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Intérêts de la morphométrie géométrique
En termes de diagnose sexuelle, les méthodes traditionnelles qualitatives et semi-quantitatives présentent pour principal inconvénient leur subjectivité. En effet, l’appréciation visuelle de caractères dimorphiques est fortement dépendante de l’appréciation et de l’expérience de l’observateur, ce qui introduit un biais observationnel rendant ces méthodes peu reproductibles (Franklin, O’Higgins, et al., 2007). Elles ont été progressivement délaissées au profit de méthodes quantitatives telles que les méthodes morphométriques, plus objectives (Quatrehomme, 2015).
Les méthodes morphométriques traditionnelles reposent, elles, sur des mesures métriques. Celles-ci présentent une fiabilité élevée pour la discrimination sexuelle du crâne, avec des taux de précision allant de 85 à 95% (Franklin et al., 2006; Giles & Elliot, 1963; Steyn & Işcan, 1998). Elles présentent néanmoins certaines limites. Premièrement, le recueil des données peut être soumis à une part d’imprécision selon le mode d’acquisition (mesures manuelles ou acquisition 3D). De plus, elles reposent sur les écarts de taille existant entre les sexes pour les différencier. Or les différences observées entre les individus masculins et féminins sont de deux natures : elles sont le fait de l’expression de la taille (gracilité vs. robustesse) mais également le fait de différences morphologiques.
La morphométrie géométrique permet de dissocier la composante de taille individuelle pour n’étudier que la conformation des individus de l’échantillon. L’effet taille ne vient pas alors biaiser l’estimation du sexe d’un individu.
Cette méthode d’acquisition, de traitement et d’analyse géométrique d’objets présente pour avantage principal une absence de subjectivité dans l’analyse morphologique (Oettlé et al., 2005). En effet, elle repose sur une étude non métrique des caractères dimorphiques grâce au positionnement de landmarks. (Franklin et al., 2006). L’utilisation de landmarks de type I et de type II, faciles à positionner, rend la méthode simple, précise, reproductible et peu soumise aux erreurs de mesures intra et inter observateur (Cramon-Taubadel et al., 2007).
De plus, contrairement à la morphométrie traditionnelle, la sélection a priori des variables utilisées dans l’analyse n’est pas nécessaire en GMM. En effet, en morphométrie traditionnelle, les variables métriques sont définies et sélectionnées préalablement à l’analyse statistique. Ceci implique que si, parmi les variables sélectionnées, certaines ne sont pas pertinentes pour tester l’hypothèse envisagée, les résultats seront parasités par le bruit de fond provoqué par les variables les moins significatives. En morphométrie géométrique, l’utilisation de landmarks permet de s’affranchir de ce problème. Ces derniers sont définis au début de l’étude, mais l’analyse va inclure toutes les variables qui peuvent être mesurées entre les points choisis, ce qui permettra de déterminer a posteriori quelles sont les variables les plus significatives (Zelditch et al., 2004). Ainsi, si des landmarks déterminés initialement ne sont pas suffisamment pertinents pour tester l’hypothèse de départ, ils ne seront pas retenus pas l’analyse et ne viendront pas « brouiller » le résultat.
Un autre avantage de cette méthode est qu’elle permet d’obtenir un meilleur taux de classification correcte pour la détermination du sexe à partir du crâne (Bigoni et al., 2010; Franklin et al., 2005) et de la mandibule (Franklin et al., 2008; Franklin, O’Higgins, et al., 2007) par rapport aux fonctions discriminantes obtenues avec des mesures métriques traditionnelles.
D’ailleurs, en s’affranchissant du critère de taille, la GMM particulièrement adaptée pour comparer la morphologie de structures présentant des variations de taille au cours du temps – lors de la croissance ou du vieillissement (Braga & Treil, 2007) – ou présentant des différences de taille entre les sexes. Il s’agit donc d’un outil extrêmement intéressant dans le cadre de l’étude du dimorphisme sexuel, puisqu’elle permet de définir et quantifier les variations morphologiques pures, et donc le dimorphisme sexuel de conformation, contrairement aux mesures métriques traditionnelles qui ne permettent qu’une analyse du dimorphisme sexuel de taille.
