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Etudes IN VITRO de l’évolution adaptative
De nombreuses études d’évolution in vitro ont mis en évidence et étudié des mécanismes impliqués dans l’évolution adaptative bactérienne. Des mutations nucléotidiques simples, des réarrangements chromosomiques, ainsi que des duplications de gènes, ont été observés au cours de ces études. Par exemple, des taux de délétion importants ont été rapportés pour des souches de Salmonella enterica cultivées dans des milieux riches. Dans ces milieux abondants en nutriments, plusieurs fonctions de biosynthèse d’acides aminés devenaient superflues rendant favorable, en termes de coût génétique, la délétion de gènes codant pour ces fonctions (Nilsson et al. 2005). Une autre étude a montré qu’une réduction génomique pouvait se produire dans cette même espèce à de courtes échelles de temps, lors de repiquages successifs (Nilsson et al. 2005). Toujours dans le cadre de l’adaptation rapide à certaines conditions, parmi six lignées d’Escherichia coli adaptées après 2000 générations à 41,5 °C, trois présentaient des événements de duplication et de délétions de gènes (Riehle et al. 2001). De manière intéressante, trois duplications identifiées avaient eu lieu dans la même région génomique, suggérant une évolution convergente à l’origine de l’adaptation à de hautes températures. Cette région de duplication contenait quatre gènes décrits auparavant comme jouant un rôle dans la réponse au stress et la survie dans les milieux oligotrophes1.
Une étude de l’évolution d’E. coli suggère qu’en présence de faibles concentrations en nutriments, différents clones variants présentant une phase de latence de croissance réduite, un taux de croissance maximal augmenté, ou une plus forte capacité à survivre dans des conditions de densité cellulaire élevée, peuvent apparaître au cours du temps (Kinnersley et al. 2009). Les changements périodiques de densité de population et de taux de nutriments peuvent alors contribuer à un équilibre de sélection entre les différents variants coexistants. Ce phénomène de maintien et de coexistence de plusieurs polymorphismes dans une population asexuée haploïde est appelé l’interférence clonale, où des mutations bénéfiques différentes peuvent être portées par différentes sous-populations (Kao and Sherlock 2008). Dans les grandes populations d’êtres vivants haploïdes, la coexistence de variants présentant des mutations adaptatives bénéfiques va limiter l’expansion dominante d’une des lignées adaptées (Kao and Sherlock 2008).
Trois populations différentes d’E. coli, chacune étant initialement isogénique2, placées dans des milieux à faible teneur en carbone se sont toutes diversifiées en deux sous-populations présentant différents types de variations adaptatives dans le métabolisme des glucides (Herron and Doebeli 2013). Lors de culture sur des milieux contenant du glucose et de l’acétate comme sources carbonées, les bactéries métabolisent préférentiellement le glucose et excrètent de l’acétate jusqu’à ce que le glucose soit épuisé dans le milieu. Elles effectuent alors la transition glucose-acétate aussi appelée phénomène de diauxie qui permet la consommation d’acétate (Monod, J 1942). Après 1 000 générations de bactéries ayant subi la transition glucose-acétate, deux phénotypes différant par le délai d’engagement dans la voie d’utilisation de l’acétate émergent et coexistent dans les populations testées ; les « slow switcher » (SS) et les « fast switcher » (FS) (Friesen et al. 2004; Spencer et al. 2008). Ces deux phénotypes reflètent un compromis dans le métabolisme des glucides : les souches SS ont une croissance plus importante que les FS quand le glucose est abondant mais ne catabolisent pas aussi efficacement l’acétate tandis que les souches FS présentent une croissance identique quand le glucose est épuisé (Spencer et al. 2008). La reproductibilité de l’apparition de ces deux phénotypes lors de nombreux réplicats est un exemple frappant de convergence évolutive, suggérant un processus adaptatif sous-jacent. Néanmoins, pour plusieurs réplicats, des auteurs ont mis en évidence que les variants SS métabolisant mieux le glucose étaient les premiers à apparaître et à envahir le milieu, suivis par les variants FS métabolisant mieux l’acétate (Herron and Doebeli 2013). Les auteurs considèrent que la coévolution des deux phénotypes SS et FS est favorisée par des interactions écologiques ; tout changement d’environnement induit par les activités métaboliques d’une sous-population abondante créant une nouvelle niche au sein de laquelle une autre sous-population peut évoluer et devenir abondante. Ils notent ensuite que des polymorphismes peuvent être observés au sein des lignées SS et FS et maintenus dans un contexte d’interférence clonale (Herron and Doebeli 2013).
La coopération pour la production collective de biens biologiques est un phénomène écologique fréquent dans les communautés microbiennes. Se développent alors des « profiteurs » (ou tricheurs, « cheats »), c’est-à-dire des mutants non producteurs, qui exploitent ces biens communs. Une étude a analysé la coévolution de souches de P. aeruginosa productrices de pyoverdine (« coopérateurs »), un sidérophore piégeant le fer, avec des souches de P. aeruginosa non productrices mais capables d’absorber cette pyoverdine (« profiteurs ») (Kümmerli et al. 2015). Dans les conditions de l’étude, des populations mixtes dans lesquelles les lignées de « coopérateurs » et « profiteurs » coexistent sont souvent observées. Les études phénotypiques et génomiques suggèrent que, dans les populations mixtes, les « coopérateurs » sont devenus moins exploitables par les « profiteurs » en réduisant considérablement leurs investissements dans la synthèse de pyoverdine. Les profiteurs ont, quant à eux, amélioré l’efficacité de leur exploitation par des mutations bloquant une voie coûteuse de signalisation déclenchée lors de l’absorption du sidérophore (Kümmerli et al. 2015). De plus, les lignées ont toutes deux évolué en réduisant leur motilité, ce qui affecte les interactions sociales en réduisant le mélange des souches et le partage de pyoverdine. Dans l’ensemble, il a été observé une coévolution durant laquelle la coexistence et les interactions des « coopérateurs » et des « profiteurs » ont nécessité une combinaison d’adaptations à l’environnement abiotique et social (Kümmerli et al. 2015).
Enfin, la mesure des taux de croissance de douze populations d’E. coli pendant 50 000 générations (21 ans) a montré que le fitness général de la population augmentait apparemment sans limite (Wiser et al. 2013). Les auteurs ont pourtant noté que les mutations délétères apparaissaient plus fréquemment que les mutations bénéfiques mais que leurs conséquences étaient moins importantes que les avantages apportés par les mutations bénéfiques dans les conditions de l’expérience. L’étude de leur croissance in vitro a montré que les lignées à fort taux de mutations ou hypermutables présentaient une augmentation de fitness au cours du temps plus rapide que celle de leurs ancêtres et de populations non hypermutables. Les auteurs ont conclu qu’elles seraient particulièrement adaptables face à des conditions environnementales changeantes (Wiser et al. 2013). L’hypermutation est un phénomème fréquent chez les bactéries. On distingue des souches faiblement et fortement hypermutables, avec des taux de mutations respectivement supérieurs de 13 fois et 200 fois à la valeur normale (Matic et al. 1997). Ces taux importants de mutation sont liés à des perturbations dans le système MMR (methyl-directed mismatch repair) impliquant le gène mutS codant pour des protéines qui réparent les erreurs de l’ADN polymérase lors de la réplication de l’ADN (Watson et al. 2004). Les erreurs de l’ADN polymérase ne sont donc plus rectifiées et le taux de mutation augmente. Plus récemment, de nouveaux gènes impliqués dans l’hypermutabilité ont été décrits chez P. aeruginosa comme le gène pfpI (Rodríguez-Rojas and Blázquez 2009). Ce gène joue normalement un rôle protecteur contre les détériorations de l’ADN causées par le stress oxydatif et son inactivation serait impliquée dans l’apparition de variants hypermutateurs.
Les variations et contraintes de niche écologique jouent un rôle important dans l’évolution microbienne. Cette évolution est souvent visible à un niveau phénotypique mais il est le plus souvent difficile de déterminer la base génétique des modifications observées. Pour étudier le lien entre la capacité de P. aeruginosa à dégrader de nouveaux sucres et les modifications génétiques sous-jacentes, le génome de nombreux clones a été séquencé après 30 jours d’évolution en présence de différents sucres (Toll-Riera et al. 2016). Les mutations mises en évidence touchaient principalement des gènes impliqués dans la transcription et le métabolisme. De manière très intéressante, l’apparition de nouvelles capacités métaboliques a été reliée à des mutations dans les gènes dupliqués préexistants dans le génome de P. aeruginosa. La redondance génétique fournie par duplication permet ainsi à P. aeruginosa d’évoluer vers des fonctions métaboliques nouvelles sans compromettre ses fonctions existantes (Toll-Riera et al. 2016). Ceci suggère que des événements de duplication peuvent être le support de phénomènes d’évolution adaptative.
