Evaluation structurale des murs de soutènement en maçonnerie

Les ouvrages de soutènement

Définitions. La partie précédente nous a permis de délimiter le domaine de la maçonnerie auquel ce manuscrit s’intéresse et d’en définir les termes principaux. Nous nous focalisons désormais sur les ouvrages de soutènement. On distingue, en génie civil, une dizaine de type d’ouvrages de soutènement différents : mur poids, paroi clouée, mur encastré sur semelle – en L ou en T – , paroi moulée, paroi berlinoise ou parisienne, voile et poutre ancrés, rideau de palplanches métalliques, mur en remblai renforcé, enrochements ou éléments de béton préfabriqués empilés. D’un point de vue fonctionnel, ces ouvrages peuvent se classer en quatre catégories :
• les ouvrages destinés à renforcer le sol, générant l’équivalent d’une cohésion apparente : mur en remblai renforcé, terre armée ;
• les ouvrages minces ancrés dans le sol, permettant de répartir les efforts sur l’ensemble du parement de façon discrète : paroi clouée, voile ou poutre ancrée ;
• les ouvrages minces, encastrés en leur base, présentant un fort taux de travail en flexion : paroi moulée, paroi berlinoise ou parisienne, rideau de palplanches métalliques, mur en béton en T ou en L ;
• les ouvrages massifs, fonctionnant sur le principe du mur poids : enrochement, empilement d’éléments en béton préfabriqués, mur poids en béton, en maçonnerie ou en gabions.
Nous étudions les ouvrages de cette dernière catégorie. C’est le mode de construction le plus adapté à la maçonnerie ; historiquement, tous les ouvrages de soutènement en maçonnerie ont été construits sur ce principe. Certains ouvrages de soutènement en maçonnerie ont, par la suite, été renforcés par clouage, modifiant ainsi leur mode de fonctionnement : de plus amples détails sont donnés en 1.1.4.
Vocabulaire. Un mur de soutènement sert premièrement à retenir des sols sur une surface réduite, afin de créer ou d’agrandir une surface utilisable ou plus facilement aménageable. Cette fonctionnalité répond à de nombreux problèmes : augmenter la surface cultivable dans le cas des cultures en terrasses, stabiliser une berge, soutenir une fouille, etc. Ce travail se concentre sur les problématiques routières, pour lesquelles un mur de soutènement fournit deux types de solution. Positionné en amont de la route, il la protège de glissements de terrain, éventuellement en accroissant la largeur de la plate-forme routière. Il s’agit du mur amont, parfois aussi appelé mur protégeant la route. D’ailleurs ce mur ne diffère en rien d’un mur soutenant une terrasse ou une berge : nous nous référerons à ce type de mur par la locution « mur de soutènement simple ». Positionné en aval de la route, en plus de contenir les terres, il soutient la route et ses charges routières. Sans entrer dans beaucoup plus de détail, il est d’ores et déjà évident que ces charges roulantes ajoutent un degré de complexité supplémentaire au problème du mur de soutènement simple. Nous nous référerons à ce type de mur par la locution « mur de soutènement routier ». Avant d’entrer dans le détail des principes régissant le fonctionnement d’un mur poids, définissons quelques termes et locutions que nous utiliserons par la suite. Le Guide des bonnes pratiques de construction des murs de soutènement en pierre sèche (CAPEB et al., 2008) distingue quatre parties constituantes d’un mur de soutènement. Le socle, ou la fondation, correspond au premier lit de pierre, sur lequel reposera l’ensemble du mur. Le parement extérieur, également appelé parement aval, constitue la face visible du mur. Le parement intérieur, ou parement aval, en est le pendant invisible. C’est sur cette face que s’applique la poussée du remblai. On ne bâtit rarement ces deux parements absolument verticaux. Au contraire, l’usage privilégie des parements inclinés, inclinaison que l’on nomme fruit. De la même façon que le pendage décrit à la section 1.1.1, cet angle accroît la stabilité du mur. D’une part, il permet de distribuer de façon plus raisonnée la matière dans le mur, élargissant l’ouvrage là où les efforts sont les plus importants. D’autre part, il augmente d’autant la sécurité en cas de déformations du mur, garantissant une marge de plusieurs centimètres de déplacement en tête de mur avant l’apparition d’un porte-à-faux. Enfin, le couronnement, ou arasement, désigne le dernier lit de pierres. Ce couronnement assure un chaînage supérieur du mur et prévient la dégradation des parties supérieures de l’ouvrage.