Les applications les plus répandues de la GMM en anthropologie médico-légale sont la détermination de l’origine ou appartenance à une population (Buck & Vidarsdottir, 2004), l’estimation de l’âge au décès (Braga & Treil, 2007) et l’estimation du sexe (Franklin et al., 2006; Franklin, O’Higgins, et al., 2007; Kimmerle et al., 2008; Pretorius et al., 2006).
La morphométrie géométrique n’a pas l’intention de se substituer aux méthodes d’estimation sexuelle traditionnelles reposant sur le dimorphisme sexuel de taille, telles que les approches métriques, mais offre une approche complémentaire en quantifiant et caractérisant la variabilité de conformation de façon objective (Slice, 2007).
Un dernier intérêt des méthodes morphogéométriques est la possibilité de les utiliser pour l’analyse d’ossements fragmentés. En effet, il n’est pas rare de retrouver des os ayant subi des traumatismes ante-mortem ou ayant été exposés à des dégâts post-mortem. En l’absence d’une pièce osseuse complète, il est parfois impossible de recueillir l’ensemble des mesures métriques traditionnelles, ce qui peut impacter la fiabilité de la diagnose sexuelle (Zaafrane et al., 2018). En analysant les différences de conformation tridimensionnelles de structures osseuses complexes, la GMM permet d’estimer le sexe d’un individu même lorsque le crâne n’est pas intact. La précision de la diagnose sexuelle à partir d’une seule région anatomique du crâne est certes moindre que lors de l’utilisation de l’ensemble de la structure mais demeure élevée, pouvant atteindre 80% pour la région orbitaire (Pretorius et al., 2006) et dépasser 90% pour l’étage supérieur de la face (Bejdová et al., 2018; Bigoni et al., 2010).
Deux principales méthodes d’imagerie tridimensionnelle sont employées actuellement pour l’exploration des structures osseuses crânio-faciales : la tomodensitométrie ou CT-scan (Computed Tomography scan) et la tomographie volumique numérisée à faisceau conique ou CBCT (Cone Beam Computed Tomography). Nous avons fait le choix d’utiliser des examens tomodensitométriques comme base de données pour notre étude car ces derniers sont utilisés actuellement en pratique courante dans de nombreux services de médecine légale et de façon croissante dans les domaines de l’identification légale et de l’anthropologie virtuelle (Alias et al., 2018; Dedouit et al., 2014).
L’utilisation d’examens tomodensitométriques présente de nombreux avantages dans l’étude du vieillissement du squelette facial et de son dimorphisme sexuel. Premièrement, l’accès à des bases de données et d’archivage d’examens tomodensitométriques permet de constituer un échantillon d’étude avec un effectif important et de connaître précisément les données civiles des patients étudiés (âge et sexe). Ceci est plus difficile lorsque l’on travaille sur des collections ostéologiques. De plus, une base données radiologiques représente de façon plus réaliste les individus contemporains provenant de populations géographiquement variées (Franklin et al., 2012).
Contrairement aux radiographies 2D, telles que les orthopantomogrammes ou les céphalométries, les examens tomodensitométriques ne sont pas soumis à des problèmes de positionnement du sujet, de superposition droite / gauche, d’échelle ou de distorsion (Alarcón et al., 2016; Ishwarkumar et al., 2017).
Par ailleurs, l’exploitation de données tomodensitométriques permet de combiner différentes méthodes d’analyse, à savoir les méthodes métriques traditionnelles pour l’étude de traits quantitatifs, et la morphométrie géométrique pour l’étude des variations de conformation. Il est possible d’employer les mêmes landmarks que ceux utilisés dans les méthodes archéologiques et anthropométriques classiques, ce qui permet d’établir des comparaisons avec des résultats publiés précédemment et des normes existantes. Contrairement aux méthodes de recueil de mesures manuelles qui se cantonnent à un nombre limité de variables, l’utilisation de landmarks sur une acquisition 3D permet l’analyse statistique de toutes les distances et combinaisons possibles.