De nombreux phénomènes d’évolution adaptative ont été observés in vitro ; ils ont également été observés en milieu naturel en réponse à des conditions environnementales changeantes.
Evolution adaptative en milieu naturel
La question centrale de l’écologie et de l’évolution bactérienne nécessite de pouvoir démarquer nettement les groupes jouant des rôles écologiques distincts (écotypes) de l’ensemble vaste et diversifié des bactéries organisées en communautés naturelles (Koeppel et al. 2008). Pour mieux comprendre l’écologie d’une communauté, il faut identifier les populations non seulement taxonomiquement différentes mais aussi écologiquement distinctes car ce sont ces unités qui contribuent à la diversité, aux fonctions et à l’évolution de la communauté. En effet, des bactéries appartenant à des clusters phylogénétiques identiques pour un gène donné peuvent correspondre à des populations écologiquement distinctes (Koeppel et al. 2008).
Etudier la façon dont les lignées divergent dans l’espace et dans le temps et comment cette divergence conduit à la formation d’écotypes est important pour comprendre la structure et la dynamique des communautés environnementales (Deng et al. 2014). En cas de modification des conditions d’un habitat ou d’une niche écologique, des événements génétiques ou génomiques peuvent permettre l’apparition d’un nouvel écotype (Cohan 2006). Une sélection périodique a alors lieu, cette sélection naturelle pouvant provoquer le remplacement de tous les variants en compétition au sein de l’écotype par le nouveau mutant et ses descendants. Certains auteurs suggèrent que si le concept d’espèce écologique était employé, les écotypes pourraient être considérés comme des espèces car ils représentent des lignées évolutives distinctes qui occupent des niches uniques (Ward et al. 2006).
De nombreux phénomènes d’évolution et d’adaptation de bactéries environnementales à des conditions spécifiques d’habitats ont été décrits. Les études se sont particulièrement focalisées sur les bactéries marines et leurs évolutions et diversifications dans des conditions environnementales changeantes. De nombreuses études ont rapporté des phénomènes d’adaptation bactérienne dans les environnements naturels, et dans ce contexte, nous avons séléctionné et synthétisé des travaux relatant la diversité, la dynamique, la spéciation et l’emergence d’écotypes.
Une étude de la diversité des écotypes de Bacillus simplex au sein de trois canyons identiques, présentant un versant sud avec une forte exposition au soleil, un versant nord avec moins d’ensoleillement et le fond du canyon avec un meilleur accès à l’eau, a montré des résultats similaires pour les 3 canyons (Sikorski and Nevo 2007). Parmi les 131 souches étudiées, toutes celles provenant du versant sud présentaient un meilleur taux de croissance à des températures hautes tandis qu’aucune différence de température optimale de croissance n’était observée entre les souches. Ceci a été associé à une plus forte sécrétion par ces isolats de certains acides gras conférant une tolérance à la dessiccation. Les auteurs ont noté que les motifs d’adaptation à la chaleur remplaçaient l’histoire phylogénétique des lignées individuelles. Ces résultats suggèrent que l’adaptation des souches à la chaleur du versant sud est continuelle et que ce stress de température est la force environnementale majeure qui dirige les processus évolutifs identiques observés pour les souches de B. simplex dans les 3 canyons (Sikorski and Nevo 2007). Une autre étude basée sur l’analyse multilocus d’isolats de B. simplex dans ces environnements a mis en évidence neuf clades présumés dont la distribution était significativement hétérogène, certains étant présents uniquement.
Facteurs permettant l’adaptation de bactéries environnementales à l’homme
L’environnement est un réservoir d’émergence et de persistance d’agents pathogènes humains (Aujoulat et al. 2012; Sobsey and Pillai 2009). Bien que de nombreux facteurs participent à la transmission des bactéries de l’environnement à l’homme, certains semblent plus importants que d’autres. Citons tout d’abord les facteurs liés à la bactérie avec la polyvalence observée chez certains pathogènes opportunistes capables de vivre dans plusieurs habitats distincts. Ensuite, il existe des facteurs qui permettent ou facilitent les interactions avec l’homme aussi appelés facteurs de préadaptation. Enfin, il y a les facteurs qui permettent la rencontre avec l’homme. De fait, l’exposition est une étape essentielle conduisant à l’infection qui inclut des phénomènes complexes prenant en compte les modes de vie des bactéries et de l’homme.
Polyvalence
Les bactéries mutualistes, membres des microbiotes3 humains, sont des candidates pour devenir des pathogènes opportunistes car elles sont déjà adaptées à l’homme, en particulier elles sont tolérées par le système immunitaire (Aujoulat et al. 2012). Ces bactéries mutualistes peuvent diffuser à partir de leur niche originelle et provoquer différentes infections, le plus souvent polymicrobiennes, en atteignant des sites stériles ou des sites anatomiques autres que leur site d’origine (Mitchell 2011). Elles peuvent également envahir leur écosystème microbien d’origine (ou microbiote) en surpassant en nombre les autres membres de leur communauté et provoquer ainsi une infection par dysbiose (Aujoulat et al. 2012).
Dans le cas des anthropozoonoses, la transmission à grande échelle entre les animaux et l’homme peut sélectionner de nouveaux traits de virulence comme une accentuation du caractère invasif, une dissémination accrue, la production de toxines ou la résistance aux agents antimicrobiens (Cutler et al. 2010). Les principales maladies infectieuses qui frappent l’humanité comme la variole, la grippe, la tuberculose, le paludisme, la rougeole, le VIH et la peste ont toutes émergé à partir de réservoirs zoonotiques, ce qui montre que les facteurs de virulence ayant évolué au fil de la transmission entre animaux peuvent permettre une pathogénèse chez l’homme (Cutler et al. 2010).
Communauté de microorganismes (bactéries) qui peuplent une niche vivante
Concernant les bactéries environnementales, P. aeruginosa, pathogène opportuniste majeur d’origine ubiquitaire, a été très étudié. Il est capable de vivre dans de nombreux habitats, particulièrement les écosystèmes aquatiques et humides comme les rivières, les océans, les eaux usées, et des environnements terrestres variés incluant la rhizosphère, les sols cultivés et les sites pollués en hydrocarbures (Aujoulat et al. 2012). La colonisation de ces habitats variés est permise par une polyvalence métabolique et un fort potentiel d’adaptation aux conditions environnementales changeantes (Frimmersdorf et al. 2010). Cette polyvalence est associée à un répertoire de gènes hautement flexible qui assure la survie dans des environnements divers et permet l’expansion de niches, c’est-à-dire la capacité d’une espèce à augmenter son répertoire de niches (Aujoulat et al. 2012). D’ailleurs, le génome de P. aeruginosa est plus grand que celui de la plupart des bactéries causant des infections humaines et son core génome, partagé par toutes les souches de P. aeruginosa qu’elles soient cliniques ou environnementales, représente environ 90% du génome total (Kung et al. 2010). De manière surprenante, les gènes de virulence sont contenus dans le core génome de cette bactérie et sont donc partagés par toutes les souches quelle que soit leur origine, c’est pourquoi on utilise parfois l’analogie avec le Couteau Suisse pour décrire cette bactérie (Aujoulat et al. 2012). De plus, au sein de l’espèce, la taille du génome peut varier de 5,2 à 7 Mb suggérant une forte variabilité du génome accessoire (Wiehlmann et al. 2007). La plasticité du génome accessoire de P. aeruginosa est responsable de la diversité génomique intra- et inter-clonale. Une analyse génomique comparative de souches de P. aeruginosa a indiqué que la capacité de souches individuelles à acquérir ou éliminer des segments génomiques, personnalisant ainsi leurs répertoires génomiques en réponse aux conditions métaboliques de la niche, était un élément important de l’adaptation à l’hôte (Mathee et al. 2008).
Concernant l’expression génique, 8,4% des gènes de P. aeruginosa sont impliqués dans la régulation de cette expression. Ce taux est un des plus forts observés dans les génomes bactériens, ce qui permet à P. aeruginosa d’adapter l’expression de ses gènes à ses besoins et ce, en fonction de l’environnement dans lequel il se trouve (Stover et al. 2000). Un autre exemple de polyvalence d’expression génique concerne E. coli O157:H7 qui est un pathogène qui peut survivre et persister dans divers environnements allant des tractus gastro-intestinaux humains et bovins à l’eau des abreuvoirs agricoles. Il a été récemment rapporté que l’opéron pO157 ecf de cette bactérie est thermo-régulé et qu’il contient des gènes codant pour des protéines de surface (Yoon et al. 2005). In vitro, des délétions induites dans ces gènes provoquent une altération de la structure de la membrane bactérienne, empêchant la survie lors du passage dans le tractus gastro-intestinal, limitant la persistance dans l’eau des abreuvoirs et augmentant la sensibilité aux antibiotiques et aux détergents (Yoon et al. 2005). Cet opéron, exprimé différemment en fonction de la température, est donc essentiel pour la polyvalence de ce pathogène dans les différents environnements qu’il colonise.