Fonctionnement d’un mur poids. Forts de ces quelques définitions, revenons sur les particularités d’un mur poids. Ces murs se distinguent des autres ouvrages par leurs dimensions massives : seul leur poids propre s’oppose à la poussée des terres qu’ils retiennent. D’une conception simple et sans fioriture, ils sont a priori aisés à dimensionner et à bâtir. Pour dimensionner un mur poids, comme pour toute structure, la première étape consiste à vérifier la stabilité externe. Dans ce cas particulier, il s’agit de vérifier d’une part l’équilibre des forces et d’autre part l’équilibre des moments. Cela revient pratiquement à considérer le glissement du mur sur sa base ou le renversement du mur autour de son pied. Après avoir choisi un modèle de calcul pour estimer la poussée des terres retenues sur le parement amont du mur et avoir défini un angle de frottement entre la base du mur et le sol sur lequel il est fondé, on obtient aisément un coefficient de sécurité par rapport au glissement. Le produit de ces mêmes forces par leur bras de levier permettra le calcul du coefficient de sécurité vis-à-vis du renversement. Ces deux calculs sont pratiquement les seules étapes nécessaires au dimensionnement d’un mur poids. Bien sûr, on s’assure également de la capacité portante de la fondation, de la stabilité globale de la pente, mais on sort du dimensionnement structurel pour entrer dans le domaine de la géotechnique. Ce dimensionnement repose néanmoins sur une hypothèse résolument forte : l’intégrité du mur n’est jamais remise en question. Cette hypothèse est généralement pertinente pour un ouvrage en béton, dans lequel les contraintes seront de toute façon bien en deçà des résistances en jeu. Pour la maçonnerie, cette hypothèse devient de plus en plus discutable à mesure que les caractéristiques mécaniques du mortier employé diminuent, pour être nulles dans le cas de la maçonnerie sèche. Alors, il devient nécessaire de vérifier la stabilité interne du mur, en d’autres termes vérifier sa capacité à conserver son intégrité. Cette facette du problème est l’un des motifs de ce travail.
Retour sur la dichotomie bâtiment-génie civil. La section 1.1.1 a permis d’ébaucher quelques traits distinguant la maçonnerie appliquée au bâtiment de la maçonnerie appliquée au génie civil. L’étude de murs poids vient ajouter une nouvelle divergence. Nous venons de voir qu’un mur de soutènement de type mur poids est soumis à deux types d’efforts, d’ordres comparables : le poids propre d’une part et la poussée des terres d’autre part. La maçonnerie d’un bâtiment est également soumise à deux actions similaires : la descente de charge – c’est-à-dire le poids propre augmenté du poids des structures soutenues et des charges de services – et les charges de vents. Néanmoins, les ordres de grandeur diffèrent. L’Eurocode 1 prévoit une pression équivalente de 1 kPa à 10 m du sol et en bord de mer – cas le plus défavorable en France pour un bâtiment de faible hauteur, correspondant à un vent d’environ 140 km/h. Pour un sable sec ayant un angle de frottement de 45° et un poids volumique de 16 kN/m3 – cas très favorable –, la contrainte horizontale donnée par la théorie de Terzaghi dépasse 4,5 kPa dès le premier mètre de profondeur. A contrario, les charges verticales dans un bâtiment, du fait du poids de la charpente ou des dalles des étages, sont plus concentrées que dans le cas d’un ouvrage de soutènement. La proportion de chargement hors plan appliquée à un ouvrage de soutènement est donc bien supérieure à celle à laquelle est soumis le mur d’un bâtiment, sans compter le gain de rigidité apporté par la conception tri-dimensionnelle d’un bâtiment – mur de refend, dalle à l’étage, charpente… Cette différence de chargement se traduit dans les sections courantes : un mur de soutènement de 2 m de haut aura couramment une largeur supérieure à 70 cm, alors qu’un mur bâtiment sera probablement plus proche des 30 cm de large. Les appareils minces – une à deux briques de large – classiquement utilisés en maçonnerie de brique dans le cadre du bâtiment sont par conséquent moins adaptés à l’élaboration de murs poids.

