Evolution de la participation citoyenne au sein de la politique de la ville
Pour comprendre lโรฉvolution de la participation citoyenne au sein de la politique de la ville, il est nรฉcessaire de rappeler les contextes et รฉlรฉments clรฉs qui se sont succรฉdรฉ de maniรจre plus globale. Renforcรฉ par le rapport Dubedout ยซ Ensemble, refaire la ville ยป en 1983, le plan ยซ Habitat et Vie Sociale ยป de 1977 ouvre alors la porte ร trois grandes dรฉcennies de la politique de la ville. Ainsi, les annรฉes 1980 sont marquรฉes par le dรฉveloppement social des quartiers. Les annรฉes 1990 opรจrent une transformation dans les politiques publiques, passant de ยซ la politique des quartiers ยป ร la ยซ politique de la ville ยป (Epstein, Kirszbaum, 2019). Enfin, les annรฉes 2000 prรดnent une normalisation et une banalisation des quartiers, avec le retour en premiรจre ligne de la rรฉnovation urbaine, dรฉjร croisรฉe aux alentours des annรฉes 1960. Sur ce constat, nous nous demandons si lโarrivรฉe de la loi Lamy en 2014, avec la participation citoyenne en son cลur, ouvre une nouvelle dรฉcennie dans la politique de la ville. Cette partie se dรฉcoupera ainsi en quatre sous-parties, respectivement la naissance de la politique de la ville et son institutionnalisation, la loi Borloo avec la crรฉation de lโAgence Nationale pour la Rรฉnovation Urbaine, la loi Lamy avec lโintroduction du conseil citoyen, enfin le rapport BacquรฉMechmache, intervenant comme un รฉlรฉment clรฉ dans lโรฉlaboration de cette loi.
La naissance de la politique de la ville et son institutionnalisation
Lโavรจnement de la rรฉnovation urbaine et des grands ensembles
Depuis le XIXรจme siรจcle, les pensรฉes urbanistiques et les objectifs liรฉs au logement ont fortement รฉvoluรฉs. En effet, lโaccroissement de lโรจre industrielle, marquรฉ par la mรฉcanisation pour le systรจme de production alimentaire, et lโรฉmergence des manufactures dans les quartiers centraux, amรจne ร un dรฉplacement des paysans vers les villes. Lโexplosion dรฉmographique et la problรฉmatique des transports, encore trรจs peu abordรฉe, ne permet pas aux populations plus modestes de vivre en banlieue. La question du logement apparaรฎt alors au centre des prรฉoccupations, la croissance spatiale sโaccรฉlรจre et il est nรฉcessaire de penser la ville autrement, en dehors de ces limites physiques bien dรฉterminรฉes. Parallรจlement, Lโรฉpidรฉmie de cholรฉra qui sรฉvit dans toute lโEurope en 1832, touche de plein fouet les quartiers populaires et rรฉvรจle la rรฉalitรฉ des taudis, pointรฉe par les mรฉdecins et hygiรฉnistes. Dans ce contexte de salubritรฉ et dโextrรชme paupรฉrisation, un mouvement provenant de certains employeurs, soucieux de leurs ouvriers et de lโavenir de leurs manufactures, amรจne ร la construction de nombreux logements.
Un peu plus tard, au dรฉbut du XXe siรจcle, dans les annรฉes 1930, lโurbanisme fonctionnaliste commence ร apparaรฎtre avec la constitution de la charte dโAthรจnes en 1933. En opposition avec la ville traditionnelle dont les quartiers anciens sont extrรชmement dรฉgradรฉs, il sโagit dโรฉradiquer les taudis une bonne fois pour toute, par la mise en place de la dรฉmolition et de la reconstruction, sous le nom de la rรฉnovation urbaine. Dans cette perspective, lโEtat mobilise de grands moyens pour rendre les habitations modernes, disposant de sanitaires, de lโeau courante et de lโรฉlectricitรฉ. Ainsi, de nombreux grands ensembles sont crรฉรฉs, dont on retiendra par exemple un peu plus tard la fameuse unitรฉ dโhabitation de Le Corbusier, dimensionnรฉe sur la base de lโindividu, fonctionnelle et reproductible ร lโinfini. De plus, la pรฉriode dโentre-deux guerres, durant laquelle a eu lieu le ยซ baby-boom ยป, a accรฉlรฉrรฉ lโopรฉrationnalisation de lโapproche fonctionnaliste dโaprรจs-guerre. En effet, la peur de ne pas pouvoir accueillir la croissance dรฉmographique, amรจne en 1958 les ZUP, zones ร urbaniser en prioritรฉ. Il faut construire vite, beaucoup et ร moindre coรปt, en pรฉriphรฉrie des villes, sur des terrains vacants, comme ร partir dโune feuille blanche. Lโaugmentation du logement en dehors de la ville amรจne ร penser la circulation, notamment au travers de la pensรฉe technocrate et du leitmotiv ยซ habiter, circuler, travailler, se rรฉcrรฉer ยป, qui en rationnalisant lโespace, sรฉpare les fonctions et dรฉconnecte les composantes matรฉrielles entre elles. Ainsi, en lโespace de 40 ans, la modernisation de la ville dont lโavรจnement tient ร un contexte dโurgence, sโest traduite par la multiplication des grands ensembles, dont on retiendra le nom de rรฉnovation urbaine (Brevet, 2018).