Préadaptation
La diversité des modes de vie bactériens met en jeu des mécanismes d’adaptation à différentes niches. Des différences physico-chimiques évidentes existent entre l’environnement et l’intérieur de l’organisme humain. Les plus notables concernent la température et la disponibilité de certains nutriments. L’analyse d’un isolat de P. aeruginosa PAO1 en bouillon de culture à 22 °C et 37 °C a révélé une transcription différentielle de 6,4% du génome selon la température (Barbier et al. 2014), des modifications majeures étant observées dans le métabolisme bactérien, la réplication et l’acquisition de nutriments. Par exemple, le quorum sensing impliqué dans la communication bactérienne (Cf. partie II.3.3) et la sécrétion d’exoprotéines impliquées dans la pathogénèse de P. aeruginosa étaient sur-régulés à 37 °C. En revanche, les gènes codant pour la dégradation de l’arginine, ainsi que ceux codant pour la synthèse d’un sidérophore la pyoverdine, étaient surexprimés à 22 °C. Enfin, des changements d’expression de gènes codant pour la synthèse de sidérophores ont été reliés à une augmentation de la concentration de Fe2+ extracellulaire à 37 °C et de Fe3+ extracellulaire à 22 °C. Ceci suggère un changement distinct dans la stratégie d’acquisition du fer quand les bactéries passent de l’environnement extérieur à l’hôte (Barbier et al. 2014). L’environnement naturel est pauvre en fer biodisponible, obligeant les bactéries à mettre en place de nombreuses stratégies pour capter le fer environnemental comme l’utilisation de sidérophores. Par ailleurs, une des stratégies de clairance microbienne mise en œuvre par les hôtes vertébrés implique une « immunité nutritionnelle » qui retarde la croissance microbienne par la séquestration du fer (Cherayil 2010). Cette stratégie a été démontrée par des études in vivo où de fortes concentrations en fer chez l’hôte augmentent la vulnérabilité infectieuse et favorisent la progression de l’infection (Bertrand 2014). En fait, lors de la détection d’un agent infectieux par le système immunitaire, l’inflammation, et en particulier la surproduction de protéines plasmatiques comme la transferrine, entraîne une diminution du taux de fer plasmatique. La concentration en fer disponible est environ un billion de fois moins importante que les exigences nutritionnelles minimales des bactéries (Cherayil 2010). Dans ce contexte, les sidérophores bactériens, développés pour la survie dans l’environnement naturel, entrent en compétition avec la transferrine secrétée par l’hôte (Saha et al. 2013). Certains pathogènes comme Neisseria gonorrhoeae produisent même des récepteurs cellulaires qui reconnaissent et fixent la transferrine de l’hôte et des auteurs suggèrent que ces récepteurs seraient nécessaires à ces bactéries pour établir l’infection (Cornelissen et al. 1998). Les mécanismes de captation du fer mis en place par les bactéries environnementales peuvent donc être considérés comme une préadaptation permettant à ces pathogènes opportunistes de contrecarrer la séquestration du fer mise en œuvre par l’hôte lors d’une infection (Bertrand 2014).
L’adaptation à la fois à l’environnement extérieur et à l’homme est un défi majeur qui implique parfois des organismes intermédiaires appelés hébergeurs permettant une préadaptation (Aujoulat et al. 2012). L’exemple le plus emblématique est apporté par les amibes et la bactérie pathogène environnementale, Legionella pneumophila. Les amibes se nourrissent de bactéries mais L. pneumophila possède la capacité de survivre et de se multiplier dans ces protozoaires (Rowbotham 1980). Les macrophages, cellules cibles humaines de cette bactérie, sont également des cellules amiboïdes, malgré leur distance évolutive avec les amibes. Il a alors été suggéré que l’adaptation aux amibes a très certainement servi d’étape de préadaptation à l’environnement interne des macrophages, représentant un pas important dans le processus d’évolution vers la pathogénèse humaine (Rowbotham 1980). La prolifération intracellulaire de L. pneumophila dans ces deux hôtes distants sur le plan évolutif est facilitée par l’exploitation de processus conservés chez les hôtes, qui sont ciblés par des effecteurs bactériens injectés dans la cellule hôte (Price et al. 2014). Par exemple, l’effecteur AnkB fonctionne comme un facteur de virulence nutritionnel en induisant la dégradation des protéines par le protéasome4 de l’hôte. L. pneumophila est auxotrophe5 pour de nombreux acides aminés et ce processus génère des acides aminés intracellulaires, comme la cystéine, qui est une source métabolique importante de carbone et d’énergie au cours de la prolifération intracellulaire mais qui est limitée dans l’hôte humain et amiboïde (Price et al. 2014). Finalement, certaines machineries comme la dégradation des protéines par le protéasome sont hautement conservées à travers le domaine eucaryote et permettent la croissance intracellulaire de L. pneumophila dans des hôtes évolutivement éloignés. Les amibes sont aussi connues pour servir de réservoir à un certain nombre d’autres bactéries opportunistes comme Burkholderia cepacia, Ralstonia pickettii, E. coli, Listeria monocytogenes, Mycobacterium spp. et P. aeruginosa et pourraient servir de « cheval de Troie » pour introduire ces pathogènes pré-adaptés chez l’homme (Barker and Brown 1994; Greub and Raoult 2004).
La multirésistance aux antibiotiques n’est pas une caractéristique propre aux souches cliniques, les isolats de la rhizosphère sont également généralement très résistants (Berg et al. 2005). En effet, autour des racines des plantes sont observés de nombreux micro-organismes producteurs d’antibiotiques, une forte compétition bactérienne, et des taux élevés de transfert horizontaux de gènes qui contribuent aux niveaux élevés de résistances naturelles. En plus de la dégradation enzymatique des antibiotiques, des pompes à efflux externalisant les xénobiotiques ont été caractérisées (Barabote et al. 2011). Ces mécanismes impliqués dans la multirésistance aux agressions chimiques et aux biocines dans l’environnement peuvent également être considérés comme des facteurs de préadaptation qui vont permettre aux bactéries de résister aux thérapies lors d’une infection humaine.
Exposition de l’homme aux bactéries environnementales
L’exposition humaine aux bactéries d’origine environnementale est constante mais varie selon les modes et les niveaux de vie des hommes. L’eau, l’air, le sol et les aliments contaminés sont les principaux réservoirs de pathogènes environnementaux. L’eau est certainement le vecteur principal de pathogènes, aussi impliquée dans la contamination de l’air par aérosolisation, du sol par ruissellement et des aliments lors des pratiques agricoles et culinaires. Ainsi, les maladies infectieuses d’origine hydrique demeurent la principale cause de décès dans le monde avec une augmentation d’incidence constante et l’émergence fréquente de nouveaux pathogènes (Theron and Cloete 2002). Dans les pays en voie de développement, les maladies infectieuses liées à l’eau sont principalement les diarrhées infectieuses, pathologies du péril fécal mettant en jeu des agents pathogènes spécialistes (Salmonella, Shigella ou Vibrio par exemple). Dans les régions développées où le péril fécal est jugulé, le développement de réseaux hydriques au sein des habitations a généré de nouveaux modes d’exposition via les biofilms et les aérosols par exemple, mettant en jeu des bactéries pathogènes opportunistes s’étant développées et adaptées à ces réseaux complexes. Dans ce cadre, des pathogènes émergents, « Opportunistic Premise Plumbing Pathogens » (OPPPs) ont été définis comme étant capables de persister et de croître dans les réseaux d’eau domestiques, habitats qu’ils partagent avec l’hôte humain (Falkinham et al. 2015). Ces OPPPs, incluant L. pneumophila, Mycobacterium avium, et P. aeruginosa sont généralement impliqués dans des cas d’infection chez des individus avec des facteurs de risque, comme une immunodépression, un cancer, ou du diabète, et la prise en charge de ces infections nécessite souvent une hospitalisation. Ainsi, le mode d’exposition digestif lié au péril fécal a été partiellement remplacé par des expositions respiratoires et de contact dans les pays développés. Ces pathogènes opportunistes développent alors la capacité de persister dans ces réseaux d’eau et les structures technologiques malgré les contraintes rencontrées.