Maçonnerie sèche et maçonnerie jointoyée

     Parmi les multiples travaux évoqués jusqu’alors, plusieurs restreignent leur champ d’application à la maçonnerie de pierre sèche. Cependant, la plupart de ces modèles adoptent le formalisme de Coulomb pour représenter le frottement, que ce soit entre deux blocs différenciés ou pour une rupture interne d’un matériau homogénéisé, ou considéré homogène. Le formalisme de Mohr-Coulomb complète avantageusement le simple frottement de Coulomb, introduisant une composante cohésive : la relation entre l’effort normal et l’effort tangentiel devient affine et plus simplement linéaire. Cette modification mineure étend à peu de frais le domaine d’application de ces modèles secs aux modèles jointoyés à joints minces. En règle générale, le cas des joints épais se traite moins aisément : l’épaisseur permet par exemple l’apparition de phénomènes de flexion dans les joints ou de modes de déformation répartis dans l’épaisseur du joint, phénomènes qu’un modèle de joint mince ne peut que difficilement décrire. L’application d’un modèle de maçonnerie sèche à de la maçonnerie jointoyée se justifie pour les ouvrages faiblement jointoyés ou jointoyés par un mortier de faibles performances. De la même façon qu’en géotechnique il est courant de négliger la cohésion du sol dans le dimensionnement d’un ouvrage de soutènement, il est sécuritaire de négliger la contribution de la cohésion des joints à la solidité de l’ouvrage. D’une pertinence manifeste d’un point de vue sécuritaire, une connaissance plus précise de la résistance d’un ouvrage est tout aussi précieuse lorsqu’il s’agit de circonvenir l’incertitude, d’optimiser le dimensionnement pour réduire les coûts écologiques et économiques ou encore de justifier l’existant.
Cohésion C et angle de frottement ϕ. Différents tests permettent de mesurer la résistance au cisaillement d’un assemblage maçonné sous un chargement de confinement donné. Nous en décrirons les principaux à la section 1.5.2. En faisant varier ce chargement de confinement, on peut donc obtenir les paramètres de cohésion et de frottement du modèle de Mohr Coulomb. Le tableau 1.4 présente les résultats issus de la littérature pour différents types de bloc (brique ou pierre) et différents types de mortiers. Les résultats sont particulièrement dispersés, mais on peut néanmoins en tirer un ordre de grandeur du domaine de variation pour ces deux paramètres : la cohésion varie entre 0,08 MPa et 1,61 MPa, tandis que l’angle de frottement ϕ varie entre 17,7° et 50,9°. Remarquons que la cohésion est relativement faible. Cinq séries d’expériences sont réalisées sur de la maçonnerie de pierre et ne présentent pas des caractéristiques mécaniques significativement inférieures aux résultats obtenus avec des assemblages en brique, pourtant nettement plus réguliers.

Le mur de soutènement simple

     Nous appelons mur de soutènement simple un ouvrage de soutènement pour lequel l’hypothèse de déformation plane dans un plan orthogonal au parement du mur est applicable. Nous retranchons donc de cette catégorie les ouvrages sollicités par un chargement non uniformément réparti dans leur direction longitudinale – pas de surcharge locale envisageable ici. Nous écartons également de cette approche les ouvrages non rectilignes : la section courante de l’ensemble « ouvrage – remblai » est supposée invariante par translation dans l’axe du mur. La section choisie rend compte des éventuels pendages du remblai ou des lits de la maçonnerie et des fruits amont et aval. Sauf indication contraire, nous supposons que le mur est frottant sur sa fondation. Les différents calculs qui seront menés au cours de cette étude sur ce type d’ouvrage sont composés de deux matériaux : le sol de remblai et la maçonnerie. Ces matériaux sont supposés pesants ; d’ailleurs, dans bien des cas, le seul chargement appliqué à la structure est le chargement gravitaire naturel. Selon les calculs, l’interface entre ces deux matériaux est supposée lisse, collée ou frottante. Dans tous les cas, nous n’étudions que le cas d’un sol sec. Cette hypothèse convient absolument aux ouvrages en pierre sèche dont la perméabilité est notoire et permet pratiquement de traiter l’ensemble de la vie de l’ouvrage. Cette hypothèse n’est pas valide pour les ouvrages maçonnés, pour lesquels un calcul hydraulique subsidiaire doit être réalisé.