De plus, grâce à l’excellente résolution spatiale du scanner, le positionnement des landmarks est non seulement plus aisé, ce qui présente un avantage considérable lors du traitement d’un nombre important d’échantillons, mais également plus précis que sur une numérisation 3D à partir d’os secs (Simon & Marroig, 2015). Ceci augmente la fiabilité des méthodes d’analyse précédemment citées et, vu que les méthodes développées sur des examens tridimensionnels offrent une précision supérieure, elles peuvent également être appliquées aux collections ostéologiques (Zaafrane et al., 2018). La seule situation pouvant compliquer le positionnement d’un point repère sur un examen 3D est une présence importante d’artéfacts métalliques (Gamba et al., 2016).
Le CBCT présente également une excellente résolution spatiale, souvent supérieure au scanner, mais il est fréquemment prescrit dans le cadre de l’exploration de pathologies orales et osseuses des maxillaires, ce qui peut biaiser l’étude des structures osseuses. Néanmoins, divers auteurs ont employé des bases de données Cone Beam pour l’étude du dimorphisme sexuel (Dong et al., 2015; Fan et al., 2019; Mustafa et al., 2019; Tunis et al., 2017; Zheng et al., 2018). Les examens tomodensitométriques crânio-faciaux, en revanche sont souvent prescrits en dehors de toute affection osseuse, dans le cadre d’explorations vasculaires par exemple.
Enfin, les examens tomodensitométriques et les données 3D extraites des landmarks rendent possible la création de standards virtuels pour le squelette facial pouvant être plus facilement appliqués à des contextes médico-légaux, dans lesquels les crânes retrouvés ne sont pas toujours secs. De surcroît, l’acquisition tridimensionnelle englobe également les tissus mous ; ces standards virtuels squelettiques peuvent alors être étendus aux tissus cutanés sus-jacents et permettre la création de standards faciaux. Plusieurs études ont observé qu’il existe un lien étroit entre la forme des tissus mous de la face et celle de l’os sous-jacent, et que le vieillissement squelettique a un impact direct sur l’enveloppe cutanée (Coleman & Grover, 2006; Guyomarc’h et al., 2014; Mydlová et al., 2015). Ainsi, une prédiction exacte des changements de conformation osseux avec le vieillissement pourrait permettre une estimation de la forme des tissus mous de la face.
Caractéristiques des examens
Les examens ont été réalisés avec un Scanner SOMATOM Sensation 16 (Siemens, Erlangen, Germany), utilisé à des fins cliniques dans le service de radiologie du CHU Toulouse Rangueil.
La collimation était de 16 x 1,5 mm, l’épaisseur de coupe dans le plan axial de 0,6 mm, et la matrice de l’image de 512 x 512 pixels. Les acquisitions étaient reconstruites avec un filtre « tissus durs » (bone filter) pour l’analyse osseuse.
MÉTHODES
Recueil des données
Archivage des examens tomodensitométriques
Toutes les données et images ont été enregistrées et traitées de façon anonyme. Les seuls paramètres recueillis étaient le sexe et l’âge des individus au moment de l’acquisition des examens. Les examens tomodensitométriques ont été sauvegardés au format DICOM (Digital Imaging and Communication in Medicine) et stockés sur un disque dur externe.
Choix des landmarks
Les critères de sélection de ces landmarks étaient les suivants (Franklin et al., 2008, 2013; Giles & Elliot, 1963; Zaafrane et al., 2018) :
– leur localisation anatomique est décrite dans la littérature comme pertinente pour l’analyse du
dimorphisme sexuel du crâne, de la face et de la mandibule – leur positionnement est facile et reproductible
Les Tableaux 4 et 5 et les Figures 13 et 14 détaillent les landmarks crâniens et mandibulaires.
Enregistrement des données
Après avoir enregistré les coordonnées tridimensionnelles (x, y, z) de chaque landmark, celles-ci ont été exportées depuis Osirix et stockées au sein d’une base de données.
Mesures métriques et analyse statistique
Tests de reproductibilité
L’ensemble des données ont été collectées par un observateur. Afin d’évaluer le pourcentage d’erreur intra-observateur, le même examinateur a procédé à la pose des 48 landmarks sur 40 examens scanner sélectionnés de façon aléatoire au sein de l’échantillon (20 femmes et 20 hommes), un mois suite à la première analyse. Un deuxième observateur a procédé à l’analyse de ces mêmes 40 examens afin d’estimer la variabilité inter-observateur.