Par exemple, la capacité de L. pneumophila à coloniser les systèmes de distribution d’eau chaude domestique est la première cause de légionellose. Pour lutter contre les pathogènes hydriques, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande une chloration de l’eau de consommation entre 0,2 et 1 mg/L mais L. pneumophila est régulièrement isolée d’eau chlorée indiquant que ce traitement n’est pas complètement efficace contre la colonisation du réseau par ce pathogène (Cooper et al. 2008). La persistance d’une souche de L. pneumophila de sérogroupe 1 dans un système de douche durant deux ans et demi, malgré des cycles répétés de chloration à 50 mg/L pendant 1 heure, a ainsi été démontrée par méthode de typage moléculaire (Cooper et al. 2008). D’autre part, les protozoaires ont été identifiés comme jouant un rôle majeur dans la persistance de cette bactérie. En effet, la réplication intracellulaire dans les hôtes eucaryotes est probablement la seule voie de multiplication de L. pneumophila dans l’environnement (Abu Kwaik et al. 1998). De plus, la bactérie peut survivre dans les kystes d’Acanthamoeba où elle est protégée des biocides. Sous forme planctonique dans des environnements pauvres en nutriments, L. pneumophila est capable d’entrer dans un état viable non cultivable (VBNC), qui est un état quiescent dans lequel les bactéries subissent des changements morphologiques, de composition de paroi, d’expression de gènes ou de synthèses protéiques. Les bactéries VBNC ne sont pas détéctables par les techniques de cultures conventionnelles (Xu et al. 1982). Les états VBNC les plus connus sont la dormance qui est une forme de vie ralentie, dans lequel la cellule ne se divise plus et la sporulation (Pinto et al. 2015). En état de dormance, L. pneumophila peut persister de longues périodes dans des biofilms (où les désinfectants chlorés ne peuvent l’atteindre) courament constitués dans les systèmes d’eau domestique et les équipements d’air conditionné (Murga et al. 2001). Il est admis que le biofilm joue aussi un rôle capital dans la persistance de cette bactérie. En effet, des mécanismes multiples conduisent à une résistance accrue aux antibiotiques et aux biocides des communautés microbiennes installées en biofilm. Il s’agit, par exemple, de la protection assurée par la matrice d’exopolysaccharides, de l’existence profils de résistance variés dans la communauté dus à une hétérogénéité d’expression des gènes, et de l’aquisition de gènes de résistances par transferts horizontaux facilités par la densité bactérienne (Thomas et al. 2004). Enfin, en favorisant le broutage amibien, le biofilm régule la population de protozoaires hôtes hébergeant L. pneumophila et de nombreux autres pathogènes humains (Barker and Brown 1994; Greub and Raoult 2004).
Une enquête a déterminé l’influence du matériau des canalisations, du type de désinfectant utilisé et de la durée de stagnation de l’eau sur l’apparition et la persistance de trois pathogènes opportunistes (L. pneumophila, M. avium, et P. aeruginosa) (Wang et al. 2012). Les 3 pathogènes avaient la capacité de coloniser tous les environnements proposés et chaque bactérie présentait une réponse distincte à chaque paramètre étudié. Des différences entre deux échantillonnages successifs ont été observées (augmentation de la présence de L. pneumophila et réduction de P. aeruginosa) suggérant une dynamique temporelle de la communauté bactérienne dans l’eau de consommation. Allant dans le même sens, une étude plus récente a mis en évidence que les matériaux de plomberie modernes en polyéthylène réticulé permettaient la persistance et la prolifération de M. avium (Bukh and Roslev 2014). La persistance des spores de Bacillus atrophaeus subsp. globigii sur des canalisations en fer corrodées a également été observée (Szabo et al. 2007). Approximativement 50% des spores ayant initialement adhéré à la surface n’étaient plus détectés après un mois, très certainement du fait du cisaillement hydraulique et de la desquamation du biofilm. Les auteurs ont ensuite montré que la chloration n’atteignait pas les zones de corrosion où les spores avaient adhéré et donc que celles-ci pouvaient persister pendant une période prolongée, en présence de teneurs élevées en chlore libre (Szabo et al. 2007).
Tous ces pathogènes d’origine hydrique, potentiellement présents dans notre environnement proche ou domestique, possèdent la capacité de passer de leur habitat environnemental à l’hôte humain et d’entretenir avec l’homme différents types de relations.
Principaux mécanismes de patho-adaptation des pathogènes humains
Les bactéries, une fois en contact avec l’homme, peuvent développer différents types de relation avec leur hôte, allant de la colonisation à l’infection chronique en passant par l’infection aiguë. La nature de la relation dépend de facteurs liés à l’hôte (immunologiques, physiologiques) mais aussi de la bactérie (variants plus ou moins adaptés, plus ou moins virulents et plus ou moins résistants). La colonisation est l’implantation de bactéries chez l’hôte sans provoquer de dommage induisant des signes cliniques tandis que l’infection est un conflit hôte-bactérie aboutissant à des lésions de l’hôte observables aux niveaux cliniques et biologiques. L’expression clinique de la maladie est le résultat des interactions complexes entre la bactérie et les défenses de l’hôte. L’infection aiguë est une infection provoquant des signes cliniques et biologiques francs chez l’hôte, nécessitant généralement la mise en place rapide d’un traitement tandis que l’infection chronique est la persistance dans le temps de signes cliniques moins marqués malgré l’utilisation d’antibiotiques. Dans le cadre de mucoviscidose, le terme de colonisation des voies respiratoires est communément employé pour qualifier l’infection chronique; néanmoins, une dynamique entre colonisation et infection est observée, les patients colonisés présentant une évolution clinique ponctuée par des phases d’exacerbation pulmonaire infectieuses s’apparantant à des infections aiguës. Certains auteurs suggèrent que de nombreux pathogènes humains importants au cours du XIXème siècle comme les agents responsables de la peste, de la lèpre ou de la diphtérie se trouvent en situation de déclin évolutif du fait de leur faible capacité d’adaptation en dehors de leur niche réplicative étroite qui est l’homme malade (Georgiades and Raoult 2010). En effet, ces pathogènes sont allopatriques6 et en situation d’impasse évolutive du fait de leur isolement génétique et de leur génome réduit (pangénome proche du core génome des espèces) qui ne permettent plus une vie hors d’une situation de parasitisme. Pour ces auteurs, de nouveaux variants pathogènes émergeront en permanence à partir de complexes d’espèces généralistes présents dans les microbiotes humains mais aussi dans les microbiotes animaux et dans l’environnement auxquels l’homme est fortement exposé. Ces complexes d’espèces généralistes ont un mode de vie sympatrique7, une fréquence élevée de transferts horizontaux de gènes et un grand pangénome (Tettelin et al. 2008; Via 2009). Pour les pathogènes opportunistes, la pathogénèse n’est pas forcément liée à la virulence moléculaire c’est-à-dire à des facteurs de virulence spécifiques mais plutôt à l’adaptation ou patho-adaptation de la bactérie à l’hôte. Cette adaptation s’observe en microbiologie par des modifications génomiques et génétiques ayant des conséquences phénotypiques favorables dans le milieu dans lequel se trouve le pathogène. Il est a noté que les bactéries appartenant aux microbiotes humains sont particulièrement adaptées à leur hôte. Les phénomènes patho-adaptatifs sont nombreux et concernent de nombreux pathogènes humains. Nous allons décrire les principaux phénomènes biologiques qui permettront par la suite de mieux comprendre les enjeux de la patho-adaptation au cours de la persistance bactérienne dans le tractus respiratoire des patients atteints de mucoviscidose, objet principal de ce travail.
Il y a de plus en plus de preuves que la plasticité génomique et l’hypermutation conférent aux pathogènes une capacité d’adaptation rapide à un milieu changeant dans les infections chroniques. Les délétions sont fréquentes lors de l’adaptation à l’hôte. En effet, les espèces bactériennes spécialistes étroitement associées à un hôte, en particulier les bactéries intracellulaires, présentent généralement un plus petit génome et moins de copies des gènes d’ARN ribosomal que les bactéries libres environnementales (Georgiades and Raoult 2010). Ces délétions peuvent s’accumuler à long terme lors des processus de spéciation comme par exemple chez les Rickttsies (Georgiades and Raoult 2010) ou se produire brutalement lors de l’évolution adaptative chez un patient (Teyssier et al. 2003). Les réarrangements génomiques avec en particulier des grandes inversions de blocs génomiques s’observent entre bactéries proches adaptées à des hôtes différents particulièrement dans les genres Brucella et Salmonella (Jumas-Bilak et al. 1998; Liu et al. 2007). Des mutations et des phénomènes de recombinaisons homologues sur de petites portions génomiques sans changement significatif de la taille du génome sont observés chez Helicobacter pylori (Kraft et al. 2006; Cellini 2014). Cette bactérie colonise l’estomac de plus de la moitié de la population humaine de façon asymptomatique et peut être à l’origine de pathologies digestives graves. La comparaison de génomes d’isolats obtenus d’un même hôte à un temps T ou de manière séquentielle dans le temps, a confirmé un taux de mutations important pour cette espèce; environ 30 mutations par an et par génome (Oh et al. 2006). Il s’agit d’un phénomène d’hypermutation car H. pylori ne contient pas tous les gènes impliqués dans le processus de réparation de l’ADN, gènes qui sont présents dans le génome de la plupart des bactéries (Didelot et al. 2016). Une étude ayant comparé des souches d’E. coli pathogènes et microbiotiques n’a pas mis en évidence de différence de taux de mutation entre ces souches. En revanche, parmi les souches cliniques, les souches hypermutables étaient majoritairement responsables d’infections urinaires (IU) (Denamur et al. 2002). Une étude de souches responsables d’IU dans 3 pays a également décrit que 23% des souches étaient hypermutables (Baquero et al. 2004). De même, l’étude de 95 souches de Neisseria meningitidis du groupe A a révélé que plus de la moitié était hypermutable (Richardson et al. 2002). Enfin, dans le cadre de la plasticité génomique, des transferts horizontaux de gènes sont décrits chez des pathogènes humains. Par exemple, l’analyse de génome de souches clinique d’Acinetobacter johnsonii, une espèce rarement impliquée dans les infections humaines, a montré que les souches cliniques avaient aquis de nombreux gènes de résistance aux antibiotiques par transferts horizontaux de gènes (Montaña et al. 2016).