Aménagement d’une plate-forme expérimentale

     Nous avons réalisé les deux campagnes précédentes dans le cadre de la modélisation physique. Les deux objets d’étude étaient des modèles réduits reproduisant quelques aspects de la réalité. Très utiles pour multiplier les configurations d’essai et comprendre la phénoménologie du problème, elles évitent les questions de similitude et de lois d’échelle et ne peuvent donc pas être utilisées pour valider le modèle sur des murs réels. Nous les complétons donc par une campagne réalisée en vraie grandeur. En 2D, des essais en vraie grandeur ont été réalisés par Villemus (2004) et Colas (2009). Ces essais ont permis de valider les modèles développés en déformation plane. En 3D, Le (2013) a dirigé une campagne sur ouvrages en vraie grandeur. La surcharge ponctuelle était appliquée par le moyen d’une pelle mécanique, ce qui a soulevé plusieurs problèmes. Malgré toute la dextérité du conducteur, le chargement est difficilement maîtrisable : il est appliqué par à-coups, parfois brutalement, le godet de la pelle transmet les vibrations du moteur à la plaque de chargement, la composante horizontale du chargement n’est plus négligeable. Dans certains cas, la pelle s’est avérée insuffisante pour atteindre la ruine. Ces lacunes compromettent la fiabilité des résultats de cette campagne, ce qui complexifie la validation des modèles développés. Cette nouvelle campagne a pour vocation de mieux maîtriser le mode d’application du chargement. Comme pour la campagne de modélisation physique 3D, nous nous intéressons à un mur de soutènement routier, soutenant un remblai, sur lequel une surcharge ponctuelle est appliquée. Contrairement au modèle physique, l’essai porte sur un mur complet et non plus sur un demi-mur : la surcharge est appliquée dans le plan médian du dispositif. L’ajout d’une banche transparente, résistante aux rayures du gravier, suffisamment solide pour résister à la poussée de 2 m de gravier n’était pas envisageable dans ce projet. Nous ne disposerons donc pas des champs de vitesses dans le sol à l’aplomb de la surcharge contrairement à la maquette 3D. Cette campagne a été réalisée avec le concours de l’association des Artisans bâtisseurs en pierres sèches et de l’ENTPE sur une plate-forme d’essais construite dans le cadre du projet CPIER LAUBAMAC. Nous avons conçu et dimensionné une plate-forme d’essais ad hoc. Elle a été construite à l’Espinas, sur la commune de Ventalon-en-Cévennes (48), sur le site de l’École professionnelle de la pierre sèche. Elle se compose d’un portique de réaction ancré dans une dalle rigide en béton armé (figure 4.21). Un vérin, intercalé entre le portique de réaction et le remblai, permet d’appliquer la surcharge locale qui amènera le mur de soutènement à sa ruine. La plate-forme mesure 6,3 m de long et 3,5 m de large. Elle a été dimensionnée pour supporter l’application d’une charge de 200 kN à mi-travée – tous les détails de ce dimensionnement sont rapportés en annexe D. Ce choix a été fait en regard des essais précédents de la littérature : dans sa campagne expérimentale, Mundell (2009) rapporte des charges maximales supportables comprises entre 60 et 110 kN ; Le (2013), pour des essais très similaires à ce que nous nous proposons ici, rapporte des charges de ruptures comprises entre 35 et 150 kN. Le portique est composé de quatre poteaux HEB 140 de 4 m de haut. Les deux poteaux avant soutiennent la poutre longitudinale, un IPE 330 de 6 m de long. Sous cette poutre sont suspendues deux poutres transversales, deux IPE 270 de 3,2 m de long, chacune reposant sur un poteau arrière. Enfin, sous ces deux poutres transversales est suspendue la traverse d’appui du vérin, un HEB 200 mobile de 2,1 m de long qui peut se déplacer le long de ces deux poutres. L’articulation du vérin se trouve à 3,4 m de la dalle ; pour un mur de 1,8 m de haut, cela correspond à une distance de 1,6 m entre les deux points d’application de la force : cela permet de conserver une surcharge quasi verticale même en présence de petits déplacements horizontaux de la plaque de charge. Le vérin utilisé pour appliquer la charge ponctuelle est un vérin double-effet de 300 kN de capacité pour 1,01 m de course. Il est relié au portique par une chape assurant une liaison pivot d’axe parallèle au mur. La pompe hydraulique alimentant le vérin fournit un débit d’huile de 3,2 L/min à 210 bar.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1 État de l’art 
1.1 Cadre de l’étude
1.2 Approches analytiques et semi-analytiques
1.3 Approches numériques
1.4 Approches expérimentales
1.5 Du modèle au terrain
1.6 Présentation de la démarche adoptée
2 Approche analytique 
2.1 Position du problème
2.2 Théorie du calcul à la rupture
2.3 Extension aux maçonneries hourdées
2.4 Renforcement par clouage
3 Approche numérique 
3.1 Présentation de l’optimisation quadratique
3.2 Reformulation du problème du calcul à la rupture
3.3 Modèle 2D
3.4 Modèle 3D
4 Approche expérimentale 
4.1 Introduction à l’approche expérimentale
4.2 Modélisation physique 2D
4.3 Modélisation physique 3D
4.4 Expérimentation à l’échelle 1 sur mur de soutènement routier
5 Validation et application 
5.1 Validation de la modélisation 2D
5.2 Application à un cas d’ouvrage pathologique
Conclusion
Liste des symboles
Liste des figures
Liste des tableaux
Bibliographie

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *