Examen anatomo-pathologique
Historique L’émergence de l’Anatomie Pathologique est, avant l’expérimentalisme de Claude Bernard, le premier stade de développement de la médecine moderne. Cette émergence est progressive et s’étend de la moitié du XVIIème à la fin du XIXème siècle. (7) La pratique de l’autopsie depuis la renaissance fut longtemps à visée purement anatomique, sans que l’on y retrouve un désir d’étude du processus pathologique. Hermann Boerhave (1668-1738), médecin à Leyde, fut un des premiers à étudier les cadavres des médecins décédés, pour découvrir la cause de la maladie et de la mort. (8) Giovanni-Batista Morgagni (1682-1771), professeur de médecine à Padoue et anatomiste, peut être considéré comme le premier Anatomo-pathologiste moderne. Il entreprit d’établir une relation de cause à effet entre les lésions constatées chez le cadavre et la sémiologie clinique. Il fonda à ce titre la « Méthode anatomo-clinique ». (9) Contrairement à Boerhave qui ne cherchait dans l’autopsie qu’une confirmation du diagnostic clinique, Morgagni construisit autour de l’Anatomie Pathologique un véritable système de pensée devant déboucher sur une classification rationnelle des maladies (nosologie). Morgagni publia ainsi en 1761, à Venise, le premier ouvrage d’Anatomie Pathologique « De sedibus et causis morborum per anatomen indagatis ». Cependant, il ne se livra qu’à une analyse macroscopique des lésions. Il n’utilisa pas le microscope, pourtant utilisé au siècle précédent par Leeuwenhoek et très vraisemblablement connu de lui. (10) La méthode anatomo-clinique connut sa principale expansion à Paris au début du XIXème siècle. L’indépendance d’esprit qui y régnait après la révolution permit l’émergence d’une école originale affranchie des principes d’Hippocrate. Xavier Bichat (1711-1802), chirurgien de l’Hotel-Dieu, reconnait et analyse la notion de « tissus ». Dans la lignée de Morgagni, Bichat développe la méthode anatomoclinique. Selon lui, « Disséquer en anatomie, faire des expériences en physiologie, suivre des malades et ouvrir des cadavres en médecine, c’est là une triple voie hors laquelle il ne peut y avoir d’anatomiste, de physiologiste ou de médecin. » Après Bichat, la méthode anatomo-clinique permit à l’Ecole Française de Médecine de bâtir la première étape de l’évolution qui conduisit à la médecine contemporaine. (11) Le microscope optique apparut. L’étude des tissus et des cellules ainsi que la théorie cellulaire vit le jour. Cette théorie trouva un ardent défenseur en R. Virchow en Allemagne (Berlin) qui l’appliqua à la pathologie et en fit la base de la classification histopathologique des lésions. Cette démarche est encore utilisée de nos jours. (12, 13) Depuis les années cinquante, plusieurs avancées technologiques se sont ajoutées à la microscopie traditionnelle : la microscopie électronique, l’histochimie, l’immunohistochimie et la biologie moléculaire. La morphologie n’est plus le seul principe organisateur de la classification nosologique des maladies. Par exemple, la classification des lymphomes prend en compte les données de la cytologie, de l’immunohistochimie, de la cytogénétique et de la biologie moléculaire. (14, 15)
Objectifs, principes et indications L’Anatomie Pathologique contribue à l’élaboration du diagnostic d’une maladie par la démarche anatomo-clinique : les lésions sont analysées et décrites dans un compte-rendu puis le Pathologiste doit intégrer l’ensemble des faits morphologiques et des renseignements cliniques pour, en conclusion du compte-rendu, affirmer un diagnostic ou proposer une hypothèse diagnostique. (16) Elle apporte des éléments utiles pour préciser le pronostic, en particulier dans le domaine de la pathologie tumorale. Elle contribue à évaluer l’effet des thérapeutiques: les examens anatomopathologiques sont renouvelés au cours d’un traitement afin de juger de la disparition, de la persistance ou de l’aggravation des lésions. (17) L’exercice de l’Anatomie Pathologique nécessite des connaissances médicales étendues. Il est caractérisé par un dialogue entre le Pathologiste et le médecin prescripteur et aussi par l’absence de contact direct avec les malades. Ainsi, la démarche diagnostique se base sur les renseignements que les cliniciens fournissent dans les fiches de liaison. Nous allons voir les recommandations connues sur le remplissage de ces fiches dans notre prochain paragraphe. (18)
Le remplissage des fiches de liaison selon le service d’origine des prélèvements