Niche pulmonaire des patients CF et évolution bactérienne
Pathologie et conséquences pulmonaires
Génétique
La mucoviscidose est une pathologie génétique héréditaire autosomale récessive affectant une naissance sur 5359, majoritairement dans la population caucasienne. Cette maladie est liée à des mutations dans le gène CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator) situé sur le bras long du chromosome 7 (7q31). Ce gène code pour une protéine de 1480 acides aminés nommée CFTR qui est un canal impliqué dans le transport d’ions chlorures à la surface apicale des cellules épithéliales (O’Sullivan and Freedman 2009). Les tissus et organes principalement affectés sont les cellules épithéliales de l’appareil respiratoire, du tractus intestinal, du pancréas, des glandes sudoripares et du tractus génital. Les manifestations cliniques les plus importantes sont pulmonaires et pancréatiques. Actuellement, 2800 mutations ont été répertoriées8 et la mutation la plus fréquemment identifiée, nommée ΔF508, correspond à une délétion d’un codon phénylalanine en position 508. Cette mutation est identifiée chez 83% des patients en France dont la moitié environ est homozygote (Vaincre la Mucoviscidose et Ined 2014). En fonction du type de mutation, les conséquences sur la protéine sont variables et vont d’une simple diminution de son activité à l’absence de son expression. Les mutations sont ainsi regroupées en 6 classes en fonction du niveau d’altération de la fonction de la protéine (Lopes-Pacheco 2016). Les mutations de classe 1 entraînent un défaut de production de la protéine CFTR ; il y a donc très peu ou pas de canaux chlorures fonctionnels. Les mutations de classe 2 impliquent un défaut de maturation du CFTR, les canaux mutés n’atteignent pas la membrane plasmique où leur fonction est requise. Les mutations de classe 3 touchent la régulation de la protéine CFTR ancrée dans la membrane. Les mutations de classe 4 aboutissent à un défaut de conductance, les mutations de classe 5 de provoquent une synthèse réduite de CFTR fonctionnel et enfin, la sixième classe de mutations provoque la production de protéines moins stables à la surface membranaire et dégradées par le lysosome (Figure 1). Cette variabilité génétique explique la grande diversité des expressions cliniques observées chez les patients, tant en termes d’âge d’apparition des premiers symptômes que d’évolution de la maladie. La sévérité de l’atteinte respiratoire conditionne le pronostic vital dans la majorité des cas. Ces dernières années, les progrès de prise en charge ont permis une augmentation régulière de l’espérance de vie des patients qui atteint aujourd’hui 40 ans en moyenne (http://ww.cff.org/).
Microbiote respiratoire des VRCF
Particularités de la niche écologique
Les VRCF constituent un habitat spatialement et temporellement hétérogène soumis à des pressions antibiotiques, immunologiques, physiologiques et biochimiques différentes de celles rencontrées dans les poumons de personnes non atteintes de mucoviscidose (Brockhurst et al. 2005; Yang et al. 2011a). Les patients sont fortement exposés aux antibiotiques au cours de leur vie avec des cures multiples d’antibiotiques souvent utilisés en associations et administrées par voie orale, locale (aérosols) ou intraveineuse. Cette exposition conduit à une forte pression de sélection et à des opportunités de colonisation pour certains pathogènes résistants (Johansen et al. 2004). De plus, la compétition avec les autres microorganismes présents dans la niche, le stress osmotique et la faible teneur en oxygène résultant de la haute viscosité du mucus sont d’importants facteurs qui peuvent influencer l’installation d’un microbiote pathologique (Folkesson et al. 2012). D’autre part, cette niche est soumise à un fort stress oxydant dû à la sécrétion d’azote et d’espèces réactives de l’oxygène par les polynucléaires. Ce stress oxydant est amplifié par la malabsorption des antioxydants alimentaires par la muqueuse intestinale des patients CF (Hudson 2001). Enfin, les bactéries subissent aussi les variations qui se produisent dans les VRCF au cours de l’infection ; par exemple, la réponse inflammatoire mal régulée de l’hôte aux pathogènes conduit à des changements structuraux extensifs et irréversibles (Regamey et al. 2011).
Toutes ces contraintes et leurs variations au sein de la niche ou des niches que représentent les VRCF impliquent une adaptation permanente des bactéries qui se manifeste par une dynamique génomique, génétique et phénotypique des populations bactériennes.
Cinétique de la colonisation bactérienne des VRCF
Le système respiratoire supérieur sain possède son propre microbiote, incluant des corynébactéries, des staphylocoques, des streptocoques non- et alpha-hémolytiques, ainsi que des espèces de Neisseria (Charlson et al. 2011). Les voies aériennes basses, longtemps considérées comme stériles, peuvent être colonisées par un faible inoculum de nombreuses espèces des genres Pseudomonas, Prevotella, Streptococcus, Fusobacterium, Veillonella et Haemophilus (Zakharkina et al. 2013; Charlson et al. 2011).
Au cours de la mucoviscidose, les bactéries impliquées dans les infections respiratoires peuvent appartenir au microbiote des voies aériennes supérieures (S. pneumoniae, H. influenzae et S. aureus) ou appartenir au groupe des bactéries opportunistes d’origine environnementale (bactéries du groupe Burkholderia cepacia, P. aeruginosa, S. maltophilia, et divers bacilles à Gram négatif (BGN) non fermentants ainsi que les mycobactéries non tuberculeuses). La prévalence de ces différentes espèces bactériennes varie en fonction de l’âge. Chez l’enfant, ce sont les espèces H. influenzae et S. aureus qui sont le plus communément isolées (Figure 3). Par exemple, S. aureus a été isolé des liquides de lavage broncho-alvéolaires de 50% des patients durant leurs 6 premiers mois de vie (Rosenfeld et al. 1999). Bien que le rôle pathogène de ces bactéries endogènes reste controversé, leur implication est reconnue lorsqu’elles sont isolées en grande quantité dans les expectorations au cours des exacerbations pulmonaires (Hauser et al. 2011). De plus, les infections respiratoires chroniques dues à S. aureus et aux bactéries du microbiote oral peuvent contribuer à l’inflammation et au déclin de la fonction respiratoire (Flume and Van Devanter 2012; Wolter et al. 2013).
A partir de l’âge de 20 ans, l’espèce P. aeruginosa est détectée chez une majorité de patients. Sa prévalence en 2014 aux Etats-Unis dépassait 70% chez les patients de plus de 25 ans (Figure 3). A l’âge de 3 ans, 97,5% des patients présenteraient des traces sérologiques de réponse immunitaire contre P. aeruginosa, suggérant que l’infection est précoce mais intermittente ou indétectable par culture à ce stade (Burns et al. 2001). Les bactéries de cette espèce sont considérées depuis longtemps comme des pathogènes communément responsables d’infection des VRCF et la colonisation chronique par ces bactéries environnementales est la cause principale d’augmentation de morbidité et mortalité (O’Sullivan and Freedman 2009). Le remplacement des bactéries endogènes provenant des voies respiratoires hautes par P. aeruginosa est un évènement clé signant la progression de la maladie pulmonaire (O’Sullivan and Freedman 2009). Après une primo-colonisation par P. aeruginosa, la bactérie peut être éradiquée ou coloniser les patients de façon sporadique, intermittente ou chronique. La colonisation chronique par cette espèce est délétère et généralement irréversible. Par exemple, une persistance de P. aeruginosa a été décrite chez un patient malgré 114 cures d’antibiotiques administrées durant une période de 28 ans (Høiby, Niels 2006). Des concentrations importantes de P. aeruginosa dans les VRCF sont généralement associées à une faible diversité microbienne, une fonction pulmonaire altérée et une augmentation de l’inflammation (Zemanick et al. 2013). C’est pourquoi la primo-colonisation doit être dépistée précocement et traitée efficacement, même en dehors d’un épisode d’exacerbation, afin d’éviter ou retarder le passage à la chronicité. Depuis plusieurs années, la prévalence de P. aeruginosa chez les patients CF diminue de façon continue (Figure 3) et ceci peut en partie être lié à la généralisation de thérapies agressives afin d’éradiquer les souches acquises initialement (Mogayzel et al. 2014). Concernant l’origine des souches de P. aeruginosa, bien que d’assez nombreux cas de transmissions croisées entre patients CF soient décrits, notamment au sein de fratries (Van daele et al. 2006), la plupart des patients présente un génotype unique, suggérant l’acquisition sporadique de P. aeruginosa à partir d’un réservoir environnemental (Gibson et al. 2003; Van daele et al. 2006). Toutefois, les réservoirs environnementaux restent peu connus, la souche colonisant les patients n’étant que très rarement isolée dans leur environnement. Ainsi, une investigation au domicile de 50 patients primocolonisés par P. aeruginosa a identifié le génotype de P. aeruginosa de 9 patients dans leur environnement domestique (Schelstraete et al. 2008). La comparaison de 50 isolats de P. aeruginosa CF, non CF et environnementaux par électrophorèse en champ pulsé (ECP) a mis en évidence 4 clusters contenant tous des isolats cliniques (CF et non CF) et environnementaux (AbdulWahab et al. 2014). Deux clusters contenaient uniquement des isolats CF et environnementaux. Ces résultats appuient l’hypothèse de l’acquisition initiale par les patients CF d’un clone environnemental qui s’adapte ensuite aux VRCF au cours de la colonisation chronique. Néanmoins, certains clones de P. aeruginosa ont un succès épidémique mondial parmi la population CF, comme le clone Liverpool epidemic strain (LES) en Angleterre, le clone Prairie Epidemic Strain (PES) au Canada, les clones DK1 et DK2 au Danemark et AUST02-03 en Australie impliqués dans des cas de transmissions croisées entre les patients (Aaron et al. 2010; Cheng et al. 1996; Duong et al. 2015; Parkins et al. 2010; Yang et al. 2011b). Par exemple un centre CF au Canada a décrit que 30% de ses patients étaient colonisés par le clone épidémique PES (Duong et al. 2015).
