Généralités
Epidémiologie
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie chronique multifactorielle, inflammatoire puis dégénérative, dys-immunitaire du système nerveux central (SNC) avec terrain génétique favorisant. Elle affecte plus de 2 millions de personnes à travers le monde. Il s’agit de la pathologie neurologique responsable d’un handicap d’origine non traumatique chez l’adulte jeune la plus fréquente (1), avec une large prédominance féminine (2 à 4,5 fois plus de femmes que d’hommes) (2) et un pic d’incidence à l’âge de 30 ans (3). Elle peut être responsable à long terme d’un handicap physique et/ou de troubles cognitifs impactant la vie quotidienne sur le plan social, familial et professionnel (4). Les coûts directs et indirects sont estimés en moyenne entre 8500 et 54 000 US$ par patient et par an aux Etats-Unis, dont ¼ concerne les coûts indirects (5). En France, le coût direct moyen s’élève environ à 10000 euros par patient et par an (6), ce qui fait de la SEP un enjeu de santé publique majeur.
En 1975, Kurtzke met en évidence un gradient Nord-Sud. Il définit alors trois zones de prévalence différentes (7) :
● Une zone de haute prévalence (plus de 30/100 000 habitants) au nord de l’Amérique et de l’Europe, en Nouvelle-Zélande et au sud de l’Australie.
● Une zone de moyenne prévalence (entre 5 et 30/100 000 habitants) au sud de l’Amérique et de l’Europe ainsi qu’au Nord de l’Australie.
● Une zone de faible prévalence (moins de 5/100 000 habitants) en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique.
Des études récentes révèlent une augmentation de la prévalence et de l’incidence de la SEP dans le monde (8) (Figure 1). Cette modification de l’épidémiologie se télescope avec les révisions des critères diagnostiques, l’amélioration de l’accès aux soins et le développement de nouvelles molécules responsables d’une augmentation de l’espérance de vie (3). Actuellement, le gradient de latitude pour la prévalence est préservé au sein des pays de l’hémisphère Nord alors que le gradient de latitude pour l’incidence ne semble plus perdurer en Europe et en Amérique du Nord, mais persiste en Australie et en Nouvelle-Zélande. L’incidence de la SEP rémittente (RR) chez les femmes augmente particulièrement ; celle-ci est associée à une augmentation du sex-ratio dans les zones géographiques situées au Nord du 45ème parallèle nord, motivant les études épidémiologiques à se concentrer sur l’évolution du mode de vie des femmes (2,3). A l’inverse, chez les hommes, la SEP se développe préférentiellement sous une forme progressive et à un âge plus tardif. Le gradient Nord-Sud de prévalences décrit par Kurtzke se retrouve en Europe et situe la France en position intermédiaire (7). En France, les prévalences régionales varient selon ce même gradient. En effet, des études à partir des données de la Caisse National d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMS) ou de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) révèlent un taux de prévalence plus élevé dans le Nord-Est que dans le Sud-Ouest de la France (9,10). Au 31 Octobre 2004, selon les données de la CNAMS (soit 87% de la population française), la prévalence nationale était de 94,7 pour 100 000, avec une proportion féminine de 130,5/100 000 et masculine de 54,4/100 000. L’incidence nationale à la même date était de 7,5/100 000, avec une proportion féminine de 10,4/100 000 et masculine de 4,2/100 000 (9).
Manifestation clinique : hétérogénéité et imprévisibilité
L’expression de la SEP dépend en partie du nombre et de la localisation des lésions inflammatoires démyélinisantes et axonales qui peuvent toucher le cerveau, les nerfs optiques, le tronc cérébral, le cervelet et la moelle épinière. Deux événements cliniques peuvent être observés :
● La poussée, qui se définit par l’apparition de symptômes neurologiques ou par l’aggravation de signes préexistants, durant plus de vingt-quatre heures, en dehors de tout contexte fébrile, à plus d’un mois de la dernière poussée (11).