Nous nous sommes basés sur la théorie de généralisabilité (GT) pour les tests de reproductibilité en utilisant le coefficient G comme estimateur de l’erreur intra et inter-observateur. Une valeur du coefficient G proche de 1 signifie une haute reproductibilité (Ercan et al., 2008).
Le choix de cette méthode repose sur la problématique du référentiel employé. En effet, les valeurs employées pour le calcul de l’erreur relative dépendent de l’écart du landmark au centre du référentiel (le 0 dans le cas d’examens tomodensitométriques). Le crâne et la mandibule étant des structures médianes, les landmarks sont distribués de part et d’autre du 0, ce qui amène à des valeurs relatives positives et négatives (Cramon-Taubadel et al., 2007). L’utilisation du coefficient G permet de s’affranchir de cette difficulté, et est possible du fait de la forte homologie des landmarks employés dans cette étude (type I et II).
Analyse univariée
Le dimorphisme sexuel de taille a été exploré par une analyse métrique. 26 distances et un angle ont été mesurés au niveau du massif crânio-facial et de la mandibule. Il s’agit de paramètres crâniométriques validés par la littérature pour la diagnose sexuelle de l’extrémité céphalique (Franklin et al., 2008, 2012; Giles & Elliot, 1963). Ils sont détaillés dans le Tableau 6. Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel R® 3.0.2 v1.1.463. La normalité des échantillons a été testée grâce au test de Shapiro et le test de Fisher a permis de contrôler l’égalité des variances.
Morphométrie géométrique et analyse statistique
Afin de définir et quantifier les variations morphologiques entre les individus féminins et masculins de notre échantillon, une analyse par morphométrie géométrique a été menée. Celle-ci permet l’étude du dimorphisme sexuel de conformation, c’est-à-dire les différences de forme non liées à la taille.
La première étape a consisté en une Analyse Procruste Généralisée (GPA) du crâne (crâne et face) et de la mandibule de façon indépendante. Les formes des structures osseuses, définies par les landmarks sont alors superposées par des opérations de rotation et translation et ramenées à la même échelle. Ce redimensionnement est effectué à partir de la taille centroïde de l’objet.
Suite à la GPA, une configuration moyenne a été produite pour chaque sexe à partir des coordonnées Procruste afin de comparer les différences de conformation entre les individus masculins et féminins.
Dans un deuxième temps, une analyse en composantes principales (ACP) des résidus Procrustes a été réalisée afin de visualiser les différences de conformation du crâne et de la mandibule en fonction du sexe. Cette analyse permet de réduire la dimension de la matrice de données et de visualiser les principales tendances de variation des individus au sein de l’échantillon. Ceci se traduit graphiquement par un nuage de points répartis selon les deux axes (les composantes principales) expliquant le mieux la dispersion des individus à l’aide des variables qui contribuent le plus à cette dispersion.
Afin d’évaluer la performance de la discrimination sexuelle à partir de la conformation du crâne et de la mandibule, une Analyse Discriminante Linéaire (LDA pour Linear Discriminant Analysis ou CVA pour Canonical Variate Analysis) a été réalisée à partir des résidus Procrustes. Celle-ci détermine les différences maximales entre les hommes et les femmes en termes de dimorphisme en prenant en compte les variations intragroupes.
Le test F de Goodall et les distances de Mahalanobis ont permis d’évaluer la significativité des différences de conformation entre les sexes retrouvées lors de la CVA. Le test F de Goodall permet de tester les variations globales de formes entre groupes en prenant en compte toutes les variables de l’échantillon. La distance de Mahalanobis permet, elle, de mesurer la distance entre les centroïdes des groupes étudiés selon une échelle ajustée à la variation intra groupe (Zelditch et al., 2004).
RÉSULTATS
Tests de reproductibilité
Nos résultats présentent une bonne reproductibilité. Les valeurs du coefficient G sont de 0.997 pour la variabilité inter-observateur et de 0.999 pour la variabilité intra-observateur.
Analyse univariée
L’analyse métrique permet de constater un dimorphisme sexuel de taille de l’extrémité céphalique bien marqué au sein de la population étudiée.
