Evolution de la mémoire chez l’enfant
Afin de créer au mieux des situations pédagogiques propices aux apprentissages, il est essentiel que les enseignants connaissent les principales évolutions de la mémoire. Les élèves de maternelle n’ont pas les mêmes capacités de mémorisation que les élèves d’école élémentaire en raison des différents stades de maturité des systèmes mnésiques.
Caractéristiques de l’évolution
Le développement de la mémoire résulte du développement des différents modules tous reliés ensemble. Il est difficile pour les chercheurs d’expliquer l’évolution de la mémoire car il faut comprendre la manière dont se développent les structures les unes avec les autres. Cependant, ils ont mis en évidence une étape importante dans ce développement au cours de l’enfance. En effet, vers 6 ans l’utilisation du langage comme outil de la pensée permettrait d’augmenter le rendement mnésique des mémoires (Nelson, 1996 cité par Soprano et Narbona, 2009). Nous allons donc nous intéresser à l’évolution des différentes mémoires au cours de l’enfance. Dès la naissance, le nourrisson présente un système mnésique inné. Il possède des aptitudes développées pour reconnaître un visage, une odeur, un son de son environnement. D’après Lécuyer (cité par Lieury, 1998), les bébés reconnaissent le visage de leur maman 48h après la naissance. Soprano et Narbona (2009) ajoutent qu’un contact de 12h permet à l’enfant de reconnaître la voix de sa mère. Il est donc capable de retenir et d’apprendre de nouvelles choses grâce aux interactions qu’il crée avec son environnement. Entre 3 et 5 ans, l’enfant acquiert la capacité à accéder à un souvenir de manière consciente. La mémoire épisodique est donc plus stable après 5 ans et se développe jusqu’à l’adolescence. Cette mémoire perd en efficacité au cours du vieillissement. Mais elle peut être utilisée très tôt grâce à l’acquisition du langage qui permet aux adultes d’orienter les souvenirs de l’enfant. De même, la mémoire sémantique sera plus productive chez des enfants plus âgés. Les bébés commencent à penser vers 8 mois, ce qui correspond à l’apparition de la mémoire sémantique mais elle est peu utilisée jusqu’à 5 ans. En revanche, elle est plus efficace en période de scolarisation car l’enfant acquiert une pensée plus rigoureuse en raison des changements cognitifs. En effet, Le Bouedec (1989) a montré qu’à partir de 5 ans, période charnière dans l’élaboration de représentations mentales, les élèves commençaient à mémoriser des informations selon une organisation sémantique. De plus, l’enrichissement des connaissances s’effectue par l’utilisation des ressources cognitives liées à l’émergence de l’attention sélective et des habilités mnésiques, à l’augmentation de la capacité et de la vitesse de traitement et à la mise en place de la métacognition (Mme Gaux, 2012). Entre 3 et 5 ans, les jeunes enfants retiendront davantage des mots courts. Par exemple, il sera plus facile pour eux de mémoriser l’item « pain » que l’item « éléphant ». Par contre, l’effet n’est pas le même pour les illustrations. Lorsqu’une image est présentée à des jeunes enfants, ces derniers l’encoderont de manière visuelle car ils n’ont pas la capacité d’encoder l’information de façon phonologique, mais seulement d’enregistrer les caractéristiques visuelles. Ce phénomène s’explique par le fait que la mémoire à court terme verbale se développe à partir du développement de la boucle phonologique. Celle-ci est constituée du stock phonologique qui est déjà présent à l’âge de deux ans, et du processus de répétition subvocalique qui s’instaure à partir de l’âge de 7 ans (Soprano et Narbona, 2009). Quant à l’empan mnésique auditivo-verbal, il augmente avant 7 ans. Cette amélioration relève de différents facteurs parmi lesquels on retrouve les habiletés phonologiques, l’augmentation de la vitesse de processus d’articulation comme de récupération, l’utilisation de stratégies (particulièrement la répétition subvocalique) et l’enrichissement du vocabulaire (stock lexical et connaissances de base), (Soprano et Narbona, 2009). Ces acquisitions permettent à l’enfant d’avoir un rendement proche de celui des adultes à la fin de l’école primaire. Entre 5 et 12 ans, la mémoire à court terme visuo-spatiale voit son rendement mnésique augmenter également avec l’âge. Des études commme celles de Hitch, Halliday, Schaafstal et Schraagen ont montré qu’avant l’âge de 8 ans, les enfants enregistrent des images sous forme visuelle (Soprano et Narbona, 2009). En revanche, ils mémorisent les informations à partir de la voie phonologique après 8 ans. Ces élèves transfèrent l’information visuelle sous forme de code phonologique. Cet inversement de fonctionnement serait lié à l’acquisition de la lecture. Soprano et Narbona (2009) rappellent que l’apprentissage de la lecture serait un facteur important pour favoriser l’utilisation des stratégies phonologiques dans les tâches visuo-spatiales. Les capacités attentionnelles, la vitesse de traitement, l’utilisation de stratégies et les connaissances préalables joueraient un rôle important dans l’augmentation du rendement mnésique. Quant à la mémoire procédurale, elle s’installe très tôt dans la vie du bébé et n’a pas d’évolution spécifique. Toutes ces spécificités du développement de la mémoire chez l’enfant sont à prendre en compte par le professeur pour adapter son enseignement. Il est également nécessaire qu’il connaisse les stratégies de mémorisation pour ensuite aider les élèves à les développer et les utiliser plus régulièrement.
