Evolution mondiale de l’âge à la première maternité
L’Afrique a longtemps été considérée comme un continent à mariage précoce, avec une partie non négligeable des unions féminines survenant entre 13 et 18 ans ; beaucoup plus tardivement pour les hommes [17]. Dans certains pays où l’entrée en union est tardive par exemple en Afrique du Sud ou en Namibie, les naissances hors union sont fréquentes et les femmes ont leur premier enfant assez jeunes [17]. Le Sénégal n’échappe pas à ce phénomène car nous constatons que 14 % des adolescentes ont déjà commencé leur vie procréative ; 10 % d’entre elles ont eu au moins un enfant. Néanmoins, en comparaison avec les enquêtes précédentes nous remarquons que la proportion d’adolescentes ayant déjà commencé leur vie procréative a tendance à diminuer depuis une dizaine d’années, passant de 19 % en 2010-11 à 14 % en 2019 selon l’EDS-Continue de 2019 [18]. L’étude de l’évolution de l’âge moyen à la première maternité a intéressé beaucoup de pays dans le monde. Au Sénégal, des études n’ont pas encore été portées à ce sujet. En France, selon l’Insee (Institut national de la statique et des études économiques), les résultats paru en 2020 montre que l’âge à la première grossesse ne cesse d’augmenter passant de 29,9 ans en 2010 à 30,8 en 2020 [2]. En Allemagne, selon l’Institut allemand de la statistique « Destatis », les Allemandes donneraient naissance à leur premier enfant de plus en plus tard. Alors qu’il y a 11 ans, l’âge moyen à la première grossesse était de 28,8 ans, il était de 30,2 en 2020 [4]. Au Portugal, selon l’INE (Institut National de la statique), l’âge moyen des femmes au premier enfant a augmenté de plus de quatre ans, passant de 23,6 ans en 1981 à 27,8 ans en 2005 [3]. En Afrique du Sud, l’âge moyen connait également une ascension selon la Statista, passant de 24,8 ans en 2010 à 27,3 ans en 2020 [5]. Au Maroc, le nombre des parturientes âgées de plus de 35 ans est en constante augmentation pour plusieurs raisons (mariage retardé, stérilité primaire…). Sur 16864 patientes ayant accouché à la maternité Souissi pendant la période allant du 1er Janvier 2015 au 31 Décembre 2015, 1457 parturientes étaient âgées de plus de 35 ans soit 8,6 %, avec parmi ces patientes 35,1 % qui avaient plus de 40 ans. L’âge moyen des mères était de 38 ans et 18,1% étaient primipares [19]. Selon la Statista, au Maroc, cet âge moyen est passé de 27,9% en 2015 à 29,6% en 2020 [1].
Pathologies obstétricales favorisées par l’âge
Au cours de la grossesse, la femme subit des modifications et des réactions physiologiques [26]. Le vieillissement s’accompagne d’une diminution des capacités fonctionnelles de l’organisme. D’une façon générale, cette altération est la plus manifeste dans les situations qui mettent en jeu les réserves fonctionnelles (effort, grossesse, stress, maladies aigues). Cette diminution des réserves fonctionnelles induit une réduction de la capacité de l’organisme à s’adapter aux situations d’agression. De même, plusieurs systèmes de régulation de paramètres physiologiques s’avèrent moins efficaces chez le sujet âgé [27]. L’inefficacité de ces phénomènes d’adaptation physiologique au cours de la grossesse due à la répercussion de l’âge avancé, se manifeste par une plus grande fréquence des pathologies (l’hypertension artérielle, le diabète, les maladies cardio-vasculaires, les maladies trophoblastiques, les anomalies placentaires, les anomalies utérines et les grossesses multiples avec un taux élevé de grossesse gémellaire dizygote) et avec plus de complications.
Données de l’accouchement
On notait 22% de patientes césarisées avec un risque relatif de 2,111 pour chaque année d’âge supplémentaire. Ceci pouvant être expliquer par le fait que la primiparité représente un risque en soit car du fait du premier accouchement qui en fait une grossesse précieuse mais également la durée du travail plus longue dans cette population qui augmente le risque de souffrance fœtale, la non compliance des patientes au moment de la phase expulsive. Le taux de césarienne était plus élevé chez les primipares âgées ; cette problématique de la césarienne avec l’âge a fait le sujet de nombreux articles dont l’article parlant de la grossesse à 43 ans et plus où il a été démontré que « bien que dans la majorité des cas les femmes accouchant à 43 ans et plus ne présentent pas davantage de complications maternelles ou périnatales que celles accouchant entre 25 et 35 ans, elles sont significativement plus à risque de césarienne » [6]. En fonction du type de présentation, on objectivait une répartition différente du taux de césarisé. Pour les patientes en présentation du sommet, on notait 20,5% de césariennes contre 51,2% pour les patientes dont le fœtus était en présentation de siège. Cela pouvant être expliqué par le fait que pendant longtemps et encore dans certaines structures la présentation du siège chez une primipare est une indication d’emblée de césarienne. Plusieurs auteurs ont confirmé cette augmentation de la pratique de césarienne en cas de présentation de siège avec un taux passant de 50 à 80 % en Hollande de 2000 à 2005 et ils imputent cette forte augmentation à la diffusion des résultats de l’étude de Hannah et al qui préconisait une systématisation des césariennes en cas de présentation du siège [36]. Mais cela reste encore controversé car le fait d’opérer systématiquement les primipares dont le fœtus est en présentation de siège en plus d’augmenter le taux de chirurgie expose les patientes aux complications inhérentes à cette chirurgie surtout pour les grossesses ultérieures (placenta accreta, rupture utérine, …) [37]. Pour les accouchements par voie basse on notait 46,9% d’épisiotomies avec un risque relatif de 0,968 (RR : 0,968 ; IC : 0,963-0,973 ; p< 0,001) et 7,6% de déchirure. L’âge avancé constituait un facteur protecteur concernant l’épisiotomie.