Une étude anglaise réalisée en avril 2001 au « Royal Hallamshire hospital » par BURTON J.L. a montré que les fiches de liaison envoyées par les médecins des centres hospitaliers publics sont les moins conformes. (44) Une autre étude française réalisée en décembre 2012 par RAYMOND B. a abouti à la même conclusion. D’après ces auteurs, cette constatation s’expliquerait par le grand nombre de stagiaires internés dans ces hôpitaux qui prennent déjà toutes les responsabilités d’un médecin, surtout dans tout type de prescription médicale. Ces derniers ne réalisent pas encore l’importance des renseignements cliniques que fournissent ces formulaires quand ils sont bien remplis. (45) Or, ces informations constituent pour le pathologiste le pilier du diagnostic. (46) Dans notre étude, il a été constaté que les fiches de liaison provenant des CHU sont les mieux remplis et que celles des cliniques privées le sont moins. En effet, 65,85% des fiches de liaison des CHU sont bien remplies contre seulement 30,77% pour les Cliniques privées avec une valeur de p significative, égale à 0,0005 < 0,005. Cela peut être dû au fait que dans les CHU de notre pays, les stagiaires internés encore fraîchement formés ont pleinement conscience de l’importance des renseignements cliniques. Ils ne sont pas encore sous l’effet de la routine. Quant aux médecins, plusieurs d’entre eux côtoient les Pathologistes et savent les exigences de ces derniers. Toutefois bon nombre de fiches de liaison ne sont pas remplies par les médecins mais plutôt par un personnel paramédical ou par des étudiants en médecine, ce qui pourrait expliquer la non-conformité de certaines de ces fiches. En ce qui concerne le contenu des fiches de liaison, une étude réalisée au Nigeria, au National hospital Abuja par JIBRIN P. a montré que la plupart des fiches de liaison ne comportaient que l’identité du patient et celui du médecin. Ce sont des fiches non standards dont la plupart sont manuscrites. (47) Une autre étude américaine a constaté au cours d’une analyse de la conformité des fiches de liaison anatomopathologiques réalisée au centre hospitalier universitaire de Virginia situé à Charlottesville, par SETH M. et al que les médecins ont précisé tous les éléments importants dans leurs formulaires excepté l’ethnie de leurs patients. (48) En effet, lors de cette étude, ils ont utilisé des formulaires standards sur lesquels tous les paramètres recommandés figuraient à part l’ethnie qui n’a pas été mis. Les médecins prescripteurs ne remplissaient que ce qu’on leur avait demandé de remplir. Ils ont omi de préciser l’ethnie vu que c’était le seul paramètre qui était absent dans le formulaire qu’on leur a distribué. D’où la nécessité de fiches de demande standards qui doivent comporter tous les paramètres recommandés comme primordiaux pour le diagnostic. En 2008 au M P Shah hospital de Nairobi, Kenya, une étude concernant le remplissage des fiches de liaison anatomopathologiques a été réalisée par KALEBI A. Des fiches de demande standard ont été également utilisées. Lors de l’évaluation du remplissage de ces fiches, tous les paramètres étaient bien remplis mais certaines informations étaient erronées, à savoir le type d’intervention et les renseignements cliniques. En effet, certains cliniciens et chirurgiens confondaient les biopsies avec les biopsie-exérèses, les pièces opératoires avec les petits fragments de biopsie. Ils ne connaissent pas le sens de tous ces termes, ce qui pourrait désorienter totalement le Pathologiste dès le début de sa démarche diagnostique. D’autres médecins donnent des renseignements cliniques mais de manière exagérée, qui, des fois, n’ont même pas de rapport avec la pathologie qu’on recherche, désorientant également l’analyse histologique. (49) Une simple fiche de demande standard aussi conforme soit elle ne sera pas alors suffisante si le médecin prescripteur et le Pathologiste ne parlent pas le même langage. Autrement dit, les médecins doivent avoir au moins en général une notion sur la démarche diagnostique en Anatomie Pathologique et connaître ainsi leur part de responsabilité dans cette démarche. Les Pathologistes de leur côté doivent aussi essayer de savoir ce que les médecins recherchent et attendent. Tout cela ne peut pas se faire par l’intermédiaire d’une simple fiche de demande. D’où l’intérêt des réunions multidisciplinaires. (46) L’intérêt de l’utilisation de ces fiches de liaison standard et celui des réunions multidisciplinaires a été mis en évidence lors d’une étude américaine réalisée au BarnesJewish hospital de Saint Louis par HERBERT W. V. et al. Les fiches de liaison standards utilisées lors de cette étude étaient presque toutes bien remplies et comportaient les informations essentielles. En effet, dans cet hôpital, une équipe de Pathologistes est intégrée au sein de chaque unité de soin, ce qui témoigne de la bonne communication des Pathologistes avec l’équipe médicale. Des réunions de concertation multidisciplinaire améliorent également cette collaboration, facilitant la prise en charge des patients. (50) Dans notre étude, parmi les paramètres des fiches de liaison, nous avons constaté que les médecins prescripteurs ne mettent pas toujours le sexe et l’ethnie de leurs patients, le type d’intervention, le mode de fixation, le ou les diagnostics qu’ils suspectent, et les renseignements cliniques sur la pathologie en question. (Figure 10 et figure 11) Cela pourrait s’expliquer par le nombre insuffisant de fiches de liaison standard faute de moyen ou par simple négligence, mais aussi par la manque de réunion de concertation multidisciplinaire.