Les individus masculins présentent des valeurs moyennes significativement plus grandes pour 25 mesures (p < 0,05). La hauteur mastoïdienne (Ms_Po), la hauteur symphysaire mandibulaire (Gn_Id), la hauteur ramique (Cs_Go) et la largeur bigoniaque (Go_Go) sont les paramètres présentant les ratios de dimorphisme sexuel les plus élevés. En revanche, le test t de Student montre que l’angle goniaque (Cs-Go-Pg) ne permet pas de discriminer les individus féminins et masculins de façon significative dans notre échantillon. Il en est de même pour la hauteur orbitaire (Oi-Os) d’après le test de Mann-Whitney. Les résultats de l’analyse univariée et les distances moyennes pour les hommes et les femmes sont présentées dans le Tableau 7.
Effet de l âge sur le dimorphisme sexuel de taille et de conformation
Un des objectifs de notre étude était d’analyser un possible effet de l’âge sur le dimorphisme sexuel du crâne et de la mandibule. Nous savons qu’un phénomène de résorption osseuse, causé par une diminution des niveaux hormonaux, survient avec le vieillissement (Walsh, 2018). Guyomarc’h et al. (2014) ont démontré à l’aide d’analyses discriminantes que l’âge a un impact significatif sur la morphologie osseuse des individus avant et après 40 ans. Par conséquent, nous avons choisi d’établir un seuil (cut-off) à 40 ans pour notre étude.
Pour l’ensemble de notre échantillon, nous avons constaté que le modèle généré par la sélection pas à pas descendante permettant de classer les individus avec le plus de précision n’incorporait pas les distances mandibulaires. Il semblerait donc que la mandibule n’apporte pas d’éléments supplémentaires à la diagnose sexuelle lorsque l’ensemble des mesures crâniennes peut être utilisé. En revanche, la précision de nos résultats pour le modèle mandibulaire augmente pour les individus âgés de plus de 40 ans, passant de 68% (avant 40 ans) à 81,4% (après 40 ans). Ceci ne se vérifie pas pour le modèle crânien, pour lequel l’exactitude de prédiction ne varie pas avec l’âge. Une hypothèse pouvant expliquer ce constat est que la mandibule subit des modifications de conformation avec l’âge (Toledo Avelar et al., 2017). Cependant, il est également possible qu’une diminution des niveaux hormonaux (Walsh, 2018), en particulier des niveaux d’œstrogène, entraîne une plus forte résorption osseuse au niveau du squelette facial des femmes que de hommes. Ceci accentuerait le dimorphisme mandibulaire entre les deux sexes et rectifierait le biais constaté. L’analyse par morphométrie géométrique a montré une augmentation de la précision de la diagnose sexuelle à partir du crâne pour les individus de plus de 40 ans. Celle-ci passe de 97,5 à 100%. Néanmoins, pour les groupes d’individus âgés de plus ou moins de 40 ans, les résultats ont révélé une absence de significativité de la conformation mandibulaire. Le crâne reste donc, comme pour l’analyse métrique, le modèle le plus fiable pour discriminer les individus féminins et masculins, avec une précision de 97,5%.
Nos résultats ainsi que l’analyse de la littérature montrent que le dimorphisme sexuel de l’extrémité céphalique est lié à des différences de taille et de conformation entre les sexes. Les méthodes métriques traditionnelles paraissent donc insuffisantes pour une estimation sexuelle précise, en particulier lorsque les différences de taille sont peu marquées entre individus. La morphométrie géométrique, en revanche, permet une meilleure discrimination entre individus masculins et féminins à partir de la conformation crânienne et mandibulaire, quel que soit l’âge du sujet.
Au sein d’une population contemporaine française, le crâne présente un dimorphisme sexuel de taille et de conformation plus marqué que la mandibule et donc une plus grande fiabilité pour l’estimation du sexe. Ainsi, l’absence de mandibule n’impacte pas négativement la diagnose sexuelle de l’extrémité céphalique.
Néanmoins, lorsque seule la mandibule est retrouvée ou que le crâne est endommagé et ne peut être exploité, la mandibule peut être employée pour le processus d’identification. L’analyse de sa conformation offre la meilleure fiabilité pour l’estimation du sexe. Si l’on opte pour une analyse métrique traditionnelle, celle-ci devrait inclure les distances bigoniaque et bicondylienne, les hauteurs ramique et symphysaire ainsi que la longueur mandibulaire. Cependant, bien que la mandibule présente un ratio précision / nombre de landmarks intéressant pour la construction de fonctions discriminantes, il convient de noter que l’analyse métrique a tendance à surestimer les individus féminins.