Le dรฉveloppement social des quartiersย
La pรฉriode des Trente Glorieuses sโessouffle et prend fin en 1973. A cette date, la circulaire Guichard limite le nombre et la taille des grands ensembles, une autre รจre commence, celle quโon appellera la politique de la ville. Quelques annรฉes plus tard, Valรฉry Giscard dโEstaing arrive au pouvoir. Il engage des rรฉformes sociรฉtales. Ainsi, son premier ministre envoie une lettre aux prรฉfets affirmant le besoin de ยซ enrayer la dรฉgradation physique et sociale de certains ยซย grands ensemblesย ยป qui risquent de se transformer en ghettos aux portes de nos villes ยป . Le constat rรฉvolutionnaire pour lโรฉpoque souligne le cloisonnement et la segmentation des problรจmes des quartiers, tout comme lโorganisation de lโadministration franรงaise. Chacun a le monopole de sa discipline, personne ne se parle, rien ne sโenchevรชtre, or les problรจmes que rencontrent les habitants sont multidimensionnels. Cโest donc la premiรจre fois que des acteurs aux compรฉtences diverses sont rรฉunis autour de la table pour construire un projet. Ainsi intervient le premier plan banlieue ยซ Habitat et Vie Sociale ยป (HVS) en 1977, visant notamment ร rรฉhabiliter cinquante-trois citรฉs HLM dรฉgradรฉes. De cette maniรจre, les quartiers constituant une gรฉographie prioritaire sont identifiรฉs, les interventions sont pensรฉes dans une approche globale, liant social, รฉconomie, sรฉcuritรฉ et urbanisme, et la participation des habitants apparaรฎt centrale, bien que sa traduction opรฉrationnelle reste trรจs faible . Depuis cette date, de nombreuses rรฉflexions, renforcรฉes des รฉmeutes comme dans la banlieue de Lyon aux Minguettes, voient le jour, et trois rapports รฉtablissant les fondements de la politique de la ville en naissent. Le rapport Schwartz (1981) entraine la crรฉation des missions locales et de la dรฉlรฉgation Interministรฉrielle aux jeunes, pour ยซ lโinsertion professionnelle des jeunes ยป . Parallรจlement la mรชme annรฉe, la Commission Nationale pour le Dรฉveloppement Social des Quartiers est mise en place (CNDSQ), posant la question de la catรฉgorisation des quartiers, quel pรฉrimรจtre et sur quels critรจres. Ainsi, les Zones dโEducation Prioritaires (ZEP) sont crรฉรฉes. Un an plus tard en 1982, le rapport Bonnemaison introduit la notion de ยซ prรฉvention de la dรฉlinquance ยป afin de faire respecter la loi ยซ face ร la dรฉlinquance : prรฉvention, rรฉpression, solidaritรฉ ยป . Enfin, le rapport dโHubert Dubedout (1983) ยซ ensemble, refaire la ville ยป , amรจne la mise en ลuvre des opรฉrations de Dรฉveloppement Social des Quartiers (DSQ). Dans un contexte de dรฉcentralisation (1982), la dรฉmarche doit valoriser les quartiers en sโappuyant sur leurs ressources endogรจnes, avec les habitants au cลur des transformations sociales. La question de la participation est fondamentale et dite dโinitiative, elle doit se baser sur les besoins et expรฉriences quโont les citoyens, et prend la forme dโexpรฉrimentations participatives. Ces derniรจres restent inabouties, ne prenant aucune forme institutionnalisรฉe, et laissant la politique de la ville รชtre conduite par le haut, via les professionnels et les รฉlus.