● La progression, qui se définit par l’aggravation des symptômes neurologiques durant au moins six mois.
La forme évolutive initiale est principalement constituée de la forme RR (85%) (12). Celle-ci se caractérise par l’apparition de poussées s’installant sur quelques jours, pouvant durer plusieurs semaines et dont la récupération peut être totale ou incomplète. Ces poussées inflammatoires disséminées dans le temps et dans l’espace sont difficilement prévisibles. Dans 50% des cas, la SEP RR évolue en forme secondairement progressive (13). Cette phase est caractérisée par l’aggravation continue de symptômes neurologiques. Des poussées peuvent se surajouter aux formes d’emblée ou secondairement progressives. L’évolution initiale peut également être Primaire Progressive PP (10 à 15%). Les symptômes neurologiques s’aggravent de façon continue et irréversible .
L’hétérogénéité des présentations cliniques initiales se poursuit également à des stades plus tardifs de la maladie. L’atteinte prédomine volontiers sur les fonctions motrices ou sensitives (14). Les troubles cognitifs liés à la SEP peuvent également être sévères et survenir à tout stade de la maladie, quelle que soit la forme évolutive, et ce, dès les premières années. Ils apparaissent dans 40-60 % des cas au cours de l’évolution de la SEP (15).
Physiopathologie
Anatomopathologie
La SEP se caractérise par des lésions de démyélinisation ou « plaques » au sein de la substance blanche (SB) et de la substance grise (SG) du SNC. Cette démyélinisation des fibres nerveuses est responsable d’une altération de la conduction de l’influx nerveux (16). Des lésions axonales irréversibles peuvent être observées précocement au moment de la formation de la lésion démyélinisante, ou favorisées par la démyélinisation prolongée lorsque les processus de réparation myélinique sont insuffisants. Il est désormais bien établi que la progression du handicap dans la SEP est fortement liée à la présence de lésions axonales et l’étendue de ces lésions est influée par le degré d’inflammation (17). D’autre part, les atteintes de la SG corticale et profonde sont fortement corrélées au handicap physique et cognitif. Les infiltrats inflammatoires lésionnels contiennent principalement des cellules T, des cellules B et des macrophages ou microglies activés, centrés par une veine (18).
Immunologie
Les multiples lésions de la SB du SNC résultent d’un processus auto-immun responsable d’une infiltration du SNC par des cellules inflammatoires mononuclées (LT, macrophages, plasmocytes). Ce mécanisme débuterait dans les organes lymphoïdes périphériques par une auto-activation des cellules T CD4+ naïves et T CD8+ naïves reconnaissant l’antigène présenté par les molécules HLA de classe II au sein des cellules dendritiques anormalement activées. Les lymphocytes T CD4+ activés peuvent se différencier en cellules T helper : Th1, Th2, Th17 ou en cellules T régulatrices : CD4 reg, CD8 reg (19,20).
Les LT CD4+ de phénotype Th1 et Th17 sont les principaux « chefs d’orchestre » qui orientent le caractère délétère de la réponse immunitaire dans le SNC. Les cellules Th1 régulent la présentation des antigènes et l’immunité cellulaire. Les cellules Th17 produisent des interleukines qui augmentent la perméabilité de la barrière hématoencéphalique (BHE) et la migration des autres cellules T à travers cette dernière. Les lymphocytes Th1 et Th17 pénètrent à travers la BHE et présentent une activité myélinotoxique directe et indirecte sur les oligodendrocytes qui synthétisent la myéline dans le SNC. Par ailleurs, des lymphocytes T mémoires centraux (TCM) auto-réactifs sont présents dans les ganglions lymphatiques et occupent une place incontournable dans la physiopathologie de la SEP : 90% des lymphocytes retrouvés dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) des patients sont des lymphocytes TCM donnant naissance à la majorité des lymphocytes Th17. Ils rejoignent le SNC via la circulation sanguine et les vaisseaux leptoméningés et se différencient en lymphocytes T effecteurs (TE) à la suite d’une nouvelle stimulation antigénique des cellules microgliales. Les lymphocytes B auto-réactifs contribuent à présenter l’antigène et les LT CD8+ interviennent également par leur effet cytotoxique. L’ensemble de la stimulation lymphocytaire serait permise par l’insuffisance de lymphocytes T régulateurs (LTreg). L’inflammation chronique au sein du SNC est permise par l’action de l’immunité innée qui produit des cytokines (IL17, Interférons gamma, TNFalpha) et recrute des astrocytes sécrétant des chimiokines, des granulocytes-macrophages et des facteurs de croissance cellulaire. La microglie s’auto-renouvelle ainsi et inhibe la remyélinisation par activation astrocytaire.
