2014. La pluviométrie annuelle moyenne estimée à la station météorologique de Hombori (15.3°N, 1.7°O) entre les années 1930 et 2015 est de 375 mm avec une température moyenne de l’air enregistrée à 30,2°C. La valeur mensuelle la plus élevée est observée en mai (42°C), tandis que le plus basse se produit en janvier (17°C) d’après les travaux de Guichard et al. (2009).
Hydrologie et économie
Le bassin d’Agoufou est un bassin endoréique qui ne reçoit pas d’eau provenant du fleuve Niger et ne contribue pas non plus à ce dernier. Du fait de la géologie de la région, les eaux souterraines sont très peu présentes, peu exploitables et peu exploitées (peu de puits). Les eaux de surface, qui dépendent essentiellement du ruissellement de surface de type Hortonien, constituent des ressources en eaux très importantes dans la région. Deux systèmes hydrologiques, fonctions du substrat, caractérisent la zone d’étude. Sur les sols sableux, le système hydrologique est dit endoréique local et fonctionne sur de courtes distances allant des pentes de dunes aux dépressions inter-dunaires. Sur les affleurements et sols peu profonds, le système hydrologique fonctionne sur de plus longues distances avec un ruissellement en nappe et concentré qui s’écoule ensuite dans un réseau de drainage (Hiernaux, Diarra, et al. 2009; Mougin et al. 2009; Timouk et al. 2009). Sur le bassin d’Agoufou, ce réseau alimente quelques mares temporaires intermédiaires ainsi que le lac d’Agoufou, exutoire du bassin versant.
Le lac d’Agoufou, devenu permanent depuis les années 1990 (Laurent Kergoat et al. 2015; Gardelle et al. 2010) occupe actuellement une superficie maximale de près de 3 km², et représente aujourd’hui une des principales ressources en eau pour la population locale et pour le bétail. L’activité économique de la région étant dominée par le pastoralisme ainsi que par quelques rares cultures de mil (Figure 14), cette « nouvelle » ressource en eau permanente est particulièrement fréquentée notamment durant la période sèche afin d’abreuver le bétail (Hiernaux et al. 2015). La modification de la disponibilité de la ressource a entrainé l’implantation du village d’Agoufou aux abords immédiats du lac. Ces changements ont profondément modifié les relations entre les différents groupes fréquentant la mare, comme l’a analysé Cold-Ravnkilde (2012).
Figure 14: Photos représentant les activités économiques de la région: a) l’élevage qui est l’activité principale de la région, b) les quelques champs de mil sur les zones sableuses et c) la pisciculture sur le lac d’Agoufou, plus marginale (Photos prises par Pierre Hiernaux en 2007 et 2009 et Laurent Kergoat).
Géologie, topographie et états de surface
La géologie du site comprend des grès fracturés et des schistes érodés du précambrien (Grimaud et al. 2014). La topographie générale de la région est particulièrement plane avec des altitudes moyennes comprises entre 290 et 330 m et une pente moyenne de 1 à 2 %.
Les surfaces érodées se sont formées au cours de la période humide du Quaternaire, mais la majeure partie du bassin est recouverte par des dunes profondes et stables déposées durant les périodes arides. Le site a également hérité, des périodes humides du Quaternaire, des restes de systèmes alluviaux et des dépressions lacustres. D’après Mougin et al. (2009), sur la base de la capacité d’infiltration, les sols du site peuvent être regroupés en trois catégories principales: les sols sableux qui occupent la majeure partie de la surface totale du bassin, les sols à texture fines (limon et argile) et les affleurements (rocheux ou latéritiques) parfois associés à des ensablements de surface.
La localisation des différents types de sols suivent un schéma contrasté entre le nord et le sud, avec une prédominance au nord des sols rocheux et globalement favorables au ruissellement de surface et au sud du bassin, des sols sableux à forte capacité d’infiltration (Figure 15). La carte des principaux types de sol (Figure 15a), adaptée des travaux de Grippa et al. (2016), et dérivée d’une classification effectuée à partir d’images Landsat, met en évidence ce gradient nord-sud marqué. Figure 15: (a) Carte des principaux types de sols caractéristiques du bassin d’Agoufou issue de la classification supervisée d’images Landsat. Quelques exemples de sol sont illustrés par des photos: (b) affleurement schisteux, (c), cuirasse, (d) plage limoneuse, (e) sol sablo-limoneux, (f) bas-fond argileux et (g) sols sableux. Ces photographies ont été prises sur différents sites du Gourma similaires à la zone d’étude (Agoufou, Bangui Mallam, Tin Adjar) par P.Hiernaux et L.Kergoat.