De la ยซ politique des quartiers ยป ร la ยซ politique de la ville ยป
Dans les annรฉes 1990, la politique de la ville sโinstitutionnalise, le quartier est un symptรดme, il faut transformer les politiques publiques pour rรฉsoudre le problรจme. Il est nรฉcessaire de changer dโรฉchelle dโintervention pour agir sur les causes structurelles de lโexclusion socio-spatiale. Cela commence avec la crรฉation dโun ministรจre de la ville, passant ainsi de ยซ la politique des quartiers ยป ร la ยซ politique de la ville ยป (Epstein, Kirszbaum, 2019), avec la mise en place de sous-prรฉfets, chargรฉs de mission politique de la ville, positionnant une autoritรฉ plus locale. Par la suite, en 1993 sont crรฉรฉs les contrats de ville, qui remplacent respectivement la Commission Nationale pour le Dรฉveloppement Social des Quartiers. Ils ont pour but de lutter contre les processus dโexclusion et de rรฉinsรฉrer les quartiers dans la ville. Dans cette perspective, la participation au cลur des annรฉes 1980, prenant alors place ร lโรฉchelle du quartier, sโefface progressivement avec les associations et les initiatives. Les politiques deviennent de plus en plus sรฉcuritaires et les procรฉdures administratives se complexifient. De plus, la crรฉation des Zones Franches Urbaines (ZFU), favorisant lโemploi au sein de quartiers en proposant des avantages fiscaux aux entreprises qui sโy installent, sโinscrit dans une dynamique de mixitรฉ sociale. Ce zonage vient appuyer la Loi dโOrientation de la Ville (LOV) de 1991, visant ร mieux rรฉpartir les logements sociaux sur le territoire ยซ de nature ร รฉviter ou faire disparaรฎtre les phรฉnomรจnes de sรฉgrรฉgation ยป. Enfin, dans les annรฉes 2000, la rรฉnovation urbaine rรฉapparaรฎt aux premiรจres loges . En effet, le 13 dรฉcembre 2000 est votรฉe la loi Solidaritรฉ et Renouvellement Urbain (SRU). Au niveau national, cโest la premiรจre loi qui impose des directives aux collectivitรฉs sous peine de sanction. Elle impose notamment aux villes de plus de 3 500 habitants dโoffrir au moins 20% de logements sociaux, donnant une prioritรฉ au logement, toujours dans une optique de mixitรฉ sociale. Avant cette loi, les actions menรฉs par les contrats et plans provenaient de la bonne volontรฉ des collectivitรฉs. Globalement, nous retiendrons de cette dรฉcennie ses approches rรฉformistes, lโeffacement de la question de la participation, lโintroduction de la notion dโexclusion, positionnant les quartiers comme des symptรดmes, ainsi que la montรฉe de la mixitรฉ sociale prรฉparant la loi Borloo de 2003.
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Table des matiรจres
Introduction
I. Evolution de la participation citoyenne au sein de la politique de la ville
1. La naissance de la politique de la ville et son institutionnalisation
1.1. Lโavรจnement de la rรฉnovation urbaine et des grands ensembles
1.2. Le dรฉveloppement social des quartiers
1.3. De la ยซ politique des quartiers ยป ร la ยซ politique de la ville ยป
2. Lโaccรจs au logement au travers de la loi Borloo (2003)
3. Une synthรจse de la politique de la ville au travers de la loi Lamy (2014)
4. Le rapport Bacquรฉ โ Mechmache : un rapport co-construit avec les habitants
II. La participation citoyenne et sa traduction lรฉgislative dans la loi Lamy
1. Vers une dรฉfinition dรฉmocratique de la participation
2. La co-construction, une notion fondamentale de la loi Lamy
3. Lโempowerment, un enjeu majeur dans le rapport Bacquรฉ-Mechmache
4. Vers une application de lโรฉmancipation aux pratiques participatives
Conclusion de lโรฉtat de lโart
III. De la problรฉmatisation ร la prรฉsentation du terrain dโรฉtude
1. Lโobjet dโรฉtude : le conseil citoyen de Vierzon
1.1 Vers une problรฉmatisation affinรฉe de la participation dans les projets ANRU
1.2 Le choix de lโobjet dโรฉtude
1.3 Matรฉriaux et mรฉthodes
2. Prรฉsentation du terrain dโรฉtude : le quartier prioritaire Clos Du Roy โ Centre Ville – Vierzon
IV. Enquรชte de terrain : dans quelles mesures un conseil citoyen peut-il sโapproprier un projet ANRU ?
1. La non-association du conseil citoyen ร lโรฉlaboration de la convention NPRU
2. Un capital de mobilisation au travers dโun capital social et symbolique
3. Une lรฉgitimitรฉ positionnรฉe et admise sur la gestion urbaine de proximitรฉ
4. Les formations ร caractรจre technique : un dispositif de ยซ domestication ยป des conseils citoyens ?
Conclusion gรฉnรฉrale
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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