Les lymphocytes Th1, Th17 ont donc des rôles pro-inflammatoires alors que les lymphocytes Th2 et Treg ont des rôles anti-inflammatoires. (19,20). L’efficacité du Rituximab (anticorps monoclonal dirigé contre la molécule CD20 exprimé sur les cellules B) démontre indirectement l’implication des Lymphocytes B dans la SEP. En revanche, l’inefficacité de l’Ustekinumab (anticorps monoclonal dirigé contre l’interleukine 12 et 23 permettant la différentiation de Th1 et Th17) démontre que les cellules T n’agissent pas seules dans la SEP. Les causes de ce processus auto-immun sont encore mal connues mais des infections répétées pourraient être à l’origine de stimulation des récepteurs de LT provoquant la rupture de tolérance périphérique aux antigènes du soi dont les antigènes myéliniques et non myéliniques.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Généralités
1.1. Epidémiologie
1.2. Manifestation clinique : hétérogénéité et imprévisibilité
1.3. Physiopathologie
1.3.1. Anatomopathologie
1.3.2. Immunologie
1.4. Facteurs prédisposants
1.4.1. Facteurs environnementaux
1.4.2. Facteurs génétiques
1.5. Pronostics
1.6. Traitements
2. Evolution des critères diagnostiques de la SEP
3. Handicap dans la SEP
3.1. Handicap chez la population caucasienne atteinte de SEP
3.2. Handicap chez la population d’ascendance africaine atteinte de SEP
4. Emergence de la SEP aux Antilles françaises
4.1. Epidémiologie descriptive
4.2. Causes de l’émergence de la SEP aux Antilles françaises
5. BUMIDOM – Migration de la population antillaise
5.1. Histoire d’une politique migratoire
5.2. Emergence d’une population antillaise métropolitaine
6. Hypothèses : la migration modifie l’évolutivité de la SEP
METHODES
1. Présentation de l’étude
2. Informatisation des données : EDMUS
3. Recueil de données
3.1. Fiche minimale EDMUS
3.2. Antécédents migratoires
4. Méthode statistique
RESULTATS
1. Description générale de la cohorte
1.1. Données démographiques et cliniques
1.2. Données évolutives sur le handicap
2. Etude des facteurs de prédiction du handicap conduisant à l’EDSS 3 et 6
2.1. Analyse univariée
2.2. Analyse multivariée
3. Etude des facteurs de prédiction du handicap conduisant à un MSSS sévère
3.1. Répartition du MSSS chez les antillais atteints de SEP
3.2. Régression logistique
3.3. Analyse multivariée
DISCUSSION
1. Validation de l’hypothèse nulle
2. Hypothèses explicatives
2.1. Susceptibilité inflammatoire et atrophie cérébrale
2.2. Susceptibilité humorale
2.3. Susceptibilité environnementale
2.3.1. Influence latitudinale
2.3.2. Influence de la vitamine D
2.3.3. Influence du lieu d’acquisition
2.3.4. Effet générationnel
2.4. Susceptibilité génétique
2.5. Susceptibilité épigénétique
3. Conséquences thérapeutiques
4. Points Forts
5. Points Faibles
CONCLUSION