Evolution des stratégies mnésiques
Le développement de la mémoire ainsi que les différences interindividuelles dépendent notamment des stratégies que l’individu mettra en place pour faciliter la mémorisation. On entend par stratégies le fait que l’humain procède à des opérations cognitives afin d’améliorer le rendement mnésique. Elles peuvent être effectuées de manière consciente ou inconsciente. Les chercheurs ont mis en évidence quatre stades dans le développement des stratégies au cours de l’enfance (Soprano et Narbona, 2009). L’enfant présente dans un premier temps une « déficience de méthode ». C’est-à-dire qu’il n’utilise aucune stratégie et ne cherche pas à en apprendre une. Puis, il montre une « déficience d’appropriation» en n’utilisant pas de luimême une stratégie. Toutefois, avec de l’entrainement et par la demande de l’adulte, il peut y avoir recours. Une fois la stratégie appropriée, l’enfant traverse une étape de « déficience d’utilisation » car malgré son usage, elle ne permet pas d’améliorer de suite le souvenir. C’est en fin de scolarité primaire que l’utilisation de stratégies sera efficace et à bon escient. Mais cette phase peut se produire même après l’école élémentaire. Les stratégies peuvent être distinguées selon le type d’opération sur lequel elles interviennent : stockage de l’information, récupération, élaboration et association. En ce qui concerne les stratégies relatives au stockage de l’information se trouvent la répétition et l’organisation des informations. La répétition ou subvocalisation (le fait de se répéter mentalement ou à voix basse l’information) permet de consolider l’information maintenue en mémoire. Cette stratégie apparait vers 7 ans et permet d’augmenter le nombre d’éléments retenus. A 10 ans, 85% des enfants y ont recours. L’organisation des informations consiste à regrouper les éléments en catégories afin d’avoir un meilleur rendement et s’économiser cognitivement. Cette organisation sémantique est un des modes d’apprentissage les plus efficaces mais apparait tardivement. Cette procédure s’acquiert avec l’âge mais surtout audelà de l’école élémentaire. Ce processus est indispensable au vue des limites de la mémoire à court terme. Les stratégies d’élaboration et d’association consistent à créer un lien entre des termes qui d’apparence n’en ont pas. Cette méthode facilite la mémorisation : en établissant un lien direct entre deux termes comme pour chien et niche (le chien dort dans la niche) par exemple, la mémorisation s’effectue plus simplement. Comme pour la stratégie précédente, elle s’acquiert avec l’âge mais nécessite de l’aide pour les plus jeunes au départ. Dès 4 ans, l’enfant est capable de se créer une image mentale s’il est aidé. Le développement de l’imagerie mentale augmente progressivement jusqu’à la fin de l’école élémentaire. Cette utilisation peut se poursuivre jusqu’à l’adolescence mais n’est pas utilisée par tous (20 à 30% des adultes y ont recours) (Soprano et Narbona, 2009).
