Évolution de la place de l’oral en français

Évolution de la place de l’oral en français

Les croyances des enseignants

Nous avons vu dans la problématique à quel point les enseignants disent éprouver un embarras concernant l’enseignement-évaluation de l’oral. Pour mieux comprendre l’ensemble du problème, plusieurs chercheurs affirment qu’il faut s’intéresser aux croyances des enseignants quant à l’objet à enseigner, car celles-ci influencent grandement leurs attitudes et leurs pratiques (Howe et Ménard, 1993). Les lignes qui suivent permettent de clarifier le concept de «croyance», puis de rapporter les résultats de ce que nous savons à l’heure actuelle sur les croyances des enseignants liées à l’enseignement-évaluation de l’oral.

Définition du concept

Quand il s’agit de s’intéresser aux croyances des enseignants, une question terminologique se pose puisqu’un nombre important de concepts sont employés indifféremment pour parler des pensées, opinions ou jugements d’un individu. Dans le cas de la présente étude, nous avions à faire un choix entre les termes «perceptions», «représentations», conceptions», «attitudes» et «croyances». Certains renvoient davantage au domaine cognitif, d’autres au domaine affectif.
Le terme perception n’est pas souvent retenu dans les recherches en didactique du français. La définition qu’en donne Legendre est une : «activité, processus par lequel une personne acquiert de l’information de son environnement» (2005, p. 1027). L’entrée renvoie aux domaines du psychomoteur et de l’apprentissage perceptuel, ce qui ne va pas dans le sens de notre question de recherche qui porte sur les différents schèmes de pensée des enseignants liés à l’évaluation de l’oral, ainsi que leur influence sur leurs pratiques.
Déjà utilisé dans d’autres disciplines comme la psychologie sociale, le concept de représentations a été récupéré par les sciences de l’éducation dans les années 1970, entre autres par les didacticiens des sciences et des mathématiques qui considèrent les représentations comme des «systèmes de connaissances qu’un sujet mobilise face à une question ou à une thématique, que celle-ci ait fait l’objet d’un enseignement ou pas» (Reuter, 2007, p. 197). Les représentations sont donc souvent envisagées selon une perspective cognitive. À titre d’exemple, l’entrée correspondant aux représentations dans le dictionnaire de Legendre (2005, p. 1179) s’intitule : «représentations cognitives». Or, cette acception nous semble incomplète étant donné qu’elle ne fait pas référence aux autres domaines de la pensée, soit les aspects affectif et comportemental.
Du côté des conceptions, Giordan et De Vecchi (1987), deux didacticiens des sciences, ont beaucoup milité en faveur de la primauté de ce terme sur celui de «représentations». Pour eux, les conceptions se construisent graduellement au fur et à mesure qu’un individu acquiert des connaissances. Les conceptions sont donc liées au domaine cognitif de l’individu. De plus, le terme «conceptions» est très souvent utilisé par ces chercheurs pour parler des préconceptions, ou connaissances antérieures des apprenants, qui constituent souvent un obstacle à l’apprentissage des élèves et dont les enseignants doivent tenir compte. C’est pour cette raison que nous ne l’avons pas retenu.
Selon Rokeach, l’attitude est «une organisation relativement durable de croyances quant à un objet ou à une situation, prédisposant un individu à agir d’une manière privilégiée3» (1970, p. 112). Les attitudes sont donc une organisation de croyances qui influencent les comportements. Mohamed Hassan (2011) souligne que les attitudes appartiennent au domaine affectif étant donné qu’elles sont liées au jugement favorable ou défavorable qu’une personne porte sur un objet, alors que les croyances, elles, représentent l’information disponible sur cet objet.
Le terme de croyance est largement employé dans la littérature anglo-saxonne pour parler des idées, des opinions et des pensées d’une personne par rapport à un certain sujet. Pourtant, ce concept est souvent source de confusion d’un point de vue terminologique ainsi que l’a constaté Pajares (1992) dans sa recension des écrits. Ce chercheur a tenté de distinguer les différents sens attribués à ce concept au cours des ans. À son avis, la compréhension des structures de croyances des enseignants est essentielle pour l’amélioration de leurs pratiques professionnelles (Pajares, 1992, p. 307). Parmi les quelques caractéristiques d’une croyance qu’il énumère en synthèse, nous retenons d’une part que «les croyances se forment tôt dans la vie d’un individu et qu’elles se perpétuent à travers le temps, en dépit de possibles contradictions avec la logique, la scolarité, le temps ou l’expérience» et donc, qu’elles se modifient difficilement. Et d’autre part, que les croyances doivent être inférées en tenant compte de l’adéquation entre les affirmations d’un individu sur ses croyances, son intention d’agir et son comportement lié à ces croyances. De plus, nous savons que les croyances ne sont pas isolées, mais qu’elles fonctionnent comme un système et touchent à la fois l’expérience d’un individu et sa compréhension de la réalité (Sigel, 1985).
Une définition plus opérationnelle des croyances est proposée par Rokeach selon qui une croyance consiste en «toute proposition, consciente ou pas, inférée à partir de ce qu’une personne dit ou fait qui peut être précédée de l’expression ‘’je crois que…’’4 (Rokeach, 1970, p. 113). Ce chercheur avance également que les croyances sont constituées de trois 3 Notre traduction de : «An attitude is a relatively enduring organization of beliefs around an object or situation predisposing one to respond in some preferential manner.» 4 Notre traduction de: «Any simple proposition, conscious or unconscious, inferred from what a person says or does, capable of being preceded by the phrase, ‘I believe that . . . »
composantes : la composante cognitive, qui consiste en la connaissance qu’un individu a de ce qui est vrai ou faux, bon ou mauvais, désirable ou indésirable; la composante affective, qui sous des conditions propices suscite les émotions et conduit un individu à prendre position de façon positive ou négative au regard de l’objet d’une croyance; et la composante comportementale, qui est une prédisposition à l’action dans le cadre de conditions appropriées (Idem). En résumé, les croyances sont des constructions mentales de l’expérience et de la réalité, qui sont tenues pour vraies et qui guident la pensée et le comportement d’un individu (Pajares, 1992; Sigel, 1985; Rokeach, 1970). Cette définition permet de traiter du concept de «croyance» sous tous ses angles, que ce soit le domaine affectif, qui se rapporte davantage aux attitudes, le domaine cognitif, qui inclut les conceptions et les représentations, et le domaine comportemental, qui comprend les perceptions et les actions.