Concernant la végétation, celle-ci est majoritairement sous la contrainte du type de substrat, principalement de la texture du sol, qui, combiné à la topographie, détermine sa variabilité spatiale (Dardel, L. Kergoat, et al. 2014; Hiernaux, Diarra, et al. 2009).
Ainsi, on retrouve des tapis d’herbacées sur les zones sableuses profondes et superficielles, presque exclusivement composée de plantes annuelles, parmi lesquelles dominent les graminées. Ces sols sont parsemés de quelques arbustes. La densité de la couverture ligneuse est particulièrement faible avec une moyenne de 100 ligneux par hectare (Hiernaux, Diarra, et al. 2009). La distribution spatiale est très variable, avec des densités plus élevées dans les zones riches en argile telles que le long du réseau de drainage ou dans les dépressions.
Un réseau d’instrumentation et de monitoring
Observations à long terme
D’une manière générale, la compréhension de la variabilité climatique et de son impact sur le cycle hydrologique et l’écosystème passe avant tout par la disponibilité de données couvrant la large gamme d’échelles spatio-temporelles auxquelles se manifestent la variabilité atmosphérique, la variabilité hydrologique et la dynamique des couverts végétaux. C’est pour mieux appréhender ces variables qu’ont été initiés plusieurs programmes internationaux. Parmi eux, le programme international AMMA (Analyse Multidisciplinaire de la Mousson ouest-Africaine) a été mis en place dans les années 2000. Ce programme, qui a regroupé la participation de plus de 20 pays, s’est attaché à améliorer la compréhension de la Mousson Ouest Africaine (MOA) et de son influence sur l’environnement physique, chimique et biologique aux échelles régionale et globale. Sa composante CATCH (Couplage de l’Atmosphère Tropical et du Cycle Hydrologique), qui vise à documenter la variabilité interannuelle des grands compartiments du cycle de l’eau (incluant la végétation) ou des variables clefs qui le contrôlent, a permis le déploiement et l’entretien de réseaux d’observations fournis sur trois sites d’études au Mali, au Niger et au Bénin. Ces trois sites méso-échelle ont été définis pour échantillonner le gradient éco-climatique caractéristique de l’Afrique de l’Ouest (voir Chapitre 1 section I.2.2.2). Le suivi des différents termes du bilan d’eau (pluie, infiltration, recharge des aquifères, ruissellement de surface), du couvert végétal et de sa phénologie, sur ces trois sites, permet de mieux appréhender les interactions entre cycle de l’eau, dynamique de la végétation et variabilité du climat aux échelles intra-saisonnières à pluriannuelles. Par ailleurs, le choix de ces sites d’étude a été guidé par l’existence de précédents travaux menés dans le cas du Mali par exemple, par le projet ILRI (International Livestock Research institute) de 1984 à 1999 (Hiernaux & Turner 1996). Ces différentes sources d’informations, associées à plusieurs études de terrain telles que celles effectuées par Casenave et Valentin (1990) sur les états de surface des sols ou encore par Boudet (1972; 1989) sur l’évolution des sols et du couvert végétal, permettent l’accès à des données historiques sur la région.
Figure 16: (a) Carte des instruments déployés sur le super site de Hombori au Mali en 2009 et (b) le réseau encore en place en 2015. Sur les cartes sont localisés les stations météorologiques (ronds noirs), les sondes d’humidité du sol (carrés violets), les pluviomètres (triangles bleu foncé), les pluviographes (triangles bleu clair), les transects de végétation (transects de 1 km représentés par des croix vertes), les points d’analyse de turbidité de l’eau (étoile noire) et les limnimètres (hexagone rouge).