D’autre part, notre analyse semble montrer qu’il existe une évolution du dimorphisme sexuel crânien et mandibulaire après 40 ans : la précision de la diagnose sexuelle à partir du crâne et de la mandibule semble augmenter avec l’avancée en âge. Un échantillon plus homogène et conséquent est nécessaire pour confirmer cette tendance, mais il est légitime de supposer que les changements morphologiques causés par le vieillissement et la perte dentaire ont un impact sur le dimorphisme sexuel mandibulaire.
Différentes méthodes ont été décrites pour l’estimation sexuelle mandibulaire en période de croissance (Coqueugniot et al., 2002; Franklin, Oxnard, et al., 2007) et à l’âge adulte (Tunis et al., 2017).
Il serait donc intéressant de développer des méthodes et équations de prédiction du sexe pour la population âgée afin de pouvoir disposer de standards adaptés à chaque tranche d’âge : enfance, puberté, âge adulte et âge avancé.
Enfin, une précaution particulière doit être apportée à l’interprétation d’études proposant des équations d’estimation sexuelle pour l’adulte lorsqu’elles basées sur des cohortes comprenant des enfants ou adolescents (Ishwarkumar et al., 2017; Kharoshah et al., 2010; Lopez-Capp et al., 2018). La croissance mandibulaire pouvant se poursuivre jusqu’à 19-22 ans (Buschang et al., 1982; Kelly et al., 2017), l’inclusion d’individus plus jeunes va biaiser l’analyse métrique.
Parmi les limites de la présente étude, nous pouvons citer le faible nombre d’individus de moins de 40 ans ainsi que le fait que l’origine ethnique des individus étudiés n’est pas connue précisément. Nous avons également remarqué, lors de l’analyse statistique, qu’un certain nombre de variables ne suivaient pas une loi normale, comme il serait attendu pour des variables biologiques de distance. Ceci est probablement lié à la taille relativement faible de l’échantillon. Pour cette raison, nous avons utilisé des tests statistiques adaptés à ces variables, à savoir le test de Mann-Whitney et le test d’Aspin Welch. Bien que le nombre d’individus inclus dans cette étude soit similaire à ceux retrouvés dans de précédentes études (Franklin et al., 2007; Rosas & Bastir, 2002; Schmittbuhl et al., 2001) et ait permis la comparaison du dimorphisme sexuel du crâne et de la mandibule, la taille de notre échantillon est trop faible pour pouvoir établir des standards populationnels pour la population française. Pour ce faire, les méthodes décrites devraient être appliquées à un plus grand nombre d’examens tomodensitométriques. Ceci pourrait faire l’objet d’une future étude.
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Table des matières
PRÉAMBULE
I) ANATOMIE MANDIBULAIRE
II) LA MANDIBULE EN ANTHROPOBIOLOGIE
1. La mandibule en paléoanthropologie
2. La mandibule en tant qu’outil d’identification
3. Origine et évolution du dimorphisme sexuel mandibulaire
III) CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES
1. La morphométrie traditionnelle
2. La morphométrie géométrique
3. Avantages de l’exploitation de données tomodensitométriques
TRAVAUX
PREMIÈRE PARTIE – APPORT DE LA MANDIBULE DANS LA DIAGNOSE SEXUELLE DE L?EXTRÉMITÉ CÉPHALIQUE
I) LE DIMORPHISME SEXUEL DE L’EXTREMITE CEPHALIQUE
II) CONTEXTE
III) MATÉRIEL
IV) MÉTHODES
V) RÉSULTATS
VI) DISCUSSION
DEUXIÈME PARTIE – ÉVOLUTION DE LA MORPHOLOGIE MANDIBULAIRE AVEC LE VIEILLISSEMENT ET LA PERTE DENTAIRE
I) CONTEXTE
II) MATÉRIEL
III) MÉTHODES
IV) RÉSULTATS
V) DISCUSSION
SYNTHÈSE ET PERSPECTIVES
I) SYNTHÈSE DES RÉSULTATS
II) PERSPECTIVES
1. Applications en anthropologie et médecine légale
2. Applications chirurgicales
CONCLUSION
RÉFÉRENCES
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