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Table des matières

Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des abréviations, des sigles et des acronymes
Introduction
Chapitre 1. Problématique
1.1. Évolution de la place de l’oral en français
1.2. L’oral dans le programme de formation actuel : nouveaux enjeux
1.3. Problèmes d’enseignement et d’évaluation de l’oral en didactique du français
1.3.1. Problèmes liés à l’enseignement de l’oral
1.3.2. Problèmes liés à l’évaluation de l’oral
1.4. Les croyances et les pratiques des enseignants .
1.5. Question générale et pertinence de la recherche
Chapitre 2. Cadre conceptuel
2.1 Les croyances des enseignants
2.1.1. Définition du concept
2.1.2. Recherches empiriques sur les croyances des enseignants liés à l’enseignementévaluation de l’oral
2.1.2.1. La recherche de Lafontaine et Messier (2009) sur les croyances des enseignants au sujet de l’enseignement-évaluation de l’oral au secondaire
2.1.2.2. La recherche de Sénéchal (2012) sur les croyances des enseignants au sujet de la composante de l’oral au secondaire
2.1.2.3. La recherche de Ducasse et Brown (2009)
2.2. Les pratiques des enseignants
2.2.1. Évolution de l’étude des pratiques des enseignants
2.2.2. Définition du concept de pratique enseignante
2.2.3. Études empiriques sur les pratiques des enseignants
2.2.3.1. La recherche de Lafontaine et Messier (2009) sur les pratiques des enseignants au sujet de l’enseignement-évaluation de l’oral au secondaire
2.2.3.2. La recherche de Garcia-Debanc (2004)
2.3. L’évaluation de l’oral
2.3.1. L’oral comme composante de la discipline du français
2.3.1.2. L’oral et ses compétences
2.3.1.3. L’oral dans le programme de formation
2.3.1.4. L’oral en interaction
2.3.2. L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences
2.3.3. Quatre dimensions pour analyser les pratiques évaluatives des enseignants
2.3.3.1. Intention et moment d’évaluation
2.3.3.2. Tâches pour l’évaluation
2.3.3.3. Instruments d’évaluation
2.3.3.4. Rôles dans l’évaluation
2.3.4. Le processus d’évaluation des apprentissages
2.3.5. Le jugement professionnel
2.3.5.1. La qualité du jugement en évaluation
2.3.5.2. Les obstacles au jugement en évaluation
2.3.6. Les quatre imaginaires à l’origine des gestes d’évaluation des enseignants
2.3.6.1. L’imaginaire de la performance
2.3.6.2. L’imaginaire de la maîtrise
2.3.6.3. L’imaginaire de la construction
2.3.6.4. L’imaginaire de la compréhension
2.3.7. Les processus cognitifs et métacognitifs impliqués lors du jugement
2.3.8. Les recherches empiriques en évaluation
2.3.8.1. La recherche de Lafortune et Bélanger (2008)
2.3.8.2. La recherche de Roberge (2001)
2.3.8.3. La recherche de Li (2012)
2.4. Les questions spécifiques de recherche
Chapitre 3. Méthodologie
3.1. Type de recherche
3.2. Participants à la recherche
3.2.1. Choix des participants
3.2.2. Profil des participants
3.3. Collecte de données
3.3.1. L’entrevue
3.3.1.1. Technique de l’entrevue dirigée
3.3.1.2. Description du questionnaire d’entrevue