Malheureusement, les instabilités politiques qui règnent depuis quelques années dans la région mettent en danger la pérennité de la récolte des données (Figure 16). Aujourd’hui, plus de la moitié des infrastructures installées principalement au Mali, ont été détruites, stoppant le suivi de nombreuses variables depuis 2010 (la Figure 16a représente le réseau d’instrument en place sur le super site de Hombori avant 2010 et la Figure 16b représente le réseau encore en place en 2015). Malgré cela et en dépit de l’inaccessibilité au terrain pour cause d’insécurité, le travail et la persévérance de tous les collaborateurs et notamment le soutien local, permettent de continuer à alimenter la base de données.
Les différentes données d’observation disponibles dans la région sont présentées de manière succincte par la suite. Ces dernières serviront pour l’ensemble de ce travail de thèse, comme base de calcul (calcul de l’évaporation sur surface d’eau libre, désagrégation temporelle des pluies etc.) et également comme arguments pour fixer des constantes (temps de retour à l’état initial du sol, taux de couvert etc.). En ce sens, ces données seront plus explicitement présentées tout au long du manuscrit.
Observations météorologiques
Le réseau d’instruments déployé autour du site d’étude se compose: d’une station météorologique installée près du lac d’Agoufou en 2002 et opérante jusqu’en 2010, permettant la mesure de l’ensemble des composantes météorologiques telles que la vitesse et la direction du vent, l’humidité et la température de l’air, l’albédo, les rayonnements incidents et réfléchis de petite et grande longueur d’onde, l’humidité et la température du sol et les précipitations. Un exemple de rayonnement net est présenté sur la Figure 17. L’échelle temporelle d’acquisition de ces données est de 15 minutes.
Ces données ont permis par exemple de quantifier l’évolution de l’évaporation sur la surface d’eau libre, présentée dans le prochain chapitre (Gal et al. 2016). Deux autres stations météorologiques ont été installées sur le site d’Eguerit et de Kelma.
La pluviométrie a été intensivement surveillée par un réseau de pluviographes automatiques et de pluviomètres qui ont été progressivement installés depuis 2004. En 2008, le super site disposait de 8 pluviographes automatiques (les pluviographes enregistrent les heures de basculement d’auget, que l’on moyenne classiquement sur des pas de temps de 5 minutes) complétés par 7 pluviomètres manuels (les relevés se font une à deux fois par jour). Depuis 2010, le réseau a été fortement réduit, et se compose aujourd’hui de quelques pluviomètres recentrés autour de Hombori qui fournissent des données au pas de temps journalier. Malgré la forte hétérogénéité spatiale des champs de pluies caractéristique de la mousson Ouest Africaine, une étude préalable de la température des nuages a permis de mettre en évidence une certaine homogénéité à l’échelle du bassin d’Agoufou induite par la taille importante des ligne de grain et des cellules convectives par rapport à la taille du bassin (voir Annexe 1 pour une étude complémentaire).
Suivi de l’hydrologie et du cycle de l’eau
Afin de suivre le cycle de l’eau, des mesures d’humidité et température du sol, d’évapotranspiration, de hauteur d’eau et de turbidité sont effectuées.
Les mesures d’humidité sont menées sur les sols sableux et argilo-limoneux à l’aide des sondes d’humidité installées à différentes profondeurs (de 5 à 400 cm; Figure 18). Etudiées et traitées par De Rosnay et al. (2009), ces données mettent en évidence l’infiltration importante et rapide de l’eau dans le sable sur les premiers mètres durant les événements pluvieux. Le cycle annuel des données d’humidité a permis de mettre en évidence que le sol est complètement sec avant les premières pluies, au moins sur les premiers 5-10 cm. Ces derniers retrouvent rapidement leur état initial, généralement moins de 48h après un événement de pluie.
Figure 18: Evolution de l’humidité d’un sol sableux (b) à différentes profondeurs (5 à 400 cm) pour la période 2005-2012. Les graphiques sont extrais de Grippa et al. (2016). (a) les mesures sont effectuées grâce à des sondes d’humidité (photo prise par P. Hiernaux).