Comparé à P. aeruginosa, la prévalence des autres BGN non fermentants est moindre. En France en 2014, la prévalence des bactéries du complexe Burkholderia cepacia (CBC) (Burkholderia cenocepacia, Burkholderia gladioli et Burkholderia multivorans) était de 2% dans la population CF (Figure 3). Parmi ces patients, 0,8% étaient colonisés chroniquement par des espèces appartenant au CBC. Les infections par les bactéries du CBC surviennent généralement plus tardivement dans l’évolution de la maladie et sont corrélées à une détérioration marquée de la fonction respiratoire, ainsi qu’à une augmentation de la mortalité quelle que soit l’atteinte pulmonaire initiale (Liou et al. 2001). Le syndrome cepacia (SC) est un état septique fatal, caractérisé par une exacerbation pulmonaire, une concentration importante des marqueurs inflammatoires, de nouveaux infiltrats multifocaux pulmonaires visibles par radiographie et une bactériémie à CBC (Kalferstova et al. 2015). Cet état inquiétant se développe chez environ 20% des patients colonisés chroniquement par des bactéries du CBC, rendant les bactéries de ce complexe particulièrement redoutées. L’agent causal principal est Burkholderia cenocepacia, espèce du CBC majoritairement isolée chez les patients CF et certains clones épidémiques comme ET12 et le ST32 ont été particulièrement décrits dans ce syndrome (Kalferstova et al. 2015). L’impact de ce complexe sur la survie des patients ayant subi une transplantation pulmonaire est tellement préjudiciable que l’infection par ces microorganismes est considérée comme une contre-indication relative voire absolue à la transplantation (Hadjiliadis 2007).
D’autres BGN non fermentants opportunistes d’origine environnementale ont un impact clinique moins marqué que P. aeruginosa ou le CBC mais sont maintenant fréquemment isolés et considérés comme émergents dans la mucoviscidose avec une prévalence plus importante que le CBC (Mahenthiralingam 2014). C’est le cas de S. maltophilia et d’Achromobacter xylosoxidans dont la prévalence en France en 2014 était respectivement de 10,1% et 5,5%. D’autres bactéries comme Pandoraea spp. sont considérées comme émergentes et peuvent présenter un pouvoir pathogène non négligeable (Mahenthiralingam 2014). Les phénotypes de résistance aux antibiotiques de ces pathogènes émergents favoriseraient leur sélection et leur persistance dans les VRCF (Steinkamp et al. 2005). Bien que leur rôle pathogène ne soit pas clairement établi, leur présence est le plus souvent prise en compte lors de la mise en place de traitements antibiotiques, notamment en cas d’exacerbation pulmonaire.
Adaptation des bactéries lors de la persistance dans les VRCF
Une infection invasive par P. aeruginosa met normalement en jeu l’attachement, la colonisation, l’infection locale puis la diffusion systémique par voie sanguine (Qin 2016). Dans le cadre de la mucoviscidose, la colonisation par adhésion à l’épithélium muqueux des voies respiratoires de l’hôte ne se complique pas d’une diffusion sanguine (Valderrey et al. 2010). En effet, P. aeruginosa donne très rarement lieu à des bactériémies chez les patients CF, même pour ceux présentant une charge bactérienne élevée au niveau des VRCF ou présentant une exacerbation pulmonaire (Williams et al. 2010). Le tropisme tissulaire de P. aeruginosa, ainsi que son confinement dans les voies respiratoires de l’hôte, constitue un exemple parfait d’infection chronique pouvant durer toute la vie d’un patient. Cette association hôte-bactérie à long terme implique une diminution de pathogénicité de P. aeruginosa lors de l’adaptation à l’environnement respiratoire de l’hôte (Cigana et al. 2011; Lee et al. 2006; Smith et al. 2006).
Lors de l’infection chronique des VRCF par un pathogène, des modifications génétiques adaptatives apparaissent, associées à l’émergence d’un grand nombre de phénotypes, dont la majorité n’est habituellement pas observée parmi les types sauvages environnementaux (Marvig et al. 2015). Dans ce chapitre, nous présenterons donc les variations génomiques, génétiques et phénotypiques observées lors de la colonisation chronique des VRCF.
Variations génomiques
De nombreuses bactéries possèdent un génome dit plastique ou flexible, c’est-à-dire présentant de grandes variations de structure et de contenu génique au sein d’une espèce. Cette flexibilité peut parfois s’exprimer lors de l’évolution adaptative observable au cours de l’infection chez l’homme, en particulier lors des infections chroniques. Les nombreuses études de la structure génomique de P. aeruginosa montrent que de grands réarrangements, incluant l’acquisition et la délétion de grands blocs d’ADN, sont responsables d’une grande partie de la diversité génétique pouvant être observée particulièrement dans le cadre de la mucoviscidose (Spencer et al. 2003).
L’adaptation à une niche écologique étroite comme les VRCF conduit souvent à la réduction génomique (Rau et al. 2012). Ainsi, lors des phases précoces d’adaptation, les délétions chromosomiques sont fréquentes (Dingemans et al. 2014). La comparaison d’une souche environnementale et de 2 souches CF tardives a montré que certaines régions génomiques présentes dans la souche environnementale n’existaient plus dans les isolats CF tardifs (Spencer et al. 2003). Ces délétions était généralement inférieures à 20 kb et la perte d’un locus nécessaire à la biosynthèse de l’antigène O du lipopolysaccharide a été identifiée (Spencer et al. 2003). L’analyse génomique de 20 P. aeruginosa PAO1 provenant de patients CF et de l’environnement a révélé des génomes globalement conservés avec, néanmoins, 38 îlots génomiques qui pouvaient diverger entre les souches voire être absents (Ernst et al. 2003). Toutefois, aucune caractéristique génomique spécifique et commune aux souches CF n’a été mise en évidence. Le séquençage de génome de 45 isolats de P. aeruginosa provenant de 16 patients CF a mis en évidence de nombreuses délétions pouvant représenter jusqu’à 8% du génome (Rau et al. 2012). Comparé aux estimations des taux d’évolution in vitro par délétion chez Salmonella enterica, le taux de délétion moyen était 12 à 36 fois plus important. Le génome de P. aeruginosa DK2 a une taille de 6,4 Mbp comparé à 4,8 Mbp pour S. enterica, suggérant que P. aeruginosa a une marge de réduction génomique plus importante (Rau et al. 2012). En effet, P. aeruginosa possède un répertoire métabolique étendu lié à la diversité de ses modes de vie. Ce répertoire génomique n’est probablement plus nécessaire lors de la persistance dans la niche étroite que représentent les voies respiratoires humaines (Aujoulat et al. 2012). Lors de l’étude de Rau et al. (2012), les délétions se produisaient par recombinaisons homologues ou illégitimes mais n’étaient pas médiées par des séquences d’insertions (IS) ou les rrn comme cela a été rapporté pour certaines bactéries lors de mécanismes d’adaptation à l’hôte (Rau et al. 2012; Teyssier et al. 2003). De fait, les éléments transposables peuvent impacter l’évolution d’un microorganisme en insérant du matériel altérant la fonctionnalité de certains gènes, ou en catalysant des délétions par le biais de recombinaisons homologues ou illégitimes (Rau et al. 2012). L’étude de souches de patients appartenant au clone épidémique LES, par une nouvelle méthode de typage (ArrayTube genotyping system) incluant la détection de séquences géniques et d’îlots génomiques, a mis en évidence une forte variabilité de présence d’îlots génomiques et de prophages (Fothergill et al. 2010a). Les auteurs ont d’ailleurs rapporté que cette instabilité génomique pouvait parfois générer des profils d’ECP variables rendant difficile la comparaison de ces souches clonales émergentes et transmissibles.