En ce qui concerne les stratégies relatives au processus de récupération, des différences sont observables dans l’utilisation de ces techniques chez les enfants de 4 à 12 ans. L’utilisation spontanée est visible chez le jeune écolier et même en fin de période préscolaire contrairement à des stratégies de récupération plus complexes où il faut réorganiser l’information stockée pour la mettre en relation avec un nouvel évènement. Cette stratégie plus complexe ne sera utilisée qu’à partir de l’adolescence. Dans tous les cas, il est difficile de distinguer les stratégies de stockage et de récupération. Avant 6/7 ans leur usage est peu utilisé mais en grandissant les enfants y ont recours de manière fréquente et de façon plus efficace. Le développement des stratégies n’est pas linéaire : seulement 8% des enfants y ont recours de manière graduelle et les autres par « bonds » (Schlagumüller et Scnheider, 2002 cités par Soprano & Narbona). Les élèves prennent conscience des avantages liés à une stratégie organisatrice environ six mois avant de l’utiliser. Toutes les recherches sont unanimes pour affirmer que les stratégies les plus efficaces sont la répétition et l’organisation. L’utilisation des stratégies dépend aussi de la capacité de l’enfant à porter son attention et à réfléchir au fonctionnement de sa mémoire pour en faciliter la mémorisation. Cette réflexion sur la mémoire est appelée la métamémoire. Elle s’apparente à des processus d’autorégulation, de sélection et d’évaluation. La métamémoire dépend de trois variables. Elle met en jeu les connaissances qu’a l’individu sur ses capacités mnésiques, les connaissances qui rendent une tâche plus ou moins difficile et renvoie à la possibilité d’expliquer le choix de l’utilisation d’une stratégie (de stockage ou de récupération). Les progrès réalisés par les élèves leur permettent d’augmenter qualitativement le rendement mnésique. Ils réussissent à contrôler leurs stratégies et les utilisent parfois simultanément (Soprano & Narbona, 2009). Des manifestions méta-mnésiques commencent dès la période préscolaire, comme par exemple le contrôle de certaines conduites mentales ou la possibilité de distinguer l’important du superflu lors d’histoires en images, mais elles sont plus remarquables à l’école primaire. En effet, les enfants sont capables de faire la distinction entre le rappel et la reconnaissance sans pour autant être en capacité de l’expliquer et de justifier la procédure utilisée. Les stratégies méta mnésiques continuent de se développer à l’adolescence jusqu’à l’âge adulte (Schneider, 1997 cité par Soprano et Narbona, 2009).
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Table des matières
Introduction
i. CADRE THEORIQUE
1. La mémoire
1.1 Fonctionnement de la mémoire
1.1.1 Types de mémoire et durée de conservation des informations
1.1.2 Les traitements de l’information et processus d’oubli
1.2 Evolution de la mémoire chez l’enfant
1.2.1 Caractéristiques de l’évolution
1.2.2 Evolution des stratégies mnésiques
1.2.3 Les outils pour évaluer la mémoire
2. La mémoire dans les apprentissages scolaires
2.1 Apprendre à apprendre
2.2 Acquisition et organisation des connaissances, codage des informations en mémoire
2.3 Ce qui est prévu par les textes officiels
2.4 La mémoire dans différentes disciplines
3. Comment aider l’enfant à développer sa mémoire ?
3.1 Rythme de vie et entraînement de la mémoire
3.2 Rôle de l’enseignant
3.3 Comment favoriser l’utilisation de la mémoire ? Quelles stratégies d’enseignement ?
3.4 Y a-t-il une pédagogie spécifique à adopter ?
4. Problématique
ii. CADRE METHODOLOGIQUE
1. Les participants
2. Outil : présentation du questionnaire
2.1 Thème 1 : Caractéristiques personnelles de l’enseignant
2.2 Thème 2 : Connaissances de l’enseignant sur la mémoire et conception relative à son développement
2.3 Thème 3 : Formation de l’enseignant sur la mémoire
2.4 Thème 4 : La mémoire dans les apprentissages
2.5 Thème 5 : Les différentes pratiques des enseignants relatives à l’utilisation de certains procédés mnésiques
2.6 Thème 6 : Activités utilisées par les enseignants pour travailler la mémoire en classe
2.7 Thème 7: Présence de difficultés de mémoire, causes, repérage, remédiations
iii. RESULTATS
1. Analyse des réponses aux questions posées
1.1 Thème 1 : Caractéristiques personnelles de l’enseignant
1.2 Thème 2 : Connaissances de l’enseignant sur la mémoire et conception relative à son développement
1.3 Thème 3 : Formation de l’enseignant sur la mémoire
1.4 Thème 4 : La mémoire dans les apprentissages
1.5 Thème 5 : Connaissances des enseignants sur la mémoire et caractéristiques de leurs pratiques
1.6 Thème 6 : Activités utilisées par les enseignants pour travailler la mémoire en classe
1.7 Thème 7: Présence de difficultés de mémoire, causes, repérage et remédiations
2. Examen des hypothèses
iv. DISCUSSION
v. CONCLUSION ET LIMITES DE LA RECHERCHE
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
vi. ANNEXES