Ces données sont complétées par des mesures des profils de texture du sol (De Rosnay et al. 2009), de la matière organique et du potentiel matriciel duquel on peut dériver le point de flétrissement et la capacité au champ pour différents sols.
La perte en eau par évaporation et transpiration est étudiée grâce aux données récoltées par des stations de flux (un exemple du flux de chaleur latente est présenté sur la Figure 19) qui permettent de documenter les types de surface dominants de la région: la steppe sur sol sableux (Agoufou), la forêt d’Acacia inondée sur sol argileux (Kelma) et les affleurements (Eguerit).
Outre les mesures effectuées sur la zone non saturée du sol, des limnimètres ont été installés sur le lac d’Agoufou depuis 2007 permettant le suivi saisonnier et interannuel de la hauteur d’eau (Figure 20a). Concernant les données de hauteur d’eau, ces dernières ont nécessité un important contrôle de qualité qui a mis en évidence des problèmes liés aux lectures et transcriptions des mesures essentiellement pour les premières années de mise en place des limnimètres (changements de graduation des échelles, incompréhension entre les lecteurs ou erreurs de transcription des date et/ou des valeurs).
L’Annexe 2 présente en détail les travaux préliminaires effectués sur ces données. Elles ont été validées sur la période 2011-2015 pour laquelle les relevés de terrain et les photographies des limnimètres sont disponibles à la même date. L’incertitude de ces mesures a été estimée à 10 cm pour les années 2011-2012 et à 2 cm pour le reste de la période (Figure 20b).
Les mesures de turbidité et de matière en suspension ont été initiées en septembre 2014 sur le lac d’Agoufou (Figure 21) ainsi que sur deux autres sites au Niger et au Burkina Faso. L’objectif de ces mesures est d’estimer leur évolution spatio-temporelle dans un contexte où ces derniers sont des vecteurs des contaminants microbiologiques (Robert et al. 2016; voir Annexe 3) et de valider des méthodes pour dériver ces variables à partir d’images satellite.
Les pics de la turbidité du lac, durant la saison des pluies, associés à une proportion importante de particules très fines (analyse granulométrique) contribuent à imperméabiliser le fond des points d’eau et témoignent de l’érosion sur le bassin.
Mai 2016 (b). Les photographies (a) sont issues de la campagne terrain sur le lac de Bagré au Burkina Faso en Aout 2015 à laquelle j’ai participé.
Suivi de la végétation et du couvert
Les variations saisonnières de l’indice foliaire (LAI, Figure 22), de la couverture végétale, de la hauteur des plantes, du couvert herbacé et de la composition floristique sont mesurées tous les 10 jours au cours de la saison de croissance le long d’un transect de 1 km sur plusieurs sites (Figure 16). Ces mesures, détaillées dans Hiernaux et al. (2009) et Mougin et al. (2014), ont permis de mettre en évidence une forte variabilité interannuelle et saisonnière de la végétation, directement liée à la variabilité des précipitations.
Figure 22: Evolution pour les années 2006 (gris) et 2007 (noir), de l’indice foliaire (LAI) sur un site de végétation herbacée (b) et sur un site de forêt (c) composé de ligneux (carrés) et de végétation herbacée (ronds). Les graphiques sont tirés de Timouk et al. (2009) issus de photos hémisphériques (a; Mougin et al., 2014).
La dynamique de la population ligneuse est également mesurée de manière régulière (Hiernaux, Diarra, et al. 2009). L’enquête comprend l’estimation de la densité des arbres, la hauteur des arbres, la couverture des couronnes et les masses de feuillage. Dans la région du Gourma, la densité des ligneux a été estimée à quelques centaines par hectare pour quelques pourcentages de couverture de couronnes (Mougin et al. 2009; Hiernaux, Diarra, et al. 2009). Leur répartition est spatialement variable avec une concentration le long des lignes de drainage et près des points d’eau par exemple ou une répartition hétérogène au sein des plaines sableuses dunaires (plus de ligneux dans les interdunes que sur les dunes).
Outre ces acquisitions systématiques, des campagnes intensives sur le terrain ont été effectuées. Le travail de terrain se compose principalement de mesures éco-physiologiques visant à caractériser les réponses des plantes et du sol à leur environnement, et en particulier à la disponibilité de l’eau.