Une étude de génomique comparative par séquençage a révélé qu’au cours de la colonisation chronique par P. aeruginosa des délétions de grandes régions génomiques pouvaient inclure tous les gènes du système de sécrétion de type III, des gènes codant pour des récepteurs à la pyoverdine associée au Fe3+ (ferri-pyoverdine) ou d’autres gènes de virulence (Dingemans et al. 2014). De façon remarquable, un grand nombre de gènes délétés était partagé entre les souches de cette étude et des souches appartenant au clone DK2 d’une autre étude (Rau et al. 2012), suggérant une évolution parallèle des clones de P. aeruginosa lors de la persistance. En ce qui concerne les récepteurs des sidérophores (comme la pyoverdine), la délétion de certains gènes codant pour leur synthèse a été décrite au cours de la colonisation chronique des VRCF par P. aeruginosa. Par exemple, une délétion d’au moins 100 kb entre deux souches séquentielles isolées d’un même patient a été reliée à une perte d’absorption de pyoverdine certainement due à la perte de synthèse de ces récepteurs (Ernst et al. 2003). Ces récepteurs sont aussi la cible de bactériocines, nommées pyocines (Michel-Briand and Baysse 2002), qui empruntent le transporteur transmembranaire associé aux récepteurs pour entrer dans la cellule bactérienne et la détruire (Elfarash et al. 2014). Ce type de bactériocines exerce donc très certainement une pression de sélection négative sur ces récepteurs des sidérophores durant la colonisation chronique (Dingemans et al. 2014; Tümmler and Cornelis 2005). De plus, ces récepteurs localisés sur la membrane externe bactérienne sont potentiellement immunogènes et la pression de sélection négative exercée par le système immunitaire peut également être responsable de délétions adaptatives des gènes correspondants (Dingemans et al. 2014). L’étude d’isolats CF mélanogènes (sécrétant de la pyomélanine) a également montré des délétions chromosomiques de 66 à 270 kb (Hocquet et al. 2016). En dépit de leur moins bon fitness dans les milieux riches, ces variants ont la capacité d’inhiber les souches proximales présentant un phénotype non producteur de pyomélanine. Ces mutants mélanogènes sont hautement résistants à deux pyocines, ce qui suggère également que les pyocines produites au sein d’une population infectante de P. aeruginosa ont la capacité de sélectionner certains mutants. Les interactions intra-spécifiques semblent donc être un facteur important d’évolution de P. aeruginosa au cours de la persistance dans les VRCF (Hocquet et al. 2016).
Enfin, un gène qui devient superflu dans une niche donnée n’est plus soumis à sélection et peut être perdu. Par exemple, une souche productrice de pyoverdine de type II ou III peut utiliser la pyoverdine de type I produite par les souches avoisinantes présentes dans sa niche grâce au récepteur des sidérophores FpvB. Ce mécanisme confère à cette souche un avantage compétitif car elle peut absorber des sidérophores qu’elle ne produit pas. Cependant, après une durée importante de colonisation, la niche pulmonaire est souvent dominée par un clone unique de P. aeruginosa. Si ce clone n’est producteur que de pyoverdine de type II et III, il n’y a donc plus de pyoverdine de type I dans le milieu. Dans ce cas, le gène fpvB n’est plus utilisé et peut être perdu, ce phénomène est qualifié de perte de sélection (Dingemans et al. 2014). Enfin, durant la colonisation, de nombreux mutants ne sécrètent plus de pyoverdine. L’hypothèse avancée est un coût énergétique trop important pour la production de ces sidérophores (Lamont et al. 2009) alors qu’ils ne sont plus réellement nécessaire lors de la persistance. En effet, dans les conditions d’acidité et de microaérobiose de certaines régions pulmonaires le taux de fer ferreux (Fe2+) augmente et les sidérophores ne sont pas nécessaires pour l’absorption du Fe2+ (Dingemans et al. 2014). En résumé, la perte de gène(s) peut être associée à une résistance, un échappement au système immunitaire ou à un gain de fitness, conférant ainsi un avantage sélectif (Dingemans et al. 2014).
D’autres types de réarrangements chromosomiques tels que des inversions chromosomiques ont été documentés pour des souches provenant de patients CF (Kresse et al. 2003; Römling et al. 1997). En effet, Kresse et al. ont montré que la moitié des isolats CF de P. aeruginosa de clone C, clone dominant à travers le monde que ce soit en clinique ou dans l’environnement, présente des inversions de grandes régions chromosomiques. L’analyse de ce phénomène suggère un mécanisme d’inversion-insertion induit par une séquence d’insertion IS6100 (Kresse et al. 2003). Un avantage sélectif est conféré par cette insertion d’IS menant à certains phénotypes connus au cours de la persistance comme la déficience en pili de type IV permettant d’échapper au système immunitaire, et l’hypermutation conférant un plus grand pouvoir d’adaptation lors de conditions stressantes (Kresse et al. 2003).
La comparaison par ECP et RAPD (Random amplified polymorphic DNA) de souches de B. cenocepacia provenant de 67 patients CF lors d’une épidémie dans un centre de soins en République Tchèque a identifié un profil génomique commun à de nombreux isolats (Drevinek et al. 2005). Néanmoins, les résultats obtenus par ECP avec l’enzyme SpeI démontraient une variabilité plus importante entre les souches (avec parfois 8 fragments d’ADN de différence) que ceux obtenus par ECP avec l’enzyme XbaI ou par RAPD. Les auteurs ont émis l’hypothèse que la présence abondante d’IS dans le génome du clone étudié provoquait certainement des réarrangements génomiques pouvant être détectés uniquement lors de macro-restriction avec l’enzyme SpeI (Drevinek et al. 2005). Chez B. cenocepacia, des mouvements d’IS associés à des réarrangements génomiques ont été mis en évidence lors de stress oxydatifs (Drevinek et al. 2010), ce qui suggère que les réarrangements génomiques sont des phénomènes d’évolution adaptative pouvant être mis en œuvre rapidement lors de contraintes environnementales.
Du fait du mode de vie en biofilm et des fortes densités de population bactérienne rencontrées, les VRCF représentent un site propice à l’acquisition de matériel génomique par transfert génétique (Rolain et al. 2011). Les transferts horizontaux de gènes entre les microorganismes dans les VRCF peuvent mener à l’émergence de souches hautement virulentes et multirésistantes aux antibiotiques comme la souche épidémique de P. aeruginosa LES B58 qui aquière facilement des gènes de virulence et de résistance aux antibiotiques (Jani et al. 2016). Les VRCF contiennent une multitude d’espèces microbiennes incluant une communauté de phages qui constitue un réservoir important de gènes mobilisables dont des gènes d’antibiorésistance (Willner et al. 2009). L’ECP d’isolats successifs de S. aureus au cours de la colonisation a montré que la fréquence des modifications génomiques était significativement plus importante pour les souches provenant de patients CF que pour celles de patients non CF (Goerke and Wolz 2004). Lors de cette étude, 42% des modifications génomiques observées ont été attribués à des mobilisations de phages. Au delà du fait que les phages de S. aureus peuvent véhiculer des facteurs de virulence accessoires comme la staphylokinase, leur mobilisation peut jouer un rôle important durant la colonisation en induisant des modifications génomiques pouvant conduire à des phénotypes plus adaptés (Goerke and Wolz 2004).
Variations génétiques
Lors de mutations génétiques, celles-ci sont soit soumises à la sélection naturelle (mutations Darwiniennes), soit échappent à cette sélection et conduisent à une dérive aléatoire (mutations kimuriennes) (Kimura and Ota 1971). La part de ces deux mécanismes dans l’évolution peut être évaluée en mesurant le ratio des mutations changeant la séquence protéique et donc le phénotype (mutations non synonymes) et de celles ne menant pas à un changement phénotypique (mutations synonymes). Les mutations affectant le phénotype seront soumises à la sélection naturelle. L’importance relative de la sélection naturelle et de la dérive aléatoire dans l’évolution des êtres vivants est souvent débattue et dépend de la taille des populations, des pressions de sélection et d’autres facteurs qui ne sont pas tous caractérisés. La distinction entre ces deux mécanismes est importante car savoir quel gène est soumis à sélection renseigne sur les pressions exercées (Nguyen and Singh 2006).