La conformité des prélèvements selon leur service d’origine et leur type
Les services d’origine des prélèvements : D’après une étude anglaise réalisée en juin 2000 par CHEICK T., les prélèvements provenant des centres hospitaliers publics sont plus conformes par rapport à ceux des Cliniques privées. Cette étude a montré que les centres hospitaliers publics sont plus équipés en matériel et en système d’information. (53) En effet, dans l’hôpital royal de Londres, il existe un système d’information continue en ligne communiquant à tout médecin les recommandations en matière de demande et de prélèvement pour une analyse histologique. En accédant à ce système tout médecin peut discuter du cas de son patient avec le pathologiste. (44) Dans notre étude, il a été constaté que les prélèvements provenant des cliniques privées sont plus conformes par rapport à ceux des médecins libres et des centres hospitaliers publics. Cette conformité des prélèvements est respectée dans 89,74% pour les cliniques privées, et dans 84,07% pour les CHU avec une valeur de p de 0,0022. Ce qui est significative car <0,005. Ces résultats pourrait sous-entendre que les hôpitaux de notre pays disposent de matériel de prélèvements adéquat et des moyens d’information assez suffisants concernant la bonne pratique des prélèvements histologiques mais que tout dépend de l’initiative des médecins.
Les types de prélèvement et leur modalité de conservation : Selon l’étude réalisée par Raouf E.Nakhleh et al en 2010, les biopsies sont plus conformes que les biopsie-exérèses. Cela est dû au fait que les biopsies sont plus faciles à réaliser car ne nécessite pas le repérage de la limite de la lésion. Le médecin ne prélève qu’un petit fragment de la lésion ou de l’organe Cette étude a montré que la conformité des prélèvements dépendait de la connaissance des règles de bonne pratique et de l’expérience du médecin. Les prélèvements gynécologiques sont les plus conformes et les prélèvements dermatologiques en sont les moins. (29) Cependant, une autre étude africaine réalisée à l’hôpital de Bamako (Mali) par MARKEL S. a montré que la qualité des prélèvements dépend également de leurs conditions de conservation et de transport. En effet, au cours de cette étude, plus de la moitié des prélèvements qui arrivaient au laboratoire étaient déformés. Certaines zones sont même altérées, rendant ainsi difficile leur échantillonnage. Ces prélèvements sont en effet contenus dans des récipients inadaptés à leur taille avec un volume de fixateur inadéquat. (54) L’importance de cette bonne conservation du prélèvement a été mise en évidence aux Etats-Unis, au « Southeast Missouri Hospital ». En effet, dans cet hôpital, le laboratoire d’Anatomie Pathologique n’accepte que des pièces bien conservées, transportées dans des récipients standards adaptés à chaque type de prélèvement selon qu’il s’agisse de petite ou de grosse pièce. La plupart des prélèvements reçus dans ce laboratoire est contributif pour l’analyse histologique. (55) Dans notre étude, les prélèvements biopsiques sont aussi les plus conformes. La raison est peut être que les biopsies ne nécessitent pas le repérage des limites de lésion. Les biopsies d’origine gynécologique sont les plus conformes avec un pourcentage de 93,94%. Celles qui sont d’origine dermatologique en sont les moins avec un pourcentage de 59,21%. La valeur de p est toujours significative. Elle est égale à 0,0017. La plus grande partie de nos prélèvements gynécologiques proviennent des centres hospitaliers publics. Pour ces prélèvements gynécologiques, les recommandations de bonne pratique sont bien connues. Ce qui n’est pas le cas en dermatologie où elles sont moins vulgarisées. La mauvaise conservation de ces prélèvements, qui la plupart du temps parviennent au laboratoire dans des récipients inadaptés, avec un volume de fixateur insuffisant contribuent également à l’altération des prélèvements et à leur non-conformité. (Annexe 4)
SUGGESTION
Au terme de notre étude, nous proposons quelques suggestions afin d’améliorer la conformité des demandes d’examen et celle des prélèvements mais également dans le but d’obtenir un résultat histologique pertinent et approprié au diagnostic que suspecte le médecin prescripteur :
Une formation continue des médecins publics, privés, ou libres ainsi que des internes est suggérée. Les recommandations de bonne pratique pour une analyse histologique et la nécessité de ces règles leur seront communiquées au cours de ces séances de formation.