L’apport de la télédétection
Depuis les années 1970, la diversité et la quantité des instruments à bord des satellites, permettent un suivi des diverses composantes du cycle de l’eau et de la végétation. De nombreux capteurs de résolution variables (MODIS, SPOT, Landsat, Formosat, Sentinel-2) sont disponibles sur le bassin d’Agoufou et permettent de compléter et d’enrichir les bases de données d’observation terrain.
La présence de grandes surfaces homogènes et plates caractérisées par une variabilité saisonnière et interannuelle élevée rend le site du Gourma particulièrement bien adapté à la télédétection. Les variables telles que le LAI (Mougin et al. 2014), la productivité végétale, évaluée et cartographiée par le biais du NDVI (Dardel, Laurent Kergoat, et al. 2014) ou du STI (L. Kergoat et al. 2015), l’humidité du sol (F. Baup et al. 2014; Fatras et al. 2012), par le biais des systèmes micro-ondes, le suivi de la turbidité grâce aux bandes infrarouge et rouge (Elodie Robert et al. 2016), le stock d’eau du sol (Grippa et al. 2011) ou encore le suivi de l’évolution des surface en eau (Gal et al. 2016), peuvent être quantifiés grâce aux données satellite.
Evolution du paysage d’Agoufou
Identification des unités paysagères (UP)
Casenave et Valentin (1989) ont proposé un système de classification de la capacité d’infiltration des sols, basé sur la combinaison de leurs paramètres de surface (porosité, granulométrie, activité faunique, encroûtement et présence ou non de cultures) produisant ainsi 11 grands groupes d’unités de surface.
Afin de représenter une large gamme d’états de surface, des critères additionnels ont été inclus dans le système préalablement défini, tels que la couverture végétale, la texture de surface ou encore la rugosité du sol. Ces nouveaux critères ont permis l’introduction de 26 sous-classes reliées à des propriétés hydrologiques spécifiques. Ce système, considéré comme base de classement des états de surface de la zone sahélienne, a été largement utilisé pour établir l’évolution de plusieurs bassins au cours des dernières décennies (D’Herbès and Valentin, 1997; Diallo et al., 1999; Mahé et al., 2010; Peugeot et al., 1997 par exemple).
S’appuyant sur l’expertise de terrain de Pierre Hiernaux complétée par les données acquises sur la zone d’étude (voir section I de ce Chapitre), les travaux de Casenave et Valentin (1989) précédemment décrits ainsi que ceux de Diallo et al. (1999), 14 unités paysagères (UP) regroupées en quatre grands groupes ont été identifiées sur le bassin d’Agoufou: les systèmes de zones humides (H), les systèmes sableux (S), les affleurements (O) et les glacis d’érosion (G).
Chaque UP est présentée ci-dessous et illustrée par les photographies aériennes prises par Michael Fay lors de son survol de la zone pour le National Géographique au cours de l’année 2004 en période sèche. La description de toutes les UP est présentée ci-dessous et s’attache à décrire les différentes propriétés hydrodynamiques et/ou les différentes couvertures végétales qui recouvrent le bassin d’Agoufou depuis les années 1950.
Systèmes de zones humides (H) :
Les systèmes « zones humides » (Figure 23) comprennent le réseau hydrographique principal, les plaines alluviales qui bordent ce dernier et qui sont parfois inondées durant la saison des pluies, et les points d’eau plus ou moins permanents. Le réseau hydrographique ne sera pas illustré ici mais correspond au cours d’eau principal actif. Il est facilement identifiable par les tranchées qu’il forme avec des berges plus ou moins marquées.
H1: Plaines alluviales
Les plaines alluviales inondées lors des plus gros évènements pluvieux se composent d’un sol peu évolué d’apport alluvial de texture sablo-limoneuse à limono-argileuse. La profondeur du sol varie de quelques dizaines de centimètres à quelques mètres avec une capacité d’infiltration faible qui favorise le ruissellement. Le couvert ligneux qui recouvre cette unité n’impact que peu l’écoulement de surface (seul les troncs peuvent contribuer à le limiter).