3.3.1.3. Validation du questionnaire
3.3.1.4. Déroulement de l’entrevue
3.3.1.5. Limites de l’entrevue
3.3.2. L’observation
3.3.2.1. Description de la technique du think-aloud
3.3.2.2. Validation du think-aloud
3.3.2.3. Déroulement du think-aloud
3.3.2.4. Limites du think-aloud
3.3.3. Données secondaires
3.4. Analyse des données
3.4.1. Analyse de l’entrevue dirigée
3.4.1.1. Transcription des protocoles de l’entrevue
3.4.1.2. Codage des données de l’entrevue
3.4.1.3. Validation du codage
3.4.1.4. Examen des données .
3.4.1.5. Traitement des données
3.4.1.6. Limites de l’analyse de l’entrevue
3.4.2. Analyse du think-aloud
3.4.2.1. Transcription des protocoles du think-aloud
3.4.2.2. Codage des protocoles du think-aloud
3.4.2.3. Validation du codage
3.4.2.4. Examen des données
3.4.2.5. Traitement des données
3.4.2.6. Limites de l’analyse du think-aloud
Chapitre 4. Résultats
4.1. Croyances et pratiques déclarées à propos de l’évaluation de l’oral, et de l’oral en interaction
4.1.1. Les croyances
4.1.1.1. Croyances cognitives
4.1.1.1.1. Croyances cognitives des enseignants au sujet de l’évaluation
4.1.1.1.2. Croyances cognitives des enseignants au sujet du savoir
4.1.1.1.3. Croyances cognitives des enseignants au sujet de l’élève
4.1.1.1.4. Croyances cognitives des enseignants au sujet de l’enseignement
4.1.1.2. Croyances affectives des enseignants
4.1.2. Les pratiques déclarées
4.1.2.1. Pratiques déclarées des enseignants au sujet de l’évaluation
4.1.2.2. Pratiques déclarées des enseignants au sujet de l’enseignement
4.1.2.3. Pratiques déclarées des enseignants au sujet du savoir
4.1.2.4. Pratiques déclarées des enseignants au sujet de l’élève
4.2. Pratiques observées d’évaluation de l’oral : Étape du jugement
4.2.1. Phase 1 : Prise d’information et planification
4.2.2. Phase 2 : Traitement de l’information et résolution
4.2.3. Phase 3 : Expression et contrôle de la réponse
4.2.4. Temps consacré au jugement
Chapitre 5. Interprétation des résultats
5.1. Les croyances des enseignants concernant l’évaluation de l’oral et de l’oral en interaction
5.2. Les pratiques déclarées des enseignants concernant l’évaluation de l’oral et de l’oral en interaction
5.3. Les pratiques d’évaluation observées à l’étape du jugement
5.3.1. Le processus de l’exploration à l’étape du jugement
5.3.2. Le processus de surveillance de l’action et de régulation à l’étape du jugement
5.3.3. Le processus de la comparaison à l’étape du jugement
5.3.4. Le processus de la communication et décision à l’étape du jugement
5.3.5. Le processus de l’identification à l’étape du jugement
5.3.6. Les aspects affectifs
5.3.7. La prise en compte des élèves durant le jugement
5.3.8. La prise en compte de l’enseignement de l’oral durant le jugement
5.3.9. La prise en compte des savoirs liés à l’oral durant le jugement
5.4. Les liens entre les croyances, les pratiques déclarées et les pratiques d’évaluation observées à l’étape du jugement
Conclusion
Bibliographie

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