Implication pour la recherche
Cette étude offre plusieurs pistes de recherche. En effet, il faudra se poser des questions quant à la validité de cette évolution de l’âge moyen à la première maternité dans nos régions. En plus des éléments permettant la détermination de cet âge qui ne sont pas toujours valide, il serait nécessaire d’inclure les déterminants en rapport avec le lieu d’habitation, les pratiques socio-culturelles et le niveau éducatif des femmes. Cette étude ouvre d’autres pistes de recherche notamment sur les facteurs influençant la voie d’accouchement dans la population.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
L’évaluation de l’âge à la première maternité est un déterminant important pour le suivi de la grossesse et de l’accouchement ; le niveau de risque pouvant changer à tout moment au cours de la grossesse ou en début de travail. L’évolution de l’âge moyen à la première maternité au Sénégal n’a pas encore fait l’objet de beaucoup d’études. La question qui reste à se poser est son évolution durant ces années, le suivi des patientes, le mode d’accouchement et le devenir materno-fœtal. C’est dans ce contexte que nous avons réalisé cette étude pour évaluer l’évolution de l’âge à la première maternité ainsi que les complications et interventions médicales dans ce groupe de patientes primipares. Il s’agissait d’une étude réalisée à la maternité du centre de santé Philippe Maguilen SENGHOR allant du 1 er Janvier 1969 au 30 novembre 2021. Les données étaient recueillies dans notre base de données informatique ePerinatal. Elles y étaient ensuite extraites et analysées d’abord dans Microsoft Excel 2016, puis à l’aide du logiciel Statistical Package for Social Science (SPSS 26, version Mac). Sur une période de 52 ans, 83 624 accouchements étaient répertoriés dans notre structure. Après exclusion des multipares, 22 891 primipares correspondaient aux critères d’inclusion. Nous avions exclu 379 dossiers du fait que l’âge n’était pas relevé au moment de l’enregistrement. Au total, 22 512 dossiers étaient retenus pour l’étude. L’âge moyen des patientes était de 24,1 ans en 2021 contre 22,7 ans entre 1969 et 2009. L’augmentation de l’âge moyen à la première maternité est significative au fil des années. La grossesse monofœtale était retrouvée dans 98,2% et la majorité des patientes avaient une grossesse à terme (84,3%). La grossesse était jugée à bas risque dans 85,4%. Les pathologies associées à la grossesse étaient dominées par l’hypertension artérielle et la présentation du siège. Ces pathologies étaient plus rencontrées chez les primipares âgées. S’agissant des interventions médicales, on retrouvait 46,9% d’épisiotomies avec un risque relatif de 0,968 (RR : 0,968 ; IC : 0,963-0,973 ; p<0,001) avec comme facteur protecteur l’âge avancé des gestantes. Le taux de césarienne était de 22% avec un risque relatif de 2,111 (RR : 2,111 ; IC : 1,934-2,304 ; p<0,001). Le taux de césarienne augmentait avec l’âge maternel. Les déchirures périnéales étaient présentes dans 7,6% des cas. Au terme de ce travail et au regard des résultats obtenus, nous formulons les recommandations suivantes :
Déterminer les risques obstétricaux selon l’âge de la mère,
Élaborer des critères d’évaluation adaptée à nos populations et à nos conditions de travail,
Détecter de façon précoce les pathologies associées à la grossesse afin de bien les prendre en charge,
Disposer de structures sanitaires disposant de Soins Obstétricaux et Néonatals d’Urgence (SONU) de base permettant de prendre en charge une primipare en travail et cela quel que soit le niveau de risque.
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Table des matières
INTRODUCTION
REVUE DE LA LITTERATURE
I. Définitions et concepts
II. Evolution mondiale de l’âge à la première maternité (Tableau I)
III. Les modifications physiologiques liées à l’âge
III.1. Impacts de l’âge sur la fertilité et la fécondité
III.2. Problématique de la grossesse avant 18 ans
III.3. Problématique de la grossesse à partir de 35 ans
DEUXIEME PARTIE : NOTRE TRAVAIL
I. Objectifs de l’étude
II. Centre de Santé de référence
II.1. Description du site de l’étude
II.2. Description du Centre de Santé Philippe Maguilen Senghor
III. Méthodologie
III.1. Type d’étude
III.2 Période d’étude
III.3. Critères d’inclusion
III.4. Variables étudiées
III.5. Collecte et analyse de données
IV. Résultats
IV.1. Données générales de l’étude
IV.2. Données obstétricales
V DISCUSSION
I. Principaux résultats
II. Interprétation des résultats
II.1. Profil des patientes
II.2. Données de la grossesse
II.3. Données de l’accouchement
III. Implication des résultats
III.1. Implication pour la recherche
III.2. Implication pour la Santé Publique
IV. Forces et limites de l’étude
IV.1. Forces de l’étude
IV.2. Limites de l’étude
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFERENCES
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