H2 : Systèmes d’eau libre
Les mares ou lacs se forment dans les dépressions qui retiennent l’eau pendant la saison des pluies. Sur le bassin, les plus petites tarissent en début de saison sèche, et seul le lac d’Agoufou (exutoire actuel du bassin versant) est en eau de façon permanente. La texture très argileuse (vertique) des sols limite la percolation même sur les berges où les dépôts limoneux contribuent à colmater rapidement les zones plus sableuses.
Systèmes sableux (S) :
Les sols sableux (Figure 24) dominent dans la région du Gourma et recouvrent 60 % de sa superficie. Les sols du modelé dunaire sont profonds et de texture très sableuse (sable > 90 %) et parfois sablo-limoneuse dans les dépressions interdunaires (sable > 75 %; limon > 15 %). Les faibles teneurs en matière organique (< 0,2 % dans les 20 premiers centimètres) et la texture très sableuse en font une zone préférentielle de drainage.
|
Table des matières
Introduction
Chapitre 1 – Contexte général
I. Le Sahel et son climat
1. Le Sahel, définition
2. Variabilité et changement climatique régionaux
2.1. Un climat soumis à la mousson ouest-africaine
2.2. Précipitations variables dans le temps et l’espace
2.3. Un réchauffement surtout printanier
II. Hydrologie et écosystèmes sahéliens
1. Les écosystèmes sahéliens
1.1. Végétation naturelle
1.2. Géomorphologie et substrat
1.3. Hydrographie et hydrogéologie
1.4. Population et activités économiques
2. Les processus hydrologiques: entre infiltration et ruissellement
2.1. Précipitations
2.2. Substrat
2.3. Couverture végétale
III. Le paradoxe sahélien, des causes incertaines
1. Définition du paradoxe hydrologique
2. Des explications diverses
2.1. Les facteurs anthropiques
2.2. Les facteurs climatiques
Chapitre 2 – Evolution paysagère du bassin d’Agoufou
I. Site d’étude et données
1. Le bassin d’Agoufou (Gourma, Mali)
1.1. Contextes géographique et climatique
1.2. Hydrologie et économie
1.3. Géologie, topographie et états de surface
2. Un réseau d’instrumentation et de monitoring
2.1. Observations à long terme
2.2. Observations météorologiques
2.3. Suivi de l’hydrologie et du cycle de l’eau
2.4. Suivi de la végétation et du couvert
2.5. L’apport de la télédétection
II. Evolution du paysage d’Agoufou
1. Identification des unités paysagères (UP)
1.1. Systèmes de zones humides (H) :
1.2. Systèmes sableux (S) :
1.3. Affleurements (O) :
1.4. Glacis d’érosion (G) :
2. Cartographie et évolution du paysage
2.1. Cartographie des unités paysagères
2.2. Evolution du bassin d’Agoufou entre 1956 et 2011
Chapitre 3 – Evolution de l’apport en eau des bassins endoréiques non jaugés
Chapitre 4 – La modélisation au service de la compréhension hydrologique
I. La modélisation hydrologique
1. Généralités
2. Classifications des modèles hydrologiques
2.1. Classification selon le niveau de description des processus
2.2. Classification selon la représentation de l’espace
2.3. Classification selon le formalisme des processus
2.4. Classification selon la discrétisation temporelle
II. Un modèle, un objectif
1. La modélisation en contexte semi-aride
2. Objectifs de la modélisation du bassin d’Agoufou
3. Etat de l’art des modèles de ruissellement
3.1. Modèles globaux
3.2. Modèles semi-distribués
3.3. Modèles distribués
III. KINEROS-2
1. Un modèle schématique
1.1. Les éléments de surface (les plans)
1.2. Les éléments du réseau hydrographique (les chenaux)
2. Les processus représentés
2.1. Les précipitations
2.2. Interception
2.3. Infiltration
2.4. Ruissellement
3. L’interface AGWA
3.1. Description
3.2. Conception
Chapitre 5 – Les causes du paradoxe sahélien en milieu pastoral
Conclusions et Perspectives
Liste des figures
Liste des tableaux
Références
Télécharger le rapport complet