Une fiche standard comportant tous les paramètres requis pour une demande d’examen histologique devrait être proposée à chaque service. (Annexe 3)
Un communiqué sur les techniques de fixation, de conservation et de transport des prélèvements devrait être sorti pour limiter leur altération. (Annexe 5)
La communication entre médecin prescripteur et Pathologiste ne devrait pas être négligée.
Un système d’information continue en ligne est aussi suggéré. Cela permettra des échanges entre cliniciens et Pathologistes et facilitera la recherche du diagnostic histologique.
Il faudra également développer les réunions de concertation pluridisciplinaire afin que tous les médecins se trouvent au même niveau de connaissance concernant l’importance de l’examen anatomo-pathologique et ses exigences.
La participation de l’Etat est suggérée dans :
• la création de nouveaux laboratoires d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques à Madagascar.
• la création de plateaux d’immunohistochimie.
• la subvention de budget pour les fiches de liaison.
• la subvention des centres hospitaliers universitaires et publics en matériel informatique.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
I. EXAMEN ANATOMO-PATHOLOGIQUE
I.1 Historique
I.2 Objectifs, principes et indications
II. FICHES DE LIAISON
II .1 Critères de remplissage
II.2 Avantages d’une fiche bien remplie
II .2.1 Etat civil
II .2.2 Identité du médecin prescripteur
II .2.3 Prélèvements
II.2.4 Fixation
II.2.5 Renseignements cliniques
III. RECOMMANDATIONS SUR LES PRELEVEMENTS HISTOLOGIQUES
III.1 Généralités sur les prélèvements histologiques
III.1.1 Buts
III.1.2 Différents types
III.2 Recommandations pour tout type de prélèvement histologique
III.3 Etude d’un exemple-type de prélèvement histologique : la biopsie
III.3.1 Recommandations pour sa bonne pratique
III.3.2 Particularités selon le siège
a) Biopsie cervicale
b) Biopsie gastrique
c) Biopsie cutanée
d) Biopsie ganglionnaire
DEUXIEME PARTIE : MATERIELS ET METHODES
I. A PROPOS DE L’ETUDE
I.1 Objectifs de l’étude
I.2 Type d’étude
I.3 Cadre de l’étude
II. MATERIELS
II. 1 Critères d’inclusion
II. 2 Critères d’exclusion
III. METHODOLOGIE
III. 1 Recrutement des cas
III. 2 Paramètres analysés
III. 3 Saisie des données
III. 4 Analyse statistique
IV. RESULTATS
IV.1 Nombre de prélèvements parvenus au laboratoire
IV.2 Origine des prélèvements
IV.3 Types de prélèvement
IV.4 Organes prélevés
IV.4.1 Nombre de prélèvements biopsiques et de biopsie-exérèses provenant des CHU
IV.4.2 Nombre de prélèvements biopsiques et de biopsie-exérèses provenant des Cliniques privées
IV.4.3 Nombre de prélèvements biopsiques et de biopsie-exérèses provenant des médecins libres
IV.5 Remplissage des fiches de liaison
IV.6 Conformité des prélèvements
IV.7 Corrélation entre les renseignements cliniques et les résultats histologiques
IV.8 Corrélation entre suspicions diagnostiques et résultats anatomopathologiques
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
I. Remplissage des fiches de liaison selon le service d’origine des prélèvements
II. Remplissage des fiches de liaison selon le type de prélèvement
III. Conformité des prélèvements selon leur service d’origine et leur type
IV. Corrélation entre les renseignements cliniques et les résultats histologiques
V. Corrélation entre suspicions diagnostiques et résultats anatomopathologiques
SUGGESTIONS
CONCLUSION
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
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