Le séquençage total de génomes d’isolats CF précoces et tardifs de P. aeruginosa séparés de 7,5 ans a mis en évidence 68 mutations plus fréquemment non synonymes que synonymes dans le génome des isolats tardifs (Smith et al. 2006). Ce résultat suggère que les changements génétiques observés confèrent un avantage pour la persistance au sein des poumons CF. L’étude de l’évolution dans les VRCF de la lignée DK2 a montré la survenue de changements phénotypiques et métaboliques importants qui ont été reliés à des accumulations de mutations spécifiques dans des gènes impliqués dans l’adaptation aux VRCF, appelés gènes patho-adaptatifs (Damkiær et al. 2013). Une autre étude de souches CF tardives de P. aeruginosa a permis d’identifier 98 SNPs (Single Nucleotide Polymorphisms) ainsi que des insertions/délétions génétiques de petite taille (indels) affectant un total de 44 gènes et 4 régions intergéniques, comparé à l’ancêtre commun des souches étudiées (Wong et al. 2012).
Les souches hypermutables de P. aeruginosa sont fréquentes dans les infections chroniques, particulièrement au cours de la mucoviscidose. La capacité de ces souches hypermutables à muter rapidement leur fournit probablement un avantage pour s’adapter à l’environnement particulier et variable des VRCF (Hauser et al. 2011). Les isolats de P. aeruginosa hypermutables présentent un fitness modérément réduit in vitro, une virulence atténuée dans les modèles murins d’infections aiguës systémiques et respiratoires, et une diminution du potentiel initial de colonisation oropharyngée et donc de transmission dans un model murin (Maciá et al. 2005; Mena et al. 2008). A l’inverse, bien qu’elle soit associée à un coût biologique considérable, l’hypermutation favorise la persistance à long terme dans les poumons CF et confère donc un avantage sélectif certainement lié à une plus forte adaptabilité aux conditions variables de la niche (Jolivet-Gougeon et al. 2011). Le statut hypermutable peut être transitoire par la réversion de mutation ou des évènements de recombinaison dans les allèles mutants, permettant au microorganisme de bénéficier temporairement d’une fréquence de mutation élevée pour s’adapter rapidement tout en réduisant le risque d’accumulation de mutations délétères (Jolivet-Gougeon et al. 2011). L’accumulation de polynucléaires lors du processus inflammatoire créant un stress biologique important est généralement associée à une forte fréquence de bactéries hypermutables (Ciofu et al. 2005).
Deux études portant sur la relation entre le statut clinique et l’hypermutation de P. aeruginosa ont observé que les patients présentant ce phénotype dans leur voies respiratoires présentaient un Volume Expiratoire Maximal en 1 seconde (VEMS) plus faible (Ferroni et al. 2009; Waine et al. 2008). Néanmoins, ces résultats pourraient également refléter le fait que les souches hypermutables sont observées lors des stades les plus sévères et/ou avancés de la maladie (Waine et al. 2008).
Des souches déficientes en système MMR ont été décrites dans d’assez nombreuses espèces bactériennes et ces souches hypermutables semblent être relativement communes dans les VRCF. Par exemple, pour H. influenzae, 14,5% des isolats de patients CF sont hypermutables comparé à seulement 1,4% des isolats de patients non CF (Román et al. 2004). Des souches de S. aureus hypermutables présentant des mutations dans les gènes mutS et mutL, ont également été identifiées (Besier et al. 2008; Prunier et al. 2003). Ces génotypes ont aussi été observés pour S. maltophilia et la comparaison d’isolats CF et environnementaux a montré que les isolats fortement mutateurs étaient uniquement observés chez les patients CF (Turrientes et al. 2010).
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Table des matières
Synthèse bibliographique
I Evolution adaptative et relations entre les pathogènes environnementaux et l’homme
I.1. Notions d’évolution et d’évolution adaptative des bactéries
I.1.1. Etudes in vitro de l’évolution adaptative
I.1.2. Evolution adaptative en milieu naturel
I.2. Facteurs permettant l’adaptation de bactéries environnementales à l’homme
I.2.1. Polyvalence
I.2.2. Préadaptation
I.2.3. Exposition de l’homme aux bactéries environnementales
I.3. Principaux mécanismes de patho-adaptation des pathogènes humains
II Niche pulmonaire des patients CF et évolution bactérienne
II.1. Pathologie et conséquences pulmonaires
II.2. Microbiote respiratoire des VRCF
II.2.1. Particularités de la niche écologique
II.2.2. Cinétique de la colonisation bactérienne des VRCF
II.3. Adaptation des bactéries lors de la persistance dans les VRCF
II.3.1. Variations génomiques
II.3.2. Variations génétiques
II.3.3. Variants à microcolonies
II.3.4. La mucoïdie
II.3.1. Antibiorésistance et tolérance aux antibiotiques
II.3.2. Variations métaboliques
II.3.3. Diminution de la virulence
II.3.4. Formation de biofilm
II.3.5. Adaptation clonale ou adaptation populationnelle ?
II.4. Diversité et dynamique des populations bactériennes des VRCF
II.4.1. Une population génétiquement diversifiée
II.4.2. Une population phénotypiquement diversifiée
II.5. Diversité et dynamique des communautés microbiennes des VRCF
III Bactéries d’origine environnementale émergentes dans les VRCF
III.1. Achromobacter
III.2. Pandoraea
III.3. Identification des bactéries appartenant aux genres Achomobacter et Pandoraea
Contexte & Objectifs du travail experimental
PARTIE I Epidémiologie des bactéries du genre Achromobacter au CRCM de Montpellier
I Introduction
II Matériels et Méthodes
II.1 Recueil des souches
II.2 Multilocus sequence typing (MLST)
III Résultats
III.1 Diversité d’espèces
III.2 Diversité des génotypes au sein d’une espèce
III.3 Diversité d’allèles au sein d’un morphotype
IV Discussion & Conclusions
PARTIE II Etude longitudinale de l’évolution adaptative d’Achromobacter et Pandoraea lors de colonisations chroniques des VRCF
I Introduction
II Evolution adaptative d’Achromobacter sp. lors de la colonisation chronique des VRCF de 13 patients
Article 1 Dupont C., Michon A.-L., Jumas-Bilak E., Nørskov-Lauritsen N., Chiron R., & Marchandin H. (2015). Intrapatient diversity of Achromobacter spp. involved in chronic colonization of Cystic Fibrosis airways. Infection, Genetics and Evolution: 32, 214-223.
III Evolution adaptative et patho-adaptation de Pandoraea pulmonicola lors de la colonisation chronique d’un patient CF
Article 2 Dupont C, Aujoulat F, Chiron R, Condom P., Jumas-Bilak E., Marchandin H. Highly diversified Pandoraea population during chronic colonization in Cystic Fibrosis: a key to persistence? Soumis à Frontiers in Microbiology
IV Conclusion
Partie III Etude de la diversité intra-échantillon de populations persistantes d’Achromobacter dans les VRCF : impact sur les résultats d’antibiogramme
I Introduction
II Diversité génomique et phénotypique des populations clonales d’Achromobacter spp. isolées dans un échantillon
Article 3 Dupont C, Jumas-Bilak E., Chiron R, Marchandin H. High diversity of Achromobacter spp. populations within Cystic
Fibrosis sputum samples impacts antimicrobial susceptibility testing results. Soumis à Journal of Clinical Microbiology.
III Complément de discussion
Partie IV Habitat et diversité des bactéries du genre Achromobacter au domicile de patients colonisés chroniquement par Achromobacter xylosoxidans
I Introduction
II Matériels et Méthodes
II.1 Choix des patients, consentements, Interface Recherche Bioéthique
II.2 Mise au point d’une PCR « spécifique » du genre Achromobacter
II. 3 Echantillonnage et recueil des souches
III Résultats
III.1 Résulstats de mise au point de la PCR spécifique
III.2 Echantillons positifs
III. 3 Diversité d’espèces d’Achromobacter
III. 4 Diversité au sein des espèces d’Achromobacter
III. 5 Comparaison des isolats d’A. xylosoxidans environnementaux et cliniques
III. 6 Autres espèces isolées sur milieu séléctif
IV Discussion
PARTIE V Persistance environnementale de bactéries du genre Achromobacter : dynamique des populations et succès clonal
I Introduction
II Etude de la persistance environnementale d’Achromobacter spp. et P. aeruginosa dans une niche technologique hospitalière
Article 4 Abdouchakour F., Dupont C., Grau D., Aujoulat F., Mournetas P., Marchandin H., Parer S., Gibert P., Valcarcel J., Jumas-Bilak E. (2015). Clonal selections of Pseudomonas aeruginosa and Achromobacter sp. lead to successive colonization waves of water contamination in dental care units. Applied and Environmental Microbiology. 81, 7509-7524
III Conclusion
Discussion générale
Conclusion générale
Références bibliographiques
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